Chapitre 41 :: Chapitre 41 Publiée: 02-08-21 - Mise à jour: 02-08-21 Commentaires: Bonjour, voici la suite de l'histoire. Bonne lecture et merci pour vos commentaires^^
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Chapitre 41
- Elle est si belle…, s’extasie Miki.
Toute la bande est réunie l’après-midi même de la naissance de Kimi qui dort sagement dans son berceau. Je suis positivement étonné par son calme. Depuis qu’elle est née, elle n’a que très peu pleuré, qu’aux moments où elle avait besoin de manger ou d’être changée.
- C’est notre fille. Elle ne peut qu’être belle, même magnifique., fais-je, assez… non, très fier de ma progéniture.
Je jette un œil vers toi mais tu ne réagis pas. Comme depuis sa naissance, tu sembles absente. Tu passes ton temps à la regarder mais je n’ai aucune idée de ce que tu ressens ou de ce à quoi tu penses. Pour une fois, même pour moi, le mystère reste complet. Tes traits sont figés en un masque de fatigue mais ton regard lui semble carrément vide et j’avoue que ça m’inquiète. J’essaie de relativiser, de me dire que ce n’est peut-être que le contre-coup de l’accouchement et de tous les efforts accomplis, qu’il te faut quelques heures, une bonne nuit de sommeil certainement pour que ça aille mieux mais je ne sais pas, quelque chose me laisse penser que c’est plus profond.
- Alors, Kaori, ça fait quoi de tenir ta fille dans tes bras ?, t’interroge Miki.
- Je ne sais pas. Je suis trop fatiguée pour la prendre et risquer de la faire tomber. Demande à Ryo., réponds-tu d’une voix épuisée.
- Ah… Alors, ça fait quoi ?, me demande-t-elle, un peu décontenancée.
- C’est agréable de pouvoir prendre une jolie fille dans ses bras sans risquer la massue., dis-je en plaisantant.
Tout le monde rit, tout le monde sauf toi.
- L’accouchement s’est bien passé ? Tu as eu mal ?, t’interroge-t-elle.
- Oui, ça a été. Je n’ai presque rien senti., te forces-tu à répondre.
- Elle s’est débrouillée comme un chef. Elle était super concentrée., intervient Kazue avec une certaine fierté.
- C’est une battante., dis-je, caressant ta joue.
Tu ne lèves qu’un instant le regard vers moi avant de fuir. Je retiens un soupir de frustration pour ne rien laisser paraître de mon trouble mais, lorsque je me tourne de nouveau vers la bande, je croise le regard bleu perçant de mon ami. Il me semble qu’il n’est pas dupe de ton humeur en berne et de mon inquiétude.
- Nous devrions les laisser se reposer. La journée a été mouvementée pour eux., lance-t-il soudain.
- Oui, tu as raison. On reviendra à un autre moment., ajoute Kazue.
- Repose-toi bien, Kaori., te souhaite Miki, t’embrassant sur la joue.
- Merci, rentrez bien., murmures-tu par réflexe.
Kazue t’embrasse à son tour, Mick t’enlace brièvement et Umi pose une main sur ton épaule.
- Je vais les raccompagner et je reviens., te dis-je.
Tu acquiesces, le regard de nouveau rivé sur le bébé, et je m’en vais. Je n’ai pas peur physiquement pour notre fille. Je sais que tu ne lui feras rien mais, émotionnellement, c’est autre chose. Elle aura besoin de toi, de se savoir aimée par sa mère et, pour le moment, je ne suis pas sûr que tu sois en mesure de lui apporter cela. Je dois la protéger mais je dois aussi te protéger et t’aider à surmonter ce qui te ronge.
- Elle n’a pas l’air dans son assiette. Je pensais qu’elle serait plus heureuse d’avoir un bébé., me confie Mick, jetant un regard à Kazue et Miki qui sont quelques mètres devant nous.
- Moi aussi. Depuis trois semaines, elle semblait heureuse quand elle en parlait même si elle était inquiète de ne pas pouvoir s’en occuper., réponds-je, soucieux.
- En parler, ce n’est pas pareil que de l’affronter en réalité. Normalement, une grossesse dure neuf mois., intervient Umi à voix basse.
- Mais pour elle, elle n’aura duré que trois semaines., admets-je.
- Et elle n’a pas participé aux préparatifs…, ajoute Mick.
- Ce qui a fait de toi un père prêt lui a manqué à elle., enchaîne-t-il.
- Je sais mais je ne vois pas ce que j’aurais pu faire de plus.
Je lâche un soupir de frustration et nous nous arrêtons sur le perron de la clinique.
- Tu n’aurais rien pu faire de plus., m’assure Umibozu, me faisant face.
- Umi a raison. Tu as fait tout ce qu’il fallait pour elle, pour elles deux même., confirme Mick.
- J’espère qu’elle arrivera à surmonter ses problèmes.
- Allez, courage, man !, m’encourage mon américain d’ami.
- Courage pour quoi ?, nous interroge Miki.
- Il vient de nous dire qu’il allait certainement devoir changer la couche de Kimi. J’imagine même pas l’horreur., grimace-t-il, couvrant notre conversation.
- Pourtant, il s’en sort très bien. Tu devrais peut-être lui demander de t’entraîner…, suggère Kazue avec un sourire malicieux.
Mick se fige et se tourne vers elle, les yeux ronds.
- Tu… tu… tu… tu es enceinte ?, bafouille-t-il, visiblement étonné.
Elle hausse simplement les épaules, nous salue et se dirige vers la voiture.
- Vous croyez qu’elle…, nous demande-t-il d’une voix blanche.
- Ne me regarde pas : c’est moi qui ai découvert la grossesse de ma femme. Je ne sais pas comment elle me l’aurait annoncée sinon…, fais-je, me détendant un peu.
En y songeant, ça n’aurait peut-être pas été simple à l’aune de ma réaction quand je l’ai appris… sauf que tu aurais été le témoin conscient de mes errances et tu en aurais souffert. Sans plus un mot, Mick s’élance vers Kazue et la rattrape, entamant une conversation assez animée avec elle, et Umi et Miki s’éloignent à leur tour. Je n’attends pas le dénouement de l’histoire et retourne vers ta chambre. Je me retrouve de nouveau devant le même dilemme : faut-il te confronter dès aujourd’hui ou attendre au moins jusqu’à demain que tu aies pu te reposer ?
La question se résout d’elle-même lorsque je rentre dans la pièce : tu t’es endormie, tournant le dos au berceau et, quelque part, ça me fait mal au cœur, d’autant plus lorsque j’aperçois les traces de larmes encore fraîches sur ton visage. C’est peut-être sadique mais ça me rassure de savoir qu’au moins, la situation ne te laisse pas indifférente. Ca veut dire pour moi qu’il y a de l’espoir, que tu voudrais certainement mieux mais n’y arrives pas. C’est ma façon de l’interpréter et j’espère juste ne pas me tromper, ne pas devoir affronter le fait qu’en fait, tu rejettes notre fille parce que, là, je ne sais pas comment ça se finirait.
Les pleurs de Kimi te réveillent mais tu ne bouges pas d’un pouce. Il n’y a que ta respiration qui s’accélère qui te trahit. Même lorsque je passe pour aller la changer, tes paupières sont fermées mais je sais que tu simules. Frustré, je mets le double de tendresse à m’occuper de notre bébé, ses pleurs ne cessant quand j’ai fini de la rhabiller. Je suppose alors qu’elle a faim et lui donne le biberon sur lequel elle tête un peu avant de le rejeter et de refuser de le reprendre. Je me lève et la tiens contre moi, la berçant doucement, ayant peur de faire des gestes trop brusques. Je lui parle, essaie de la rassurer et, si ça la calme par moments, ça ne dure jamais. Je me sens impuissant. Ses pleurs me sont aussi insupportables que les tiens.
Me retournant, je croise ton regard humide et approche de ton lit, m’asseyant dessus.
- Tu la veux ?
- Non. Je vais la lâcher., m’opposes-tu.
- Tu ne le feras pas. Elle a besoin de toi, Kaori.
- Non, elle a besoin d’une mère., répliques-tu.
- Tu es sa mère., te dis-je patiemment.
- Elle a besoin d’une mère qui puisse s’occuper d’elle, la tenir, la bercer, la nourrir et je ne peux rien faire de tout cela !
- Mais tu peux la tenir. Tu as juste peur mais je suis là. Pour le reste, ça viendra.
- Je veux dormir, Ryo, et je veux être seule. Emmène-la, rentre à la maison, fais ce que tu veux mais je veux être seule., me fais-tu savoir d’une voix dure.
Le choc est rude. Je te regarde nous tourner le dos sans être capable de réagir tellement je ne m’attendais pas à cela. Voyant au bout d’un moment que tu ne plaisantais pas, je me lève et sors de la chambre, Kimi dans les bras qui s’est enfin calmée et rendormie. Je ne sais pas quoi faire. Je devrais être tout à mon bonheur d’être père et je me retrouve partagé entre les deux femmes de ma vie. A une époque, j’aurais tourné le dos à celle qui me rejetait sans état d’âme mais, aujourd’hui, je ne suis plus celui-là. Tout en moi est persuadé que la femme que j’aime ne peut pas rejeter notre enfant comme tu viens de le faire.
- Ca va, Babyface ?, entends-je soudain.
Je relève la tête et m’aperçois que je suis à l’entrée du bureau de mon vieil ami. Que lui dire ? Oui ? Non ?
- Je ne sais pas.
- Que se passe-t-il ? Un problème avec Kimi ?, s’inquiète-t-il, se levant.
- Non., fais-je, écartant la couverture qui lui tient chaud.
- Elle va bien. C’est… c’est Kaori. Elle veut être seule ce soir, elle ne veut pas voir le bébé. Je crois… Je crois qu’elle n’accepte pas d’être mère.
- Ca ne m’étonne qu’à moitié., admet-il, soucieux.
Il m’invite à m’asseoir et prend place sur le siège juste à côté.
- Ce n’est que temporaire, n’est-ce pas ? Le temps qu’elle comprenne et accepte ?, fais-je, inquiet.
- Peut-être. Je pense qu’il faudrait commencer les séances avec la psychologue. Elle est passée par beaucoup d’épreuves et c’est un gros stress émotionnel., suggère-t-il.
- Oui, ce serait certainement bon pour elle… mais ça ira, non ? Elle reviendra à de meilleurs sentiments ? La Kaori qu’on connaît ne tournerait jamais le dos à un enfant, surtout pas à la sienne., lui dis-je, ne sachant qui je cherche à rassurer, lui ou moi.
Il me jette un regard perçant, se racle un instant la gorge avant d’ôter ses lunettes pour les essuyer. Ce simple geste provoque une tension phénoménale en moi : je sais que je ne vais pas aimer ce qu’il va me dire.
- Il arrive que les personnes sortant du coma changent de personnalité, Ryo. Parfois, c’est flagrant dès le réveil, parfois, c’est plus léger. La Kaori que tu connaissais aimait les enfants mais celle qui s’est réveillée peut ne pas avoir les mêmes sentiments…, me prévient-il.
- Vous voulez dire qu’elle pourrait ne jamais vouloir créer de lien avec Kimi ?, fais-je d’une voix blanche.
- C’est possible tout comme il est possible que ce soit un problème d’adaptation ou, plus simplement, une dépression post-partum., m’annonce-t-il.
J’encaisse difficilement la nouvelle et regarde notre fille qui dort toujours en faisant des petits mouvements avec les lèvres. J’ai un temps pensé qu’elle t’aiderait à rester motivée pour ta rééducation, que l’idée de pouvoir la tenir dans tes bras, la balader en poussette ou toute autre activité avec elle serait un moteur pour toi dans les moments les plus difficiles.
Aujourd’hui, je dois admettre qu’il serait possible qu’au moment où tu seras remise, tu pourrais vouloir partir loin de nous. J’ai l’impression d’être dépossédé, de m’être quelque part battu pour rien même si rien est loin d’être le bon mot pour qualifier le nourrisson que je tiens contre moi, ressentant sa chaleur irradier sur mes bras. Je ne veux pas croire qu’après tous ces mois, tu pourrais finalement me quitter, me laissant seul avec notre fille.
- Je te conseille de limiter les visites. Plus elle s’entendra dire à quel point elle doit être heureuse, plus elle risque de rejeter Kimi. Pour cette nuit, je peux vous donner une chambre si tu veux rester, sinon je peux garder la demoiselle avec moi si tu veux un peu de temps pour toi., me propose-t-il.
- Je veux rester avec elle… Je veux aussi être là si Kaori a besoin de moi., fais-je, encore sonné.
- Très bien. Suis-moi. J’irai récupérer des affaires dans la chambre de Kaori. Sayuri va passer ce soir ?, me demande-t-il.
- Non… demain. Elle prend un avion de Sidney pour rentrer d’un reportage et atterrit tard.
- Briefe-la., me conseille-t-il avant de me laisser.
Seul, je m’assieds sur le lit, mon petit fardeau toujours entre mes bras. Quelques minutes plus tard, le Professeur revient avec le berceau et des affaires posées dedans qu’il enlève pour que je puisse recoucher Kimi.
- Comment elle allait ?, ne puis-je m’empêcher de lui demander, espérant malgré tout que tu aurais demandé après nous.
- Elle dormait, Ryo. Tu ferais bien d’en faire autant cette nuit.
Peine perdue… Pour la première nuit de notre fille, je reste éveillé à la regarder dormir, mille pensées se bousculant dans mon cerveau en surchauffe. Je ne peux empêcher des images de nos futurs éventuels d’apparaître et disparaître, seuls les moments où le bébé se réveille me laissant un peu de répit, et le petit matin me trouve fourbu et avec un mal de crâne phénoménal. Anxieux de laisser Kimi seul, je vais me doucher rapidement et m’habille avant qu’elle ne se réveille. Je me souviens des gestes que Kazue m’a montrés la veille et baigne le nourrisson grincheux avant de le sécher et de l’habiller. Je voudrais pouvoir rassurer notre fille, lui parler mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je n’ai pas envie de lui faire des promesses que je ne pourrais tenir.
- Moi, je serai là en tous cas, Kimi., est la seule phrase que je me sens autorisé à lui dire.
Elle m’aura moi, soutien indéfectible toute sa vie. Je n’ai aucune expérience de ce qu’il faut faire en tant que père mais j’apprendrai même si c’est dur et que je fais des erreurs, j’apprendrai.
Le biberon donné, je ne peux attendre plus longtemps d’aller te voir. Je veux croire que la nuit t’aura porté conseil et que tu seras plus encline à faire connaissance avec notre fille. Je vois Tatsuya arriver en même temps que moi à la porte.
- Alors c’est le petit trésor ?, me demande-t-il, curieux.
J’écarte la couverture et tourne Kimi vers lui, fier de la lui présenter. Il l’a après tout couvée comme nous tous.
- Oui, c’est Kimi. En pleine forme, un vrai petit ange., dis-je.
- Elle en a l’air. Elle est ravissante. Vous devez être heureux tous les deux…, réplique-t-il, ravi pour nous.
- Tatsuya mon garçon, je peux te voir deux minutes, s’il te plaît ?, l’interpelle le Professeur.
- J’arrive, Professeur. Excuse-moi., fait-il, se dirigeant vers le bureau concerné.
- Ryo, je ne te conseille pas., me suggère mon ami, me voyant la main sur la poignée.
- J’ai besoin de la voir., lui fais-je savoir, contrarié.
- Elle n’a pas demandé de vos nouvelles ce matin. Elle a juste demandé si Tatsuya revenait aujourd’hui après l’intervention d’hier., m’apprend-il à voix basse.
Ton intervention dort tranquillement dans mes bras. J’ai au moins cette chance que Kimi ne pleure pas à tout va et passe la plupart de son temps endormie. Je laisse infuser ses paroles un moment avant de lâcher la poignée.
- Je ne la laisserai pas fuir éternellement la situation., le préviens-je.
- Je sais, moi non plus. Accordons-lui un ou deux jours. Elle doit voir la psychologue dans la journée., m’apprend-il.
- Aujourd’hui, pas plus. J’ai besoin de ma femme et Kimi a besoin de sa mère. Si elle ne peut pas être là pour elle, je ne sais pas ce que je ferai mais je n’entretiendrai pas l’espoir pour aucune d’elles deux., lui fais-je savoir.
- Ryo ?, s’inquiète le Professeur, surpris.
- J’ai une fille, Professeur, un enfant que je dois protéger. J’aime Kaori comme je n’ai jamais aimé personne mais, si elle a changé au point de ne pas vouloir de notre enfant, alors je devrai faire mon deuil et me dire que celle que j’aimais est morte il y a neuf mois et je m’occuperai seul de notre bébé., réponds-je.
- Tu ne baisses pas les bras tout de même ?, me demande-t-il.
Je regarde ma fille qui dort dans mes bras paisiblement puis mon vieil ami qui m’a connu plus de la moitié de ma vie, m’a sorti de l’enfer et donné une seconde chance qui m’a permis de connaître le bonheur avec toi et maintenant la paternité. Pour elle, pour lui qui a tant fait pour moi, pour toi et enfin pour moi, je sais que mes paroles sont définitives mais elles ne sont pas encore d’actualité.
- Non, je ne baisse pas les bras mais j’ai défini mes priorités. J’aime la Kaori d’avant. Si celle que j’ai vue hier venait à rester telle qu’elle est, alors notre relation serait finie. Cependant, je sais que seul le temps nous dira à qui nous avons à faire et je ferai tout ce qu’il faudra pour l’aider à trouver celle qu’elle est ou qu’elle veut être… tant que ça ne met pas Kimi en danger., lui dis-je d’une voix affirmée.
- Et ne croyez pas que c’est de gaieté de cœur que je vous dis cela, Professeur.
- Je m’en doute. Si tu veux essayer d’aller la voir, essaie après la séance de kiné. Je garderai Kimi en attendant., me propose-t-il.
- Merci. Je vous l’amènerai. A tout à l’heure.
Je le laisse aller voir Tatsuya et regagne ma chambre. C’est le moment que choisit Kimi pour se réveiller et elle se met à chouiner un peu. Je me mets à marcher dans la pièce, ce qui la calme… mais pas moi. J’étouffe enfermé entre quatre murs. Je n’ai rien d’autre à penser que la situation actuelle. J’ai besoin de sortir et de m’aérer. Kimi est bien couverte et je décide qu’un peu d’air frais ne lui fera pas de mal non plus.
Ma fille dans les bras, je déambule dans les allées du parc de la clinique. J’entends la respiration de Kimi s’apaiser et se faire plus profonde et je sais qu’elle s’est rendormie. Je marche un moment avant de m’asseoir sur le banc face à l’étang. Le calme des lieux, la brise qui caresse mon visage me fait penser à certains moments de notre week-end. Je n’arrive pas à croire que c’était la dernière fois que je tenais la femme que j’aimais dans mes bras, que celle que j’ai tenue et épaulée depuis trois semaines serait en fait comme une pâle copie de ma Kaori.
Je suis en colère et en même temps je continue à espérer que ce n’est qu’un mauvais moment, un passage à vide, que tu ne sais juste plus où tu te situes et qui tu es. Je veux croire que tout ce combat n’a pas été vain même si le poids dans mes bras me prouve déjà que ça ne l’a pas été. La victoire doit être complète, ça doit être toi, moi et notre fille. Ca ne peut pas seulement être elle, ce fruit de toi et moi, sans toi. Ce serait tellement injuste pour chacun de nous même si tu ne le vivrais peut-être pas ainsi. Je sais que la Kaori que j’ai connue aurait perdu.
- Ryo ?
Je lève les yeux et trouve Sayuri à mes côtés. Elle prend place juste à côté et regarde vers la couverture que je tiens.
- C’est elle ?, fait-elle d’une voix émue.
- Non, je balade une couverture. Ca fait cool…, dis-je en plaisantant.
- Idiot…, souffle-t-elle.
- Je sais. Laisse-moi encore cette liberté quelques temps. Après, je ne pourrai qu’être sérieux., fais-je, écartant le tissu du visage de ma fille.
- C’est Kimi. Kimi, c’est ta tante Sayuri.
Je lui passe le bébé précautionneusement, continuant à la regarder. Sayuri est silencieuse et je sens une aura particulière monter.
- Elle est magnifique., murmure-t-elle, émue.
- Oui. On a du mal à y croire après tout ce à quoi elle a été exposée mais elle est tout à fait normale et elle ne souffre d’aucune séquelle.
- C’est génial. Et Kaori ? Comment va-t-elle ? L’accouchement s’est bien passé ?, me demande-t-elle.
- L’accouchement s’est passé sans encombre. Elle n’a presque pas eu de douleur, la péridurale a très bien marché. Elle a perdu les eaux avant-hier soir mais les contractions n’ont commencé que plus tard dans la nuit. Tout s’est passé sans anicroche., lui apprends-je.
- Elle doit être si heureuse. Je ne sais même pas comment tu as pu emmener sa fille loin d’elle., me taquine-t-elle, riant légèrement.
Je baisse les yeux vers Kimi qui ouvre un instant les yeux et semble me fixer avant de se rendormir.
- Elle n’accepte pas sa maternité. Elle nous a chassés de sa chambre hier soir.
- Elle a quoi ?, s’écrie-t-elle, stupéfaite, réveillant Kimi en sursaut.
- Ne crie pas, s’il te plaît…, fais-je, récupérant ma fille et la berçant jusqu’à ce qu’elle se rendorme.
- Elle n’a pas fait cela…, dit-elle plus doucement.
- Si. Elle doit voir une psychologue pour comprendre ce qui ne va pas.
- Je vais aller la voir. Elle me parlera., affirme-t-elle.
- Non. Tu n’iras pas la voir pour la confronter. Laisse-moi ce rôle. Je ne veux pas que tu deviennes son ennemie.
- Je veux être là pour elle., m’oppose-t-elle.
- Justement, sois là pour elle. Je ne te demande pas d’aller dans son sens à tout va mais ne va pas contre elle.
Elle m’observe un moment, soupire puis acquiesce.
- Je ne sais pas si je pourrai faire cela. Elle n’est pas comme ça. Je ne comprends pas., me confie-t-elle.
- Alors ne l’approche pas pour le moment. Il est possible qu’elle ne nous soit finalement pas revenue intacte. Il faut que tu te fasses à cette idée., la préviens-je.
- J’ai besoin d’un peu de temps. Je vais rentrer, finaliser mon article et réfléchir posément à la situation., me dit-elle, bouleversée.
- Tu as raison. Ce sera dur, il faudra t’y préparer.
- Courage à toi., souffle-t-elle, déposant un baiser sur ma joue.
Elle caresse le nez de Kimi et s’en va. Je reste encore quelques minutes avant de me décider à essayer malgré tout d’aller te voir. Je ne te forcerai à rien. Je veux juste que tu saches que je suis là malgré tout. Tu nous as mis à la porte mais je ne l’ai pas fermée. Je récupère le berceau dans la chambre et amène Kimi au Professeur.
- Je vais aller la voir. Je dois la voir., lui dis-je.
- Ryo, ne la brusque pas., me conseille-t-il, contrarié.
- Non, elle doit juste savoir qu’elle n’est pas seule malgré ce qui s’est passé hier.
- D’accord., acquiesce-t-il.
Je m’approche de ta chambre et j’entends par la porte légèrement entrouverte que Tatsuya est encore là. Je m’adosse au mur, attendant qu’il ait fini.
- Voilà, on a terminé. Tu vas pouvoir te reposer, Kaori., te dit-il au bout de quelques minutes.
- On n’a pas fait une séance aussi complète qu’avant., lui fais-tu remarquer.
- Effectivement. J’ai dû composer avec ton état de santé., te répond-il, évitant de mentionner ton accouchement, certainement briefé par le Professeur.
- Je veux reprendre les séances comme avant, les accentuer même. Maintenant que je suis libérée, il faut qu’on avance., lui demandes-tu d’une voix ferme.
Je ferme les yeux au mot « libérée ». C’est ainsi que tu as vécu ces trois semaines de grossesse ? Moi qui me réjouissais que tu aies pu en vivre quelques jours pour en avoir des souvenirs, j’en suis presque à regretter que tu ne sois pas restée inconsciente jusqu’au bout.
- Non, Kaori, les séances seront allégées pendant un mois environ. J’attendrai le feu vert du Professeur pour monter en puissance. Tu regretteras peut-être la séance d’aujourd’hui ce jour-là., plaisante-t-il.
- Ce que je regrette, c’est tout ce temps perdu., craches-tu.
Mon cœur sombre mais j’évite de fuir la place. Je dois m’accrocher à l’espoir que ce soit quelque chose en toi qui parle à ta place, que ce soit la colère, la peur ou autre. Souhaitant sortir Tatsuya de ce moment gênant, je toque à la porte et la pousse.
- Je peux entrer ?
Le regard noir que tu me lances est loin d’être feint. Je ressens toute ton animosité à mon encontre et me barricade pour ne pas la laisser me toucher.
- Qu’est-ce que tu veux ?, me demandes-tu abruptement.
- Rien, te dire que je suis là si tu as besoin de moi, savoir comment tu vas., te dis-je sans me démonter.
- Je vais bien et je n’ai besoin de rien sauf de recouvrer ma liberté., répliques-tu, adressant un regard glacial à Tatsuya.
- Tu as besoin de temps, Kaori. Ton corps a besoin de se remettre.
- On se demande pourquoi…, assènes-tu.
Je ne relève pas et garde mon calme. Je me persuade que ce n’est pas toi qui parles mais une espèce de démon, de folie qui a pris place dans ton corps. C’est ma façon de matérialiser la chose. J’espère juste qu’on n’en arrivera jamais là où a mené celle de mon père adoptif. Je chasse cette pensée inopportune de mon esprit.
- Je vais vous laisser. A demain, Kaori., glisse Tatsuya, mal à l’aise avant de s’éclipser.
- Tu as passé huit mois dans le coma. Ca ne te suffit pas ?, te demandé-je.
- Et ça ne suffisait pas à tes yeux pour m’imposer une épreuve de plus ?, me retournes-tu.
- Je pensais que c’était ce que tu voudrais. Je voulais te laisser cette chance-là, Kaori.
- Visiblement, on ne se connaissait pas bien tous les deux. Dans mes souvenirs, il ne devait y avoir que nous deux et c’était suffisant !, me lances-tu, agrippant le drap.
Je pousse un long soupir de frustration, détournant le regard un court instant avant de revenir sur toi.
- Je pensais que tu voulais plus mais que tu t’étais contentée de ce que je voulais bien te donner. J’ai du mal à croire que la Kaori que je connaissais puisse réagir ainsi. On était plus forts à deux, assez forts pour que j’envisage notre vie à trois. Je pensais que c’était ce que tu voudrais, que te laisser le choix était la meilleure chose à faire., admets-je.
- Il faut croire que tu avais tort, Ryo. Si c’est tout ce que tu as à me dire, tu peux t’en aller., m’affirmes-tu, redressant le menton.
- Tu ne veux pas…
Je ne finis pas la phrase que j’ai commencée. Ca ne sert à rien. Tu n’es qu’hostilité et déni. J’ai déjà beaucoup de mal à encaisser ce que tu viens de me dire alors comment pourrais-je imaginer mettre Kimi à tes côtés ? Elle est trop fragile pour subir tes foudres. Ce n’est qu’un bébé d’un jour qui se retrouve sans mère, que je dois même protéger de sa mère, temporairement je l’espère. Ca ne sert à rien de te proposer de la voir…
- Si tu comptes me demander de jouer les vaches laitières, n’y compte même pas. Ca m’a déjà suffi de jouer les incubateurs !
Sur ce, tu me lances un regard haineux avant de t’allonger en me tournant le dos. Je mets quelques secondes avant d’être capable de bouger après l’uppercut que je viens de recevoir. Défait, je sors de ta chambre et retourne dans la mienne, prenant quelques minutes pour me recomposer une attitude neutre avant de retrouver ma fille. Je ne sais même plus si je dois encore l’appeler notre fille. Tes sentiments semblent si forts, si absolus que je ne sais pas si tu en sortiras. Il me faut puiser profondément en nous, en toi et en notre bébé pour vaincre la fatalité qui semble vouloir m’envahir et trouver en moi l’espoir de jours meilleurs.
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