Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 23 chapitres

Publiée: 02-03-11

Mise à jour: 19-07-22

 

Commentaires: 159 reviews

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GeneralDrame

 

Résumé: City Hunter n’existe plus. Après avoir accepté une mission, Kaori rencontre un homme qui veut détruire City Hunter et qui y réussit. Qui est cet homme ? Que veut-il à Ryo ? Comment réagit Kaori ? Pourquoi Ryo perd-il son ange ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Le vent", excepté celui de Keiji, sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Le personnage de Keiji m'appartient exclusivement.

 

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   Fanfiction :: Le vent

 

Chapitre 19 :: L'autre versant de l'histoire

Publiée: 30-06-15 - Mise à jour: 30-06-15

Commentaires: Ah qui l'eut cru? Quelques inconditionnelles m'ont mis la pression pour que je reprenne l'écriture de cette fic. Pas simple quand on a vraiment lâché prise. Mais bon, j'ai repris le chemin du clavier et ai tenté de me réapproprier les personnalités développées dans cette histoire. J'ai quelque peu changé des choses. Pour information, j'ai mis à jour les chapitres 2, 3, 4 , 6 (oui, il manque le 5, je m'y plongerai bientôt). Je conseille la lecture du 4 pour comprendre le 19. Le 6 a pas mal changé aussi. N'y voyez aucune mauvaise intention, j'ai juste changé l'ordre des évènements par rapport à ma progression initiale et c'est comme ça que j'ai réussi à reprendre contact avec mes personnages. Ce chapitre est le dernier avant celui qui est central (clin d'oeil à Ally). C'est donc ces chapitres que je n'aime pas où il ne se passe rien de vraiment soufflant. Bon, j'espère que vous aimerez quand même pour ceux qui ont le courage de continuer la lecture. Pas simple après tant de temps!!! Bonne lecture et à bientôt.

 


Chapitre: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23


 

L’autre versant de l’histoire
 

 

 

La vie de Kaori ressemblait à des montagnes russes. Tantôt elle était la proie d’une mélancolie sans nom, incapable d’échapper à une cuisante culpabilité. Des termes durs et crus s’imposaient alors à son esprit : tromperie, veulerie, pathétique ignominie. Tantôt, des éclairs de lucidité l’assaillaient. Elle n’avait rien commis d’irréparable ou de foncièrement mauvais. Certainement pouvait-on lui reprocher son manque de discernement, de s’être entichée d’un ignoble individu, odieux manipulateur. Mais il n’y avait qu’à sa naïveté qu’il fallait en vouloir, à sa sempiternelle confiance en la nature humaine. Elle n’avait pas su voir. Voilà tout ce qu’on pouvait lui opposer : son aveugle obstination à se rapprocher d’un criminel qui n’avait alors eu comme dessein que de nuire à Ryô. Elle n’avait été qu’un instrument entre ses mains. Elle aussi était victime !  

Mais la réalité était plus complexe et Kaori ne parvenait pas à se tromper elle-même. Ses pires erreurs ne résidaient pas en ces baisers humides abandonnés dans le parc, ni au plaisir entrevu, cette révélation intense. Non, ses erreurs concernaient le cri dans l’entrepôt, uniquement destiné à troubler son partenaire, la peur vissée aux entrailles qu’il ne parvînt à atteindre son geôlier ; sa faute était aussi cette volonté farouche et obstinée de protéger Keiji, envers et contre tous. Cette crainte qu’on ne le retrouvât, qu’on lui fît du mal ; encore aujourd’hui alors que l’emprise sur elle n’était plus que mentale. Et cette crainte l’amenait à tromper son entourage, à s’enfoncer toujours plus dans les mensonges inextricables, à cacher ce qu’elle avait vécu, ressenti, à nier l’évidence que tout un chacun pressentait : elle connaissait son geôlier bien plus qu’elle ne voulait le reconnaître. Keiji l’avait épargnée. Aussi incroyable que cela avait été, Keiji l’avait épargnée. Et tous le savaient et, de droit, s’en interrogeaient.  

 

Et il y avait aussi la terreur, folle et monstrueuse, que son vrai visage n’apparaisse au grand jour, qu’elle perde de cette superbe dans laquelle tout un chacun l’enfermait. La douce Kaori… La vertueuse… La généreuse… La loyale…  

Un frisson la parcourut au souvenir du téléphone planqué sous son matelas. Il n’était question que de temps avant que tout cela ne la rattrape ; elle ne pouvait en être dupe ; elle le savait. Une question de jours, d’heures peut-être ; et Ryô découvrirait que son ange avait trahi. Elle ne pourrait pas assumer ! Non, elle ne pourrait pas les affronter, ces regards déçus, regards auxquels elle tenait tant. Et cette faiblesse-là était la pire de toutes. Une honte abjecte, d’une telle petitesse qu’elle lui filait la nausée. Il n’y avait que sa destinée, l’image qu’elle renvoyait aux autres qui la préoccupaient vraiment. La perte de ce statut qui lui pesait tant mais auquel elle était plus attachée qu’elle ne croyait. Oui, sa destitution annoncée la terrorisait. Et cette misérable considération, cette crainte qui ne concernait qu’elle, cet égocentrisme nauséabond ne faisaient qu’accroître le dégoût qu’elle avait d’elle-même !  

Perdue, elle était perdue. Incapable de réfléchir, de réagir, de prendre les bonnes décisions. La clairvoyance l’avait abandonnée. Sa seule certitude : elle allait devoir affronter des bouleversements douloureux… De cela, hélas, elle n’avait aucun doute…  

 

Elle étouffa un sanglot et posa la main sur sa poche. Là se trouvait la mini cassette que lui avait confiée Ryô.  

 

« Voilà toutes nos conversations. Il te faut les écouter pour que tu connaisses l’autre versant de l’histoire. » lui avait-il simplement dit.  

 

L’autre versant de l’histoire... Etait-ce aussi simple ?  

 

Kaori n’avait pas encore eu le courage d’écouter la cassette. Cette écoute bouleverserait certainement à nouveau sa perception de Keiji. Peut-être balaierait-elle toutes les circonstances atténuantes qu’elle lui trouvait encore ; inconsciemment et stupidement. Peut-être s’admonesterait-elle davantage en découvrant toutes les informations qu’elle lui avait livrées involontairement. Pauvre gourde.  

En substance, elle connaissait déjà de quoi il retournait. Ses amis, Ryô, lui avaient révélé ces coups de téléphone odieux ; on les lui avait racontés, un peu détaillés. Mais entendre la voix de celui auquel elle avait été prête à succomber, celui avec qui elle s’était intimement mêlée était, aujourd’hui encore, au-dessus de ses forces.  

 

L’autre versant de l’histoire…  

 

Ryô changeait de tactique. Kaori en avait conscience. Son partenaire la connaissait trop bien pour ne pas comprendre que de sombres tourments l’accablaient en profondeur ; il ne pouvait ignorer qu’il s’agissait de sa détention, de ses rapports à son geôlier, de ce qu’elle avait pu partager avec lui. Il le pressentait. Il n’était qu’instinct. Indéniablement, il devait pressentir.  

Aussi, en lui livrant les affres qu’il avait vécues pendant le temps de l’enlèvement, au travers de ces enregistrements, il espérait en retour avoir lui aussi accès à l’autre versant de l’histoire. A cette étrange relation qui s’était nouée entre sa partenaire et l’odieuse casquette. Il attendait qu’elle lui fasse à nouveau confiance, qu’elle redevienne la petite fille lisible qu’elle avait toujours été pour lui. Mais jusqu’où pouvait-elle se confier ? Jusqu’où était-il prêt à l’entendre ?  

Kaori grimaça et émit un cri de douleur. Elle venait de se couper avec un couteau alors qu’elle faisait la vaisselle. « Etourdie ! » se gronda-t-elle tout en contemplant le liquide vermillon s’écouler de son doigt. Mais elle haussa les épaules, pressa l’index endolori contre un torchon et reprit le cours de sa vaisselle et de ses pensées.  

 

Oui, Ryô changeait de tactique. Il ne la cuisinait plus, avait cessé de rebondir à chacune de ses paroles tendancieuses, ne la sondait plus du regard, espérant entrapercevoir le secret qu’elle couvait avec tant de peine. Et aujourd’hui même, il lui avait fait un cadeau inestimable ; il l’avait laissée sortir seule, sans la suivre, jusqu’au Cat’s. Elle n’y était restée que dix minutes, ne trouvant que trop peu de discussions à entamer avec sa meilleure amie. Mais le test avait été concluant. Ryô se faisait certainement une violence inouïe mais daignait à nouveau la laisser seule. C’était miraculeux et… étrange ! Tellement étrange ! Mais tellement généreux de sa part aussi. Et cela ouvrait de nouvelles perspectives, comme l’opportunité de retrouver cet indic qui menaçait son équilibre avec ce qu’il avait cru voir dans ce parc.  

Ce n’était qu’une interprétation… une mauvaise interprétation. La scène était bien plus complexe qu’il n’y paraissait. Alors que Keiji et elle étaient surpris, elle n’avait pas conscience de tout. Il lui manquait l’autre versant de l’histoire ! Elle ignorait tout à ce moment-là.  

 

La vaisselle était finie. Kaori soupira longuement et s’essuya les mains. Elle contempla son index. Maintenant que l’eau ne circonscrivait plus le sang, celui-ci redoublait d’ardeur à s’enfuir de son doigt.  

 

— Il te faut un pansement.  

 

La voix chaude et bienveillante de Ryô teinta douloureusement aux oreilles de la traîtresse. Elle tourna la tête vers lui, prit conscience de l’effet qu’il avait encore sur elle : son vieux tee-shirt, son jean usé, ses cheveux en bataille, son regard acier. N’éprouvait-elle vraiment plus rien pour lui ?  

Après s’être approché d’elle le sourire aux lèvres, il s’empara de la main blessée pour la porter à sa bouche. Sans laisser deviner qu’il y avait préméditation, comme s’il eut été possible de croire qu’il n’y avait là aucun étonnement à en retirer, il goba l’index, le suçota tendrement.  

Kaori en perdit le souffle, surprise de l’audace de celui qui semblait enclin, depuis son retour, à un rapprochement… Le mot lui manqua, elle fronça les sourcils. « Un rapprochement sulfureux »… « amoureux »… « érotique ». Un rapprochement quoi qu’il en soit.  

Le ventre féminin se contracta délicieusement alors que Ryô aspirait doucement le sang.  

 

— Ryô, balbutia-t-elle bêtement, le doigt planté dans la bouche de son partenaire.  

 

Oui, Ryô changeait de tactique.  

 

Qu’en était-il de ce moment si intense qu’ils avaient vécu cette nuit ? Cet érotisme latent, ce baiser qu’elle avait été si proche de lui accorder. C’eut été abominable si, après s’être ainsi salie auprès de Keiji, elle en venait à cueillir ce qu’elle avait toujours espéré auprès de Ryô.  

 

« Retire ton doigt ! » hurla sa conscience.  

Mais Kaori n’en fit rien et accepta rougissante l’attention de son partenaire. Ryô sourit, heureux de voir qu’elle ne le fuyait pas totalement. La déroute de la nuit avait été sévère mais, après réflexion, il se devait de comprendre que tant qu’il n’en apprendrait pas plus sur ce qu’elle avait vécu durant sa détention, elle serait dans l’incapacité de réellement accepter ce qui était maintenant son intention : se rapprocher d’elle, accepter ses sentiments.  

 

Il enroula le pansement sur le doigt blessé et affronta le regard étonné de sa partenaire.  

 

— Quoi ?  

 

— Depuis quand tu prends soin de moi ?  

 

La question était si directe que l’un et l’autre furent surpris de l’effronterie de Kaori. Ils en restèrent coi de longues secondes. Puis Ryô se rembrunit.  

 

— Il me semble au contraire que je n’ai jamais cessé de prendre soin de toi… Si tu fais allusion au fait que je ne t’ai pas sauvée…  

 

— Non, l’interrompit-elle avec empressement, désireuse de ne pas s’aventurer sur un terrain glissant. Non ! Je voulais juste dire qu’il est rare que tu prennes soin de moi… comme ça.  

 

Elle montra son doigt coiffé. Le regard du nettoyeur s’éclaira ; il fallait être rudement con pour toujours tout ramener à cet horrible épisode du hangar. Il plongea dans les yeux noisette de sa partenaire et, dans cet échange, elle puisa le courage nécessaire pour le rassurer définitivement concernant ce qu’elle savait être sa culpabilité à lui.  

 

— Tu as pris la meilleure décision qui soit Ryô ! Si tu avais choisi une autre option, Chizu et toi seriez morts à l’heure qu’il est.  

 

— Si je m’étais trompé Sugar, murmura-t-il.  

 

— Tu ne t’es pas trompé.  

 

Et tout en disant cela, elle se cala dans les bras de son partenaire qui l’accueillit avec tendresse. Il glissa les doigts dans sa chevelure et y déposa un baiser furtif.  

 

— Je ne comprends pas ce qui s’est passé, lança-t-elle comme pour s’excuser. Je ne comprends pas. Peut-être ne saurons-nous jamais ?  

 

Ryô l’enlaça un peu plus fort. Il aimait lorsqu’elle avouait son incompréhension de l’histoire ; cela le rassurait extraordinairement. L’accent de sincérité qui perlait dans sa voix anéantissait tous les doutes qu’il avait fomentés à son sujet. Et l’histoire n’en devenait que plus complexe encore. Mais peu lui importait cette complexité dès lors que Kaori n’en était pas éclaboussée.  

 

— Merci, souffla-t-elle.  

 

Il rit doucement et les soubresauts de sa poitrine résonnèrent dans le crane de celle qui s’abandonnait contre lui.  

 

— Pour ton doigt ?  

 

— Non… Pour la confiance…  

 

Il lui leva le menton afin qu’elle le regardât dans les yeux. Un large sourire illumina les prunelles féminines lorsqu’elles se posèrent sur le visage avenant du nettoyeur.  

 

— J’ai pu me rendre au Cat’s… seule. Tu as donc confiance en moi.  

 

— Je sais que tu sauras te défendre Kaori. Et je ne pense pas que tu craignes quoi que ce soit ! Il doit se terrer dans un bas-fond putride à l’heure qu’il est.  

 

— Tu n’as pas demandé à Mick de me suivre ?  

 

Ryô fronça les sourcils.  

 

— Bien sûr que si !  

 

Il mentait. Et ce mensonge avait un goût délicieux.  

 

— Je…, il hésita. Je me dois d’écouter mon instinct. Nous devons reprendre une vie normale ; tu en as besoin. Et rester cloitré ici ne donnera rien.  

 

— Il y a autre chose. Dis-moi, osa-t-elle.  

 

— Oui, avoua-t-il. C’est à moi qu’il en veut. Il a déjà montré qu’il n’en avait pas après toi. Sans même que nous ayons besoin d’échanger cette ordure et moi, je sais que les règles ont changé. C’est moi sa cible ; je suis convaincu que tout danger pour toi a disparu. Et c’est peut-être même être avec moi qui pourrait t’exposer. Evitons de tenter le diable, non ?  

 

Il haussa les épaules alors qu’elle n’avait pas perdu une miette de son raisonnement ; frémissant à l’idée des conséquences s’il s’avérait que Keiji s’en prenne effectivement de nouveau à Ryô.  

 

— Peut-être n’entendrons-nous plus jamais parler de lui ? espéra-t-elle à haute voix. Il n’y a certainement plus de cible.  

 

Kaori sentit le corps de son partenaire se durcir sous son étreinte à la perspective qu’elle venait d’envisager. Ryô colla son front à celui de la nettoyeuse.  

 

— Ca, c’est hors de question, asséna-t-il sèchement. Il ne s’en tirera pas à si bon compte. Je vais reprendre la traque. Sans relâche. Sans la crainte qu’il ne vous arrive quoi que ce soit cette fois ; à toi ou à Chizu. Ce sera homme contre homme.  

 

Une colère contenue avait conquis ses traits. Kaori l’écoutait sans souffle ; toute expression avait quitté le regard noisette. Dans les bras de son partenaire, la jeune femme pouvait ressentir la rage qui le consumait ; celle-ci traversait le tissu du t-shirt élimé, imbibait le débardeur qu’elle portait et brûlait jusqu’à sa peau. Une morsure si douloureuse.  

Non !  

Et pourtant, elle ne pouvait que reconnaître que cette rage, cette haine, étaient semblables à celles que développait Keiji à l’encontre de Ryô. Oui, ces paroles faisaient étrangement écho à celles de son geôlier tandis, qu’alors, il était question du nettoyeur japonais.  

Elle se mordit la lèvre inférieure. Fort. Elle mourait d’envie de questionner son partenaire. Quels pouvaient bien être les griefs de Keiji ? N’avait-il pas souvenir d’une certaine Hana ? D’une histoire qui se serait mal finie avec Hide ? Mais elle s’en garda bien ; elle ne s’en exposerait que davantage. Et de cela, aujourd’hui, alors qu’elle se sentait toujours très faible, elle n’en avait pas le courage.  

 

— Serre-moi fort, supplia-t-elle.  

 

Et tandis que Ryô s’exécutait, l’enveloppait d’un chaud réconfort, son esprit s’envola vers les yeux dorés qui avaient enflammé son cœur plus que de raison.  

L’autre versant de l’histoire.  

 

***
 

 

Attablés dans un bar de la capitale japonaise, deux hommes, soucieux d’être discrets, discutaient. Tous deux avaient sensiblement le même âge, la même allure et une certaine complicité les unissait ; cela se devinait aux regards francs qu’ils échangeaient, à leurs postures engagées l’un envers l’autre. Mais leurs traits étaient très dissemblables : anguleux et dysharmoniques pour l’un, réguliers et fins pour l’autre.  

 

— Les yakusas sont en ébullition à Tokyo. City Hunter et sa bande continuent de leur mettre la pression pour nous retrouver. Et je ne parle pas de la police…  

 

— Je sais, répondit calmement son vis-à-vis. Il est temps pour toi de disparaître.  

 

— C’est ce que je compte faire Keiji. Je pars ce soir.  

 

— Où vas-tu ?  

 

L’homme à la mâchoire carrée sonda le regard de son ami mais ne prononça pas un mot.  

Keiji sourit.  

 

— Non tu as raison, ne dis rien, se reprit-il. Il faut rester prudent.  

 

L’homme habituellement coiffé d’une casquette comprenait fort bien cette prudence ; c’était d’ailleurs une des plus grandes qualités de celui qui lui faisait face ; celle-ci avait d’ailleurs été déterminante dans toute l’affaire qui les avait unis durant les dernières semaines. Etait-ce cette réserve qui, aujourd’hui encore, alors que la défaite devait être aussi mordante pour lui, empêchait Danno de le questionner sur les raisons profondes de la déroute ?  

Danno se pencha en avant, s’accouda sur la table qui les séparait afin de réduire davantage la distance qui les séparait.  

 

— A l’heure qu’il est Keiji, ils ont peut-être découvert l’endroit où on a gardé les filles ; c’est truffé d’empreintes, des tiennes, des miennes. Il ne leur faudra que peu de temps pour nous couper toute possibilité de repli et on sera fait comme des rats. Viens avec moi ce soir ! Quittons ce pays qui n’a plus rien à nous offrir !  

 

L’intéressé ne parut pas tenté le moins du monde ; il secoua négativement la tête et croisa les bras sur sa poitrine, affichant clairement un refus réfléchi qui ne saurait être infléchi.  

Bien sûr qu’il y avait gros à parier que Kaori les avait menés jusqu’à leur repaire, elle connaissait parfaitement le chemin ; il n’avait pas cherché à le lui cacher lors du retour de leur escapade. Mais aussi incroyable qu’il soit, il s’accrochait au mince espoir que la jeune femme n’avait pas divulgué ce secret… C’était un étrange pressentiment… une connexion pas encore interrompue entre elle et lui… Intangible et inexplicable… Enfin, il ne savait pas… Mais pour le moment, aucun nom ne circulait en ville ; il était toujours incognito. Et cela était bien entendu du meilleur présage pour lui ; même s’il ignorait encore le sens qu’il souhaitait donner à ce présage.  

 

— Que comptes-tu faire ?  

 

L’éclair qui zébra les prunelles dorées n’échappa pas à Danno, même dans la lumière feutrée du bar.  

 

— Je vais user de la même discrétion que toi Danno, répondit Keiji, un petit sourire accroché aux lèvres. Je ne peux pas quitter le Japon dans l’immédiat, j’ai… une histoire à terminer. Mais cette fois, j’agirai seul ; complètement seul.  

 

— Tu vas t’en prendre une nouvelle fois à Saeba ? A sa partenaire ?  

 

Une serveuse vint les interrompre. Elle posa deux bières sur la table assez gauchement pour attirer l’attention des compères. Ils levèrent les yeux dans le même élan. La jeune serveuse souriait niaisement à Keiji qui lui rendit son sourire et lui tendit de la monnaie. Elle le remercia et s’éloigna non sans lui avoir souri mielleusement une nouvelle fois.  

 

— Tu as de quoi t’amuser ce soir si tu veux, plaisanta Danno.  

 

— Je pense même qu’on pourrait s’amuser à deux, répondit Keiji, riant franchement à la perspective qui aurait pu lui paraître réjouissante il n’y avait pas si longtemps de cela.  

 

Ils rirent ensemble et jetèrent un œil à la serveuse qui ne sut si elle devait être flattée ou fâchée de la bonne humeur masculine. Elle prit le parti d’en rire aussi. Au loin. Et les esprits de s’apaiser quelques instants. Quelques instants seulement car l’homme à la mâchoire carrée souhaitait reprendre la conversation là où elle s’était arrêtée.  

 

— Il ne faut plus s’approcher de City Hunter. On a failli s’y casser les dents. Elle, c’est lui. Et lui, c’est elle. Je sais pas – et j’ai pas envie de savoir – ce qu’il y a eu exactement entre vous, ce qui fait que le plan n’a pas marché comme c’était prévu. Mais le seul conseil que je peux te donner c’est de t’éloigner le plus possible de Saeba.  

 

Danno avait le regard grave, il fouilla sa poche et en sortit une feuille de papier qu’il tendit à Keiji. Ce dernier s’en saisit et reconnut très vite le document écrit de sa propre main. Une liste de vingt-trois noms.  

 

— Saeba était le dernier Keiji !  

 

— Je sais.  

 

Sa voix n’était qu’un murmure, trahissant l’émotion qui l’envahissait en cet instant.  

 

— Echouer si près du but…  

 

— Je ne considère pas ça comme un échec, osa Danno. Saeba n’est peut-être pas mort, mais tu ne l’es pas non plus.  

 

Keiji leva les yeux du papier pour regarder son compagnon d’infortune. Alors que celui-ci souhaitait le réconforter en l’amenant à reconnaître l’étendue de sa victoire, vingt-deux sur vingt-trois, il ne faisait en fait que réactiver sa soif de vengeance, cette vague qui s’écrasait contre lui, puissante et destructrice. Vague contre laquelle sa volonté ne pouvait rien, se brisait sans cesse. Il perdait pied, perdait souffle, se noyait, …  

 

— Peu importe ce muscle qui s’obstine dans ma poitrine, ajouta Keiji en proie à ses tourments inextricables.  

 

— Hana serait heureuse pourtant de te savoir en vie et…  

 

Mais l’homme au visage anguleux se tut devant la main levée en signe de silence imposé.  

 

— Je ne veux pas parler d’Hana.  

 

Danno se mordit la langue. Dès qu’il évoquait la suppliciée, les souvenirs le taraudaient. Il savait tout ce qu’avait enduré l’aînée de son ami. Il avait lui-même été reconnaître le corps à la morgue après l’autopsie, avait pu constater certains dégâts sur ce qu’on lui avait laissé entrapercevoir. Il connaissait les tortures qu’elle avait subies durant sa séquestration. Il savait aussi la douleur de Keiji, son incapacité à la gérer, la culpabilité qu’il ressentait. Oui, Keiji était aussi du côté des coupables en ce qui concernait la mort de sa sœur. Du moins, c’était ainsi qu’il se considérait ; pour des raisons que Danno ignorait encore. Pourtant, malgré son ignorance, il avait toujours soupçonné qu’après que la vengeance fut orchestrée, réussie, que les coupables aient été supprimés méthodiquement par Keiji, un à un, il fallait que le dernier paie à son tour. Le frère aussi devait y perdre la vie ; il était le vingt-quatrième nom de la liste ; écrit à l’encre invisible.  

Mais le sort en avait décidé autrement ; il était vivant.  

 

— Tu as conservé ce papier, remarqua tout haut Keiji, replongeant dans la contemplation de la liste.  

 

— Vingt-deux sont morts.  

 

Le sourire qui avait déserté la face revint pourtant sur les lèvres ourlées du frère tandis que son regard accrochait le vingt-deuxième nom, s’attardant sur les caractères délicatement formés, les boucles et les lignes harmonieuses qu’il avait lui-même tracées. Ce vingt-deuxième coupable n’était pas des moindres ; il était même essentiel. Les conditions d’exécution de l’ordure absolue revinrent en mémoire à Keiji. La facilité qu’il avait eue à transpercer le corps, la frénésie de sa rage et, dans le même temps, la maîtrise des coups qu’il lui avait portés, le supplice paroxysmique qu’il lui avait fait endurer, le plaisir orgasmique qu’il en avait retiré. A ce moment, jamais Keiji n’avait été aussi éloigné de sa nature humaine, il avait perdu pied extraordinairement, aveugle au sang qui jaillissait en gerbes, sourd aux suppliques désespérées. Il avait frappé, frappé, frappé. Frappé encore. Jusqu’à la folie.  

Et pourtant, rien dans la manière dont il avait inscrit le nom de cette raclure, dès sa sortie de prison, sur le papier qu’il tenait en main, ne laissait deviner la haine incommensurable que celle-ci lui inspirait alors.  

Akimoto Makame.  

Le vingt-deuxième nom.  

Akimoto Makame.  

Le frère de Chizu…  

 

— Danno, je te dois tellement, prononça Keiji en relevant le regard vers son ami, reposant la feuille de papier devant lui.  

 

Le japonais au visage anguleux bomba légèrement le torse sous l’effet du compliment. Il n’était pas si fréquent que Keiji s’en fendisse.  

 

— Mon rôle était modeste, répondit le concerné, d’une voix à peine audible.  

 

— Ta modestie t’honore Danno. Mais force est de constater que, sans toi, je n’aurais pas réussi le quart de ce que nous avons accompli ensemble. Sans toi, difficile pour moi d’atteindre Makame en prison ! Tu as sacrifié tellement pour que j’y parvienne, se remémora le brun japonais. Sans toi, impossible de museler ces chiens de yakusas qui nous ont accompagnés contre Saeba. Tu t’es mêlé à eux, tu as gagné leur confiance comme il le fallait. Tu les as gardés à l’œil pendant que j’œuvrais de mon côté. Rien n’a jamais fuité, tu as su faire barrage.  

 

Keiji reprit son souffle ; son regard, reconnaissant, accrocha de nouveau celui de son complice et ami de longue date. Il lui avait tant demandé, tant exigé…  

 

— Et enfin, tu n’as pas failli au pire de ce que je t’avais confié. Tous ! Tu les as tous réduits au silence…  

 

Un frisson ébranla le corps de Danno. C’était bien là le pire qu’il avait eu à faire : exécuter ceux dont il avait gagné la confiance, ceux dont il avait partagé le quotidien des semaines durant et qui le considéraient comme l’un des leurs. Cette requête là de Keiji – qu’il avait comprise : protéger leur fuite, éviter la prison ; une nouvelle fois – l’avait réduit à l’état de monstre. Son ami, qui là le remerciait de toutes les exactions qu’il avait inconditionnellement commises pour lui, avait-il seulement conscience de ce qu’avait représenté pour lui l’ultime étape ? Danno était convaincu que oui. Mais Keiji, aveuglé par sa douleur, entièrement concentré sur sa vengeance, le plan qu’il avait ourdi avec la plus froide des intelligences, n’avait même pas considéré les problèmes de conscience que cela génèrerait chez celui qu’il embarquait avec lui.  

 

— A toi, je dois la vie, prononça solennellement Danno. Et à Hana, je dois mon âme. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour payer mes dettes envers vous. Mais aussi parce que je pense que c’était juste. A aucun moment, l’idée de ne pas te suivre ne m’a effleuré.  

 

Une fois de plus, Keiji grimaça à l’évocation de sa sœur ; mais il se retint de toute remarque. Il savait qu’Hana avait toujours eu à cœur d’extirper les jeunes de leur quartier de la crasse délinquance. Et Danno, au même titre que lui, avait bénéficié de tout l’acharnement dont elle était capable.  

Quelle cruelle ironie du sort ! Que penserait-elle aujourd’hui de ce qu’étaient devenus ces deux protégés ? Leurs exactions dépassaient en horreur tout ce contre quoi elle s’était battue. Et le pire, c’est qu’elle incarnait pour eux le mobile de leurs crimes.  

 

— Je sais tout ça, reconnut Keiji.  

 

Oui, il savait tout cela. Au moment même de sa sortie de prison, alors que son plan avait été dessiné dans les moindres détails et qu’il avait pris conscience que, seul, il ne pouvait agir sur tous les plans, il était allé voir son ancien complice avec la certitude que celui-ci le suivrait aveuglément. Il n’avait pas confié son désarroi, sa souffrance, n’avait pas considéré le sacrifice qu’il exigeait ; il avait juste donné les grandes lignes de sa vengeance, exposé précisément son rôle à Danno, motivé les monstruosités qu’il prévoyait. Froidement. Jamais, ils n’avaient échangé ensemble comme ils le faisaient ce soir ; d’égal à égal. Leur complicité – aujourd’hui ressuscitée – s’était muée en obédience privée de discernement, d’esprit critique. Danno n’avait alors pas le choix.  

Fallait-il voir dans le soudain sursaut de gratitude de Keiji un réveil de sa lucidité ?  

 

Ils discutèrent encore une demi-heure puis vint le temps de la séparation. Sans effusion, les deux amis s’accolèrent ; puis leurs routes divergèrent à jamais. Danno prit le chemin de l’aéroport, Keiji celui de son destin.  

 

***
 

 

 

— Ca va ?  

 

Ryô semblait pensif, ailleurs. Il était rentré d’elle ne savait où, avec un air maussade, celui qui ne signifiait rien qui vaille ; et il s’était directement étalé sur le canapé. Depuis, il n’avait pas bougé, fixait le plafond dans une attitude de profonde réflexion. Kaori avait aussitôt été saisie de terreur. Avait-il compris ? Avait-il vu son indic ? Trouvé une piste ? Découvert Keiji ?  

Elle venait de déglutir, avait pris son courage à deux mains :  

 

— Ca va ? réitéra-t-elle.  

 

— Oui, répondit Ryô sur un ton neutre tout en se mettant en position assise et en la considérant intensément.  

 

Il sourit. Elle respira.  

 

— Viens, l’invita-t-il en tapotant la place à ses côtés.  

 

Elle vint, non sans hésitation, et s’assit auprès de lui. Il avait remarqué le pas timide mais comprenait aisément que sa mine patibulaire n’était guère engageante. La dégaine de Kaori ne l’était pas davantage. Affublée d’un jean trop large pour elle, d’un vieux T-shirt, elle ressemblait à une souillon. Le repos des derniers jours n’avait pas rendu sa couleur à ses joues ni repulpé sa peau. Comment voulait-elle qu’il ne se pose pas de questions la concernant en affichant cette mine défaite ? Le souci semblait peint sur son front.  

 

— Où étais-tu ? s’enquit-elle prudemment.  

 

— Je suis retourné dans l’entrepôt à la recherche de nouveaux indices.  

 

— Et ?  

 

— Rien.  

 

Il la fixait, voulait lire en elle. Elle était mal à l’aise.  

Puis, sans s’expliquer, il kidnappa le bras droit de sa partenaire et le porta à son nez, faisant mine de le renifler. Elle ne put s’empêcher de laisser échapper un gloussement amusé ; à quoi rimait donc ce cinéma ? Elle projeta une nouvelle muflerie et cela la mit en joie.  

 

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle pleine d’une gaie circonspection.  

 

Mais le petit sourire qui gagna les lèvres masculines, sourire non accompagné d’un regard rieur – il l’ignora au contraire – la détourna de ce qu’elle avait d’abord imaginé. Ryô était sérieux.  

 

— J’ai envie de déterminer…, chuchota-t-il, énigmatique.  

 

Mais il ne termina pas sa phrase, ses manœuvres demandant toute sa concentration. Il manipulait le bras avec douceur, presque langueur et faisait voyager ses narines sur la peau tendre de son ange, à la recherche d’une fragrance inconnue. Oui, il était en quête d’une odeur. Il inspirait profondément chaque parcelle de peau rencontrée ; son nez effleurait, sentait, dans une indolente et troublante étreinte. Ses doigts habiles faisaient tourner le bras tout contre le bas de son visage, si près de la bouche, afin de le soumettre à un minutieux inventaire olfactif. La nettoyeuse suivait, stupéfaite, la flânerie emplie d’érotisme de son partenaire. Lui, semblait totalement aspiré par la tâche, ignorait que le bras qu’il caressait avait une propriétaire. Non, Ryô ne considérait pas cet aspect-là. Pas encore. Il sentait sans relâche.  

 

— Je ne trouve pas, confia-t-il. Je ne trouve pas.  

 

— Que cherches-tu ?  

 

Mais il ne répondit pas et persévéra. Jusque dans le cou, il renifla avec avidité. Elle sursauta tandis qu’il visitait le creux de son épaule. Elle s’était attendue à ce que la route qu’il empruntait se poursuivît plus haut mais l’investigation de son cou s’accompagna d’une décharge d’adrénaline des plus embarrassantes pour la nettoyeuse. Son ventre parut se retourner lorsqu’il effleura quelque zone érogène.  

Ryô perçut très bien la tension s’emparer du corps de sa partenaire et cela eut l’effet de le ramener sur les berges solides de la réalité. Seulement à cet instant, il prit conscience de l’équivoque de la situation ; et une excitation s’invita instamment dans ses reins.  

 

Il se repositionna souplement sur le canapé de telle sorte qu’elle fut emprisonnée entre le dossier et son torse, lui collé à elle ; puis il la regarda intensément avant de replonger dans son cou. Etait-il question de désir ? De trouble assurément. Et ce trouble trouvait écho profondément en elle, bouleversait son souffle. Elle s’admonesta de ne pouvoir le dissimuler davantage, désespérée de ne pas savoir maîtriser l’arythmie de son cœur.  

 

— Que cherches-tu Ryô ? demanda-t-elle alors qu’il s’obstinait à dénicher l’effluve secrète.  

 

— Ton odeur ! confirma-t-il à l’intéressée.  

 

Elle rit de l’aveu.  

 

— Et quelle est mon odeur ? persista-t-elle.  

 

— Tu ne sens pas la pomme.  

 

Elle ne fut surprise qu’un instant ; les décharges électriques qui parcouraient son corps importaient bien plus que la recherche incompréhensible de Ryô.  

 

— La pomme ?... Cherche bien Ryô, osa-t-elle. Cherche encore.  

 

C’est que Kaori prenait plaisir à la déambulation dans son cou. Des frissons accompagnaient la flânerie coquine. Ryô maintenait le visage de sa proie avec une main glissée dans sa nuque et ne cessait de s’aventurer plus loin.  

 

— Peut-être devrais-tu goûter ? conseilla-t-elle, carmine. Si je ne sens pas la pomme, je peux en avoir le goût.  

 

Ryô stoppa net sa progression, bien camouflé dans le cou de sa victime. Celle-ci ne sut dire s’il était ravi ou contrarié de la proposition ; elle ne pouvait l’apercevoir. L’hésitation dura quelques secondes.  

Enfin, les lèvres s’entrouvrirent et des dents carnassières vinrent mordre l’épaule. Kaori figea le cri dans sa gorge, ses yeux s’arrondirent tandis que Ryô poursuivait sa torture ; baisant et léchant consciencieusement chaque centimètre carré exploré.  

 

Il l’embrassait. Il l’embrassait comme il l’avait déjà fait mille fois avec d’autres ! Une de ses mains prenait appui sur le canapé tandis que la seconde lui permettait de maintenir fermement son étreinte, posée sur la joue de Kaori. Ainsi, il pouvait la goûter à loisir. Il l’embrassait pour de vrai et cela était absolument divin. Sa respiration se fit inconstante, ses baisers plus intenses dans son cou. Oui, il l’embrassait pour de vrai, avait la claire intention de faire monter l’excitation chez elle, devinait la chair de poule sous ses lèvres. Le désir. Cet obscur objet de convoitise qu’il développait à l’égard de celle qu’il avait toujours jusqu’alors repoussée. Il sourit dans le cou de Kaori. Elle restait figée, n’osait réagir.  

« Quel bouleversement, hein ma chérie ? »  

Il l’embrassait pour de vrai, la croquait, la suçait… mais une ombre l’accompagnait : ce goût de pomme était introuvable.  

Kaori entra enfin en jeu. D’une main timide, elle toucha la chevelure ébène ; osa y introduire ses doigts ; les recroquevilla même. De sorte à griffer le cuir chevelu. Ryô gronda.  

 

— Alors, ai-je le goût de la pomme Ryô ? s’enquit-elle d’une voix alourdie par le désir.  

 

— Non, rauqua-t-il. Rien qui ressemble à la pomme ici.  

 

Il attaqua le menton ; poursuivant inlassablement sa recherche.  

 

— Quelle est donc mon goût alors ?  

 

Elle faisait preuve de témérité ; s’épatait elle-même.  

Ryô rit et l’étirement de ses lèvres se ressentit jusque sur la joue qu’il baisait.  

 

— Tu as le goût que je connais depuis toujours, confia-t-il, étonnamment sincère. Il n’y a ni pomme, ni fruit, ni rien. Tu as le goût de Kaori, l’odeur de Kaori. Tout ce dont je suis pétri.  

 

Il se tut et l’embrassa à nouveau, effleurant la commissure des lèvres frémissantes.  

 

— Je te connais mieux que je ne me connais moi-même.  

 

A cet aveu, la tête de la nettoyeuse se mit à bourdonner ; quoi de plus délicieux que cette confession ? Ses lèvres s’entrouvrirent alors, sa main appuya légèrement sur la joue de Ryô afin que son visage parvînt juste en face du sien. C’était là le signe de l’acceptation. Le nettoyeur n’ouvrit pas les yeux ; non il les garda obstinément fermés, ignorant qu’il était alors dévisagé avec bouleversement. Il se laissa juste guider par la main posée sur sa joue. Le souffle de celle qui créait la tempête dans son cœur lui caressait les lèvres, l’invitait à la goûter entièrement.  

Il obliqua légèrement la tête et les bouches se touchèrent. Un baiser tellement chaste qu’ils en furent surpris, un baiser si sage en comparaison des caresses buccales que Ryô avait prodiguées, voraces et sensuelles, qu’il perdit en réalité. Un évanouissement. Et les cœurs de quitter terre, les âmes de se retrouver.  

 

— Oh Ryô, murmura la japonaise, alanguie dans un profond bien-être.  

 

Les deux visages s’éloignèrent et les prunelles, enfin libérées des paupières, se jaugèrent. Une expiration libératrice vida les poitrines, les sourires s’emmêlèrent. Il était question de bonheur ; plus que de plaisir.  

La main de Ryô quitta son abri pour caresser les cheveux acajou de sa chère partenaire.  

 

— Prenons notre temps tu veux ? Je pense que nous devons apprendre à nous découvrir… autrement.  

 

Kaori haussa les sourcils d’étonnement et de reconnaissance mêlés. Il n’était pas fréquent d’avoir face à elle un Ryô raisonnable ; surtout lorsqu’il s’agissait des plaisirs de la chair. Il venait de lui concéder un baiser tendre et sincère ; une de ces communions qu’elle avait tant espérées et cru ne jamais obtenir. Et là, il n’exigeait rien d’elle, ne précipitait rien. Comprenait-il qu’elle avait besoin d’un temps de décompression ? Encore une fois, elle eut envie de le remercier. Tout semblait si simple et si limpide ; sa culpabilité la quittait ; la sérénité revenait.  

Elle lui offrit alors le plus resplendissant des sourires ; signe d’une osmose parfaite avec sa proposition. Puis il la libéra, s’assit à côté d’elle et l’observa tandis qu’elle se levait.  

 

— Je vais nous préparer un bon repas ? s’enquit-elle joyeuse.  

 

Ryô acquiesça en se contentant d’un sourire. Diable qu’il était fou d’elle lorsqu’elle retrouvait cet entrain enthousiaste !  

Elle s’apprêtait à quitter la pièce lorsque, prise d’une hésitation, elle se retourna vers le mythique City Hunter.  

 

— Ryô ?... Pourquoi la pomme ?  

 

Aussitôt, elle vit les traits qu’elle chérissait tant se rembrunir, les sourcils se contracter. Mais il se reprit immédiatement et se contenta de hausser les épaules.  

 

— Va savoir…  

 

Il aurait voulu lui dire « Tu n’as pas encore écouté la cassette, sugar ! Il te manque l’autre versant de l’histoire. » Mais cette phrase prononcée à ce moment-là, après le délice du partage enfin accepté, eut été une terrible erreur. Elle aurait entaché la communion toute récente, aurait invité « l’autre » à se joindre à eux. Et de cela, il était hors de question !  

 

Elle secoua merveilleusement la tête et ses cheveux s’ébouriffèrent. Ryô ne put alors s’empêcher de constater qu’elle avait dorénavant des manières de femme fatale.  

 

— C’est une drôle d’idée, lança-t-elle dans un rire en tournant les talons.  

 

Le nettoyeur alluma la télé tout en se positionnant dans le canapé comme il aimait : étalé de tout son long. Il n’eut pas à choisir la chaîne, il tomba directement sur une alerte météo pour le lendemain.  

 

Il y avait un avis de tempête sur Tokyo.  

 

 

 


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