Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: Complète

Série: City Hunter

 

Total: 5 chapitres

Publiée: 30-06-20

Mise à jour: 04-01-22

 

Commentaires: 9 reviews

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Drame

 

Résumé: Aux racines des amours plurielles, des attractions passionnées et voluptueuses, des déchirements douloureux… Personnages légèrement OOC. Pour un public averti.

 

Disclaimer: Les personnages de "Demain, dès l'aube" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Demain, dès l'aube

 

Chapitre 1 :: Chapitre 1

Publiée: 30-06-20 - Mise à jour: 30-06-20

Commentaires: Bonjour à tous, voici le dernier opus de mes « élucubrations amoureuses », entamées avec « Mes doigts ont effeuillé tant de roses ». À l’origine, pour « Demain », je voulais un OS mais, arrivé à mi-chemin, j’en étais déjà à 20000 mots. J’étais dépassé. À la relecture, ces 20000 mots m’ont paru indigestes. Trop long et confus pour un début d'OS. J’ai donc décidé de faire 2 chapitres (et ce n’est que la moitié de cette fiction hein !). Comme d’habitude, je ne suis pas vraiment satisfait, on ne se refait pas. Je ne sais pas ce que cette histoire apporte à ce que j’ai déjà écrit, ça me semble insipide, mais je suis coutumier de ces doutes, donc inutile de développer. Je publie quand même, évidemment. Cette histoire a une histoire. Je l’ai commencée en décembre, avant même la Rose. La 1ère et la dernière phrase se sont imposées à moi dès le départ. J’ai, à plusieurs reprises dans ces chapitres, utilisé le même concept : emprunter à des chansons, à des romans, à des films, à des poèmes, des phrases, des idées, des situations entières (pas vraiment dans le 1er chap par contre, faut attendre le second!). Il y a deux textes complets dans cette fic, j’en parlerai dans les chapitres concernés. Voilà, j’espère que ça plaira à celles et ceux qui s’y risqueront, même si le sujet est particulier. Je publierai rapidement le chapitre suivant qui est déjà écrit. Bonne lecture. Pat

 


Chapitre: 1 2 3 4 5


 

Chapitre 1
 

 

 

 

 

Demain, dès l’aube, je partirai.  

 

Cela fait des jours, des semaines, des mois peut-être, que ces mots se bousculent dans ma bouche, que je repousse incessamment au lendemain l’instant fatidique de mon annonce.  

Cela fait des jours, des semaines, des mois peut-être, que tu es taciturne, plus sombre que tu n’as jamais été.  

 

Je te contemple ce soir, de dos, comme à notre habitude. Toi, debout, monumental, devant la fenêtre, l’esprit perdu dans l’immensité de ta ville. Il fait nuit, mais les lumières se reflètent dans la vitre et rendent le tableau que j’admire surréaliste. Tu es nimbé de mille feux clignotants, comme auréolé d’autant de flashes qui crépitent dans ta chevelure ébène indomptable. Tu m’impressionnes ; oserais-je dire que tu me fascines ? Je me sens minuscule moi, dans mon encoignure, blottie dans l’obscurité, profitant de la désertion de ta conscience pour t’observer, savourer cette vision. Encore une fois. Une dernière fois peut-être. Je me sens minuscule. Minuscule et apeurée, presque coupable.  

 

Je retourne ma phrase dans tous les sens, envisage toutes les intonations possibles, toutes les nuances que je pourrais y apporter. Comment te dire ? Comment ne pas te blesser, mais aussi ne pas t’épargner. Tu ne le mérites pas. Bon sang, que de contradictions dans mes désirs… Mes lèvres, silencieusement, répètent les paroles qui me brûlent et me consument.  

 

Demain, dès l’aube, je partirai.  

 

Pourtant j’hésite, j’avance pour reculer d’autant, chaque fois que je prends l’engagement de mettre un terme à notre colocation. À notre colocation, oui, mais pas à notre partenariat. C’est que je veux sauvegarder cet aspect de notre relation, je m’accroche à cette idée et je crains que tu ne la balaies d’un revers de la main, en proie à la douleur qui t’enserrera certainement lorsque la perfidie jaillira de ma langue.  

Vas-tu souffrir lorsque j’énoncerai tout haut ce que je hurle en silence chaque fois que je te croise, la cause de mon tourment continuel ? Mon départ te sera-t-il pénible, comme je l’imagine, ou feindras-tu le soulagement d’une libération que tu n’espérais plus ? Je ne sais quoi escompter, quoi attendre ? Ton habituelle impassibilité ou la fureur de ce que tu pourrais prendre comme une trahison ? Vois comme je crains ta réaction, ton impulsivité.  

 

Je me perds en conjectures et plie sous le poids d’une certaine culpabilité. Je me sens lâche depuis que ma décision est arrêtée, depuis que j’ai dit oui à ma nouvelle vie et que je ne parviens pas à concrétiser ! Le quotidien me retient. Notre quotidien. Notre complicité, notre travail, ta présence rassurante à mes côtés, cette impression que, loin de toi, je vais m’éteindre doucement, doucement mais irrémédiablement. Inexorablement.  

 

Ryô… Offre-moi un regard apaisant, un sourire, une caresse sur mon épaule. Comme toutes ces fois déjà où tu as su me réconforter, me donner du courage. Oui, donne-moi aujourd’hui le courage de te quitter, plutôt que ce dos que tu tournes obstinément vers moi, plutôt que ces regards acier qui plombent mes membres chaque fois que tu les poses sur moi. Ta bouche ne sourit plus et j’ignore à quel point j’en suis responsable. Non, tu ne me facilites pas la tâche et je te soupçonne de tout faire pour me ravir la volonté qui m’est nécessaire pour mener à bien la mission la plus éprouvante de ma vie : te quitter. Tu es d’une austérité impressionnante, ta voix me semble plus grave aujourd’hui, tes gestes plus lents, plus mesurés. Je te surprends parfois à m’éviter dans l’appartement, tu empruntes un autre chemin, voire tu renonces à ce qui t’amenait à moi. Ce n’est pas une tristesse qui émane de toi, ni une colère, mais un froid intense et désolant. Vois comme la morsure de l’hiver qui t’a gagné m’atteint aussi, jusque dans mes chairs, jusque dans mon âme ! Je frissonne, je grelotte, je me sens vide et décharnée. Ryô, je ne parviens pas encore à t’abandonner. À mettre la distance salutaire entre nos corps ; pourtant, mon esprit semble déjà s’être envolé bien loin de toi. As-tu deviné que je veux partir ? Cela te fait-il souffrir ? Ryô, j’ai tant espéré auprès de toi, en vain ! Ne me retiens pas s’il te plaît. Aide-moi !  

 

Demain, dès l’aube, je partirai. Je te quitterai. J’irai le retrouver.  

 

Tu frémis ! Oui, je le vois, tu as frémi. Ta silhouette toute entière a été traversée par un spasme. Et me voilà haletante, hésitante, effrayée. Cette phrase va-t-elle pouvoir passer le barrage de mes lèvres ? Serai-je suffisamment forte pour te la confier enfin ? M’en débarrasser. Et pourquoi ce sursaut ? M’entends-tu ? As-tu accès aux méandres de ma réflexion ? Perçois-tu mes odieuses intentions ? Tu restes penché sur la ville, tu as pourtant deviné ma présence dans ton dos mais tu te refuses toujours à te retourner vers moi, à m’affronter. Aurai-je seulement la force de tout te dire ? Mes mains sont gagnées par ces stupides tremblements que je peine à endiguer. Il me faut calmer mon cœur aussi, il bondit dans ma poitrine comme s’il voulait s’en affranchir. Et puis mon souffle qui s’affole, la salive qui naît dans ma bouche, coule dans ma gorge et pourrait gêner mon élocution. Je suis morte de trouille ! Mais ma décision est arrêtée, je ne renoncerai pas. Je jure, je ne renoncerai pas.  

 

Demain, dès l’aube, je partirai.  

 

Retourne-toi ! Vite s’il te plaît, retourne-toi ! Finissons-en !  

 

Mais ma détermination s’envole tandis que tes épaules engagent un demi-tour et que tes pieds, eux, persistent dans leur immobilité. À moitié tourné vers moi, tes traits que je chéris tant, protégés par l’obscurité qui règne dans notre salon, se tendent vers moi. J’inspire une grande goulée d’air.  

 

« Tu veux me dire quelque chose ? », oses-tu engager.  

 

Je fonds littéralement sur place, me liquéfie. OUI ! Je veux te dire que demain, dès l’aube, je partirai. Je te quitte. Ryô, tu m’entends ? Je te quitte !  

 

Hurler, j’aimerais te hurler cela. Te percuter. T’assommer pourquoi pas avec ma déclaration. Pressens-tu ce que je viens t’avouer ? Ou, comme il le croit, as-tu deviné cela depuis longtemps déjà ?  

Oh Ryô, je me perds dans tous mes doutes, dans cet attachement dont je ne parviens pas totalement à me libérer. Tu as été mon essentiel pendant tant d’années, tu n’imagines pas comme j’ai pu t’aimer ! Oui, je t’ai aimé démesurément, passionnément, douloureusement. C’était même de la folie, je me rends compte aujourd’hui. Cet amour n’avait rien de réel, rien de tangible. Un amour de roman de gare, rose bonbon, idéalisé et fantasmé. Aujourd’hui que je connais ce sentiment, qu’il est partagé, je découvre comme une petite fille les bonheurs simples, le plaisir brut, la complicité amoureuse. La réciprocité. Je n’aurais jamais cru. Qui aurait cru ?  

 

Comment faisons-nous tous pour jouer cette comédie ? Pour maintenir notre précieuse amitié ? Pour préserver notre cercle d’amis ? Chacun fait-il semblant de ne rien voir ? Ou êtes-vous vraiment aveugles à ce qui transparaît de plus en plus évidemment ?  

 

« Je veux te dire quelque chose mais ce n’est pas simple. », j’ose répondre en avançant précautionneusement dans ta direction.  

 

Il me plaît à croire que c’est toi, Ryô, qui as écrit mon histoire d’amour. Je ne suis pas complètement honnête en pensant cela, j’en ai bien conscience. Certes, ton indifférence, tes moqueries, tes dénigrations perpétuelles m’ont poussée dans ses bras, mais la réalité est bien plus nuancée que cela… ma propre faiblesse, la sienne, la tentation, l’attirance, la révélation… Toutes ces failles qui nous ont guettés et dans lesquelles nous nous sommes engouffrés sont de notre fait et non du tien. Voilà peut-être ce qui me retient encore auprès de toi aujourd’hui. Cet abandon délicieux dont je me suis rendue coupable. Coupable. Pourquoi cette idée m’est-elle insupportable ?  

 

 

oOo
 

 

Il y a six mois de cela.  

 

Notre mission auprès de cette starlette insupportable, Aïko, me pèse terriblement. Elle est comme toutes nos clientes : belle, sexy, attirante, en danger. Un fan un peu trop dérangé la harcèle et la menace sans qu’on parvienne encore à l’identifier. Aïko s’installe bientôt chez nous, dans notre chambre d’ami. Je piège l’appartement chaque soir, tu finis systématiquement saucissonné dans ton futon, te balançant au bout d’une corde, la goutte au nez et la larme à l’œil, te lamentant sur ton sort, me maudissant.  

Une certaine lassitude a pris possession de moi, je le réalise alors. Ma nécessaire vigilance pour déjouer tes coups tordus, ton obsession de cette actrice, sa relative adhésion à tes tentatives de drague, me fatiguent. Mais toi, tu ne sembles pas t’en apercevoir, comme d’habitude. Je constate, effarée, que les missions s’enchaînent et se ressemblent. Quelle tristesse ! Les choses n’évoluent pas, n’évolueront peut-être jamais ; et j’en souffre. J’étouffe mon désarroi, accroche un sourire à ma face pour donner le change. Ai-je le choix ?  

 

Aussi, ce nouvel XYZ apposé sur le tableau m’apparait-il providentiel ! J’insiste pour que nous rencontrions ce nouveau client. Un homme, pardieu ! Tu grimaces, te montres irrité et irrespectueux lors de l’entrevue que j’organise. Tu l’envoies sur les roses. Je proteste bien sûr, nous avons besoin d’argent, notre compte en banque n’est guère florissant. Ne peut-on mener deux missions en parallèle ? N’en avons-nous pas les capacités ? L’affaire ne semble d’ailleurs pas bien compliquée, protéger un grand industriel pendant quinze jours, c’est largement dans mes cordes. Est-ce que je ne peux pas m’en occuper seule ?  

À peine ai-je émis cette proposition que te voilà tout joyeux à sautiller partout.  

 

Mais oui mais c’est bien sûr !  

 

Je ne suis pas dupe. Te voilà débarrassé de moi pour filer le parfait amour avec ta starlette de pacotille. L’aigreur qui gagne mon estomac à ce moment a une saveur ô combien désagréable. Mais, en filigrane, je devine la confiance que tu m’accordes, la reconnaissance de mes compétences, peut-être. Et je jubile, malgré ma jalousie exacerbée, à l’idée de cette mission en solitaire. Je vais assurer ! J’en suis convaincue ! Tu seras fier de moi.  

 

Hélas, le lendemain voit mes espoirs se fissurer. Mick m’attend dans le salon, le sourire en étendard, comme à son habitude ; il me saute dessus dès qu’il me voit, se fait écraser bien lourdement. C’est une massue XXL que j’utilise pour l’atomiser, j’y mets tout mon cœur, toutes mes tripes. Sous tes yeux. Oui, c’est évident ! La nuit porte conseil Ryô, n’est-ce pas ? Et certainement as-tu demandé à notre ami de m’accompagner durant cette mission pour me protéger, je vois clair dans ton jeu…  

Je sais, bien sûr, comme tu crains pour moi, je sais aussi que tu ne remets pas en question mes aptitudes professionnelles, que tu ne me désavoues pas en t’assurant les services de ton ex-partenaire. Non, je ne doute pas de tes bonnes intentions mais mon énergie s’évanouit, je me sens étrangement vide, comme démunie de mes choix. Encore.  

 

Pourtant, après quelques jours, je ne peux que louer ton à-propos. La mission n’est pas si simple, notre client n’est pas si lisse qu’il y paraît. À mes côtés, Mick est on ne peut plus efficace et doute rapidement de l’intégrité de celui qu’on est censé protéger. Pour autant, nous nous astreignons à assurer notre mission, en professionnels, tout en veillant à notre sécurité. Certainement fermons-nous les yeux sur quelques-uns de nos principes, le milieu dans lequel évolue notre client n’est ni blanc, ni noir, et nous devinons quelques magouilles et intrigues derrière le sourire travaillé qu’il nous tend en toute occasion ; j’avoue goûter avec délectation à cet univers poisseux, sombre à souhait, dangereux peut-être, celui dont tu me protèges toujours et que Mick semble enclin à me laisser découvrir.  

 

Mick et moi.  

 

Je ne peux nier le plaisir que je prends à travailler avec lui au quotidien. Il est incroyablement reposant en fait. Il ne saute pas sur tout ce qui bouge, il est doux et attentionné, bienveillant, bien élevé. Il ne me fait pas honte à tout bout de champ. Je vis les heures que je traverse avec lui comme des moments de trêve régénérants. Je souffle. Je respire. Je souris. J’oublie. J’oublie l’angoisse de te savoir seul avec Aïko sur les tournages, la proximité que tu partages avec elle. J’oublie les tableaux de complicité que vous me jouez tous les soirs, la rage que je ravale tant bien que mal, tandis que j’essaie de faire bonne figure devant vous, que je lutte pour ne pas étaler de manière trop explicite la jalousie qui me vrille le ventre. Je m’oublie aussi. Enfin ! Je veux dire que je ne me surveille plus, je ne me censure plus. À tes côtés, je dois toujours être aux aguets. Professionnellement bien sûr, mais ça, c’est normal, la vigilance constante fait partie intégrante de notre métier. Mais je suis aussi aux aguets de manière personnelle et intime, comme si à chaque instant mon cœur passait à la moulinette, qu’il nécessitait mille attentions particulières pour qu’il ne s’effrite pas davantage. Un combat au quotidien, des efforts constants pour ne pas sombrer. Harassant et usant.  

 

Je prends donc cette parenthèse comme un second souffle, salutaire pour moi. Je savoure notre simple complicité, à Mick et à moi, je me régale de ses bons mots. Mais, plus que tout, j’apprécie qu’il me fasse une confiance absolue pour les décisions que je prends pendant notre mission. Le rôle de décideur m’échoue et je suis surprise de la docilité qui est la sienne ; sans pour autant être figurant, il met en avant mon statut de membre de City Hunter, comme s’il s’agissait d’une prérogative. Je suis sensible à cette attention, certainement destinée à m’amadouer au début, j’en conviens. C’est que j’enrageais d’avoir été dépossédée de cette mission en solitaire et je ne tentais pas de me montrer aimable ou amicale avec mon ami blondinet. Mais, au fil des jours, c’est ma confiance en moi que je vois reboostée ; tant en tant que professionnelle aguerrie, qu’en tant que femme. Pour une raison que j’ignore, ou que je n’arrive pas encore à cerner, je sens naître en moi une féminité dont je me croyais dépourvue. Mon reflet dans le miroir ne me désole presque plus, tes sarcasmes ne m’atteignent presque plus, j’en ris presque. Oui, presque.  

 

Un soir, en rentrant, Mick me propose une séance de tirs. Je suis béate de stupeur mais ravie. Aïko et toi n’êtes pas encore rentrés et je soupçonne Mick de profiter de cette absence pour braver ta répugnance à me voir manier les armes. Je lui en suis reconnaissante… Encore.  

 

Cette séance d’entraînement restera gravée dans ma mémoire pour longtemps.  

 

« Je l’adore, me lance Mick en manipulant prudemment son colt-dragoon, il est lourd, mais pas tant que ça ; il est parfait pour commencer dans l’appréhension des gros calibres.  

 

— Qu’est-ce qu’il est beau ! m’ébahis-je en contemplant l’arme longue d’une trentaine de centimètres.  

 

— Élégant, comme moi, murmure-t-il dans un sourire tout en me gratifiant d’un clin d’œil. Et d’une précision d’orfèvre, même à 75 mètres. »  

 

Il se lève, s’avance, et se place face à la cible. J’admire sa prestance, qui n’est pas sans rappeler la tienne. Peut-être Mick paraît-il moins puissant, moins animal, plus délicat ? Mais lorsque les six coups fusent du canon longiligne, l’immobilité du bras du tireur, de tout son corps, son visage glacé, m’impressionnent. Mick est métamorphosé, titan magnifique. Passent quelques secondes où il se perd dans la contemplation de son score puis, majestueux, l’américain se retourne vers moi et m’invite à le rejoindre. Je l’observe pendant qu’il recharge son revolver. J’inspire et expire profondément pour imposer le calme à tout mon être.  

 

« Pas de stress Kaori, me rassure Mick en me confiant son arme, je suis certain que tu vises bien mieux que tu ne le crois. Et puis on fait ça pour le plaisir, ce n’est pas une compétition… »  

 

Je lui adresse un sourire reconnaissant, reçois le colt dans le creux de mes mains et en apprécie le poids. Vais-je réussir à le tenir correctement le bras tendu ?  

 

« Vas-y, fais donc connaissance avec lui. Manipule-le pour découvrir ses secrets, les sensations qu’il procure, comment le tenir. »  

 

Au début, je me sens comme une petite fille devant un jouet de garçon. Je me trouve gauche tandis que je caresse la crosse et que je flatte le chien maladroitement. C’est une arme très effilée, presque raffinée, froide et chromée. Très esthétique je trouve. Je dois relever plusieurs fois les yeux vers mon ami pour sonder son regard et prendre confiance. Angel me sourit et m’encourage.  

 

« Il n’est pas fragile tu sais, il faut le respecter mais tu peux aussi le rudoyer un peu. N’aie pas peur ! »  

 

Je prends mon temps pour me familiariser avec le colt, écoute les conseils de son propriétaire. Que tu détesterais me voir ainsi ! Pourtant, moi, là, je me régale, je flirte avec l’interdit, je laisse courir mes doigts, prends un plaisir à couler l’arme dans ma paume, je la caresse, la flatte de mon pouce et prends confiance. Je me l’approprie. Mes lèvres s’étirent, conquises, et je décoche un grand sourire à celui qui m’offre ce cadeau si précieux. Je croise des orbes aigues-marines étrangement sombres, troublées, et, un instant, le souffle me quitte.  

 

« Viens tirer, propose Mick assez rapidement. »  

 

Je me positionne devant l’américain, roule un peu des épaules pour les détendre, dodeline doucement de la tête et me concentre sur la cible située à 50 mètres. Un corps se colle dans mon dos, une main se saisit de mon poignet droit, une autre indique à mon bassin la bonne position puis une bouche me confie doucement à l’oreille.  

 

« Il y a plusieurs manières de dompter ce genre de revolvers, un peu lourds. Quand tu es suffisamment puissant, lorsque tu es un homme notamment, tu emploies la force. Tu résistes au recul, tu luttes contre l’arme et, au final, elle se soumet, abdique. En peu de temps, elle t’obéit docilement. C’est ce que j’ai fait tout à l’heure, mon bras n’a pas tremblé. Mais, lorsque le recul va te faire mal, que tu n’es pas en moyen de maîtriser le revolver, tu te dois d’être plus douce, d’accepter d’être heurtée. Accepte le feu dans ton bras. Laisse l’énergie traverser ton corps, canalise-la et redirige-la vers ta main, retourne-la dans le revolver. Ne fais qu’un avec lui. Séduis-le, courtise-le. Et tu seras surprise de ce que tu seras alors capable de réaliser avec lui… Est-ce que tu me comprends ?  

 

— Oui, je réponds d’une voix que je peine à reconnaître.  

 

— Veux-tu essayer ?  

 

— Oui. »  

 

Pourquoi donc ne puis-je que murmurer ? Une chaleur me gagne, m’enveloppe tout entière. Sont-ce ses bras qui me ceignent qui me troublent à ce point ?  

 

« Par contre, poursuit-il, tu ne pourras pas tirer les six coups en rafale. Tu devras faire une mini-pause entre chacun, d’accord ? Le temps de te recentrer.  

 

— D’accord.  

 

— Alors, quand tu veux, prononce-t-il tout aussi difficilement que moi et en guidant mon bras vers la cible. Vise le cœur ! »  

 

Je déglutis, puis suis les conseils à la lettre. Je vise. Je tire. Me recentre. Tire à nouveau. Me recentre. Et encore… À chaque coup, je perçois une énergie indescriptible m’envahir, me traverser, imprégner mes chairs. Je la canalise comme je peux pour qu’elle soit restituée au colt que j’empaume. Il me semble que l’arme s’allège au fur et à mesure, qu’elle ne fait qu’un avec moi. La tension grimpe dans tout mon corps, étrange et inattendue sensation. Inexorablement, elle grimpe. C’en est explosif.  

 

« Ouah… j’adore ! lancé-je sans me préoccuper de mon score, me retournant avec confiance et entrain vers celui qui a si bien su me guider. C’est l’extase !  

 

— Je me doutais bien que ça te plairait, énonce-t-il avec un sourire énigmatique.  

 

— On recommence ?  

 

— Recommencer ?... Une prochaine fois, coupe-t-il court à ma grande surprise et déception. Allons voir comment tu t’en es sortie ! »  

 

Il s’est si vite détaché de moi, éloigné de moi, qu’un sentiment de frustration s’empare de moi après son départ. Je l’ai suivi, quelque peu décontenancée par l’atmosphère glaciale qui suit l’épisode brûlant de la séance de tir. Séance qui prit bien plus tard, à mes yeux, une autre dimension.  

 

Plus tard. Quelques jours plus tard.  

Une fusillade. Notre client et nous, nous nous retrouvons pris dans une souricière. Décidément, il n’est vraiment pas net, il a beaucoup d’ennemis. Nous extirpons client et chauffeur de la voiture pour nous réfugier à couvert dans un entrepôt. Nous faisons face et, comme d’habitude, mon sang s’échauffe au contact du danger. Mick est très habile, peut-être autant que toi. Ton égo démesuré ne supporterait pas ma réflexion, mais les quelques jours passés près de lui confèrent à mon meilleur ami des aptitudes que je surestime peut-être, mais qui me semblent indéniables. Admirables même. Je m’expose un peu sous le feu de nos assaillants, ma foi relativement nombreux, et me fais donc rappeler à l’ordre. Vivement et vertement. Pourtant, en quelques minutes à peine, nous vainquons sans grande résistance. J’assomme avec grâce, et le blond se lance dans une attaque en vers, déclamant le poème né de son imagination, tout en progressant en ligne ennemie, terrassant avec emphase.  

 

Et à la fin de l’envoi, je touche !  

 

Nous sommes plus forts. Je suis euphorique, trépigne de plaisir tout en me moquant des piètres qualités velléitaires du ressortissant américain. Nous rions. Beaucoup. Oui, nous rions !  

 

À notre retour dans l’immense demeure de notre client, une explication s’impose. Elle ne nous convainc qu’à moitié, je n’en suis pas étonnée. Si tu étais présent Ryô, tu ne te satisferais pas le moins du monde de ce qu’on nous expose grossièrement. Il est question de secrets industriels convoités par des concurrents pas très regardants de la loi. Des millions de dollars en jeu. Mais il ne reste qu’une semaine avant le départ de notre client pour les États-Unis ; aussi, de manière tacite, nous décidons, Mick et moi, de croire en cette version vraisemblablement édulcorée. Certainement nous arrange-t-elle sans que j’accepte de le reconnaître. Notre essentiel est ailleurs et j’occulte volontairement toutes les objections que tu lèverais si on te mettait au courant des détails de l’affaire.  

 

Avant de regagner nos pénates respectifs, ce même jour, mon partenaire temporaire nous ramène à l’entrepôt pour glaner quelques indices sur nos assaillants. La police n’a pas encore eu vent de l’affaire, nous nous en sommes assurés auprès de Saeko. Hélas, nous faisons chou blanc, ne trouvant que quelques douilles, des traces de sang dont on ne pourra tirer profit. Les numéros d’immatriculation des véhicules incriminés ont été relevés et communiqués.  

 

À un moment, alors que nous nous sommes séparés pour mieux fouiller les lieux, j’aperçois Mick stopper net sa progression, observer un objet à terre devant lui. L’univers semble faire une pause tandis que je le contemple complètement absorbé par sa trouvaille. Ma vue se trouble et mes oreilles se mettent à bourdonner sans que je n’y comprenne rien, une soudaine arythmie se mêle à l’affaire, accentuant mon malaise. Je ne ressens pourtant aucun danger autour de moi ; rien qui puisse justifier le qui-vive qui vient de s’allumer en moi, la sirène hurlante qui m’accompagne alors que je me dirige vers mon ami. Une légère lutte contre moi-même me permet de venir rapidement à bout des désagréments qui m’étreignaient mais l’incompréhension règne en maître dans ma caboche. Je fais fi de tout cela et me reconcentre sur notre affaire, je m’approche maintenant d’un pas alerte, supposant que le poète en herbe vient de débusquer de quoi nous mettre sur une piste sérieuse, vue la mine grave qu’il arbore.  

 

« C’est une blague ? » m’enquis-je en découvrant une de mes massues complètement explosée à ses pieds.  

 

Il lève les yeux brusquement vers moi et nos regards s’accrochent, se pénètrent. J’ai eu mal Ryô, mal à en hurler, lorsque les orbes azuréens et mes prunelles impressionnées se sont entrechoqués, mon âme s’est déchirée. Une chaleur dérangeante a alors refoulé en moi, vague irrépressible, j’ai violemment ressenti le feu de mes joues, l’humidité de mes yeux.  

Mais qu’est-ce que c’est ?  

 

Mick assiste au désarroi que je ne parviens pas à dissimuler. Il reste impassible ; lui habituellement si lisible, me semble impénétrable, ne dévisse pas son regard du mien et, par son immobilité, ne cesse d’engraisser l’incendie qui m’embrase entièrement.  

 

« Tu dois être plus prudente Kaori, prononce-t-il péniblement.  

 

— Pppffff, je m’exclaffe exagérément dans le but d’échapper au malaise qui se noue entre nous. Tu vas pas faire ton Ryô quand même ! »  

 

À peine ai-je lancé la remarque que je sais assassine et ridicule que mon ami blond s’élance vers moi, s’empare de moi, encadre mon visage et m’oblige à le considérer, yeux dans les yeux. Il est si près. À un souffle.  

 

« Non ! Je ne ferai pas mon Ryô, annonce-t-il clairement. »  

 

Pourquoi a-t-il fallu que je te mêle à notre moment ? Que je te jette entre nous ; comme si la simple évocation de ton nom pouvait suffire à endiguer ce que je devine dans les yeux de ton meilleur ami, ce que je pressens dans mon propre cœur. Mon naufrage. Les secondes s’éternisent. Mick s’est ravisé semble-t-il, il me dévisage avec une intensité qui ne décroit pas mais il a gelé ses intentions. M’embrasser. Je suis certaine qu’il allait m’embrasser. Il hésite encore. Et moi ? Moi ? Moi, je me suis évaporée. Ma volonté, mes désirs, mon énergie, tout se brouille. Ai-je envie ? Attend-il un geste, un frémissement, une invitation ? J’observe cet homme penché vers moi, ses traits fins et harmonieux, le dessin de ses lèvres, la soie de ses cils, le blé de sa chevelure, la veine qui palpite sur sa tempe. Il est beau. Ce n’est pas une découverte ! Mais sa beauté n’est pas l’objet de mes tourments… Qu’en est-il de son cœur ? Je plisse les yeux, tente de discerner… Je sais qu’à une époque je fus pour lui une faiblesse. Il s’est approché de moi, a tenté de me séduire. De loin, sans vraiment se donner les moyens, sans combattre. Tout ça c’était pour rire ! Ou peut-être alors étais-je inaccessible ? Incapable de mesurer la profondeur des sentiments que je suscitais. Aveuglée par toi. Habitée par toi. Envahie par toi.  

 

« Mick, ne parviens-je qu’à murmurer, étranglée par l’émotion. »  

 

Une lumière vient d’éclairer son regard, lumière qui ne le quittera plus, qui l’illumine toujours aujourd’hui. Ses lèvres ont caressé les miennes, se sont posées sur les miennes. Précautionneusement. Un baiser étrange. Comme je n’aurais pas imaginé. Un simple contact, un nuage tout d’abord, un écrasement ensuite. Ni ses lippes, ni les miennes ne se sont mues tandis qu’elles se rencontraient, comme paralysées ; nos paupières n’ont pas voilé nos rétines, nos yeux, au contraire, se sont contemplés, curieux et hésitants, tentant de lire le trouble dans leur vis-à-vis. En vain. J’étais tout autant tétanisée qu’étonnée, je ne pouvais répondre aux attentes de celui qui venait à moi, qui, peut-être, espérait une autre réaction de ma part. Une adhésion, un enthousiasme…  

 

« Désolé, se contente-t-il de dire en quittant mes lèvres. »  

 

Je me sens vidée. Vidée mais bouleversée. Angel se détourne et nous regagnons en silence notre véhicule. Mon corps est un fleuve de lave en fusion lorsque je prends place à ses côtés, je suis incapable du moindre recul sur ce que je viens de vivre, mon esprit s’échappe, j’ai envie de pleurer, d’exploser de rire, d’applaudir, de hurler. Stupides sursauts qui m’envahissent et contre lesquels je lutte avec force. J’ose un regard timide vers le conducteur. Mick est tendu, son attention entièrement portée sur la circulation. Très vite, je replonge dans la contemplation morose du spectacle de la rue. Et, bien sûr, tu me visites, toi, mon obsession de toujours ; s’imposent à moi les contours de ton visage, les nuances de ton sourire, mon amour inassouvi. Culpabilité et trahison. Des bouffées de désespoir explosent en moi. Comment verrais-tu le baiser que j’ai accordé ? Ma non-révolte, ma coopération devrais-je dire. Et là, dans la voiture, les réactions de mon corps, je ne cesse de déglutir, tente de dissimuler cette faiblesse à mon compagnon de crainte qu’elle ne dévoile trop mon émoi, mes épaules sont contractées, mes cervicales sont douloureuses, je peine à réguler ma respiration.  

 

Ryô ! Je ferme les yeux, si fort qu’une grimace déforme mes traits. Reprendre possession de mes capacités réflexives, d’analyse. Je m’accroche à toi Ryô. Très fort... Kazue. Mick pense-t-il à Kazue comme je pense à toi ? Est-il aussi bouleversé que moi ? Il est, en fait, bien plus engagé amoureusement que je ne le suis, du moins en apparence. Est-ce moi qui ai tout précipité ? Moi qui, par inadvertance, nous ai conduits vers ce dérapage ? Je tente tant bien que mal de remettre en ordre mes idées, je repasse le film.  

 

Depuis le début ! Oui, depuis le début de notre mission, rien n’est normal. Je ne suis pas normale. Mes continuelles frustrations ont rongé mes résistances, mon amour pour toi ne s’est pas étiolé mais - je crois - je n’ai plus d’attente. Je suis exsangue, je suis simplement devenue disponible ; mon regard, mon attitude, mes réactions témoignent de l’usure de mon cœur. Et toute au marasme de notre situation, je n’ai pas remarqué comme j’étais devenue différente. Mais lui l’a remarqué, sans aucun doute !  

Mick, lui non plus, n’est pas normal. Lui qui est un second toi. Comment n’ai-je pas pu voir que son comportement n’avait rien à voir avec ses emportements habituels ? Il était si sage, si attentionné, depuis le début de notre mission. Il n’a jamais tenté de me sauter dessus, hormis chaque matin lorsqu’il m’attend dans notre salon, et que tu es spectateur de nos retrouvailles. Bien au contraire, tous nos moments en tête-à-tête étaient teintés de douceur, de complicité, de… séduction ?  

 

Mon cœur gonfle exagérément dans ma poitrine, mes yeux s’écarquillent tandis que la réalité apparaît enfin.  

 

Une main chaude et réconfortante vient se poser sur la mienne, coupant court à mes réflexions. Mick. Il est désolé. Mick est désolé. Je le sais, je le sens, il l’a dit. Il est affligé. Ce geste bienveillant, amical, est empreint d’une telle délicatesse qu’il a l’effet contraire de celui recherché. Mon trouble s’accentue. Des mots se pressent alors dans ma bouche. J’ai envie de crier, tout simplement :  

 

M’aimes-tu ? Regrettes-tu ? Pourquoi ne pas m’avoir embrassée vraiment ? Moi, j’aurais aimé…  

 

Bien sûr, aucun son ne trouve la sortie et je reste muette comme une carpe, emplie de doutes. Quelle voie emprunter alors ?  

 

Je nous sais tous deux perdus dans nos sombres pensées tandis que les kilomètres défilent difficilement, la circulation est dense et nous promet encore quelques longues minutes de silence oppressant. Sa main sur la mienne est tiède, son contact rassurant. Pour autant, c’est d’autres sensations que mon ventre réclame, que mon cœur exige. Mue par une envie tapie au plus profond de moi, irrésistible, je retourne doucement ma main sous la sienne. Un demi-tour périlleux afin d’offrir ma paume à sa paume. Sa dextre s’est crispée au-dessus de la mienne lorsque j’ai entamé ma manœuvre, une tension soudaine l’a envahi, tension qui n’a pourtant pas abouti à sa désertion, ce que je redoutais. Me voilà sous lui, offerte, les doigts allongés au maximum, prête à l’accueillir. Mon sang bat contre mes tempes tandis que j’attends une réaction de sa part. Réaction qui vient enfin, après quelques secondes interminables. C’est une paume impressionnée et tremblante qui se colle à la mienne, qui l’écrase lourdement. Un léger soupir s’échappe de la bouche de mon meilleur ami en simultanéité de notre contact. Je suis paralysée, incapable de dévier les yeux vers lui. Mes prunelles s’obstinent au contraire à observer l’extérieur ; pourtant, j’ai perdu le sens de la vue, il y a bien longtemps ; tout mon être semble s’être concentré dans la main que je lui abandonne. Elle bouge légèrement afin de mieux épouser la sienne. D’imperceptibles mouvements affermissent notre étreinte et, lorsque je sens ses doigts s’entrouvrir, les miens se précipitent dans la même position, impatients de leur appartenir. Je crois défaillir lorsqu’ils m’entrelacent intimement, qu’ils se referment complètement sur moi et que son pouce caresse le mien avec suavité. Je déglutis à nouveau. Nos mains se caressent désormais sans entrave, dans une attitude amoureuse assumée. Je réponds avec hardiesse et m’expose avec délectation et abandon. Deux amis ne se perdent pas dans de tels attouchements, je le sais, et Mick le sait ; aussi, une exquise ambiguïté s’installe entre nous et je la savoure sans retenue.  

 

Lorsque Mick se gare devant son immeuble, nos yeux ne se sont pas rencontrés une seule fois pendant le trajet, nos bouches sont restées scellées, rien n’a été verbalisé. Mais nos mains sont toujours mélangées. Il me serre fort et je réalise sa réticence à me libérer. Je me tais et profite au maximum de cet instant d’intensité.  

 

« Je vais devoir appeler Ryô pour lui parler de l’affrontement de cet après-midi, brise-t-il le silence sans pour autant lâcher ma main.  

 

— Oui, parviens-je à répondre difficilement.  

 

— Ne lui cache rien de l’incident, il doit tout savoir précisément. Nous n’avons couru aucun danger de toute façon.  

 

— Je ne veux pas qu’il intervienne, j’abonde sans honte, bien consciente du sens de nos paroles.  

 

— On se retrouve demain ? »  

 

Est-ce une affirmation ? Une question ? Bien sûr qu’on se retrouve le lendemain, et je me dois de de reconnaître, j’en palpite déjà d’impatience…  

 

Je m’échappe de la voiture, cours presque vers notre immeuble, abandonnant mon meilleur ami pour te rejoindre. Nous n’avons échangé aucun regard, aucune autre parole. Ses doigts ont juste relâché les miens et la séparation a été douloureuse. Tout comme l’est ma montée vers notre appartement.  

 

Tu vas tout comprendre. C’est sûr ! J’aurais à peine franchi le seuil de notre repaire que tu sauras tout, auras tout deviné. Mon cœur est faible et ne parviendra pas à cacher son émoi, et puis tu as aussi cette capacité hors du commun à lire en moi comme dans un livre ouvert. J’entre donc chez nous avec une appréhension folle. Aïko et toi êtes là. Vous me fixez avec une lueur étrange dans le regard. Du moins, c’est ainsi que j’analyse votre fébrilité.  

 

As-tu déjà posé tes lèvres sur les siennes ? Oui Ryô, as-tu déjà embrassée notre cliente, t’es-tu fourvoyé auprès d’elle comme je l’ai fait moi-même avec notre meilleur ami ou, comme je le pense, attends-tu la fin de la mission pour la mettre dans ton lit ? Je pulse de vexation, de jalousie et de colère mêlées alors que je pénètre notre chez-nous… Ces émotions me sauvent sans que je calcule quoi que ce soit et c’est certainement un regard sévère que je pose sur toi en arrivant. Tes lèvres s’entrouvrent, tu as deviné les griefs silencieux que je te reproche, moi qui suis loin d’être la plus innocente dans l’histoire, mais je ne te laisse pas le temps de réagir et fais mine d’être contrariée, je me précipite à l’étage et trouve refuge dans ma chambre. Je souffle. Oui, je souffle et m’effondre, le dos contre la porte. Je ne veux pas que tu saches, je ne veux pas que tu devines. Je ne veux pas te perdre !  

 

Ce soir-là, je ne prépare pas le dîner, je n’en ai pas la force ; je repousse donc poliment la sollicitation de Aïko et vous laisse manger en tête-à-tête. Il est très tard lorsque je descends au salon et je te trouve attablé, à nettoyer ton arme avec application. Aïko est couchée depuis longtemps déjà.  

 

« Ça va ? me demandes-tu en levant des yeux inquiets vers moi.  

 

— Oui, ça va. Je n’avais pas faim. C’est tout. »  

 

Je me justifie alors que ta question n’avait rien de précis. Cela te semble-t-il suspect ?  

Idiote ! Je ne suis qu’une idiote ! Vais-je moi-même me crucifier ?  

 

Je m’assois face à toi, soulagée de ton manque de réaction.  

 

« D’après ce que j’ai cru comprendre, votre client a quelques ennemis qui ne sont pas des enfants de chœur.  

 

— Ah, tu as eu Mick ? je relève avec culpabilité. Oui, une dizaine d’hommes a tenté de nous tendre un piège.  

 

— Ça a été dangereux ?  

 

— Non, pas vraiment, ils n’étaient pas très organisés. On a facilement géré en tout cas… Est-ce que Mick t’a dit autre chose ?  

 

— Non, c’est exactement ce qu’il a dit. Est-ce que tu penses qu’il faut que je m’en mêle ?  

 

— Bah, si tu veux nous infantiliser, Mick et moi, si tu n’as pas confiance en nous, oui, c’est ce que tu dois faire !»  

 

Je rêve de mon aplomb, de mon sang-froid. Les heures passées dans ma chambre n’ont fait que renforcer mon envie d’émancipation. Oui, il s’agit bien de cela. Te prouver que je peux mener à bien cette mission, me prouver que je peux avoir une histoire d’amour avec un homme. Des sentiments. Du désir. C’est un peu nébuleux tout cela, j’en ai bien conscience. Ce que je veux, ce que je ne veux pas. Mais je refuse que tu débarques dans mon histoire, laisse-moi vivre mon aventure inattendue, laisse-moi me perdre s’il le faut, laisse-moi décider… pour une fois.  

 

« Comme tu voudras, avances-tu, coopérant.  

 

— Si jamais nous rencontrons un grave danger, je te promets de faire appel à CITY HUNTER !  

 

— Voilà qui est sage…, me réponds-tu sur un ton plus léger.  

 

— Et comment se passe ta mission à toi ? m’enquis-je avec malice, souhaitant changer de sujet.  

 

— Nous avons identifié le « fan amoureux fou », comme l’appelle l’équipe du film. Il ne reste qu’à le serrer.  

 

— Oh, vraiment ? Et ce n’est pas toi, le fan amoureux fou ? J’aurais pourtant parié.  

 

— Pppfff, réagis-tu dans un sourire étrange. Tu me connais donc si mal ?  

 

— Je plaisante Ryô ! Je ne pense pas que tu sois fou… »  

 

Voilà que tu me lances un sourire et un regard des plus déstabilisants. Pourquoi tes armes de séduction massive m’atteignent-elles encore aussi profondément ?  

 

« J’ai autre chose à te dire, j’ose avec plus d’audace encore.  

 

— Quoi donc ?  

 

— J’ai décidé de ne plus piéger l’appartement tous les soirs. »  

 

Là, tu t’es statufié. Te souviens-tu ? Tu as délaissé le nettoyage minutieux de ton python pour me considérer d’un air grave.  

 

« Empêcher tes visites nocturnes n’a plus aucun sens puisque tu passes tes journées seul avec Aïko, m’empressé-je d’ajouter. Tu as tout le loisir de dragouiller sans que je puisse intervenir. Aussi, je crois qu’il est préférable que je passe mes soirées et mes nuits à me reposer plutôt qu’à guetter une de tes attaques mokkori. Je suis fatiguée. »  

 

Tes orbes métalliques m’ont paru plus impressionnants qu’à l’ordinaire, plus redoutables. Je me suis laissée traverser par ton regard, je t’ai laissée m’analyser, me scanner. Ton visage toujours impassible a laissé filtrer quelque contrariété et je concède ne pas avoir tout compris du sentiment fugace qui m’a étreinte alors. T’ai-je ébranlé ce soir-là par mon annonce ? N’avais-tu pas anticipé ma lassitude pour le jeu cruel que tu m’imposais depuis tant d’années ?  

 

Tu n’es plus un enfant Ryô. Et moi, je suis une femme.  

 

Le lendemain, Mick n’est pas là à m’attendre dans le salon comme il le fait chaque matin depuis le début de notre mission et il me faut le rejoindre au bas de son immeuble. La cigarette aux lèvres, il m’adresse un hello d’une neutralité déstabilisante, quasi-froide. Je n’en mène pas large, j’ai cette désagréable impression d’avoir les pattes coupées ; aussi m’installé-je rapidement en voiture et nous partons, stoïques, vers notre aventure quotidienne.  

 

Il me faut attendre l’heure du déjeuner et une balade dans un jardin public pour que la situation évolue enfin. Je finissais par croire que j’avais rêvé notre rapprochement de la veille, que Mick regrettait, qu’il culpabilisait, qu’il renonçait. Étrangement, je ne ressentais rien de tel. Je voulais m’engager dans le chemin interdit, j’en avais même rêvé toute la nuit. Recommencer, approfondir, me laisser engloutir. Par je ne sais quel miracle, tu m’as octroyé une nuit calme et reposante, tout le loisir de réfléchir, de fantasmer. Oui Ryô, j’ai fantasmé. De baisers romantiques, de caresses platoniques, de mots doux. Je me suis imaginée dans les bras de mon meilleur ami, j’ai revécu l’instant brûlant de notre baiser. Des dizaines de fois, j’ai ressenti le contact à peine appuyé de ses lèvres sur mes lèvres, la morsure pénétrante de ses iris azuréennes dans mon âme. J’ai à peine considéré mon amie Kazue, le mal que je lui causais en convoitant ainsi celui qu’elle aimait. Je ne t’ai pas considéré davantage, toi, homme de mes désirs les plus absolus, toi, amour de ma vie, toi, ma passion furieuse. J’ai juste été tentée par le lâcher-prise que je devinais, par une relation sentimentale dont j’ai cru qu’elle resterait sans conséquence, secrète, qu’elle ne causerait de douleur à personne, qu’elle ne nous entraînerait, ni Mick ni moi, dans une spirale amoureuse intense. Qu’elle ne serait pas douloureuse. Quelle naïveté ! Aujourd’hui, je me fustige de tant de légèreté, de tant d’insouciance. Comment n’ai-je pas pu pressentir l’abîme qui se dessinait sous nos pieds ? Comment n’ai-je pas pu entrevoir la force des sentiments qui liaient à moi mon meilleur ami et qui, bien sûr, m’enchaîneraient bientôt à lui ? Je ne suis pas de nature à ne pas investir mon cœur. Comme une fillette devant une gourmandise défendue, je bavais devant ce que la vie m’avait toujours refusé et qu’elle m’offrait de manière soudaine et inattendue : un homme troublé par moi et enclin à me faire connaître l’émoi amoureux. Du moins, croyais-je les choses si simples à cette époque.  

 

Nul regret cependant quant à ma situation amoureuse d’aujourd’hui mais, peut-être, aurions-nous dû nous y prendre autrement, être plus honnêtes avec ceux qui nous sont chers. Avec Kazue. Avec nos amis. Avec toi Ryô.  

 

Et là, dans le parc public, le visage encadré par ses mains immenses, nos yeux étroitement embrassés, nos corps prompts à se heurter, je palpite de connaître à nouveau l’ivresse d’un contact. J’opine du chef, pose mes mains maladroites sur les siennes, prononce quelques inintelligibles mots, tente d’attiser sa faim de moi. Qu’il reprenne possession de moi ! Mes joues sont en feu lorsque je contemple l’effarement gagner ses traits ; lorsqu’il constate que, de nous deux, je ne serais pas celle qui résistera. Qu’avait-il espéré ?  

 

Je vis alors un moment d’exception. La rage a gagné nos bouches et nous nous goûtons avec frénésie. S’il fut au début question de douceur et de tâtonnement, nos embrassades tournent vite à l’impétuosité. Nos langues se découvrent, se touchent, s’enroulent et s’affranchissent de leur gêne. Les saveurs que je débusque m’emplissent merveilleusement, j’aime ces notes fraîches et acidulées qui éclosent dans ma bouche ; je gémis, roucoule, dans l’étroitesse de ses bras. Je perds pied, Ryô. Mon corps impose ses choix à mon esprit, j’ignorais telle emprise auparavant et je me précipite vite sur sa bouche lorsque, folie, Mick quitte la mienne pour reprendre souffle. Il est effrayant pour moi, aujourd’hui, de réaliser l’emballement qui fut le nôtre, comme mon inexpérience ne fut pas un problème, comme il fut simple de céder à d’autres bras que les tiens, de succomber à d’autres lèvres, comme je ne m’encombrai pas de scrupules ; tant à ton égard qu’à celui de Kazue d’ailleurs. Tout fut si vite balayé. À dater de ce moment, Angel et moi n’avons fait que nous enfoncer chaque jour davantage dans une relation amoureuse et passionnelle.  

 

Oui, chaque jour, nous nous retrouvons, nous te mentons, nous te trompons. Notre mission est vite expédiée, celle auprès d’Aïko prend fin également en ce qui te concerne. Ma décision de ne plus interférer dans tes visites nocturnes a sonné la fin de tes délires mokkoriens et tu es resté sage, contre toute attente ; je n’analyse pas ce changement brusque de comportement, je suis trop vampirisée par ma relation naissante. Nous verbalisons peu, mon amoureux et moi, nous nous contentons de baisers fougueux à en perdre haleine, de regards enfiévrés, de sourires larges et gourmands. Moments que nous volons quotidiennement, amants clandestins.  

 

Mes retours dans notre appartement sont, au contraire, sombres et douloureux. Je confesse, honteuse, mon manque d’empathie pour Kazue. Mick et moi n’abordons jamais, à cette époque, le sujet de nos amours respectifs. Mais je dois avouer que le sort de l’infirmière ne me préoccupe pas vraiment, tout autant que les sentiments qu’elle nourrit pour mon américain et que je bafoue sans vergogne. La vérité est que je place mon bien-être, mes propres désirs, largement au-dessus des siens. Sciemment. Égoïstement. Pire, j’ai développé une jalousie mordante à son égard, je déteste les soirées qu’ils partagent encore et toujours ; imaginer l’amour qu’ils font certainement est une torture que j’endure silencieusement. Nos gestes sont brûlants et impatients, nos baisers, nos caresses le sont tout autant, mais nous n’avons toujours pas passé « le cap » ; aussi, je devine la brune prompte à satisfaire les désirs que j’éveille en celui que je considère de plus en plus comme « mon homme ».  

 

J’assiste donc, médusée, à ma métamorphose. Je deviens femme dans ses bras, assaillie de sensations et sentiments inconnus et déroutants ; la plupart exquis et merveilleux, bien sûr, mais d’autres bien plus vils et médiocres, à mon grand étonnement. La jalousie, les mensonges et veuleries auprès de toi, l’égoïsme, une certaine scélératesse même… L’amour partagé et réciproque se veut-il toujours aussi bouleversant ? J’ai la curieuse impression d’avoir été inachevée jusqu’à ce jour, en mutation lente et progressive, qu’il me fallait atteindre un certain stade amoureux pour enfin être complète, accomplie. C’est donc auprès de Mick, et non auprès de toi, que j’ai cette grisante révélation.  

 

Tu l’as compris Ryô, ce n’est absolument pas Kazue qui trouble ma conscience, mais bien toi, et toi seul ! Oui, tu es certainement ma plus belle et profonde raison de chagrin lorsque je retourne auprès de toi, chaque fois que je le quitte. Je ne culpabilise pas de cet amour qui naît sous les caresses d’un autre, de mon cœur qui s’émeut au contact de ton meilleur ami. Non, je culpabilise de cet amour qui ne meurt pas tout à fait, de l’attachement qui perdure, du trouble que je ne parviens pas à éradiquer totalement. Te voir, te toucher parfois, t’entendre, travailler de nouveau avec toi, te subir au quotidien, dans toute ta splendeur, réveillent mes tourments endormis. Mes sentiments s’apaiseront-ils un jour ? Pourrais-je te regarder sans éprouver cette torsion à l’estomac, ce flash lumineux devant mes yeux, ce frisson sur ma peau ? Nos relations n’évoluent pas pourtant, ni dans un sens ni dans un autre, c’est le statuquo, comme toujours.  

 

Parfois, des doutes atroces me supplicient. Ce besoin viscéral de toi qui ne faiblit pas et l’impérieuse nécessité de ses bras à lui, qui ne cesse de s’intensifier, de me tarauder, annoncent-il pour moi un calvaire dont je ne saurais sortir indemne ? Je veux nous protéger. Tous ! Protéger le cœur de Mick, notre amour naissant, et te préserver toi, toi et cette fragilité que je connais… Faire en sorte que tu n’apprennes pas…  

 

Ce soir-là voit certainement ton sixième sens chatouillé. Quelle horreur ! Une semaine que Mick et moi avons terminé notre mission. Un samedi soir ordinaire sur la Terre, en quelque sorte. Kazue débarque. Défaite, ahurie, en larmes, hystérique et incompréhensible. Très vite pourtant, je soupçonne ce qu’il en est. La rupture. Une crainte s’allume en moi. Que sait-elle ? Qu’a-t-il dit ? Vient-elle chez nous pour m’accuser, pour me fustiger, pour m’insulter, moi, celle qui ose lui voler son adoration ? Quelle petitesse m’étreint donc ? Me voilà uniquement préoccupée par moi ! Je me répète, je n’avais pas pressenti cet effet secondaire de l’amour, l’égoïsme qui en naît, l’aveuglement, la recherche entêtée de sa satisfaction. Mais je comprends très vite que je ne cours aucun danger, de quelque nature que ce soit. Évidemment, l’homme de mon cœur a bien pris soin de taire sa nouvelle passion et, ce faisant, c’est tout d’abord moi qui suis protégée, mais aussi ma relation à toi, Ryô, ainsi que celle qui te lie à Mick. Seule Kazue, pour le moment, est sacrifiée sur l’autel de notre histoire.  

 

Enfin, des résurgences de moi refont surface tandis que l’infirmière s’effondre devant nous, j’ai quelque peu accès à sa douleur, j’entrevois son affliction. Je me noie dans son chagrin, dans le vertige, dans ce que je n’avais pas pressenti, leur rupture. Mick et moi parlons si peu. Si peu d’elle.  

Voilà qu’elle nous explique, comme elle peut, ses phrases hachées par des sanglots incontrôlables, des tremblements violents, la crise de nerf qui la guette. Je vois les marques bleues autour de ses yeux, ses lèvres presqu’en sang, son nez qui coule alors qu’elle nous conte, de manière décousue, comment l’américain vient de mettre un terme à leur histoire. Elle pleure, nous crie tout l’amour qu’ils ont partagé, celui qui brûle en elle, encore, avec la même intensité que les premiers jours.  

 

Des larmes coulent sur mes joues, je relève les yeux, croise ton regard posé sur moi. Indéchiffrable, comme toujours. As-tu compris ? Je suis responsable ! C’est moi ! Je plaide coupable, c’est moi ! J’explose en larmes tandis que, pour la première fois, j’ai sous les yeux une conséquence concrète de la faute dans laquelle nous nous sommes engagés. Je peine à reprendre contrôle de moi, mes larmes sont sincères, intarissables ; ainsi, celle que j’étais n’a pas complètement disparu, happée par les transports amoureux, comme je le croyais. La vérité est bien plus complexe que ce que je me figure. Je ne suis pas devenue un monstre d’égocentrisme, entièrement et uniquement préoccupée par son épanouissement amoureux auprès du blond élu. Il est d’autres réalités… incernables.  

 

« Kaori, toi qui as travaillé avec lui dernièrement, est-ce qu’il t’a confié quelque chose, est-ce que… ? », me demande Kazue en plongeant son regard brumeux dans le mien, mettant ainsi un terme à mon auto-analyse.  

 

Je saisis bien évidemment l’insinuation, il n’est pas possible que cette question soit vraiment innocente, et pas possible que, toi, tu ne développes pas les mêmes soupçons que la délaissée. Tout cela est trop concomitant. Pourtant, je le sais, la surprise qui m’étreint, le chagrin que j’affiche plaident en faveur de mon innocence. Je suis véritablement en détresse et me précipite sur mon amie, la prends dans mes bras, la serre aussi fort que je peux, prononce les paroles que chacun souhaite entendre. Non, je ne sais rien, Mick ne m’a rien dit, nous n’avons pas évoqué sa vie personnelle durant notre mission, je ne comprends rien à sa décision. Des banalités, certes, mais d’une vérité étonnante.  

 

« J’irai parler à Mick. », m’entends-je annoncer, hallucinée.  

 

Oui, j’irai lui parler, j’essaierai de comprendre. Mais je ne tenterai jamais de le convaincre de donner une seconde chance à leur histoire. J’ai honte de le confesser mais, si ma peine pour l’amie qui pleure son amour perdu est sincère, une joie intense s’est, dans le même temps, allumée en moi. Mick m’aime ! Il m’aime ! J’en suis convaincue. Et il m’aime tant qu’il a renoncé à celle qui partage sa vie depuis plusieurs années. Je meurs d’envie de le voir, de me perdre dans ses bras, de subir ses mots tendres et ses caresses. Oui, cette envie m’étouffe tandis que je cajole celle qu’il abandonne. Cette image, d’une cruauté cynique, ne m’atteint pourtant que superficiellement. Je suis désolée pour Kazue. Vraiment. Mais mon cœur et mon ventre se réjouissent de la nouvelle. Honte. J’ai honte et mes joues rougissent, une chaleur vive vient en effet de les envahir irrémédiablement, me semble afficher mon trouble aux yeux de tous. J’arrache mon regard de l’infirmière et le reporte vers toi. Bon sang Ryô, pourquoi me dévisages-tu ainsi ? Devines-tu ? Je soutiens ton regard ce soir-là, est-ce que tu te souviens comme j’ai résisté ? Baisser les yeux revient à t’avouer ce que tu pressens, je connais ta perspicacité me concernant, je la crains. Je reste donc de marbre, figée et résolue, j’enlace toujours Kazue qui ne cesse de gémir et je me livre à un combat, toi contre moi, yeux dans les yeux. Toi, te débattant pour démêler le vrai du faux, moi, jouant mon honneur, feintant l’incompréhension, la vexation. Et je sors vainqueur ! Oui Ryô, je te vois capituler. Et je lutte pour que l’immense soulagement qui est le mien ne s’étale pas sur mon visage, pour ne pas me trahir. Aujourd’hui, je mesure combien il t’était inenvisageable d’avoir cerné la réalité, comme la défaite était pour toi la seule issue acceptable à notre duel.  

 

Le lendemain est apocalyptique, les souvenirs que j’en ai sont confus. J’ai agi comme un automate, je devais me protéger, sauvegarder le peu d’estime que j’ai de moi-même, ne pas prendre totalement conscience des conséquences de mes actes. Kazue a quitté l’appartement qu’elle partageait avec Mick. Cela ne s’est pas fait sans cris, sans heurts, sans larmes, sans supplications désespérées. Mick a fini par renoncer à aider et a déserté pendant de longues heures, supportant visiblement très mal la douleur de celle qu’il blessait volontairement. Il vous a laissé, à toi et Umi, le soin de déménager les affaires que Kazue souhaitait emporter, et à Miki et moi le rôle de consolantes.  

 

C’est atroce une séparation ! Comment ne pas me projeter dans pareille situation ? Moi te quittant, ce à quoi j’aspire aujourd’hui, me semblait surréaliste à cette époque. Toi et moi sommes intimement enchevêtrés, interdépendants, voués à affronter, ensemble, dangers et ennemis. Nous sommes City Hunter. Je ne doute pas qu’une force supérieure veille à la survie de notre couple. Serais-je donc condamnée à l’aridité amoureuse de par la nature exclusive de notre partenariat ? Ai-je signé quelque part un contrat d’engagement stipulant que mon rôle se bornera à te seconder, à sublimer ta puissance, à te servir ? Et en tout cas, à m’oublier en tant que femme, à être toujours sans failles, sans faiblesses, sans vilénies, altruiste et empathique, m’enfermant dans une situation sacerdotale, presque sacrificielle. Là où toi, mâle flamboyant, tu serais séducteur irrésistible, héros charismatique. Je ne veux pas, je ne veux plus. Je revendique mon droit à l’amour, à l’émancipation.  

 

Ça n’est que quelques jours plus tard, que je retrouve Mick ; enfin ! Je suis sur les nerfs. En manque de lui, tout d’abord. Nous avons de nouveau une mission, toi et moi, et mes plages de liberté ont fondu comme neige au soleil. Aucun subterfuge n’a fonctionné pour m’échapper ; à croire que tu manœuvres pour me garder sous surveillance rapprochée. De plus, Mick s’est montré distant, n’a pas répondu à toutes mes sollicitations, à tous mes appels ; cela n’a fait qu’accroître mon stress. Kazue et lui se sont-ils réconciliés ? Cela me semble peu probable mais mon esprit est indiscipliné et m’échappe pour s’engager sur des voies douloureuses. Serait-ce possible ? Des images désagréablement érotiques de rabibochage m’assaillent et me torturent inlassablement. Suis-je à ce point ferrée ? Moi qui croyais… C’est donc avec une appréhension dérangeante que je le rejoins ce matin-là, au sommet du building Dentsu où nous nous sommes donnés rendez-vous. L’observatoire est bondé, touristes et tokyoïtes admirent la vue plongeante sur Hama Rikyu, s’ébahissant du contraste saisissant entre l’ultra modernité des gratte-ciels et le traditionnel jardin japonais du XVIIe siècle qu’ils surplombent. Je n’ai pourtant que faire du panorama exceptionnel qui s’étale à nos pieds, je n’ai qu’une idée en tête, reconquérir le territoire que je crains avoir perdu et comprendre. Comprendre pourquoi il a rompu avec Kazue. Si précipitamment.  

 

J’espère ne pas être celle par qui le malheur arrive, une Celestina, féconde du néant qu’elle apporte à ceux qui osent l’aimer…  

 

Mon américain est là, adossé contre un mur, indifférent au vacarme ambiant ; le vent, coutumier des hauteurs, courtise sa chevelure de blé sans relâche. Nos yeux se captent très vite, se happent, pulvérisent les doutes que j’avais émis. Une étrange idée me frappe tandis que j’accours vers lui, gagnée par une confiance aveugle, mon cœur sécurisé. Es-tu mon gratte-ciel, Mick ? Et moi, suis-je ton jardin japonais ?  

 

Ses bras se referment sur moi et, telle une chrysalide retrouvant le confort de son cocon, je me love contre sa poitrine, me blottis, tente de me fondre à lui, de fusionner. Ici, bercée par les battements de son cœur, j’achèverai ma métamorphose, j’en ai l’intime certitude.  

 

« Est-ce que tu vas bien, m’enquis-je, pleine d’appréhension malgré la quiétude de notre position.  

 

— Oui, je vais bien, répond-il d’une voix apaisante, caressant légèrement mes cheveux. Je suis désolé, j’aurais voulu te prévenir mais je n’avais rien prémédité.  

 

— Ça a été si violent pour Kazue, j’ose évoquer directement, le nez toujours contre sa chemise.  

 

— Je sais. Je n’ai pas pu faire autrement mais j’aurais aimé ne pas te mêler à tout ça.  

 

— Est-ce que je suis responsable ? »  

 

La question a claqué. Si sèche qu’elle en est devenue violente. Précautionneusement, ses mains se détachent de mon dos et contraignent mon visage à se relever, à contempler le sien, où se lisent gravité et inquiétude. Ses sourcils se froncent légèrement et je devine que Mick cherche sûrement à habiller la réalité.  

 

« Très sincèrement Kaori, je ne maîtrise pas tous les élans de mon cœur et je mentirais si je disais que notre récente relation est totalement étrangère à ma décision de rompre avec Kazue. Pourtant, ça n’est que la partie émergée de l’iceberg. Je pense que berner une femme en lui faisant croire que ses sentiments sont réciproques, en lui laissant espérer un avenir commun, un bonheur à deux, n’est pas respectueux. Je me devais d’être honnête avec Kazue. Je tiens trop à elle, elle m’a sacrifié déjà trop, il était temps pour moi d’avoir le courage de mettre un terme à tout ça.  

 

— Tu ne l’aimes plus ? j’ose avec appréhension.  

 

— Non, murmure-t-il. »  

 

Honte ! J’ai honte du plaisir que j’ai ressenti à l’écoute de cet aveu coupable.  

 

« Tu dois savoir que ça lui brise le cœur.  

 

— Je sais, confesse-t-il, et j’espère qu’un jour elle comprendra que ce que j’ai fait c’était aussi pour elle.  

 

— Mick, es-tu sûr de toi ? À ta place, je ne me serais pas précipitée ainsi…  

 

— Je ne quitte pas la proie pour l’ombre ! m’assène-t-il d’une voix sombre, m’interrompant vertement. Je n’ai pas fait de la place dans mon appartement dans l’espoir de t’y installer, si c’est ça que tu crains. »  

 

Je sens ses mains quitter mon dos, notre étreinte se desserre et la panique m’envahit par bouffées.  

 

« Non, je ne voulais pas dire ça, éclaircis-je immédiatement, comprenant qu’il interprète ma prudence… C’est que c’est tellement soudain, est-ce que tu ne vas pas regretter ?  

 

— Je sais ce que je fais, renchérit-il. Ça s’est imposé à moi comme une évidence ce soir-là, une pulsion irrésistible, le besoin que tout finisse au plus vite. Ne crois pas qu’il a été simple pour moi de regarder dans les yeux la femme qui partage ma vie et de lui annoncer froidement que tout est terminé, d’assister à son effondrement. »  

 

Ses yeux habituellement céruléens, aux reflets moirés hypnotiques, se sont chargés d’électricité, se sont obombrés. Je devine l’orage, la contrariété induite par ma réaction. Amour. Voilà le mot que j’ai toujours apposé sur leur relation. L’amour passion en ce qui concerne Kazue. L’amour charnel pour Mick. Je n’ose imaginer la scène qu’ils se sont joués tous les deux, juste avant que l’infirmière ne se réfugie chez nous, en quête de réconfort.  

 

« N’était-ce pas prématuré ? » me permets-je d’insister.  

 

Se peint alors sur le front étranger le souci que suscite mon interrogation, l’hésitation qui vient de le saisir.  

 

« Je suis amoureux de toi Kaori. »  

 

Ma trachée s’est contractée. L’air ne passe plus. Apnée. Ma bouche s’est figée dans un o ridicule, mes yeux se sont arrondis comme des soucoupes. Non pas que la déclaration est inattendue ou incroyable, bien sûr que non, il y a longtemps que j’ai cerné la nature et la profondeur de nos sentiments. Mais je réalise à cet instant comme la verbalisation donne à notre histoire une direction nouvelle. Tout va être bouleversé, c’est inévitable. L’équilibre, notre équilibre. Je reste muette, bêtement muette. Cette déclaration est juste délicieuse et je suis émue jusqu’à la moelle.  

 

« Mais ne crois pas un seul instant que j’ai des exigences te concernant, précise bientôt ton meilleur ami. Je n’exige pas les mêmes mots dans ta bouche, ni même la réciprocité dans ton cœur. Bien sûr, je l’espère, je ne peux pas dire le contraire… »  

 

Ses doigts caressent le rebondi de ma joue, ajoutent à mon désarroi, tandis que sa phrase est en suspens. Ryô, si tu savais comme tout se bouscule en moi, un chaos assourdissant, une catastrophe d’ampleur inédite dans tout mon corps.  

 

« Je t’ai dans la peau Kaori…, poursuit Mick avec émotion, et j’ai encore du mal à réaliser ce que nous vivons tous les deux. Ça me semble irréel. Merveilleux, mais irréel… Pourtant… »  

 

L’air a retrouvé le chemin de mes poumons. J’inspire et expire calmement, les yeux rivés sur le visage de celui qui me conquiert chaque jour davantage. Moi aussi je lance mes mains à la conquête de ses traits majestueux, je parcours sa mâchoire, apprécie la chaleur qui colonise mes doigts. Mais il jugule ma manœuvre, gèle mes mouvements en apposant ses mains sur mes mains, souhaite capter toute mon attention. Ses lèvres, dont je connais les talents, se crispent légèrement et énoncent la vérité cinglante, vérité qui résonne encore en moi aujourd’hui.  

 

« Pourtant, il y a Ryô. »  

 

Je déglutis devant lui et détourne le regard, me soustrayant bien malgré moi à la complicité qui nous unissait jusqu’à présent. Ma désertion doit lui être douloureuse, confirme indirectement la pertinence de son propos, mais elle n’endigue pas ses paroles.  

 

« Je continue de croire qu’il lui suffirait d’un seul geste, d’un seul mot, pour anéantir tout ce qu’il y a entre nous, entre toi et moi Kaori… Les sentiments que tu éprouves toujours pour lui. Pff… »  

 

Ce soupir de rage attire de nouveau mon attention et je considère mon amoureux avec émotion.  

 

« Et ce n’est pas une amourette, une fantaisie sentimentale… je sais tout ça… Ça me torture Kaori, ça m’angoisse, mais ça ne m’empêche pas de t’aimer, ni d’espérer. »  

 

Je m’extrais de l’étau de ses mains, encadrant toujours mes joues ; je les capture et les baise religieusement avant d’ancrer mes yeux dans les siens et de prononcer clairement.  

 

« Il y a trop de monde ici. Emmène-moi dans le jardin, trouvons un endroit discret et laisse-moi te montrer ce que j’éprouve pour toi… Tu as raison Mick, je ne peux pas encore te dire tout ce que tu aimerais entendre, mais je peux m’exprimer autrement que par des mots. J’ai terriblement envie de t’embrasser. »  

 

Nos pas précipités, notre course folle dans le jardin d’Hama Rikyu, autour de l’étang Shiori-no-ike, le refuge que nous trouvons près du Sanhyakunen-no-matsu, ce pin majestueux qui a dû abriter nombre d’amours clandestins comme le nôtre, resteront gravés dans ma mémoire jusqu’à mon dernier souffle. Souffle que nous perdons éperdument, à nous embrasser sans relâche, à tenter de maîtriser nos gémissements, notre fièvre, à veiller à ne pas trop heurter la pudeur des promeneurs qui pourraient nous apercevoir.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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