Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 23 chapitres

Publiée: 02-03-11

Mise à jour: 19-07-22

 

Commentaires: 159 reviews

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GeneralDrame

 

Résumé: City Hunter n’existe plus. Après avoir accepté une mission, Kaori rencontre un homme qui veut détruire City Hunter et qui y réussit. Qui est cet homme ? Que veut-il à Ryo ? Comment réagit Kaori ? Pourquoi Ryo perd-il son ange ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Le vent", excepté celui de Keiji, sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Le personnage de Keiji m'appartient exclusivement.

 

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   Fanfiction :: Le vent

 

Chapitre 16 :: Libérés?

Publiée: 07-11-11 - Mise à jour: 07-11-11

Commentaires: Bonjour à tous, Oh la la j'ai trainé mais j'ai encore eu du mal avec ce chapitre très descriptif et plutôt dans l'action. Je manque de verve ces derniers temps (en fait j'écris une autre fic en parallèle, pas bien!!) C'est en tout cas le dernier chapitre de la seconde partie du récit. Donc transition même s'il est important dans la tournure que vont prendre les évènements. Merci encore de vos encouragements. A bientôt.

 


Chapitre: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23


 

Dès sa sortie de voiture, une multitude d’auras différentes avaient chatouillé son sixième sens mais, parmi elles, une seule retint son attention : douce, chaude, reconnaissable entre mille.  

 

« Sugar », prononça-t-il avec soulagement.  

 

Ryô sut dès cet instant que le manque d’elle allait bientôt prendre fin, que ce n’était plus qu’une question de minutes avant de revoir le visage mutin, le sourire innocent, indispensables à sa vie. Il grogna de satisfaction… Visiblement, les deux femmes étaient présentes et en bonne santé. Il n’eut cependant pas le temps de se réjouir plus longtemps, une salve de mitraillette éclata à quelques mètres de lui, l’obligeant à se réfugier derrière la mini. Il plissa les yeux et détecta presqu’immédiatement l’origine des tirs qui se firent plus nourris, les impacts de balles crépitant contre l’acier indestructible de la petite voiture. Il haussa les épaules, visa nonchalamment et, cinq balles plus tard, reprit le chemin vers l’entrepôt. Très vite l’arme mythique se trouva rechargée et la main se fit impatiente sur la crosse, un doigt jouant avec le chien. Il n’était pas difficile de pressentir ce qui allait se passer, des pièges étaient tendus un peu partout et des yakusas se cachaient dans les hangars abandonnés, sur les toits branlants, derrière des murs à moitié en ruine. Les présences mal dissimulées, bien que relativement nombreuses, n’inquiétèrent pas le moins du monde le nettoyeur. Ces hommes semblaient ignorer qu’il en fallait beaucoup plus pour le déstabiliser, beaucoup plus que ces pièges amateurs ou leur maladresse perceptible. Il fit la moue, écœuré par la désagréable odeur de la peur mêlée à celle de l’excitation de l’affronter, lui, le grand City Hunter. Il eut alors un rictus de vainqueur, cannibale, et se lança dans la bataille.  

 

 

A peine eut-elle retrouvé l’usage de ses yeux qu’elle sonda l’univers visible. Elle reconnut très vite l’endroit où elle se trouvait : l’entrepôt. Oui, elle se trouvait derrière le bâtiment où sa pudeur avait été mise à mal par Keiji pour la première fois. S’habituant peu à peu à la luminosité, ses yeux purent discerner plus clairement les autres protagonistes de la scène qui se jouait devant elle, et s’attarder sur les visages. La première à apparaître dans son champ de vision et qui l’emplit entièrement fut Chizu. Sa cliente. Tremblante et apeurée. Allure inquiétante de la femme terrorisée, le dos vouté, les yeux hagards. Un yakusa ne la lâchait pas, se régalant des mimiques effrayées de la jeune femme en proie au désarroi le plus profond. L’œil crevé du petit teigneux s’agrandissait sous le plaisir qu’il prenait à la voir se contracter à chacun de ses rapprochements. Le chien feulait de contentement, excité par l’épouvante qu’il inspirait à celle qu’on lui avait confié. Kaori sentit la rage gagner son corps et son esprit et s’apprêta à intervenir lorsqu’un homme la devança.  

 

- Ca suffit ! Hurla celui qui avait assuré la garde de l’institutrice durant toute sa captivité.  

 

Le borgne stoppa net ses intimidantes manœuvres et considéra son complice avec déférence ; même si la proximité de la douce ne cessait d’aiguiser son instinct bestial, il prit le parti de calmer ses ardeurs, préférant abdiquer. Le jeune yakusa fronça les sourcils en toisant l’imbécile qui inquiétait inutilement la jeune femme puis il se retourna vers Keiji, replongeant dans l’argumentation visiblement capitale du jeune ténébreux.  

 

Kaori observa longuement son geôlier. Il avait de nouveau chaussé casquette et lunettes et était méconnaissable, même pour elle qui avait pu admirer et conquérir, dans les moindres détails, les traits délicats, d’une finesse presque féminine. Elle grimaça lorsque sa langue reconnut dans sa bouche les saveurs anciennes des baisers échangés.  

 

Quelle faiblesse !  

 

Elle le toisa d’un regard noir. Durant l’échange que son bras droit avait eu avec le borgne, Keiji n’avait pas bronché, n’avait même pas jeté un œil du côté de la prisonnière malmenée, affichant un désintérêt et une indifférence incroyables. Que fallait-il penser de ce coupable abandon ? Il méritait une condamnation sans réserve ! Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à le détester ? Qu’est-ce qui la contraignait ainsi à une docilité qui frisait l’adoration ? D’un homme comme celui-là ! Car il lui fallait se résoudre à la réalité. La connaissance qu’elle avait de lui, qui confinait à l’intime, ne lui permettait toujours pas de le cerner. Non, toujours pas. Alors pourquoi s’obstiner à entrevoir une nature différente de celle exhibée ici ? Pourquoi lui trouver sans cesse des circonstances atténuantes ? S’obstiner à deviner l’homme derrière le monstre froid aux desseins criminels ?  

 

 

Hélas ces questions resteraient pour le moment sans réponse, et l’heure n’était pas aux remises en question personnelles, ni aux cas de conscience existentiels. Kaori devait reprendre ses esprits et considérer la situation intelligemment, professionnellement. Là, il y avait urgence. A n’en pas douter les évènements allaient s’emballer et le drame se profilait déjà à l’horizon. Elle fronça les sourcils et, tout en surveillant son geôlier et les yakusas qui l’écoutaient avec ferveur, elle se tortilla légèrement afin de tester les liens qui entravaient ses poignets. Mais c’était sans compter sur les pognes larges, puissantes, mordantes qui la contraignirent illico à abandonner sa tentative : son garde. Posté dans son dos, le corps suant si près au sien, l’haleine chargée et incommodante, il la surveillait. Elle dut réprimer un haut-le-cœur lorsque son odorat se concentra tout entier sur l’exhalaison désagréable. Grimaçant, Kaori se retourna légèrement pour le détailler. Inconnu. Elle fusilla du regard celui qui n’allait pas la lâcher d’un pouce et se demanda comment agir sans attirer son attention. Le cerbère soutint les prunelles agressives et osa même un sourire à la partenaire de city hunter.  

 

« Ggggrrrrr », pesta-t-elle.  

 

Elle devait se faire une raison, pour le moment, elle n’avait guère le choix, elle était condamnée à subir et ne pouvait que se concentrer sur les ennemis… Elle embrassa toute la scène du regard.  

 

Combien étaient-ils ?...  

 

Elle en compta six. Plus Keiji, son bras droit, le borgne et… son garde.  

 

Cependant, elle ne s’attarda pas sur l’homme gras, à la fébrilité perceptible qui épiait ses mouvements, mais considéra les présences invisibles, qu’elle ressentait néanmoins. Oui, une multitude d’autres auras, sombres, mauvaises et stupides, grouillaient un peu partout aux alentours.  

 

« Le comité d’accueil », pensa-t-elle.  

 

Elle avisa à nouveau Keiji, absorbé pour le moment par son discours, s’adressant à tous et à chacun, semblant donner des ordres, précis, indiscutables. Les mercenaires l’écoutaient attentivement, fanatiquement, les dents serrées.  

 

Se pouvait-il qu’il espère que cette engeance suffise à ébranler la forteresse City Hunter ? Se berçait-il d’illusions à ce point ? Elle connaissait Ryô mieux que quiconque. Rien ne pouvait l’atteindre. Rien. Il était presque décevant que Keiji envisage le nombre, la quantité, de qualité plus que médiocre il fallait le reconnaître, contre son partenaire.  

 

« Ils allaient se faire massacrer »  

 

Elle se mordilla les lèvres, tentant d’endormir l’angoisse croissante, repoussant les craintes honteuses qu’elle éprouvait pour l’ennemi.  

 

Son attention fut vite détournée par la dispersion soudaine des yakusas, par la tension qui émanait des corps inquiets, par les regards lourds échangés entre eux, se soutenant muettement, se souhaitant « bonne chance ». Tous prirent des directions différentes ; Kaori comprit alors qu’ils allaient rejoindre les hommes déjà sur le terrain, certainement allaient-ils coordonner l’affrontement, du moins le pressentit-elle. Elle fut quelque peu rassurée en constatant que ces pseudo-chefs n’irradiaient pas l’intelligence, ni la finesse d’esprit, Ryô et sa bande n’en feraient qu’une bouchée.  

 

 

Lorsque tous furent éparpillés sauf le jeune complice de Keiji, encore à ses côtés, la nettoyeuse s’inquiéta à nouveau de sa cliente. Celle-ci se trouvait hors de portée de voix, terrassée de solitude. Elle parvint à capter le regard de Chizu et lui sourit, tentant de lui communiquer un peu de sa confiance en son partenaire. Hélas, la jeune institutrice, rongée par la peur, faisait bien pâle figure ; ses cheveux collaient son cou, ses lèvres avaient bleui, son regard, vif, gai et séduisant habituellement était là transparent et éteint. La tension ambiante annihilait toute son énergie et un léger tremblement avait pris possession de son menton. Incapable d’être réceptive à la tentative de réconfort de celle qui était devenue son amie, elle échappa au regard noisette pour sombrer dans la détresse la plus totale.  

 

La nettoyeuse se sentit impuissante face au désespoir de la jeune femme, ne pouvant lui être d’aucun secours. Cela éveilla en elle colère et rancœur, et ce fut une mine noire, hargneuse et contrariée qui se tourna vers le couple dangereux, conspirateur, tentant de saisir quelques bribes de la conversation qui semblait cruciale entre les deux comparses. Ils affichaient une volonté de discrétion exagérée, l’air grave et tendu. Kaori se concentra alors au maximum et tenta, comme Ryô le lui avait appris, de décupler ses facultés auditives…  

 

- … Personne derrière nous…, disait Keiji.  

 

Le yakusa écoutait attentivement tout en vissant un silencieux sur son pistolet.  

 

- Attends que Saeba soit dans l’entrepôt, après… agis comme convenu, et sauve-toi dès que tu peux, je me charge du reste. Si possible, on se retrouve où tu sais… Mais ne m’attends pas plus d’une heure. Si je n’arrive pas, c’est que je n’arriverais jamais. Dans ce cas, évanouis-toi dans la nature et fais-toi oublier.  

 

La nettoyeuse fronça gravement les sourcils, cet autre homme semblait avoir un rôle prépondérant dans le plan ourdi par son geôlier et, ce qui ne lui inspirait aucune confiance, il ne transpirait ni la bêtise ni la peur, et l’air affiché, préoccupé mais décidé, n’était pas du meilleur présage.  

 

Cependant ses investigations furent interrompues de manière brutale et inattendue. Ses jambes se dérobèrent sous elle, elle manqua d’air, et son corps, désobéissant, imposa son trouble. Incontrôlable ! Keiji aussi se figea. Et immédiatement, presque contre son gré, il se tourna vers elle ; il put alors contempler avec douleur et jalousie, malgré la distance qui les séparait, les joues de sa captive se couvrir d’une lividité qu’il sut interpréter sans le moindre doute. Elle l’avait senti elle aussi.  

 

Ryô  

 

Son cœur martela contre ses côtes, l’euphorie la gagna étrangement, et c’est un sentiment plein et puissant qui l’envahit toute entière. Elle ne résista pas à la vague déferlante en elle et dut fermer les yeux pour apprécier pleinement la présence adorée, la force incommensurable de l’homme qui partageait sa vie. Elle se mordit les lèvres, fronça les sourcils tant le choc dans son ventre fut brutal. Comment avait-elle pu oublier, en seulement quelques jours, l’effet à la fois merveilleux et dévastateur que lui faisait celui qui l’avait instantanément séduite ? Les yeux toujours fermés pour se soustraire à l’emprise du regard doré qu’elle devinait encore posé sur elle et qu’elle ne pouvait affronter, même au travers des lunettes, elle se concentra sur Ryô, appréciant le chaud réconfort qui naissait en elle et qui l’enveloppait de la douce assurance d’être maintenant en sécurité. Sauvée. Ses paupières se relevèrent lentement et elle aperçut son geôlier détourner brutalement la tête, renonçant à observer le trouble qui la gagnait.  

 

Elle déglutit.  

 

Ryô, sans même en avoir connaissance, avait cédé de la place à un autre dans son cœur de femme, sans opportunité de défendre le territoire qu’il avait si facilement conquis. Certes, les terres en jeu ne l’intéressaient guère mais il avait tout de même un instinct de propriété particulièrement développé et Kaori savait, depuis fort longtemps maintenant, qu’il ne tolérait pas d’autre homme dans son sillage. Même si cela l’agaçait souvent, elle prenait ces élans de possessivité comme un aveu de l’attachement indéfinissable qui le liait à elle.  

 

Comment avait-elle pu à ce point pousser les murs pour que Keiji s’installât… ici ? Elle fronça les sourcils, elle aurait aimé poser la main sur sa gorge, sur ses griffes… Marques symboliques dont il était indirectement responsable ! Et le feu qui brulait sa peau, incendie opiniâtre qui refusait de s’éteindre sous les traces rougeâtres, n’était pas né sous les doigts crochus de ce garde mal intentionné, mais bien sous les baisers apaisants et coupables de son geôlier, accordés la veille au soir.  

 

Que s’était-il passé pour qu’elle en arrive à oublier dans les bras d’un autre celui qui régnait sur son cœur, sans partage, depuis toujours ? S’était-elle libérée des chaines douloureuses qui l’amarraient solidement à son partenaire ?  

 

Elle sonda son cœur dans l’espoir d’y discerner la réalité de ses sentiments à l’égard du nettoyeur. Il ne lui fallut que quelques secondes pour que le sourire illuminât son visage. L’amour. Elle n’en avait aucun doute, il l’emplissait délicieusement, se mêlait à son souffle, gonflait sa poitrine, s’imposait à toute son âme avec certitude. C’était chaud et lumineux, doux et harmonieux, ouaté, satiné. C’était absolu.  

 

Elle inspira profondément sous la pénétrante assurance.  

 

Puis son regard se posa sur celui qui avait défait sa pudeur avec une éclatante facilité, qui avait déjoué sa résistance et qui, contre toute attente, toute prévision, l’avait séduite.  

Keiji  

 

Elle ferma les yeux et fut submergée de sensations contradictoires. Dans son ventre, l’évocation du prénom ne provoquait que confusion, déchirements, rafales et tornades. Il s’était insinué partout en elle, dans tous les pores de sa peau, il avait creusé sa chair de ses dents, atteint des profondeurs inconnues, sombres et honteuses. En fait, elle était dans l’incapacité de définir les sentiments qu’il lui inspirait, uniquement consciente des bouleversements physiques qu’il induisait en elle. Il était en elle. Coulait dans ses veines.  

 

Une salve de mitraillettes broya ses poumons, gelant l’air dans sa trachée, et toutes ses pensées s’envolèrent vers Ryô. Irrémédiablement.  

 

 

*******************************************  

 

 

Le nettoyeur slalomait entre les hangars, lançait grenades, tirait à gauche, à droite, utilisait pistolet mitrailleur et tout l’attirail qu’il avait, bien entendu, pensé à embarquer avec lui dans l’expédition libératrice. Perpétuellement en déséquilibre, il défiait les lois de la pesanteur en sautant toujours plus haut, en courant à l’horizontal sur les murs décrépits, en dégringolant de toits avec une souplesse et une agilité déconcertantes. L’ennemi, éberlué, tétanisé, attaquait avec frénésie, désespoir et illumination. Sous le feu crépitant des yakusas, Ryô se réfugia dans un hangar désaffecté, souhaitant refaire le plein de munitions ; il sut immédiatement qu’il y avait là un bandit mal assuré, tremblant, apeuré. Un sourire carnassier retroussa ses lèvres.  

 

- Montre-toi ! Ordonna-t-il.  

 

Bien sûr, personne ne répondit et un léger claquement, drôle et insolite, sonna aux oreilles du nettoyeur. Genoux et dents avaient entamé le ballet de la peur et se heurtaient en cadence.  

 

- Bouh ! Cria Ryô en surprenant le couard caché derrière des palettes en bois.  

 

- Ne me tue pas ! Par pitié, ne me tue pas ! Supplia à genoux, mains jointes, le pauvre geignard.  

 

- Oh, mais ça ne dépend que de toi, impressionna Ryô en pointant son canon sur la tempe battante du misérable.  

 

- Que… Qu’est-ce que je peux faire ? S’enquit l’homme prêt à collaborer.  

 

- Quel est le nom de ton chef ?  

 

Il blêmit.  

 

- Le chef ?… Ben, c’est le chef… J’ignore son nom… Je te jure…  

 

Les yeux larmoyants tournés vers lui convainquirent le nettoyeur de la bonne foi de son interlocuteur. Rapidement, il le saucissonna, lui interdisant toute fuite ultérieure.  

 

- Je te garde sous le coude, au cas où, lui dit-il en le regardant droit dans les yeux.  

 

Il se tendit alors sous la contemplation des prunelles braquées sur lui et, plus vite que l’éclair, posa le python sur son épaule gauche et tira deux coups derrière lui, sans même regarder les fourbes qui croyaient pouvoir l’abattre dans le dos. Deux corps alourdis par la mort s’écroulèrent dans le hangar.  

 

- T’as d’beaux yeux tu sais ? Lança-t-il au yakusa éberlué par l’adresse incroyable de City Hunter. A tout à l’heure.  

 

- A tout à l’heure, répondit le saucisson.  

 

Ryô se jeta à nouveau dans la fosse aux lions et engagea la dernière bataille avant d’accéder à l’entrepôt.  

 

 

*****************************************  

 

 

Keiji était seul, concentré au maximum sur les sons pétaradants qui parvenaient sans problème jusqu’à lui. Il suivait les échanges avec un intérêt démultiplié et ignorait complètement les deux otages et leurs gardes qui le contemplaient de loin, interpellés par l’étrange spectacle du chef de la bande, dos voûté, tête baissée vers le sol, mains en appui sur le mur. Il semblait méditer ou peut-être tout simplement se concentrait-il.  

 

Et puis l’étrange manège s’arrêta, il se releva et se dirigea vers la porte qui donnait sur l’arrière de l’entrepôt. Au même moment, la fusillade se tut et c’est un silence lourd qui s’abattit sur toute la zone d’activité désaffectée. Kaori eut le corps broyé lorsqu’elle vit Keiji pénétrer dans l’entrepôt au moment même où l’aura effervescente de son partenaire y accédait aussi, par l’entrée principale. Ils étaient maintenant seuls dans le hangar.  

 

 

 

Ils s’aperçurent l’un l’autre immédiatement et laissèrent tous deux exploser la haine réciproque. Ryô grimaça en constatant que l’ennemi n’osait affronter directement son regard et se cachait, encore, derrière les minables artifices. Cette habitude détestable avait le don de l’énerver et lui rappelait la défaite, sévère et indigeste, qu’il avait connue lors de leur première et dernière rencontre. Cela n’eut comme effet que de l’irriter davantage. Il s’arrêta quelques mètres après l’entrée pour laisser au ravisseur le soin de s’approcher de lui, détaillant ainsi la dégaine, la démarche, la courbe des épaules, le rythme des hanches, tentant d’y lire des informations sur l’homme, que le visage dissimulé ne lui permettait pas de deviner. Cependant, il s’attarda avec délice sur la cicatrice naissant sur la joue gauche de son ennemi et qui se perdait sous le verre des lunettes.  

 

Ce dernier semblait détendu, indifférent au danger que représentait le monument planté dans la lumière irradiant de la porte, ainsi qu’aux accès de fureur du nettoyeur devant la silhouette féline, qui ne dégageait qu’une force modeste, maîtrisée, étouffée. Pourtant, la vision était apocalyptique et la puissance sans égale du japonais aurait impressionné n’importe quel autre homme normalement constitué.  

 

Keiji s’arrêta à trois mètres du nettoyeur et détailla la face angélique du monstrueux City Hunter. Comment ce visage sans âge, doux et dur à la fois, lisse et franc, pouvait-il être ce qu’il exécrait le plus au monde ? Personnification de la lâcheté absolue. Responsable avec Hide de la mort d’Hana. Vaniteux jusqu’à la nausée. Et en même temps… Amoureux sacrifié sur l’autel du respect à cette femme. Sa partenaire. Intouchable. Et… Et image d’amour insensé pour elle… Image d’amour.  

 

Pour la première fois depuis son entrée dans l’entrepôt, Keiji eut une faiblesse, une boule d’écœurement s’attaqua à son estomac et il dut lutter pour ne pas plier sous le poids du dégoût. Dégoût de Saeba, oui, mais avant tout dégoût de lui-même, de l’homme qu’il était devenu, des évènements prochains dont il serait l’unique responsable. Dégoût de la vie aussi. Elle semblait déjà le fuir d’ailleurs, presque apeurée par le regard pénétrant de City Hunter.  

 

- Bonjour Saeba, se reprit-il, alors que rien n’avait laissé deviner son trouble.  

 

Ryô plissa les yeux, tentant de discerner avec plus de détails les traits de l’homme qui lui faisait face.  

 

- Tu es si laid que tu m’évites la frayeur de te voir ?... Ou peut-être est-ce mon regard qui te semble insupportable ?... Ou encore mon rayonnement naturel qui t’éblouit ?  

 

Un magnifique sourire, éclatant, élargit alors la bouche de Keiji et les yeux noirs, s’accrochant à ce fanion blanc comme s’il allait déverser la vérité universelle, ne purent se détacher des lèvres ennemies. Ils suivirent avec une certaine fascination les lascifs mouvements de la bouche, odieuse et prolixe.  

 

- Ici, commença le ravisseur, balayant la pièce d’un revers de bras, il y a seulement quelques jours, je déshabillais Kaori…  

 

Ryô se contracta mais ne quitta pas la bouche des yeux.  

 

- Pour la première fois, ajouta-t-il après un moment.  

 

- … Viens-en au fait ! Se crispa le nettoyeur.  

 

- Je vais y venir… Ne sois pas impatient ! Continua l’ennemi, maîtrisant le timbre de sa voix. Je dois avouer que cette rencontre fut pour moi des plus troublantes.  

 

- Tu es bien le seul à qui elle fasse cet effet là, ne put s’empêcher d’ajouter le nettoyeur, alors que la seule envie qui l’étreignait était d’occire l’impudent qui lui faisait face.  

 

Keiji sourit devant le mensonge éhonté.  

 

- Oh vraiment ?... J’en doute.  

 

- …  

 

- Je sais les sentiments qu’elle éprouve à ton égard Saeba. Elle s’est confiée à moi.  

 

- Bien sûr morveux ! C’est tout à fait le genre de Kaori de s’épancher avec un homme de ton espèce…, ironisa Ryô dont les nerfs s’échauffaient sérieusement.  

 

- Crois ce que tu veux, ça m’est égal…  

 

La scène était surréaliste, les deux hommes se faisaient face et discutaient calmement, du moins en apparence, semblant ignorer les circonstances de la rencontre, les enjeux de l’affrontement, la violence ultime qui les unirait bientôt. Bien évidemment, cela n’était que façade. L’un et l’autre étaient conscients de la tempête prochaine qui statuerait du sort de chacun.  

 

- Par contre, j’ignore complètement ce que toi, tu ressens pour elle… Certes tu te défends de tout sentiment mais…  

 

- Ce qui me lie à ma partenaire ne regarde que Kaori et moi, coupa Ryô.  

 

- Voyons ! Tu peux bien l’admettre devant moi Saeba… Tu l’aimes…  

 

- A quoi ça rime ton délire ?  

 

- Il est important de connaître le cœur de son ennemi, non ?  

 

- Je n’ai pas de cœur, tu le sauras bientôt. Et j’en ai vraiment marre que tout tourne autour de Kaori. Dis-moi plutôt qui tu es, pourquoi Chizu, pourquoi toute cette mise en scène ? Cette mascarade ? Ensuite, on pourra commencer…  

 

- On se fiche pas mal de tout ça Saeba, inutile de se leurrer ! S’emporta légèrement Keiji. Toi et moi on a chacun notre essentiel dans cette affaire. Je te connais si bien ! Tu n’imagines pas comme je te connais. Il n’y a guère que le rôle de Kaori dans ta vie que je n’arrive pas à cerner.  

 

Les deux hommes se fixaient toujours, chacun tenant son arme dans la main, les bras le long du corps, tressaillant à chaque phrase prononcée.  

 

- Moi, c’est son rôle dans toute cette affaire que je ne cerne pas, concéda Ryô. Et de quels essentiels parles-tu ?  

 

- Ton essentiel à toi, c’est elle ! Osa Keiji.  

 

- … Tu te trompes… Kaori n’est que ma partenaire.  

 

Keiji éclata de rire et considéra avec intérêt l’homme qui lui faisait face et dont les traits avaient pris une expression menaçante, avant de lancer ce qu’il avait préparé de plus acerbe.  

 

- Oh oui, je sais Saeba, poursuivit Keiji en redevenant étrangement sérieux. Jamais, n’est-ce pas ?... Jamais tu n’as senti sa peau glisser sous tes doigts ? Jamais elle n’a gémi sous tes caresses...  

 

Il passa ses doigts sur ses lèvres et les gouta, d’un geste sensuel, plein de sous-entendus.  

 

L’inspiration du nettoyeur fut entrecoupée par un léger hoquet.  

 

- C’est divin Saeba… Crois-moi, divin…, finit-il dans un sourire plein de miel, sachant pertinemment quelle réaction ces paroles allaient provoquer.  

 

Excédé par le fiel déversé, le nettoyeur brandit le bras et menaça de son arme la tête casquettée. L’action n’avait duré que quelques millièmes de seconde et, à sa grande surprise, son magnum rencontra le Korth, canon contre canon. Ryô grimaça, l’ordure qu’il avait face à lui était diablement rapide, et avait réagi aussi vite que lui, répondant du tac au tac, le mettant également en joue. Il releva un sourcil et plongea son regard dans le tain impénétrable des lunettes.  

 

- Elle et moi, ça dépasse largement tout ça, concéda l’homme aux prunelles sombres de haine dont la langue avait besoin de se dégourdir et la rage d’exulter. Ta cervelle de moineau, qui tapissera bientôt les murs de cet entrepôt, est incapable de comprendre, d’imaginer, de concevoir ce qu’elle représente pour moi. S’il s’avère que tu lui as fait quoique ce soit, que tu as osé la toucher, je te poursuivrais jusqu’en enfer. Je pourrirais jusqu’à ta damnation et ferais regretter à ton âme d’avoir gagné l’éternité.  

 

Le cœur de Keiji explosa en mille morceaux sous le choc de l’aveu de l’ennemi abhorré. Il n’avait pourtant attendu que cela, cette déclaration n’était guère surprenante, elle avait été espérée même, révélation tardive pour celui qui la prononcerait. Depuis le début, il ne faisait que pousser le nettoyeur dans ses retranchements, l’acculant pour qu’il reconnaisse enfin ses sentiments, sa faiblesse. Et là, alors qu’il touchait au but, cette tirade... Quel goût amer ! Ecœurant !  

 

La victoire aurait-elle un goût de défaite ?  

 

Il déglutit, souhaitant repousser la saveur désagréable dans les tréfonds de son estomac, là où elle retrouverait toutes les douleurs qu’il n’avait pas encore digérées et qui, dès que l’occasion se présentait, se rappelaient à son bon souvenir.  

 

Nausées insupportables.  

 

Il reprit le contrôle de son diaphragme, condamnant l’accès à sa bouche, et entreprit de reprendre en main la situation.  

 

- Les hommes derrière l’entrepôt ont une arme pointée sur la tempe de ta cliente et de ta partenaire. Ils ont pour consigne de tirer au premier coup de feu échangé dans l’entrepôt. Nous n’allons pas les sacrifier maintenant, on est d’accord ? S’obligea-t-il à dire.  

 

Ryô fronça les sourcils. Il savait pertinemment qu’il y avait deux hommes en plus de Chizu et de Kaori, à l’extérieur de l’entrepôt. Il les sentait d’une fébrilité inquiétante, les respirations étaient irrégulières, les souffles courts. Mais il savait aussi que l’objectif du chien qui se trouvait à quelques mètres de lui n’était pas d’abattre les deux jeunes femmes. Les évènements successifs depuis le début de cette affaire en attestaient. Non. Elles ne craignaient rien. Cependant, avant d’agir, il fallait qu’il les extraie de l’emprise de ces autres qu’il ne cernait pas encore, qu’elles le rejoignent dans le hangar, là où il pourrait, à nouveau, les protéger sans réserve.  

 

- Que veux-tu ?  

 

- C’est très simple Saeba. Je veux te combattre. Mais je sais à quel point tu es… efficace, une arme à la main. Je veux donc égaliser les chances par quelques, comment dire ? Règles du jeu.  

 

- Qui sont ?  

 

- Je disais donc tout à l’heure, reprit-il en feignant un plaisir enfantin, que j’avais déshabillé ta douce partenaire ici-même. Et quelque part, je vais faire la même chose avec toi… Vois-tu, moi, je ne possède que mon arme : celle-ci. Et, si j’ai bien tout suivi de ce qui s’est passé avant que tu n’accèdes à cet entrepôt, tu as un avantage certain sur moi. Cela n’est pas très juste, reconnais-le ! Je te propose donc que nous gardions chacun notre arme de prédilection et que nous abandonnions les autres ici. Personnellement, je n’ai rien d’autre… Conclut-il en désignant le Korth qui prolongeait son bras.  

 

 

Ryô sourcilla, la requête ne semblait pas excessive mais son sixième sens lui criait de se méfier de ce drôle d’énergumène. Il lâcha pourtant sur le sol pistolet mitrailleur et grenades.  

 

Keiji les admira et sourit :  

 

- Bien, tu collabores… Continue.  

 

- Quoi ?  

 

- Ecarte les pans de ta veste !  

 

Ryô s’exécuta, presque avec plaisir. Rien.  

 

- L’autre pistolet Saeba. L’autre ! Je ne suis pas sourd, j’ai bien entendu le son de deux revolvers différents.  

 

Cette fois, le nettoyeur dévisagea son interlocuteur et grimaça de contrariété. Il aurait voulu garder cette autre arme, la dernière qu’il lui restait et que le ravisseur lui réclamait. Le jeu commençait à lui déplaire sérieusement, et les aptitudes de la casquette n’étaient plus à prouver, que ce soit son adresse au tir, ses facultés à lui échapper, à se cacher dans cette ville qui lui appartenait, le défiant ouvertement. Avec succès. Cet homme méritait une leçon, une défaite cuisante et humiliante, d’être écrasé comme le minable petit insecte qu’il était. Mais collaborer ne faisait pas partie des habitudes du nettoyeur, non, absolument pas. Pourtant il sentait le danger, étrangement, désagréablement. Jusque là, on aurait pu qualifier la confrontation de « bon enfant », mais il ne fallait pas être dupe, et aucun des deux hommes ne l’était, ils savaient au contraire que la tension ne cessait de croître, les entraînant inexorablement vers une issue fatale pour l’un d’eux.  

 

Avec une certaine réticence, Ryô obtempéra, espérant silencieusement faire le bon choix, car, même s’il faisait démesurément confiance à son python, le doute le taraudait sur ce qu’il allait devoir affronter.  

 

Il alla chercher le pistolet à un endroit que nul n’aurait pu deviner et le jeta sur le sol.  

 

- Pantalon, précisa à nouveau Keiji, tout sourire devant l’imagination imprévisible de son ennemi, et désignant les jambes de celui-ci... Après j’en ai fini.  

 

Le japonais ne broncha pas et se débarrassa des couteaux cachés dans les jambes de son pantalon. Pour autant, même s’il restait impassible, cette séance de déshabillage avait échauffé ses nerfs et sa patience, le jeu prenait une tournure qui ne lui plaisait pas.  

 

- Pour qu’on soit réellement à égalité, veux-tu que je me coupe le mokkori ? Demanda-t-il d’un air narquois.  

 

- Tu as raison Saeba, l’humour est aussi une arme redoutable !  

 

Keiji s’approcha de son butin, et entraîna toutes les armes hors de portée du nettoyeur. Ce dernier le regardait avec étonnement mêlé d’agacement. Son python se lovait dans sa main, chatouillant l’index expurgatoire ; il serait si facile, là, de le supprimer, si simple d’éradiquer cette vermine odieuse et méprisable, occupée à éloigner de lui les armes, lui laissant l’occasion de l’abattre, de l’exploser. Mais Ryô savait qu’avec cet homme, façade n’était pas vérité, tout comme lui qui quelques minutes plus tôt avait abdiqué devant les exigences de l’ennemi. Jamais il n’avait baissé la garde, jamais il ne s’était exposé, comme cet autre le faisait à son tour, les muscles bandés au maximum, l’attention démultipliée, la main tendue sur le Korth. Quelle était la nature de cet accord tacite qu’ils respectaient tous deux sans même avoir à l’officialiser ?  

 

Etranges relations que les leurs…  

 

Le kidnappeur recula alors jusqu’au fond de l’entrepôt sans baisser l’arme qu’il garda braquer sur City Hunter.  

 

 

- Vous pouvez venir, cria Keiji à ses complices restés à l’extérieur… Tu dois être impatient de les revoir, dit-il en s’adressant de nouveau à Ryô.  

 

Le nettoyeur ne sourcilla pas malgré le plaisir intense qui réchauffa ses veines à la perspective de retrouver celles qu’il était venu libérer. Il concentra alors toute son attention sur le premier couple qui pénétra dans l’entrepôt : Chizu et un borgne à l’allure teigneuse. Sans ménagement, celui-ci la poussait vers le mur droit du hangar. La cliente, voyant son sauveur, ne put réprimer un sanglot et s’accrocha au regard noir du nettoyeur comme à une bouée de sauvetage. Ce dernier remarqua les tremblements, la nervosité, la peur. Non, plus que la peur. La terreur. Et une irrésistible envie de tous les massacrer l’étreignit. Il sut à cet instant qu’il n’en épargnerait aucun !  

 

- Fais un peu attention à elle ! Intervint Keiji qui ne souhaitait pas que les hostilités commencent immédiatement.  

 

Le borgne prit alors quelques égards, forts maladroits, et soutint la jeune institutrice jusqu’à ce qu’ils atteignent l’extrémité droite du hangar.  

 

Ce fut ensuite au tour de Kaori et de son garde de prendre place dans l’arène. Ils entrèrent. Et une curieuse impression de rideau lourd et feutré qui s’abat dans l’entrepôt envahit chaque protagoniste, le silence s’installa, les gorges se nouèrent alors que le couple mal assorti se dirigeait vers le mur latéral gauche du hangar. Le grand City Hunter serra les dents sous l’assaut de la colère ; il avait immédiatement discerné les marques rougeâtres qui barraient le cou de sa partenaire, les griffes infâmes dépassaient de l’encolure de la tunique, témoignant de la violence subie par son ange. Bien évidemment, les paroles perfides du kidnappeur sur l’allusion à cette blessure envahirent sa mémoire, et d’autres insinuations firent aussitôt écho à l’éclatante révélation. Oui, il devait s’y résoudre : la bouche abhorrée n’avait pas proféré que des mensonges, tout n’était pas qu’affabulations. Il chassa très vite les doutes irraisonnables, les soupçons, indignes de sa partenaire, chemins sur lesquels il était dangereux de s’engager. Il serra les poings, empêcha le sang d’irriguer ses doigts, et s’astreint à occulter toute pensée méprisable qui pourrait empoisonner son duel, et reprit possession de ses moyens. Il se concentra alors sur sa moitié et tenta de comprendre la scène qui allait se dérouler sous ses yeux et qu’il n’avait pas imaginée.  

 

Kaori marchait droite, inexpressive. Rien ne parvint à la sortir de sa torpeur, ni le canon braqué sur sa tempe, ni le bras du garde noué autour de son cou, ni la direction qu’il l’obligea à emprunter, non, son cerveau ne connectait pas, il s’était mis en veille dès lors qu’elle avait pénétré dans l’entrepôt. Bien sûr qu’immédiatement, elle avait aperçu son partenaire, la lumière irradiant autour de lui conférait d’ailleurs à la vision une dimension irréelle, mystique. Mais tout lui semblait lointain, elle évoluait dans un monde sourd et cotonneux, le corps en proie à un vertige étourdissant. Elle ne fut pas sensible à la rage sans égale qui s’échappait du nettoyeur, pas plus qu’à la présence de Keiji. Les deux hommes la suivaient du regard, faisant peser sur les fragiles épaules le poids de la trahison. Et le plaisir ressenti la veille avait maintenant un goût d’adultère. Oh pire que ça ! Elle s’était abandonnée. Abandonnée avec délice, le désir collant entre les cuisses, dans les bras d’un monstre prêt à tout pour tuer l’homme qu’elle aimait depuis si longtemps. Dans les bras d’un être qui avait enlevé et séquestré deux femmes et qui, aujourd’hui, n’avait renoncé à rien, sinon à elle, mettant ses plans à exécution, n’hésitant pas à la mettre en scène. Elle. Celle qu’il avait fait mine de considérer. Feint d’estimer…  

 

Qu’allait-il arriver ?  

 

Elle loua la distance qui la séparait encore de son partenaire et qui, pour quelques instants seulement, lui octroyait un répit inestimable. Dans quelques secondes elle aurait à affronter les prunelles brunes, pénétrantes, celles qui lisaient en elle comme dans un livre ouvert.  

 

Trois secondes… Oui, trois secondes pour s’y préparer.  

 

Elle inspira profondément et sentit l’air frissonner dans sa gorge.  

 

Deux secondes.  

 

Son cœur résonna dans sa cage thoracique jusqu’à la douleur.  

 

« Maîtrise »  

 

« Maîtrise »  

 

Une seconde.  

 

Elle déglutit. Le goût acre de sa salive avait pour ses papilles la saveur de l’infidélité, de la tromperie. Honteuse.  

 

Les iris noir qu’elle rencontra furent comme un électrochoc, et, en une fraction de seconde, le réveil brutal, la gifle mordante, l’arrachèrent aux songes ridicules qu’elle venait de vivre, l’extirpèrent du monde virtuel dans lequel elle s’était enfermée depuis de longs jours et la plongèrent instantanément dans la réalité. Elle écarquilla les yeux, se tourna rapidement, comme elle put, apprécia la scène, comprit la situation… De façon surprenante c’est un regard complice et professionnel qu’elle échangea avec Ryô. Nulle culpabilité, nulle détresse, nul remord ne ternirent l’échange et le sourire tendre qu’ils s’offrirent, parenthèse enchantée des retrouvailles. Pourtant, chacun arbora de nouveau très vite un faciès soucieux, et tenta d’anticiper les évènements douloureux qui s’annonçaient.  

 

Oui, tous deux avaient compris.  

 

Kaori était à l’extrémité droite de la pièce, Chizu à l’extrémité gauche, toutes deux aux mains d’un yakusa, un revolver collé à la tempe, un bras noué autour du cou, les mains liées dans le dos. Quant à Keiji, il était au fond de l’entrepôt, embrassant la pièce du regard, contemplant l’odieux scénario qu’il avait préparé.  

 

- A quoi ça rime ? S’inquiéta le nettoyeur qui ne s’était pas attendu à cela. Tu les menaces ? Tu menaces Kaori ?  

 

Il resta sans réaction quelques instants devant la scène qu’il comprenait maintenant parfaitement. Il avait sous les yeux trois cibles bien distinctes : les filles, collées chacune à un mur latéral, diamétralement opposées, et le ravisseur, seul, en retrait, loin derrière elles. Immédiatement, l’impossibilité de les abattre toutes en même temps l’avait frappée, surtout qu’il devait aussi tenir compte des aptitudes au tir de l’homme qui se dissimulaient derrière ses lunettes et sa casquette.  

 

Une goutte salée coula sur son front, parcourut sa joue et traça un sillon jusqu’à son menton.  

 

- Alors tu comprends Saeba ?  

 

- Tu menaces Kaori ? Répéta-t-il, incrédule.  

 

- Dans quelques minutes, City Hunter ne sera plus, déclama Keiji d’une voix qui trahissait son émotion.  

 

- C’est après moi que tu en as ! Relâche-les ! Fais preuve d’un peu d’honneur…  

 

- Tu es bien mal placé pour me donner des leçons d’honneur Saeba. Et je suis désolé mais c’est moi qui définis les règles.  

 

Le nettoyeur tiqua.  

 

- Alors explique-toi, demanda-t-il.  

 

- Comme tu as pu le constater, il est impossible, même pour toi, Lucky Luke, de te débarrasser en même temps de mes deux amis et de moi. L’idée, et tu l’auras compris, c’est de t’obliger à faire un choix. Un terrible choix, Saeba. Au même moment, mes deux complices appuieront sur la gâchette, explosant les jolies têtes de ces deux femmes.  

 

Un sanglot déchirant emplit l’entrepôt et le borgne redressa Chizu, effondrée.  

 

- Je suis désolé Mademoiselle Makame, intervint Keiji en s’adressant à l’infirmière.  

 

Ryô resta sans voix. Ses méninges ne cessaient de ressasser tous les indices glanés, envisageaient tous les scénarios possibles, il lui fallait se décider à agir. Vite ! Il fronça les sourcils, plissa les yeux et regarda Kaori, au moment même où le ravisseur reprit sa tirade.  

 

- Tu as fort à faire Saeba. Tu peux essayer de sauver ta cliente, sauver City Hunter. Si Chizu meurt, tu perds toute crédibilité, tu ne vaux plus rien et tu le sais. Des dizaines de succès te forgent une réputation d’invincibilité, de « meilleur nettoyeur du monde », un seul échec et tout s’écroule. Tu le sais n’est-ce pas ?  

 

- Pourquoi me hais-tu ainsi ?  

 

- Mais sauver Chizu demanderait un sacrifice encore plus grand Saeba. Auquel tu ne peux te résoudre ! Perdre la femme de ta vie… Kaori…, poursuivit Keiji qui lutta pour maîtriser le timbre de sa voix. Sans elle…  

 

- Non…, murmura la nettoyeuse, mais de façon suffisamment audible pour que tout l’auditoire l’entende.  

 

Ses yeux s’étaient embués de larmes, qui serpentaient maintenant sur ses joues, se frayant un chemin jusqu’au bras d’acier qui resserra son étreinte en représailles de la tentative d’expression.  

 

Le regard de Ryô s’embruma de rage, ses iris noircirent, mais il s’emmura dans le silence absolu, attendant avec concentration la suite des explications, la main crispée sur son python au point de ne faire qu’un avec son arme. Les battements de son cœur avaient ralenti et sa poitrine s’était raidie, accompagnant tout son corps dans une parfaite immobilité. A ce moment, il pesait une tonne, ses membres étaient plus lourds que le plomb, ses épaules contractées, le crâne appesanti par toutes les idées qui le traversaient.  

 

- Restez calme Madame Saeba, lança Keiji à l’attention de la nettoyeuse qui ferma les yeux à l’écoute du conseil, chassant ainsi les larmes qui étaient entrain de naître. Evidemment City Hunter, reprit-il en considérant le nettoyeur, je rends ta tâche plus ardue car, si tu penses pouvoir sauver une de ces charmantes créatures, mes complices et moi pensons que je serai capable de t’abattre avant même que tu ne puisses atteindre une cible. « Mission impossible » pour toi, on dirait. Mais peut-être es-tu capable de nous surprendre ? On peut tout attendre du grand City Hunter, non ?  

 

Keiji jubilait. Il touchait au but. Cependant les spasmes qui secouaient maintenant le corps serré contre celui du garde le torturaient à en crever. Cette épreuve était certainement la pire de toute sa vie, elle devait le haïr monstrueusement, et se haïr aussi, probablement. Il serra les dents, tenta d’endormir ses doutes et ses angoisses et s’apprêta à entamer le dernier round… Quand tout s’emballa…  

 

Le temps suspendit son vol. Déstabilisa Keiji.  

 

- PUTAIN SAEBA, J’AVAIS DIT…  

 

Les deux gardes virent avec effroi le bras armé du nettoyeur se lever et mettre en joue l’un d’entre eux. Ils ne sentirent pas dans leurs dos la réaction de leur chef qui dans un mouvement souple et d’une rapidité déconcertante répondit avec la même hargne, mais ils espérèrent que celui en qui ils avaient placé plus que leurs confiances, leurs vies, allait terrasser le mythe exterminateur qui leur faisait face.  

 

Cela n’avait duré que quelques millièmes de secondes, Ryô avait profité du chaos causé par l’arrivée de la voiture de Saeko et par les présences perceptibles de l’inspectrice et de son ancien acolyte, perturbantes pour les trois yakusas. Hélas, ce sont quatre bruits distincts de chiens qui s’arment qui tintèrent désagréablement à ses oreilles. Et la peur, terrible, monstrueuse, indescriptible, enserra son cœur et déchira ses entrailles au moment même où la balle libératrice fusa de son canon.  

 

 

**********************************  

 

La route avait paru interminable ; le pied collé au plancher, Saeko avait ressassé tous les évènements depuis le début de l’affaire. Elle s’en voulait terriblement d’y avoir mêlé ses amis, d’avoir encore une fois mis leurs vies dans la balance. C’était choisir la facilité que d’en appeler à City Hunter pour palier ses insuffisances professionnelles, elle en avait bien conscience, et le blond qui se trouvait à ses côtés dans la Porsche, symbole de sa vanité démesurée, le savait également et lui en tenait rigueur. Plus que quiconque. Il n’avait d’ailleurs pas desserré les dents du trajet et gardait les traits fermés, impénétrables, guettant avec appréhension les dédales de la zone d’activité.  

 

Ils parvinrent enfin à destination. Précipitamment ils s’extirpèrent de la luxueuse voiture et restèrent sans voix devant le spectacle d’une désolation sans nom. De nombreux cadavres jonchaient le sol et l’odeur âcre de la mort suintait partout, trouvant sa source dans la chaleur du sang qui coulait dans la poussière grise du béton. Si Saeko resta tétanisée devant la vision cauchemardesque, Mick se retourna immédiatement vers l’entrepôt, il y perçut avec soulagement les auras saines et sauves de leurs amis. Pour autant, le soulagement fut de brève durée, la tension palpable, l’angoisse titanesque, qui émanaient de son ancien partenaire lui donnèrent la chair de poule. Il eut peur. Saeko aussi sortit de sa macabre contemplation pour se tourner vers le hangar, interpelée par la présence glaciale du nettoyeur. C’est alors que les coups de feu crevèrent le silence environnant. Oui, trois détonations, successives, couvertes par un hurlement féminin, à déchirer les tympans, éclatèrent dans l’entrepôt. Pris de vertige et de tremblements, Mick se mit à courir vers l’entrée maudite :  

 

- KAORI, hurla-t-il.  

 

 

 

 

 


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