Chapitre 17 :: Chapitre 17 Publiée: 13-06-21 - Mise à jour: 13-06-21 Commentaires: Bonsoir, voici la suite de l'histoire. Qui est cet homme? Ami, ennemi, pervers? Bonne lecture et merci pour vos commentaires^^
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Chapitre 17
Immobile, en mode professionnel, je regarde cet homme attraper la couverture sur toi et la baisser jusqu’à tes pieds. Les bandages ont disparu, comme à tes bras d’ailleurs, je n’y avais même pas prêté attention cette nuit, laissant apparaître les cicatrices rouges sur tes membres. Ses mains se posent sur ta cheville droite et remontent jusqu’en dessous de la blouse qui te recouvre et là, je ne tiens plus.
- Vous comptez faire quoi exactement à ma femme ?
Ma voix est glaciale. Si je n’avais pas un doute sur le fait qu’il s’agisse d’un membre de l’équipe médicale, il aurait déjà valsé en dehors de la pièce avec plus ou moins de dégâts.
- Vous devez être Monsieur Saeba ?, me dit-il, m’adressant un sourire.
J’acquiesce, la mâchoire encore serrée. S’il ne retire pas ses mains de là-dessous dans moins de deux secondes, je lui brise le poignet.
- Je suis Senji, masseur-kinésithérapeute. Je m’occupe de Kaori tous les jours de la semaine., m’explique-t-il.
- Et par vous occuper de ma femme, que voulez-vous dire ? Je ne vois pas ce qu’elle peut bien faire comme rééducation dans son état.
J’approche de l’autre côté du lit et le regarde œuvrer sur tes jambes.
- C’est vrai qu’on est plutôt limités en terme de mouvements et de renforcement musculaire mais les massages et quelques mobilisations qu’on peut faire peuvent améliorer sa condition actuelle, maintenir l’état de ses articulations et surtout on prépare le terrain pour la suite. C’est important aussi.
Je le regarde attraper ta cheville, tenir ta jambe certainement pour ne pas léser l’endroit fracturé et la soulever doucement. Il répète le geste à plusieurs reprises avant de la reposer.
- On échange nos places ?, me suggère-t-il.
Je l’invite à passer et le regarde faire, me détendant progressivement en voyant ses gestes précis et professionnels. Certes, il passe sous ta blouse mais s’arrête juste au-dessus de tes genoux.
- Elle faisait du sport avant, non ?, me demande-t-il.
- Elle courait (après moi, ajouté-je mentalement), faisait de l’aérobic et levait des poids.
Je suppose qu’on peut appeler ainsi ta manipulation intensive de massues et autres engins très lourds que tu me balançais sur la tête.
- La faute à qui ?, entends-je en sourdine.
- Ca se sent. Que s’est-il passé ?, m’interroge-t-il, me ramenant à la conversation en cours.
Je n’ai même pas besoin de lui demander de quoi il parle. Je te regarde, revois en quelques flashs l’accident se dérouler et prends ta main.
- Accident de voiture. Nous avons été percutés par un automobiliste qui a fait un arrêt cardiaque.
- Vous n’avez rien eu ? C’est un miracle., s’étonne-t-il, me détaillant du regard.
- J’ai été éjecté de la voiture. Je m’en suis sorti avec quelques égratignures et bleus mais elle est restée coincée et elle a été percutée par un camion et une autre voiture.
Ses doigts s’immobilisent sur ta cheville et je vois le long regard d’étonnement qu’il pose sur toi, les rouages qui se mettent en marche dans son esprit. Je le comprends, je le comprends parfaitement.
- Oui, le miracle, ce n’était pas moi, c’était elle., dis-je, pressant tes doigts entre les miens.
- Effectivement. J’ai vu son dossier médical mais je ne savais pas ce qui s’était passé. Elle s’accroche en tous cas., me dit-il, reprenant les mouvements.
- C’est une battante. Je sais qu’elle fera tout pour se remettre au plus vite. Je sais même que je devrai veiller à ce qu’elle n’en fasse pas de trop parce qu’elle ne montrera que peu sa douleur.
- Ok, alors on fera tout pour l’aider. Vous avez entendu, Kaori ? Vous retrouverez votre vie d’avant. L’aérobic, le jogging et, plus tard, le lever de poids…, l’encourage-t-il.
Pour le lever de poids, ce ne sera peut-être plus nécessaire à l’avenir. Je ne vais pas étaler notre relation au grand jour mais, ai-je encore envie ou même besoin de draguer à droite à gauche ? Je ne le pense pas. Je le regarde faire puis reposer ta jambe doucement avant de remettre la couverture en place et de manipuler ton bras. Je l’aime bien finalement. Dire que j’étais prêt à lui briser quelques os… Il m’empêche d’être seul avec toi mais, d’un autre côté, je peux voir comment on s’occupe de toi autrement qu’en te mettant des perfusions, désinfectant tes plaies ou, plus cauchemardesque, en te réanimant… Ca permet de relativiser.
- Si vous le souhaitez, vous pouvez effectuer les mêmes gestes que moi sur sa main et son poignet droits., me fait-il savoir.
- Je ne suis pas kiné.
- Je sais mais ces gestes-là sont simples et je suppose que vous appréciez ce contact. Il suffit de ne pas forcer. Je ne vous inviterai pas à manipuler le reste de ses membres mais les mains, allez-y. Ca vous donnera peut-être le sentiment que vous l’aidez autrement qu’en étant simplement là à la regarder, même si ce n’est pas grand-chose., me précise-t-il.
Je me retrouve donc là, nos doigts enlacés à lever et baisser ta main, la faire tourner doucement. Même si tu as perdu un peu d’amplitude, je ne force pas quand ça bloque comme il me l’a dit. Je le vois ensuite masser ton bras, passer sur toute la cicatrice délicatement comme il l’a fait sur tes jambes, le bouger précautionneusement avant de refaire le tour du lit et de faire la même chose avec ton autre bras.
- Je teste la flexibilité. C’est ma façon de savoir comment elle réagit à l’immobilisation., m’explique-t-il, manipulant quelques secondes la main que j’ai travaillée juste avant.
- Kaori et vous êtes mariés depuis combien de temps ?, m’interroge-t-il soudain.
- Un peu moins d’un an., mens-je.
- Vous êtes un sacré veinard. Elle est ravissante. J’ai comme l’impression qu’elle a du caractère, je me trompe ?, me dit-il, amusé.
- Du tout. Un tempérament de feu mais le cœur sur la main. On ne s’ennuie pas avec elle. On ne peut pas rester insensible non plus.
- J’imagine. Ca doit faire vide à la maison., murmure-t-il.
- Oui, effectivement… mais ce n’est que temporaire. Elle finira par se réveiller quand le moment sera venu., réponds-je, confiant.
- Vous retrouverez la lumière de votre vie, Monsieur Saeba., m’affirme-t-il.
Je le regarde, étonné, alors qu’il repose ton bras sur le lit. Il baisse la couverture jusqu’à ton bassin et remonte ta blouse jusqu’en dessous de ta poitrine dévoilant ton abdomen marqué d’une cicatrice qui contourne ton nombril. Doucement, je le vois poser les mains de chaque côté et masser la zone délicatement en remontant.
- Pourquoi avez-vous dit cela ?
Je ne peux pas m’empêcher de lui poser la question. L’expression est surprenante à entendre. Elle m’est souvent passée par l’esprit, le contraste peut-être avec mon statut d’homme de l’ombre mais je ne me souviens pas l’avoir entendue prononcée de vive voix nous concernant.
- Dit quoi ?, me retourne-t-il, ne quittant pas des yeux ton ventre.
- Qu’elle était la lumière de ma vie.
- Je ne sais pas. C’est peut-être votre regard. Quand vous parlez d’elle, j’ai le sentiment qu’elle est comme un phare dans la nuit pour vous. Vous semblez un peu… perdu mais en même temps confiant., m’explique-t-il.
- Peut-être parce que ça fait huit ans qu’on vit ensemble et que je ne sais toujours pas faire fonctionner le lave-linge.
Je ne peux m’empêcher de tourner la conversation à la dérision. Je n’ai pas envie de m’étaler sur mes sentiments devant un inconnu. Je veux en parler avec toi ou nos amis éventuellement mais pas devant un inconnu. Il me jette un bref coup d’oeil avant de se concentrer de nouveau sur ta cicatrice. Je rêverais d’être à sa place et de pouvoir te toucher ainsi sans me demander si je fais mal ou si je te fais mal.
- Une amitié qui s’est muée en histoire d’amour… Au moins, vous saviez où vous mettiez les pieds., me taquine-t-il, gardant l’esprit sans approfondir le fond.
- Pas au tout départ mais en unissant nos vies, oui, je savais., admets-je.
Je contemple ton abdomen, remonte un peu pour voir l’étendue des dégâts. Tes côtes affleurent. Tu as dû perdre du poids depuis que tu es ici et j’avoue que ça m’inquiète.
- J’ai fini., m’informe-t-il soudain, remettant en place ta blouse.
- Je vais la changer légèrement de position pour éviter les escarres et je vous laisse à deux., me dit-il.
Je m’écarte du lit et le laisse te manipuler avec l’aide d’une infirmière qu’il appelle en renfort. Je ne vois pas précisément ce qu’il a modifié mais il a l’air de savoir ce qu’il fait alors je lui fais confiance.
- A bientôt, Monsieur Saeba., me salue-t-il en s’en allant.
- A bientôt., réponds-je, reprenant place à tes côtés.
- Encore un beau mec à tes pieds, Kaori. Ils les ont sélectionnés spécialement pour que je m’inquiète ?, te dis-je.
- Tu me diras, après toutes les femmes que tu as dû supporter de voir défiler à mes côtés, ce n’est que justice. Je ne sais pas si j’aurais ta patience néanmoins… ni ta confiance. Après tout, tu aurais certainement beaucoup à gagner à partir avec l’un d’eux : une belle vie loin de la violence, des vacances régulières dans des endroits plutôt sympathiques, des sorties officielles sur Tokyo…
Je m’arrête là. Les deux autres choses ne veulent pas sortir. J’ai beau dire, même si tu pourrais te marier très officiellement et avoir des enfants en étant avec un autre, que je ne devrais vouloir que ton bonheur après tout ce que tu as accepté et subi pour moi, je ne supporterais pas de te laisser partir. Tu es la lumière de ma vie, mon phare dans la nuit. Senji a raison sur ce point. Tu m’as guidé doucement vers celui que je suis devenu, vers le monde que tu habites, un monde à mi-chemin entre le monde normal et mon monde.
- Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça. Je ne sais pas si tu imagines ce que je ressentais à chaque fois qu’un homme tournait autour de toi ou que je pensais que tu t’intéressais à un autre que moi. J’étais incapable de te parler mais j’étais tout aussi incapable de te laisser partir. Alors tu imagines maintenant qu’on est ensemble, que j’ai découvert encore plus de toi et que ce que j’ai découvert m’a rendu encore plus amoureux de toi ? Tu es foutue, Kaori. Toi et moi, c’est pour la vie.
Mes doigts caressent les tiens, remontent sur le dos de ta main et frôlent ton poignet. J’hésite un instant avant de continuer mon chemin et je touche délicatement la ligne rouge parsemée de petits points. Ca fait mal de me dire que tu vas rester avec ces marques toute ta vie, que chaque fois que tu te baladeras en robe d’été ou en débardeur et short, on regardera probablement ces lignes sur toi, que tu devras te rappeler chaque matin ce qui s’est passé ce soir-là, ces semaines-ci. Je te connais, tu relèveras certainement le menton et vivras avec mais tout de même, tu avais déjà suffisamment de cicatrices intérieures.
- J’aimerais être médecin ou chimiste ou peu importe la spécialité et trouver quelque chose pour les effacer.
- Monsieur Saeba ? Je suis ravie de vous revoir.
Je lève les yeux et vois l’infirmière Yoshi à l’entrée de la pièce. Elle m’adresse un sourire amical et avance.
- Je viens juste vérifier les perfusions et les constantes de Kaori et faire quelques soins. Vous pouvez rester ou sortir comme vous préférez., me propose-t-elle.
- Je vais rester. Je ne me mettrai pas dans votre chemin., lui promets-je.
- Kaori doit être heureuse de vous avoir à ses côtés. Vous avez pu vous arranger pour qu’elle ne soit pas seule en votre absence mais je suis sûre qu’elle est soulagée de vous retrouver., me dit-elle, les yeux fixés sur les poches.
- Elle n’est pas la seule. Elle me manquait., admets-je.
- Votre travail s’est bien passé ?, me demande-t-elle, ouvrant tes paupières.
Elle y met quelques gouttes transparentes avant d’ouvrir l’autre œil et de faire de même.
- Oui.
- Si je ne suis pas indiscrète, quel métier exercez-vous ?, m’interroge-t-elle, continuant tes soins.
- Je suis garde du corps., réponds-je.
- Vraiment ?, s’étonne-t-elle, se tournant vers moi.
Son regard est admiratif. Il n’y a pas de quoi.
- Comme dans le film avec Whitney Houston et Kevin Costner ?, ajoute-t-elle, son regard se faisant malicieux.
Je me retiens de grogner en repensant au film que tu as dû visionner quelques fois à la télévision, ton regard se brouillant à leur histoire d’amour contrariée.
- Il vaut mieux éviter de tomber amoureux de la cliente…, dis-je avec dédain.
- C’est toi qui dis ça ?, me réponds-tu, tentant de me lancer un regard furieux.
Je saisis bien l’allusion à mes trop nombreuses attaques envers nos clientes mais il est trop humide pour me faire peur ton regard, Sugar. Et puis tes joues rosies te font aussi perdre toute crédibilité. J’ai plus envie de te prendre dans mes bras que de m’enfuir en courant… sauf que ce rêve remonte à avant qu’on soit ensemble, me souviens-je en revenant à la réalité. Alors la suite est galvaudée mais logique : je t’ai sorti une vacherie sur le fait qu’au moins Costner ne se tapait pas une partenaire incompétente et acariâtre et que tu étais loin de ressembler à Whitney Houston, enfin au moins à l’époque du film. La sanction ne s’est pas faite attendre et tu m’as écrasé sous une de tes massues avant de partir au pas de charge vers ta chambre en me traitant de tous les noms et ce n’était pas volé…
- Oui comme dans le film mais on ne donne pas dans la star de cinéma…, réponds-je à l’infirmière Yoshi.
- Mais vous avez déjà protégé des personnes célèbres ?, me demande-t-elle, curieuse.
- Une ou deux mais je ne peux rien vous dire…, lui dis-je sur le ton de la confidence.
- Secret professionnel, je suppose., suggère-t-elle.
- Tout à fait.
- Kaori n’a pas peur pour vous ?, m’interroge-t-elle, jetant un regard vers ton visage endormi.
Ce serait plutôt à toi de répondre, non, Kaori ? Alors tu vas te décider à parler ? Tu vas nous ouvrir tes deux jolies prunelles noisettes et nous donner ton avis sur la question ? J’attends un instant même si je sais que c’est vain puisque tu es toujours sédatée.
- On évite d’en parler mais elle est comme moi alors je suppose que oui, un peu., finis-je par dire, poussant un léger soupir.
- Elle aussi, elle est garde du corps ?, s’étonne l’infirmière.
- Oui. C’est ma partenaire, la meilleure que j’ai eue.
Ca, je l’affirme aujourd’hui sans aucun scrupule et je remarque bien la légère ombre dans le regard de mon interlocutrice. Moi qui pensais que quelques semaines loin de moi lui feraient m’oublier, apparemment, je me suis trompé. Pour moi, ce n’est pas un gros problème, je n’ai aucune envie d’aller voir ailleurs, mais je ferai malgré tout attention à ne pas l’encourager.
- On ne l’imaginerait jamais garde du corps., finit-elle par dire.
- La première fois que je l’ai vue, il y a beaucoup de choses que je n’aurais jamais imaginées faire avec elle., plaisanté-je.
Oui, définitivement, tu m’as mené hors des sentiers battus et, même si je n’y suis pas tout le temps à l’aise, j’aime ma vie comme elle est maintenant… enfin presque. J’aime ma vie comme elle est maintenant mais elle sera encore meilleure quand tu te seras réveillée. Je me tourne vers l’infirmière qui s’apprête à s’en aller.
- Vous savez quand ils envisagent d’arrêter la sédation ?
- Aux dernières nouvelles, les médecins voulaient attendre encore deux semaines pour laisser son corps récupérer., me dit-elle.
- D’accord, merci., lui réponds-je.
Deux semaines encore à devoir te voir dans cet état, deux semaines avant de savoir si tout cela sera derrière nous, s’il y a d’autres dommages qui n’ont encore pu être décelés ou si tu ne te réveilleras pas tout de suite… C’est long mais, au regard des quatre semaines qui viennent de passer ou des mois que certains ont attendu, c’est court aussi. Je dois être patient. Personne ne te garde ici pour te faire du mal, bien au contraire. Ils s’occupent tous bien de toi. Mon humeur s’assombrit quelque peu. Ils s’occupent tous bien de toi et moi, j’ai comme l’impression de n’être d’aucune utilité ici. Je ne peux que te toucher, te parler et ça me semble si… futile. Je voudrais pouvoir faire plus. Je ne peux même pas te prendre dans mes bras…
Je me lève et m’assieds doucement sur le bord de ton lit, laissant encore une marge plus que suffisante pour être sûr de ne pas te toucher et blesser. Je peux ainsi mieux observer ton visage. Délicatement, je remets les mèches qui barrent ton front avant de le caresser puis de descendre sur ta joue. J’aime sentir le velouté de ta peau sous mes doigts. Ca me fait toujours autant d’effet et je poursuis mon chemin jusqu’à ton menton. Ils t’ont relevée et c’est plus aisé ainsi pour t’observer et t’atteindre. Ma main continue et descend le long de ton cou, sur ta gorge avant de remonter vers ta nuque.
- Tu es toujours aussi belle à mes yeux, Kaori. Ne l’oublie pas. Je ne sais pas quoi faire pour t’aider à part te parler mais je trouverai. Tu n’es pas toute seule.
Je continue à caresser ton visage tendrement pendant un moment en espérant que tu ressentes au moins ma présence jusqu’au moment où j’entends les premières personnes du staff médical partir en pause déjeuner. Je réalise alors à contrecœur qu’il est presque midi.
- Je dois te laisser, Kaori. Je repasserai en fin de journée s’il n’y a pas de danger. Pas de mauvaise blague, Sugar., murmuré-je à ton oreille avant de poser les lèvres sur ta joue.
Furtivement, j’ai l’impression de la voir rosir mais ça s’évapore aussitôt, alors, après un dernier regard, je m’éloigne et sors de ta chambre avant de partir de l’hôpital.
Dans la rue, les nouvelles vont bon train suite à la mort de Sagasaki. Apparemment, les différentes organisations tentent de s’approprier les marchés laissés vacants pendant qu’un des hommes de main de feu le chef essaierait de reprendre les rênes. Mes pensées vagabondent un moment sur lequel d’entre eux serait assez costaud pour le faire et je n’en vois pas vraiment. Sagasaki était vraiment prudent. Il savait que sa place pouvait faire des envieux et il ne laissait jamais aucun ennemi potentiel s’installer dans son clan. Pour le moment, je peux les laisser grogner et montrer des dents pour voir lequel prendra la main. Tant que ça ne touche personne d’autre, il faut laisser les enfants se débrouiller un peu, me dis-je, ironique.
Je rentre chez nous et me poste à la fenêtre avant même d’avoir préparé à manger. Je vois de l’autre côté de la rue deux silhouettes évoluer dans leur appartement, les enviant quelque peu. Ils sont ensemble, eux… Ils n’ont pas à s’inquiéter de leur futur, eux… Nous non plus, entends-je soudain comme une voix venue du fond de moi-même. Je me mets à rire en me disant que c’est dingue que tu aies une telle emprise sur moi… même sans être là. Mais tu as raison. Je n’ai pas à craindre pour notre avenir : tu as une mission et je te fais confiance. Après tout, on a connu d’autres miracles, me dis-je pensant à mon ami américain rescapé d’un crash aérien, de l’exposition à la poussière d’ange et qui a recouvré une certaine motricité malgré ses mains abîmées…
Soudain, je réalise et mes yeux se braquent sur la silhouette féminine. Je ne suis pas médecin ni chimiste ni quelque autre spécialité qui pourrait t’aider mais je connais quelqu’un qui le peut, quelqu’un qui a peut-être déjà entre ses mains ce remède qui pourrait atténuer voire effacer ces vilaines cicatrices… Il ne m’en faut pas plus pour quitter aussitôt l’appartement et traverser la rue.
- Ryo, quel plaisir de te voir !, s’exclame Mick, m’invitant à entrer.
- Tu es venu nous raconter tes exploits d’hier soir ?, me taquine-t-il.
- En fait, je suis venu voir Kazue., lui expliqué-je, me tournant vers notre amie qui revient de la chambre au même moment.
- Je dois partir à la clinique prendre mon service mais j’ai quelques minutes si tu veux., me fait-elle savoir, fermant son sac à main.
- Voilà, je vais faire bref. Je me demandais si le remède que tu as utilisé pour soigner Mick pourrait aider à faire disparaître les cicatrices de Kaori. Je sais que ce n’est qu’un problème d’esthétique mais…
- Mais ce n’est pas qu’une toute petite cicatrice de quelques centimètres…, me coupe-t-elle, compréhensive.
J’acquiesce, soulagé de trouver une oreille amicale. Je ne sais pas si tu serais d’accord avec moi mais c’est ma toute petite contribution pour ton retour à la normale.
- Ce n’est pas pour moi mais pour elle, pour qu’elle puisse mettre un jour tout cela derrière elle sans avoir à tous les jours y penser., lui expliqué-je.
- Je comprends, Ryo. Je comprends parfaitement. Je pense que le produit que j’ai utilisé pour Mick n’est pas tout à fait adapté parce qu’il n’avait pas les mêmes visées mais je vais voir si je peux retravailler la formule ou même en créer une nouvelle qui conviendrait mieux pour elle., me propose-t-elle.
- N’y passe pas jour et nuit. Tu as d’autres choses à penser., lui dis-je, jetant un regard vers mon ami.
- En fait, je pense pouvoir y trouver un certain intérêt. J’ai quelques cicatrices à faire disparaître moi aussi., plaisante Mick.
- Sinon, je peux aussi faire don de mon corps pour la science. Je dois pouvoir conduire une certaine demoiselle suffisamment au bord de l’extase pour gagner une ou deux cicatrices à soigner., ajoute-t-il, faisant rougir sa compagne.
- Je me doute. Et si tu as besoin d’un autre cobaye, je suis là aussi., lui dis-je.
- J’ai au moins une cicatrice à te montrer sans avoir à me déshabiller et risquer tes seringues., plaisanté-je, dégageant la touffe de cheveux qui recouvre la plaie cicatrisée dont j’ai héritée lors de mon duel avec Umi dans le cimetière.
- Je vous ferai savoir quand je serai prête pour les tests si j’y arrive., nous informe-t-elle.
Soulagé, j’approche d’elle et l’enlace amicalement sans aucune ambiguïté. J’ai au moins l’impression d’avoir fait quelque chose de concrètement utile pour toi.
- Merci Kazue.
- De rien, Ryo. Merci d’avoir pensé à moi. Ca me fait plaisir de pouvoir aider., me retourne-t-elle.
- J’aimerais pouvoir en faire autant., lâché-je d’une voix lourde de regrets.
- Vous allez me faire pleurer tous les deux., ironise Mick.
- Vous avez oublié qu’on aide tous chacun à notre manière ?, ajoute-t-il.
- Oui, peut-être mais parfois, c’est dur de se retrouver sur la touche., admets-je.
- Tu n’es pas sur la touche, Ryo. Tu es sur le banc des joueurs mais pas comme remplaçant. Tu es le coach. T’es le mec le plus important pour elle. T’as ton équipe de joueurs que tu dois mener à la victoire. Ils connaissent tous leur boulot mais toi, tu es là pour leur rappeler les enjeux et surtout lui rappeler à elle pourquoi elle doit revenir., m’affirme mon ami.
Je le regarde, dubitatif. Ce n’est pas l’impression que j’ai eue ce matin. J’ai eu le sentiment d’être celui à qui on accorde une petite place auprès de toi. Après tout, tu as passé presque quatre semaines sans moi et tu as progressé. Senji sait ce qu’il a à faire, l’infirmière Yoshi aussi, les médecins aussi, même Kazue le sait maintenant. Moi, je ne sais pas ou je ne sais plus, je doute. Une part de moi a peut-être espéré que tu te réveillerais contre toute attente en me retrouvant ce matin, que le temps que je t’aurais laissé depuis cette nuit t’aurait permise de chasser les médicaments et ouvrir tes prunelles pour me sourire, croiser mon regard. Je n’aurais peut-être pas dû parler de conte de fées à Himiko. Apparemment, j’y ai un peu cru…
- Eh Ryo, tu ne vas pas baisser les bras maintenant quand même ? Ca fait des jours que tu veux la voir, que tu te dis que tu dois être à ses côtés pour l’encourager. C’est ça ton rôle à toi. Tu la connais mieux que quiconque. Tu sais ce qu’il faut lui dire, tu sais ce qu’il lui faut pour l’aider à se battre., m’affirme Mick comme s’il lisait en moi.
- Ce ne sont que des paroles…, dis-je d’un air sombre.
- Mais c’est important pour elle. Tu es la voix dans la nuit, celle qu’elle connaît et à laquelle elle peut se raccrocher. Elle a besoin de cela autant que des soins médicaux. Elle a besoin de savoir que quelqu’un l’attend pour ne pas jeter l’ancre en pleine mer alors qu’elle n’est qu’à quelques encablures du rivage. Ne la laisse pas se noyer, Ryo, même si c’est dur de ne pas avoir de signe de sa présence pour le moment., m’incite Kazue, posant sa main sur mon épaule.
Je tourne la tête vers elle et plonge dans son regard. Imagine-t-elle à quel point ses paroles résonnent en moi ? Elle me rappelle la conversation que j’ai eu avec Senji ce matin. Tu es mon phare dans la nuit, Kaori. Même dans le coma, je te vois encore briller en moi. Tu m’as accompagné pendant toutes ces semaines où je n’ai pas pu te voir. Pourquoi j’ai oublié l’espace d’un moment ce que je devais être pour toi ? C’est à mon tour de briller pour toi, enfin façon de parler. Je ne peux que te parler et te toucher mais je sais que je peux t’atteindre. Tu m’entends quelque part en toi et, si tu m’entends, tu m’écouteras et tu retrouveras le chemin. Je reprends confiance en la place que j’occupe et je me sens mieux.
- Merci à vous deux., leur dis-je, reconnaissant d’avoir été là pour moi comme ils le sont pour toi.
- De rien, mon pote, mais tu ferais peut-être mieux d’aller dormir un peu. Tu as une sale tête., me conseille Mick.
- J’y vais. Bonne journée.
Je les quitte et rentre chez nous, doublement soulagé. Il est fini le temps des doutes.
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