Chapitre 6 :: Révélations Publiée: 01-07-03 - Mise à jour: 16-05-05
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Ce ne fut qu’après s’être assise dans la petite voiture rouge que Sayuri se rendit vraiment compte de son épuisement. Ses jambes tremblaient et elle se sentait capable de fondre à nouveau en larmes à tout instant. En entendant les gens parler japonais autour d’elle, dans l’avion puis surtout à l’aéroport, elle avait réalisé qu’elle était enfin chez elle. Tout lui semblait nouveau pourtant. Les couleurs, les enseignes, la conduite à gauche… Elle avait perdu l’habitude de son propre pays.
Elle avait pris place à l’arrière. A genou sur le fauteuil du passager avant, Kaori la regardait sans dire un mot, attendant qu’elle rassemble ses esprits. Sayuri lui en fut reconnaissante : elle n’aurait pas supporté une avalanche de questions pour le moment. Il fallait pourtant qu’elle trouve la force de s’expliquer. Mais elle devait également taire une partie de l’histoire à Kaori, au moins pour le moment.
- « Je suis désolée. J’ai conscience de m’imposer à l’improviste, mais la situation devenait vraiment critique là-bas ».
- « Pas de problème. Je suis toujours prêt à accueillir une jolie fille à la maison ! Mais j’aime aussi savoir où je mets les pieds… Tu veux bien nous faire un résumé des raisons qui t’ont poussée à partir en catastrophe et à venir ici ? » demanda Ryô d’un ton léger.
- « Il y a quelques jours, j’ai commencé à me sentir suivie. Il y a eu aussi des accidents bizarres où j’aurais pu être blessée, voire pire. J’ai été voir la police, mais sans preuve je n’ai pas vraiment été écoutée… C’est tout juste s’ils ne m’ont pas grondée comme si j’étais une gamine qui exagère… Et puis hier j’ai reçu une lettre anonyme me disant de retourner au Japon si je ne voulais pas finir loin de chez moi. Là encore, on m’a dit qu’il devait s’agir d’un plaisantin. Je ne voulais pas céder mais… Finalement j’ai craqué. Je crois que si j’étais restée là-bas je serais devenue folle. Vous devez me trouver stupide… » finit-elle d’un ton d’excuse.
- « Tu as une idée de ce qui a déclenché tout ça ? »
- « Je ne sais pas trop quand tout ça a commencé, mais je pense savoir à quoi c’est lié. C’était juste après que j’aie eu les premières preuves mettant en cause un réseau de revendeurs de peintures volées… Mieux vaut tout vous raconter depuis le début. Mon journal a décidé de faire une série de numéros spéciaux sur les grands mystères de notre temps. Les statues de l’île de Pâques, Jack l’Eventreur, l’assassinat de Kennedy… vous voyez, ce genre d’enquêtes éculées. Comme j’en avais assez, j’ai proposé un sujet sur les énigmes policières, notamment les vols d’œuvres jamais retrouvées. Mon patron s’est emballé et a choisi de généraliser le sujet au monde entier. Comme par hasard, il a demandé à un de mes collègues de couvrir les U.S.A. et l’Europe, et j’ai été assignée à l’Asie. C’est comme ça depuis le début d’ailleurs, je ne pensais pas que mes origines seraient un tel obstacle là-bas. Enfin bref, j’ai commencé à chercher dans les faits divers quelque chose qui pourrait être intéressant à creuser. Je suis tombée sur une série de vols d’œuvres d’art, une vingtaine en l’espace de six mois, des affaires qui n'ont jamais été élucidées. »
Sayuri s’interrompit pour remettre de l’ordre dans ses idées. Elle avala sa salive. Elle avait soif. Elle n’avait rien pu avaler dans l’avion, et les jours qui avaient précédé elle n’avait pas vraiment pris le temps de faire un repas convenable. La veille elle avait prévu de se reposer un peu. Elle avait pris une douche, et puis le téléphone avait sonné… Lorsqu’elle avait décroché le combiné il y avait eu un silence puis l’interlocuteur avait raccroché. Elle ne saurait jamais ce qui lui avait pris à cet instant. Elle s’était habillée avec ce qui lui tombait sous la main, avait attrapé le strict nécessaire, rassemblé tous les documents qu’elle avait pu collecter jusque là, et filé sans même prendre le temps de se sécher.
Elle passa la main dans ses longs cheveux bruns, par réflexe. Ils auraient bien eu besoin d’un coup de brosse. Avec le recul, elle se trouvait stupide : ce n’était peut-être qu’un simple faux numéro, mais soudain partir avait semblé être la réaction la plus judicieuse. Elle inspira doucement et reprit le fil de son histoire.
- « Tous ces vols avaient plusieurs ressemblances : ils avaient lieu chez des particuliers, tous très riches, alors que les propriétaires étaient absents. J’ai mis un bon moment avant de pouvoir accéder aux fichiers de la police pour creuser plus avant. J’ai l’impression qu’ils n’apprécient pas tellement de se faire mener en bateau par un criminel, et imaginer qu’une journaliste puisse les coiffer au poteau est la pire des choses ! Heureusement, j’ai été aidée par un jeune policier un peu moins borné que ses collègues. Il m’a transmis l’intégralité des dossiers, que j’ai repris un à un. J’ai fait la liste des points communs et il y en a un qui m’a sauté aux yeux : les propriétaires étaient tous assurés par des filiales de la même société, Gunda Corporation. Visiblement, un des employés avait trouvé un filon en or : des centaines d’assurés richissimes, et une couverture garantie puisque les compagnies n’ont aucun motif pour voler les œuvres qu’elles assurent souvent plus cher que la valeur réelle de l’objet. J’ai alors repris la liste des employés de l’époque. C’est fou ce que les archives fiscales avec l’obligation de transparence des entreprises peuvent servir ! »
Ryô jeta un œil surpris dans le rétroviseur : il avait suivi le récit embrouillé en devinant qu’elle pensait à autre chose, et puis il l’avait sentie se tendre, la voix à la limite de la rupture. Sa tentative de détachement n’aurait pas berné un enfant. Elle arrivait à la phase douloureuse de son récit. Il la vit relever la tête et fixer son regard au sien.
- « C’est alors que j’ai découvert un nom connu : celui de Junishi Hisaishi, mon père. »
Un silence suivit. Rien dans l’attitude de Ryô ne le trahit. Tout juste ses mâchoires se contractèrent-elles quelques secondes. La voiture conserva la même vitesse, sans faire le moindre écart. Ainsi, le passé de Kaori refaisait encore une fois surface, et sous un jour inattendu…
- « Ton père ? Mais c’était peut-être un hasard, je suppose qu’une compagnie d’assurance emploie beaucoup de monde ? » proposa Kaori
- « J’ai essayé de le croire, le fait que les vols aient cessé au moment de sa mort me laisse à croire le contraire. Bien sûr il reste toujours un doute, mais je pense qu’il faisait partie de la bande ».
- « Une bande ? »
- « Oui, un groupe parfaitement organisé : il n’était que simple courtier, il n’aurait jamais pu être en contact avec tous les propriétaires qui ont été volés. De plus, nous n’avons jamais été particulièrement riches chez nous. J’avais moins de trois ans quand mes parents se sont séparés, mais j’ose espérer que mon père aurait subvenu à nos besoins s’il avait eu de l’argent. Non, il n’était pas à la tête du trafic. Il a fallu quelqu’un qui soit en relation avec les clients et écoule les toiles, et quelqu’un qui les vole. Certaines peintures ont été retrouvées à l’étranger, pour la plupart du côté des Emirats Arabes. »
Ryô était resté silencieux. Il revoyait Hideyuki assis sur le banc du parc public, un 31 mars, six ans auparavant : « C’est une histoire qui remonte à vingt ans. Mon père qui était policier est revenu avec un bébé… Il m’a dit “Désormais, cette enfant sera ta sœur”, c’était Kaori. Elle était la fille d’un meurtrier tué par accident par mon père au cours d’une enquête, Junichi Hisaishi. Sa mère était morte déjà avant, alors mon père l’a prise à sa charge »…
Seulement voilà : la mère de Kaori était bien en vie à l’époque, et vivait au Japon avec son autre fille. Elle s’était séparée de son époux, qui avait emmené avec lui leur bébé… Un tour du sort avait changé la vie de deux familles pour toujours. Au moment de la réapparition de Sayuri, il avait craint que le choc fut trop difficile à gérer pour Kaori, que dire si elle devait en même temps apprendre l’existence d’une sœur et d’un père criminel ?
- « Jusqu’où as-tu été dans tes recherches ? » demanda-t-il
- « Pas tellement plus loin. Je suis partie dans deux voies : tout connaître de mon père, et en savoir un peu plus sur Gunda Corp. En ce qui concerne mon père j’ai eu les renseignements habituels : sa date de naissance, son cursus scolaire, les adresses où il avait habité… Rien de bien concluant. En étant sur place j’espère pouvoir en savoir plus. Quant à Gunda Corp… C’est quand je me suis intéressée à eux que ça s’est gâté. »
- « Hé bien je pense que nous avons un emploi du temps chargé pour les jours à venir dans ce cas » résuma Ryô. « Au fait Sayuri, je t’en supplie, est-ce que tu peux faire la cuisine ce soir ? J’ai un merveilleux souvenir des petits plats que tu nous faisais et Kaori s’obstine à vouloir me faire avaler ses boulettes de viande dignes d’une marque de pâtée pour chiens ! »
- « QUOI ??? IMMONDE SALOPARD !!! »
Sayuri observa avec détachement la mise à mort qui se jouait sous ses yeux : Ryô tentait de se défendre tout en conduisant avec le pied, pendant que Kaori s’efforçait de sortir de son sac un marron qui aurait pu remplir deux fois l’habitacle. « Rien n’a changé, ils sont toujours aussi amoureux ces deux-là » soupira-t-elle.
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