Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 23 chapitres

Publiée: 02-03-11

Mise à jour: 19-07-22

 

Commentaires: 159 reviews

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GeneralDrame

 

Résumé: City Hunter n’existe plus. Après avoir accepté une mission, Kaori rencontre un homme qui veut détruire City Hunter et qui y réussit. Qui est cet homme ? Que veut-il à Ryo ? Comment réagit Kaori ? Pourquoi Ryo perd-il son ange ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Le vent", excepté celui de Keiji, sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Le personnage de Keiji m'appartient exclusivement.

 

Astuces & Conseils

Je vais bientôt avoir 18 ans. Est-ce que je peux avoir accès à la section NC-17?

 

Non. C'est simple. D'un point de vue légal, vous n'êtes pas majeur tant que vous n'avez pas 18 ans. Ca m'est égal que ça soit dans un jour ou dans une semaine. Ne faites votre demande qu'après vos 18 ans.

 

 

   Fanfiction :: Le vent

 

Chapitre 20 :: Tempêtes

Publiée: 18-12-19 - Mise à jour: 19-12-19

Commentaires: Ouais ouais ouais, je sais, ça faisait un bail! On n'y croyait plus. Pour je ne sais quelle raison, je me suis replongé dans cette fic, la 1ère que j'ai écrite et que je trouve si imparfaite. Mais mon engagement à finir tout ce qui a été commencé et l'inspiration retrouvée (Allelujah!!) m'ont remis sur le droit chemin. Peut-être est-ce la magie de Noël??? Euh, nan je crois pas!!! Ce chapitre a été particulièrement éprouvant à écrire car il scelle le destin de nos deux héros. Au prochain chapitre, nous revenons au temps présent avec encore pas mal de thèmes à développer. J'avoue être assez impatient. Je disais donc que ce chapitre a été lourd et compliqué. Je vous avoue avoir relu en diagonale et donc, très certainement, des fautes m'ont échappé, des répétitions, des syntaxes approximatives. Pardonnez-moi! Tout comme vous me pardonnerez j'espère de faire subir tant à nos héros. N'hésitez pas à critiquer, je sais que l'on peut me faire pas mal de reproches sur le contenu, notamment l'attitude de Kaori. Enfin, j'espère qu'il reste quelques lecteurs pour cette histoire. Mais même s'il n'y en avait pas beaucoup, la satisfaction que je retire à me la réapproprier, à la mener à son terme, c'est pour moi une motivation suffisante à poursuivre. Très belles fêtes à tous!!! Et encore merci pour les commentaires encourageants pour mes écrits, je pense à Dark Vador (eh non, je ne t'ai pas oubliée) ainsi qu'à libellule. Cela m'a fait bien plaisir A plus et bonne lecture à tous.

 


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TEMPÊTE
 

 

 

 

Kaori chantonnait. Elle cuisinait. Préparait des takoyakis. Très tôt, elle était sortie pour acheter du poulpe frais et tous les ingrédients nécessaires. En bonne cuisinière, elle maîtrisait la recette parfaitement et aimait préparer ce plat typique. Ryô s’en goinfrait avec délectation. Certes, il critiquait toujours ces beignets avec une acidité dont lui seul était capable, pour autant, l’enthousiasme qu’il mettait à les dévorer – tout en pleurnichant sur son malheur de devoir subir une si piètre cuisinière – ne laissait pas de doute sur ce qu’il pensait vraiment. C’était délicieux !  

Les mains de la nettoyeuse œuvraient avec précision et dextérité. Le poulpe était maintenant coupé en petits dés, le couteau avait claqué de manière métronomique. Kaori se posa un instant pour admirer ses ingrédients parfaitement préparés ; il ne lui restait plus qu’à assembler le tout, elle fit donc chauffer l’appareil à takoyakis qui se mit à fumer légèrement quasi-instantanément. C’est à cet instant précis que la sonnerie du téléphone retentit.  

 

— Flûte, râla la nettoyeuse.  

 

Elle ne pouvait pas aller décrocher, elle était couverte de jaune d’œuf, de farine et de poulpe, impossible pour elle de se déplacer. Visiblement indifférent à ces objections, le téléphone s’obstinait.  

 

— Ryyyyyoooooo, hurla-t-elle à l’intention de celui qui restait au lit. Tu as fait installer un téléphone dans ta chambre, tu n’as que le bras à tendre pour décrocher. Bouge-toi le cul !  

 

Le japonais sourit de toutes ses dents à l’écoute du ton hystérique qu’elle avait emprunté pour s’adresser à lui. Que c’était bon cette reconquête d’eux-mêmes ! Un délice que de la faire enrager. Comme avant. Si facile.  

 

— Je dooooorrs, répondit-il en feignant l’épuisement absolu et l’agacement d’être dérangé. Tu es levée, tu peux bien décrocher quand même !  

 

La brune souffla d’exaspération tout en se lavant les mains. Quelle feignasse celui-là ! Il ne changerait jamais… Et qui donc pouvait bien insister de cette manière-là ? C’était abusé cet entêtement ; l’emmerdeur allait l’entendre ... Un instant, elle se figea. Une idée venait de la traverser, un frisson la parcourut. L’indic ? Elle hâta donc son pas, en perdit presque l’équilibre, se rattrapa aussi vite, se précipita. Elle posa la main sur le combiné, fébrile, presqu’anxieuse.  

 

Ryo n’en pouvait plus de la stridence monstrueuse du téléphone qui gueulait à côté de lui. Maintenant que le danger s’était éloigné, il devait penser à se débarrasser du poste supplémentaire installé en pleine affaire, lorsque sa cliente et sa partenaire étaient encore retenues prisonnières et que le criminel prenait un malin plaisir à l’appeler tous les jours. A cette période, il aurait volontiers installé des postes téléphoniques dans toutes les pièces de l’appartement. Las d’entendre râler au rez-de-chaussée sa douce moitié et harcelé de souvenirs désagréables, Ryô posa la main sur le combiné, soucieux de faire taire l’importun.  

Les deux gestes furent parfaitement simultanés mais, alors que le nettoyeur s’apprêtait à parler, il fut cueilli par le timbre cristallin de Kaori :  

 

— Allo, avança-t-elle prudemment.  

 

Ryo sourit de toutes ses dents, les réminiscences douces et prometteuses de la veille affluaient en lui, comme transportées par la voix mélodieuse de Kaori. Une confortable chaleur se répandit dans tout son corps et il accepta d’être ainsi troublé. Non, il ne nierait plus son attirance pour son cerbère préféré et, même si la perspective d’une relation moins platonique le terrorisait, il était maintenant convaincu de son inéluctabilité. Mais, alors qu’il entamait le geste de la descente avec le bras, éloignant de lui le téléphone pour le reposer sur son socle, il fut gelé dans son intention par la voix grave de l’interlocuteur à l’autre bout du fil et qu’il reconnut immédiatement.  

 

— Kaori ?  

 

Le cœur de la nettoyeuse stoppa net sa course effrénée à la même écoute. Elle ne sut dire si elle était soulagée de reconnaître la voix de son geôlier plutôt que celle de l’indic qu’elle s’était attendue à entendre mais aucun son ne trouva la voie de sa bouche. Elle resta muette comme une carpe, les yeux ronds, les membres paralysés, le menton tremblotant légèrement. Ryô, quant à lui, avait bien évidemment renoncé à raccrocher, ses doigts s’étaient crispés sur le combiné, ses sourcils froncer de colère. Il semblait sur le point d’exploser mais, lui aussi, était dans l’incapacité de s’exprimer.  

 

— Kaori s’il te plaît ne raccroche pas, reprit Keiji, conscient de chambouler une nouvelle fois celle à qui il ne pouvait encore totalement renoncer. Est-ce que… tu es seule ? Je peux parler ?  

 

La jeune femme était affolée mais son attitude mutique ne trahissait rien de son émotion. Et aucun des deux hommes ne sut interpréter le silence glacial qui accueillit les premières paroles du kidnappeur. Elle lança un regard désespéré vers les escaliers. Ryô était au lit mais il était éveillé, il pouvait la surprendre et descendre à tout instant. Raccrocher. Oui, raccrocher était la meilleure décision qu’elle pouvait prendre dans la seconde, elle en était persuadée. Mais l’adrénaline n’est pas toujours bonne conseillère et la nettoyeuse s’engagea sur une autre voie que celle de la sagesse.  

 

— Qu’est-ce que tu veux ? répondit-elle par une autre question, indiquant implicitement à son interlocuteur qu’il pouvait poursuivre.  

 

Instinctivement, la japonaise décida de ne pas prononcer le prénom de Keiji. Elle se maudit de cette nouvelle coopération mais il était écrit que cet homme représentait pour elle la faiblesse absolue, qu’il n’y avait pas à combattre cet état de fait-là. Toute bataille était vaine. Aussi, déjà vaincue, elle ferma les paupières et tenta de maîtriser les battements affolés de son cœur. Celui-ci résonnait jusqu’à la pointe de ses cheveux, faisait trembler ses jambes et tourner sa tête. Quel poison aussi délicieux que violent avait-il instillé en elle ?  

 

— Je suis heureux que tu aies décroché, avoua-t-il.  

 

Keiji avait décidé d’appeler une fois, une fois et une seule, son ancienne captive, de s’en remettre au destin pour ce qui les concernait tous les deux. Soit Kaori répondait et il tentait d’essayer de la revoir pour lui fournir une explication, soit elle ne répondait pas ou, pire, c’était LUI qui décrochait, et de cette folie étrange, de cette relation incompréhensible il n’était plus question. Plus jamais. Il renonçait pour toujours. C’était certes un peu lâche et cela ne lui ressemblait guère, mais il perdait toute rationalité en ce qui concernait sa relation à la moitié féminine de City Hunter. Alors oui, Keiji s’en remettait au hasard pour ce qui l’unissait à la sœur de Makimura. Mais le hasard semblait s’être rangé de son côté. Du moins, il pouvait encore se permettre de l’espérer.  

 

— Ça a été… difficile pour toi ce qui s’est passé, poursuivit-il hésitant, visiblement mal à l’aise avec le sujet. Comment vas-tu ?  

— Ça va.  

 

La réponse était sèche, vraisemblablement mensongère. L’homme aux iris dorés grimaça à l’autre bout du fil. Il ne s’était pas attendu à plus de chaleur et, maintenant qu’elle avait retrouvé Saeba, il était certainement illusoire de croire qu’il avait encore aux yeux de la demoiselle une quelconque importance, le moindre intérêt. IL avait dû déverser son fiel, lui confier la teneur des coups de téléphone de son ravisseur, ses sous-entendus nauséabonds, comment il avait instrumentalisé sa captivité. Et leurs dernières minutes avaient été horribles pour Kaori, il avait été monstrueux, avait piétiné sciemment les promesses qu’elle avait réclamées. En agissant ainsi, Keiji n’avait fait que confirmer l’image que ses ennemis s’étaient faite de lui. Qu’espérait-il donc en appelant ?  

Ryô, quant à lui, ne décolérait pas. Il maintenait la rage à l’intérieur de son corps, elle rongeait toutes ses résistances, s’attaquait maintenant à ses espoirs. Il était heureusement maître en matière de dissimulation et, contracté à l’extrême, assis sur son lit, le téléphone vissé à l’oreille, sa main libre posée sur le micro afin de cacher sa présence aux deux personnes qui échangeaient, il étouffait toute vague de haine qui le léchait sans relâche. Un doute étrange s’était emparé de lui, un doute monstrueux qu’il fit taire autant que possible... Les faits, il ne devait se fier qu’aux faits.  

 

— Est-ce que tu as retrouvé ta vie ?  

 

Keiji aurait aimé être plus explicite. Demander à Kaori si tout était rentré dans l’ordre avec Saeba était au-delà de ses forces. Lui demander ce qu’elle avait confié à son partenaire sur ce qu’elle avait vécu avec lui, ce qu’elle avait partagé avec lui, ou ce qu’elle avait renseigné sur son identité aurait été tout aussi déplacé. Et cela d’ailleurs lui importait-il vraiment ? Non ! Juste avoir la certitude qu’elle était heureuse désormais.  

 

— Oui, tout va bien, je t’ai déjà dit, répondit-elle à nouveau… Pourquoi appelles-tu ? Que me veux-tu ?  

— Je veux juste m’assurer…  

— Que je m’en sors ? que je remonte la pente ?  

 

Keiji grimaça. Les reproches suintaient dans le ton agressif qu’empruntait la nettoyeuse.  

 

— Oui, avoua-t-il. Entre autres.  

— Je vais raccrocher, dit-elle d’une voix blanche.  

— Attends, interpela-t-il.  

 

Il reprit sans filtre mais avec une légère hésitation :  

 

— Je voudrais te dire. Oui, te dire, t’expliquer, te raconter. Pourquoi j’ai fait tout ça. Pourquoi j’ai détesté te savoir au milieu de Saeba et moi. Comment j’ai souffert de te voir menacer par ce yakuza…  

— Un de tes hommes, intervint-elle sèchement.  

— Je sais, murmura Keiji.  

— Qui ne faisait qu’obéir à tes ordres…  

— Je sais…  

— Me sauver était une erreur, ricana-t-elle pleine de sarcasmes.  

— Tais-toi.  

 

L’ancien ravisseur ferma les yeux. Ses exactions étaient évidemment impardonnables. Kaori appuyait là où siégeait la douleur la plus intense, ce qu’il avait envisagé de lui faire : la sacrifier, l’utiliser pour détruire City Hunter ; mais Keiji connaissait le cœur de sa captive, il savait que les principaux griefs de celle-ci ne concernaient pas qu’elle. Il était question de celui qui partageait sa vie, de sa cliente aussi…  

 

— Je me hais de ce que je t’ai fait vivre Kaori, reprit-il. Et il est bien évidemment naturel que tu me haïsses tout autant. Je ne veux pas prétendre me racheter à tes yeux, je ne le peux pas. Mais je te dois des explications. Laisse-moi tenter de t’expliquer. S’il te plaît.  

 

Il déglutit, gagné par l’appréhension de ce que Kaori allait lui opposer. Était-il seulement complètement honnête lorsqu’il avançait ne pas vouloir se racheter, se trouver des excuses, reconquérir sa confiance ? Il connaissait celle qu’il avait ravie et il avait de l’espoir concernant sa requête. Ce lien qui les unissait et contre lequel, lui autant qu’elle, s’étaient défendus, n’était pas brisé.  

 

— Je t’en veux, avoua la nettoyeuse d’une voix sombre, mais ne te méprends pas, je ne te hais pas. Je n’y arrive pas. J’essaie pourtant, crois-moi, … chaque jour… chaque heure. J’essaie !  

— Je veux qu’on se voie, dit-il tout simplement, encouragé par l’émotion qu’il devinait au bout du fil. Que tu saches... Tu me manques.  

 

Keiji affichait sa faiblesse mais cela était absolument consenti. Il n’avait rien à perdre et se voulait sincère avec la nettoyeuse. Un ange passa.  

 

— Quand ? prononça-t-elle avec une impatience qu’elle ne put dissimuler.  

— Quand tu veux, souffla-t-il.  

 

Le nettoyeur écoutait et perdait toute lucidité. Kaori semblait si troublée par cet échange ; elle semblait si coopérative, presque heureuse, presque soulagée. Ryô se liquéfiait sans trouver les moyens de réagir. Il devait y avoir une explication. Bien sûr. Nécessairement. Mais laquelle ?  

 

— Ce matin, je peux partir maintenant, osa-t-elle.  

 

Elle se mordit les lèvres, se tourna et jeta un regard inquiet vers les escaliers.  

 

— Sans risque ? testa Keiji, conscient que la proposition en comportait. Je ne veux pas que tu te mettes en danger de quelque manière que ce soit.  

 

Le jeune homme savait pertinemment que la nettoyeuse pouvait lui tendre un piège, qu’elle pouvait aussi être surveillée. Mais il se jetait dans la gueule du loup sans véritable appréhension. Il avait confiance en ses aptitudes mais aussi confiance en Kaori. Il ne parvenait pas à s’expliquer cet étrange pressentiment, plus encore, cette absolue certitude : elle ne le trahirait pas !  

 

— Je ferai attention, s’entendit-elle rassurer son interlocuteur, sachant que pour ce faire, elle allait devoir jouer contre son propre camp. Où nous retrouvons-nous ?  

— Au parc, proposa-t-il. Une terrasse, sur la place par laquelle on y était entré.  

— Oui je vois très bien, avoua-t-elle d’une voix qui trahissait l’émotion des souvenirs. On s’y retrouve, je pars tout de suite.  

— Kaori…, temporisa-t-il un instant,  

 

Elle abandonna un soupir d’aise au téléphone tandis que son prénom résonnait merveilleusement à son oreille. Soupir que les deux hommes prirent en plein cœur.  

 

— Moi aussi j’ai hâte…, murmura-t-elle, j’arrive.  

 

Elle raccrocha, les mains tremblantes. Puis se précipita dans la cuisine afin de débarrasser la table et le plan de travail de toutes les préparations culinaires qui n’attendaient qu’elle. Il lui fallait faire place nette, Ryô ne devait rien voir de suspect dans sa désertion. Elle éteignit l’appareil à takoyakis et, plus rapide qu’une tornade, elle fit disparaître toute trace de ses précédentes occupations. Elle ôta son tablier, s’observa un instant dans un miroir, replaça quelques mèches, se mordit les lèvres et se tapota les joues pour leur redonner couleur et se dirigea rapidement vers la porte de l’appartement. La nettoyeuse refusait de réfléchir, c’était impossible de se permettre une telle faiblesse, d’analyser ce qu’elle s’apprêtait à faire : courir le retrouver.  

« Juste pour comprendre l’affaire », s’autorisa-t-elle, de mauvaise foi. « Je veux juste tout arranger, tout découvrir, tout expliquer. »  

Lorsqu’elle passa près des escaliers, elle leva des yeux qui ne révélèrent rien de sa culpabilité et de son inquiétude. Ryô descendait d’un pas lourd, les yeux braqués sur elle, inexpressifs.  

 

Elle était vêtue de cette robe à fleurs magnifique dont il avait toujours juré qu’elle ne lui allait pas : légère, printanière, la coupe évasée, les épaules dénudées, elle était à la fois confortable et terriblement féminine. Les joues de la nettoyeuse étaient roses, ses yeux brillants, ses lèvres ourlées et scandaleusement tentatrices ; ces détails horribles s’incrustèrent dans les prunelles acier du nettoyeur. Il avait la gorge sèche, chaque cellule de son corps semblait peser une tonne. Kaori l’attendit dans l’entrée avec un sourire aux lèvres. « Putain, qu’elle joue bien la comédie ! » ne put-il que remarquer. Le nettoyeur était désorienté. Jamais sa partenaire n’avait réussi à lui cacher quoi que ce soit, toujours lui avait-elle été d’une lumineuse clarté. N’était-elle pas que lumière ? N’allait-elle pas se jeter dans ses bras, lui dire qu’elle venait de fomenter un plan, qu’elle avait enfin le moyen de retrouver l’ennemi, de l’anéantir, le supprimer ? Voilà ce qu’elle allait faire ! C’était absolument impossible qu’il en soit autrement !  

 

Il était là, descendu, face à elle. Elle posa les yeux sur lui mais ne le vit pas réellement, son esprit avait déjà déserté l’appartement et s’était envolé vers Keiji. Elle allait le revoir !  

Ryô eut effectivement cette désagréable impression, il était invisible pour sa partenaire à cet instant ! Pourtant avec un peu d’acuité, elle n’aurait pu que constater la physionomie sombre et orageuse de celui qui partageait sa vie, elle aurait contemplé ses cernes, son front soucieux, ses mains étrangement ballantes, le souffle qui l’avait déserté. Elle accrocha subséquemment sur ses lèvres le sourire le plus plaisant qu’elle avait en sa possession, le plus innocent :  

 

— C’était Miki, je fonce au cat’s, on va papoter. Tu prends une douche, un petit déj et tu me rejoins d’accord ? J’en profite pour passer à la gare, voir si on n’a pas de client.  

 

Elle se mit sur la pointe des pieds et déposa un léger baiser sur la joue étrangement insensible du nettoyeur. Puis elle lui tourna le dos et s’évapora aussi vite que possible de l’appartement.  

 

— Oui, je te rejoins.  

 

***************
 

 

Lorsque Ryô ouvrit la porte pour quitter à son tour leur repaire, il ne fut pas surpris de rencontrer les yeux bleus expressifs qui lui lancèrent un « salut » avenant ; l’aura de son ami américain avait devancé son arrivée. Mais ce dernier se heurta à une mine patibulaire inhabituelle, presqu’agressive, la mine des mauvais jours, et il comprit immédiatement que l’heure était grave.  

 

— Ça va ? s’enquit le blond.  

— Angel, viens avec moi et empêche-moi de faire une connerie.  

— Quoi ? De quoi tu parles ? On va où ? balbutia-t-il en emboîtant le pas du brun.  

— On retourne au parc.  

 

Mick Angel prit acte de l’information et devina qu’il s’agissait de l’affaire en cours. Son ami avait certainement glané de nouveaux indices et la piste devenait sérieuse. Pourtant, Ryô n’était pas comme à son habitude, il était tendu, très tendu.  

Ils descendirent les escaliers quatre à quatre, Mick peinait à suivre le rythme imposé par le japonais.  

 

— On va trouver quoi dans le parc ? demanda-t-il tandis qu’il prenait place aux côtés du japonais dans la mini.  

— Kaori, lâcha Ryô en démarrant en trombe. Elle et ce type !  

 

L’américain avisa le profil de son meilleur ami, un brin interloqué. Le japonais avait la mâchoire contractée et conduisait nerveusement, les doigts crispés sur le volant. Pour autant, il maîtrisait. Oui il maîtrisait ses émotions, rien ne transparaissait plus que ça dans le profil qu’il offrait à son passager ; à peine l’ancien nettoyeur pouvait-il imaginer une contrariété. Ryô maîtrisait tout aussi parfaitement les trajectoires de sa voiture, alors que l’accélération faisait crisser les pneus, que les virages étaient serrés. Malgré cela, à aucun moment, le ventre de Mick ne se contracta d’appréhension. Ryô maîtrisait également le ton qu’il avait employé ainsi que les quelques mots échangés, il en avait dit suffisamment pour jeter le trouble mais pas assez pour induire l’inquiétude. Et oui, comme à son habitude, City Hunter maîtrisait magistralement et d’aucuns ne pouvait avoir accès à l’infernale tempête qui sévissait dans le cortex du grand Ryô Saeba.  

Mick plissa le front d’incompréhension ; les paroles de son ami avaient été énigmatiques et elles avaient insinué en lui un mauvais présage, il pressentait l’abîme, le redoutait.  

Le temps tournait à l’orage après les chaleurs inhabituelles des derniers jours et l’atmosphère pesait lourdement sur les nerfs de tout un chacun. Tokyo suffoquait. L’américain n’échappait pas à l’ambiance électrique et poisseuse. Un orage ! Il fallait un orage pour éteindre l’incendie qui couvait et qui menaçait de tout anéantir sur son passage.  

 

— Que fait Kaori avec « ce type » ? s’enquit Angel quelque peu fébrile.  

— Va savoir…  

 

***********
 

 

Kaori raccrocha le téléphone de la cabine publique. Elle venait d’avertir Miki qu’elle passait à la gare avant de la rejoindre au cat’s. Son amie s’était montrée enjouée à l’annonce de son arrivée. La nettoyeuse inspira et expira profondément, le front soucieux, coupable. Elle était en train d’assurer ses arrières. Rien ne devait paraître suspect aux yeux de son partenaire si, par hasard, il se retrouvait au cat’s avant elle ; aussi, Miki ainsi avertie serait son meilleur alibi, il n’y aurait rien d’étrange dans son retard, ni dans le supposé coup de fil du matin que Ryô n’évoquerait même sûrement pas.  

 

Dès qu’elle avait quitté l’immeuble, Kaori avait pris soin de retirer les émetteurs qu’elle transportait sur elle habituellement, placés là chaque jour par son coéquipier toujours soucieux de savoir où elle se trouvait à Tokyo. Elle n’avait pas de téléphone portable, cette nouvelle technologie la rebutait, et elle n’appréciait guère d’être joignable à tout instant, partout. Elle avait toujours revendiqué une certaine liberté, d’être insaisissable. Aussi, tant qu’elle n’en voyait pas la nécessité, elle ne se laisserait pas approcher par cet objet futile.  

 

Elle parvenait enfin sur la place jouxtant le parc - endroit dans lequel elle avait été le siège de toutes ces nouvelles émotions - une grisante sensation de liberté la rendait aussi légère qu’une plume. Les quidams qui la croisaient prenaient une seconde pour contempler ce papillon voletant multicolore ; le bonheur semblait peint sur sa face, elle ne se déparait pas de son sourire, elle irradiait. Oui, elle souriait. Son esprit refusait obstinément de considérer ce qu’elle était en train de commettre, l’irréparable. Rien d’autre n’avait plus d’importance que ses prochaines retrouvailles avec celui qui avait ébranlé si facilement ses certitudes, qui l’avait troublée au plus haut point, lui témoignant des sentiments dont, étrangement, elle ne parvenait pas à douter et qui trouvaient écho chez elle, elle se devait de l’admettre. Oui, c’était l’évidence ! Si évident ! Keiji et elle partageaient les mêmes sentiments. Grisante sensation de réciprocité. Tant convoitée auprès de Ryô mais jamais consentie par lui. Obtenue comme par magie auprès de Keiji.  

 

Un léger frisson la parcourut malgré la chaleur. Elle se retourna pour tenter d’identifier la source de son qui-vive. Keiji ? Elle analysa minutieusement tous les recoins de la place où elle se trouvait. Son geôlier n’y était pas encore. Du moins, Kaori ne ressentit pas sa présence. Étrangement, elle était convaincue qu’elle serait envahie de merveilleuses sensations dès lors qu’il entrerait dans un périmètre resserré autour d’elle. La nettoyeuse se concentra au maximum tout en s’attablant à la terrasse d’un café.  

 

Sur la place, une fête semblait se préparer. Quelques mini chars décorés, des enfants enrubannés, déguisés, teintaient les lieux de jolies couleurs vives et éclatantes. Des parents pressés arrivaient et se massaient pour la plupart devant une estrade. Sur celle-ci, quelques taikos (tambours japonais) étaient installés, de manière symétrique. Les petits percussionnistes, âgés d’une dizaine d’années, venaient de monter sur le plateau et se concentraient, se préparaient à répéter leur chorégraphie impressionnante. Kaori devina qu’une manifestation allait avoir lieu dans la journée. Keiji devait être au courant de ces préparatifs, ils lui offraient une possibilité de s’échapper si par malheur leurs retrouvailles n’étaient qu’un piège visant à le faire prisonnier. Assise sur sa chaise, Kaori grimaça, légèrement contrariée. Son geôlier lui faisait-il si peu confiance ? Mais, à bien y réfléchir, cette précaution était normale. Et représentait pour chacun d’eux une sécurité bienvenue. Au milieu de ce vacarme ambiant, de cette foule joyeuse, le couple n’attirerait aucune attention. Une trop grande discrétion était suspecte ; s’afficher en public, au contraire, était aux yeux du passant naïf un gage de parfaite innocence. Elle sonda les alentours, pressée de ressentir la présence attendue. Rien. Elle n’ignorait pas les aptitudes de Keiji à savoir dissimuler son aura ; il était pourtant à parier qu’il se trouvait dans les parages. Peut-être même l’observait-il ? Cette considération la mit légèrement mal à l’aise. Elle décroisa et recroisa les jambes avec fébrilité, passa les mains dans ses cheveux, redressa son buste, soucieuse de donner d’elle l’image la plus agréable à regarder possible.  

 

Il sourit lorsqu’il prit conscience de son petit manège. Cela faisait cinq bonnes minutes déjà qu’il l’épiait, bien à l’abri de son repaire, devant la devanture d’un magasin de réparation d’objets électroniques, protégé derrière quelques pancartes publicitaires. Keiji avait chaussé lunettes et casquette, comme à son habitude. Cela lui donnait la fausse impression d’être invisible aux yeux du monde. Pour autant, si ainsi grimé il attirait les regards, peu devinaient ses traits, trop réguliers et trop banals pour être captés avec précision. Il l’admira encore. Kaori était véritablement une femme très attirante ; sa posture était délicieuse et cette robe mettait en valeur sa féminité délicate. Il avait envie de la rejoindre. Courir. Mais il réfréna ses ardeurs. S’arracher encore quelques minutes de la vision enchanteresse pour se concentrer sur les multiples sensations que lui procuraient les autres acteurs de la place : les enfants, les parents, les professeurs, les simples badauds. Il se concentra très fort. Keiji était habitué à ressentir les présences mais aussi les intentions, les pulsions ; ces émanations que tout un chacun relâchait dans la plus grande inconscience. Phéromones que lui – tout comme Saeba d’ailleurs – avait appris à analyser, à goûter presque. Initiation de la rue, de la violence, expérience de la prison, connaissance de la nature humaine, instinct primitif exacerbé chez lui. Une petite moue satisfaite se peignit sur ses lippes, il ne percevait rien d’anormal ou de suspect. Il prit alors la direction de la nettoyeuse d’un pas assuré et tranquille, soucieux de poursuivre son inspection jusqu’à la dernière seconde, mais également pressé de la retrouver.  

 

Kaori l’aperçut aussitôt. Sa démarche féline, son allure virile, sa casquette, ses lunettes. Un flot de réminiscences l’envahit dans la seconde : les caresses échangées, les batailles rangées, l’attirance infernale, ses résistances malmenées. Et puis cette soirée dans le parc. Ses baisers, ses mains. Terrible comme il avait posé les mains sur elle, comme elle s’y était assujettie. La nettoyeuse frissonna à ce souvenir et elle contempla, impressionnée, mais sans retenue, celui qui se dirigeait vers elle.  

 

La mini était garée à une centaine de mètres du parc. Les deux légendes venaient de s’extirper de la petite voiture, Mick suivait son ami avec docilité mais de multiples questions l’assaillaient.  

 

— Écoute Mick, entama gravement le nettoyeur après s’être brutalement arrêté et tourné vers son ancien partenaire, je t’ai emmené avec moi pour que tu me ramènes à la raison si tu vois que je déraille complètement.  

 

L’air grave de son ami interpella l’américain.  

 

— Il se passe quoi exactement ?  

— J’en sais pas plus que toi. J’ai juste peur de faire une connerie.  

— Ryô…  

 

Le blond avait attrapé son alter-ego par la manche pour le retenir, Ryô s’échappant déjà vers le parc.  

 

— Kaori ?  

— Empêche-moi de lui faire du mal Mick ! Si tu savais comme j’ai envie de lui faire mal…  

 

Le faciès de l’américain se contracta. Il relâcha le bras du nettoyeur puis, après un court temps de réflexion, lui emboîta le pas.  

Ils arrivèrent à l’orée du parc, puis s’approchèrent prudemment de la place, se positionnèrent derrière un immeuble duquel il pouvait embrasser du regard la partie ouest.  

 

— On s’efforce de ne laisser passer aucune émotion. Il est très fort pour détecter la moindre présence et il est à parier que lui comme Kaori d’ailleurs sont sur le qui-vive.  

— Ryô, ne parle pas de Kaori comme s’il s’agissait de sa complice s’il te plaît.  

 

Les deux nettoyeurs échangèrent un regard désenchanté. Les traits rembrunis du japonais, plus sombre que jamais, ne trahirent pas l’immense déception dont il était le siège. Incapable de penser ! Incapable de discerner le faux du vrai. Incapable d’échapper au doute. Non, pas de doute ! Il n’y avait pas de doute possible ! Juste une trahison poisseuse dont il ne prenait conscience que maintenant. Elle s’était jouée de lui depuis leurs retrouvailles. L’infâme ! Il n’y avait sur ce point aucun doute à avoir. Ryô caressa la crosse de son magnum, flatta instinctivement la détente, joua avec le chien. L’exterminer. Oui, l’exterminer ! Aujourd’hui, il n’aurait aucune hésitation. Il le tuerait !  

Les deux compères temporisèrent derrière l’immeuble, scrutèrent prudemment la partie de la place à laquelle ils avaient accès. Le nettoyeur se prit en pleine face l’aura chaude et douce de celle qui partageait sa vie depuis huit années déjà. Mais au lieu d’en être réconforté comme cela avait toujours été le cas, le goût acidulé tourna à l’aigre dans sa bouche. Il la détailla un instant, là-bas, assise à la terrasse d’un café. Son estomac en eut la nausée et sa peau se hérissa de dégoût. La fin. Cela sentait désespérément la fin de leur histoire.  

 

Encouragée par le sourire que Keiji affichait, Kaori se leva pour aller à sa rencontre, ignorant que deux paires d’yeux la scrutaient avec intérêt et fébrilité. Un instant pourtant, elle eut une hésitation, son allure déclina, elle stoppa presque, envahie par un scrupule. Une inquiétude gagna ses joues et Keiji en prit conscience, il ralentit également, soucieux de laisser à celle qu’il brûlait de rejoindre le temps de la réflexion.  

La nettoyeuse, devant l’imminence des retrouvailles, tandis que chacun de ses pas la précipitait vers Keiji, fut enfin effleurée par une pensée raisonnable. Ryô. Certes, elle était incapable de résister à la tentation de revoir son geôlier, son esprit était réfractaire à toute animosité envers lui. Elle savait, oui elle avait l’intime conviction que cet être dont elle ignorait l’existence un mois auparavant n’était pas le monstre que tout un chacun dépeignait. Il était blessé, en rage, désespéré peut-être aussi, mais elle avait eu accès à sa véritable essence, elle l’avait découvert et il avait bouleversé sa raison. Sa raison, ses sens, ses désirs, son cœur. Elle en perdait toute notion du réel, elle en perdait ses repères, elle n’obéissait plus qu’à ce que son instinct lui dictait. Le retrouver. Et pourtant… Là, perdue entre tous ces autres qui traversaient la place, la réalité la rattrapa un instant. Une réalité qui ne pouvait pas lui faire tourner les talons et renoncer à celui qui s’avançait vers elle, non, mais une réalité qui imposa tout de même à son esprit l’image de celui qui, hier à peine, avait baisé ses lèvres, celui qui était son univers depuis huit années, celui en qui elle avait investi ses sentiments les plus purs, les plus intenses ; il avait été source d’autant de sourires que de larmes, d’autant d’espoirs que de désillusions, d’autant d’amour que de frustration. Il était son premier amour. Il était son essentiel. Persévérer vers Keiji, n’était-ce pas renoncer à Ryô ?  

Son ex-geôlier était tout proche désormais, les contours de son visage, le grain de sa peau, la fraîche cicatrice sur sa joue étaient parfaitement visibles pour Kaori. Cette proximité reconquise eut un merveilleux goût de victoire. Étonnante sensation lorsqu’elle saisit avec chaleur les mains qu’il lui tendit et qu’elle lui abandonna les siennes en retour. Et son scrupule de s’évaporer… Aussi vite qu’il était né… Elle chavira dans l’instant, l’étreinte chaste qu’ils s’octroyèrent lui procura le plaisir attendu. Elle ne s’était guère méprise sur ce point, il était toujours absolument divin de le toucher, même de la plus fugace des façons.  

 

Keiji aussi croulait sous le bonheur des retrouvailles, le contact des doigts fins et délicats dans ses paumes l’étourdit, il aurait voulu la saisir plus entièrement, qu’elle échouât complètement dans ses bras, qu’il lui fût accordé de la serrer, de lui caresser la joue mais la nettoyeuse imposait une distance de sécurité. Bien justifiée évidemment ! Et Keiji de reconnaître que la situation était déjà inespérée.  

 

— Kaori, murmura-t-il avec délectation et soulagement.  

 

Il plissa les yeux pour l’admirer, tentant de lire dans la mine plutôt neutre qu’elle lui opposait les sentiments qu’il lui inspirait maintenant qu’elle avait véritablement sous les yeux le responsable du dernier désastre de sa vie. Une crainte survint rapidement tandis qu’une expression de colère gagnait les yeux de Kaori.  

 

Mick et Ryô assistaient à la scène, médusés et captivés. L’américain n’en croyait pas ses yeux, sa meilleure amie n’était-elle pas en train de converser avec l’ordure qu’ils avaient combattue ? Elle semblait même coopérative ! A n’y rien comprendre !  

Le nettoyeur japonais, quant à lui, observait chaque geste, chaque inclinaison, tentait malgré la distance de déchiffrer les expressions, souhaitant lire dans le langage corporel du couple clandestin les intentions de chacun. Il était mortifié, sidéré. La chaleur donnait à la vision des allures de mirage cauchemardesque. Il suffoquait, se desséchait. Dans sa robe à fleur légère, en proie aux turpitudes du vent, sa partenaire resplendissait, elle était éblouissante et étalait un charme inédit. Du moins, c’est ainsi que, pour une fois, il se la décrivit. « Traîtresse ! » jura-t-il. Le blond à ses côtés lui lança un regard inquiet mais replongea immédiatement dans la contemplation de la scène surréaliste qui se jouait à quelques dizaines de mètres d’eux. Deux cents mètres à tout casser.  

 

— J’ai envie de te tuer ! abandonna-t-elle avec fureur.  

 

Le visage de Keiji se referma immédiatement et il accepta sans broncher le flot d’injures dont elle l’inonda, tout comme l’avalanche de coups de poing contre sa poitrine.  

 

— Pourquoi ? Keiji, pourquoi ?  

 

Kaori, inconsciente des regards dans son dos, débordait maintenant de chagrin. L’homme responsable de ces émotions si contrastées, le bonheur de le retrouver, l’envie de le punir, de l’atomiser, le désespoir amoureux dans lequel elle était plongée depuis sa libération, les spasmes de douleurs qui déchiraient sa conscience étaient enfin accessibles et se réveillaient ; elle pouvait maintenant laisser libre cours à sa rage, sa déception. L’aimer et le détester.  

 

— Si, je te hais ! avoua-t-elle lorsqu’elle se calma enfin. Je t’ai menti tout à l’heure, je te hais comme je n’ai jamais haï.  

— Je comprends Kaori ; je mérite tout ça ! souffla-t-il dans un semi-sourire.  

— Qu’as-tu osé faire ? Cette machination… Ces morts… comment tu m’as utilisée…  

— J’étais aveuglé. Je regrette.  

— Qu’est-ce que tu regrettes ? éructa-t-elle. Regrettes-tu d’avoir détruit toute chance pour nous deux ? Regrettes-tu d’avoir exposé Chizu ? Regrettes-tu que Ryô soit toujours vivant ? Keiji, je ne sais pas pourquoi je te fais confiance. Ça n’a aucun sens !  

— Ne dis pas ça. Seule toi me connais, abandonna-t-il avec sincérité.  

 

Il saisit ses poignets et la précipita dans ses bras ; elle abdiqua contre toute attente et se lova dans son cou, appréciant la chaleur apaisante de la caresse de sa paume sur ses cheveux, l’abri de son bras autour de ses épaules, cet étrange sentiment de sécurité qui l’envahissait et la rassurait.  

 

— Je mérite bien pire encore que tes coups et insultes, murmura-t-il à son oreille. Je ne veux pas te faire souffrir Kaori, je ne veux plus te faire souffrir de quelque manière que ce soit. Laisse-moi m’expliquer…  

 

Il se pencha vers elle et déposa un baiser sur son front.  

Au centre de la place, le couple passait presque inaperçu, des amoureux qui se querellaient et se réconciliaient dans le même moment. Quelques œillades attendries ou excédées leur furent jetées. Elles ne reçurent qu’indifférence de leur part. Que leur importait le jugement des autres ?  

 

Les enfants sur l’estrade avaient entamé leur concert traditionnel, mêlant cris et chorégraphie, arts martiaux et maîtrise des taikos. L’ambiance s’électrisa. Les répétitions créaient une belle effervescence en bordure du parc. Des spectateurs affluaient, se pressaient autour de Keiji et de Kaori, les enveloppaient presque.  

Le duo de nettoyeurs observait les complices enlacés. Le cœur du mythique City Hunter battait à tout rompre, une colère sourde grondait en lui, son crâne menaçait d’exploser, ses yeux piquaient.  

 

— Calme-toi, lui intima Mick. On va être repérés !  

— Je vais le tuer.  

 

Le japonais venait de quitter sa cachette, se mettait en marche vers sa partenaire et son ennemi. Il allait tout détruire ! Il avait envie de tout détruire !  

 

— Ryô, interjeta son ami en le saisissant par la manche pour le ramener à la raison, il y a plein de gosses, des parents partout. On ne peut pas faire n’importe quoi. Ressaisis-toi !  

 

L’américain lança de nouveau des yeux incrédules vers celle qu’il aimait tant tout en emboîtant le pas de Ryô. Kaori faisait toujours face à l’ordure en casquette et l’ancien nettoyeur perçut clairement son cœur se déchirer. N’avait-il pas devant lui l’image de celle qu’il avait convoitée sans succès dans les bras d’un autre ? Ce fut au tour de Ryô de mettre en garde son coéquipier, sans prendre la peine de se retourner.  

 

— Fais gaffe, ravale ta colère…  

 

Il fixait la cible.  

 

— Et prépare-toi au combat !  

 

***********
 

 

La japonaise se laissait bercer mais ne cessait de sangloter.  

 

— L’homme dans le parc, murmura-t-elle. C’est un indic de Ryo.  

— Quoi ?  

 

Keiji fronça les sourcils, tentait de se remémorer les traits du SDF. Il aurait dû l’abattre ! Pourquoi avait-il eu cette faiblesse de lui laisser la vie ?  

 

— Que sait Saeba ? Crains-tu quelque chose ? balbutia-t-il, soudainement inquiet pour elle.  

— Non ! Je ne crains rien. Je veux juste que tu te méfies de tout le monde. Tu dois disparaître, lâcha Kaori. Tout le monde n’a de cesse de te retrouver. J’ai peur pour toi.  

 

Les deux enlacés souffrirent à l’écoute des paroles sensées. C’était pourtant bien là l’unique solution raisonnable pour Keiji, disparaître. Mais la séparation était pour le moment inenvisageable !  

 

— Avant tout, nous devons parler, intervint-il en décollant à regret le minois de son torse pour contempler les traits soucieux de son ancienne captive. Je veux te confier toute mon histoire.  

 

Kaori émit un faible sourire, reconnaissante. Elle n’ignorait pas combien il serait difficile pour Keiji de s’épancher sur ce qu’avait traversé sa sœur. Elle saisit la main qui lui caressait la joue et y déposa un baiser.  

Mais, alors qu’elle embrassait les doigts de son geôlier, appréciant l’odeur fraîche qu’ils dégageaient, elle sentit une aura noire si caractéristique dans son dos. Elle se figea dans les bras de Keiji, eut l’impression que ses jambes se dérobaient sous elle, son estomac se retourna. Elle observa un bref instant le visage de celui qui la gardait contre lui. Lui aussi s’était pétrifié, tendu à l’extrême et ses orbes dorées fixaient une scène qui se déroulait derrière elle. Elle entama un demi-tour… Les fractions de secondes semblèrent durer une éternité… sa vision se troubla… le sang cogna fort contre ses tempes. Enfin, le cauchemar se matérialisa. Elle distingua ses deux amis se précipiter vers eux. Mick et Ryô.  

 

— Enfuis-toi ! ordonna-t-elle.  

— Quoi ?  

— Keiji enfuis-toi vite s’il te plaît ! cria-t-elle avec force.  

 

L’interpelé sortit son korth, l’adrénaline se déversait dans son sang. Était-il possible que lui soit octroyée une dernière chance d’occire Saeba ?  

 

— Éloigne-toi de moi ! prononça-t-il simplement en la repoussant du bras.  

— Non ! Non ! Keiji écoute-moi !  

 

La nettoyeuse recouvrait ses esprits. La rage qui émanait de son partenaire était pharaonique. Il était plus que furieux, il était l’Ange de la mort. Ses intentions ne faisaient aucun doute. Il voulait tuer !  

Elle contraint le brun à la regarder dans les yeux, encadrant son visage de ses mains, malmenant ses joues.  

 

— Keiji, hurla-t-elle. Si tu tiens un peu à moi, je t’en conjure. Ne combats pas Ryô !  

— Je ne démériterais pas, lâcha-t-il avec rage, tentant de se défaire des poignes de celle qui l’avait pourtant déjà dérouté de sa vengeance.  

— Il y a des passants partout, des personnes innocentes, des enfants. Si une bataille vient à exploser ici, il sera impossible d’éviter les dommages collatéraux. Je t’en supplie Keiji, sauve-toi !  

 

Il reporta son attention sur les deux géants qui fondaient sur eux, arme à la main. Prenant conscience d’un danger imminent sans pour autant le cerner véritablement, des badauds créèrent une petite bousculade et un vent de panique balaya la foule.  

 

— Viens avec moi, osa-t-il sans ciller. Partons tous les deux.  

 

Kaori se retourna angoissée. Le faciès de Ryô était déformé par la rage. Elle percevait très bien que Keiji n’était pas le seul destinataire de cette fureur. D’ailleurs, il lui semblait que les prunelles noires ne la lâchaient pas, elle ! Son partenaire avait vissé son regard sur elle et, alors que sa bouche restait scellée, elle pouvait entendre ses hurlements. Il était effrayant ! Si effrayant.  

 

— Je ne peux pas, murmura-t-elle en se retournant vers celui qu’elle voulait sauver. Keiji va-t-en !  

 

Elle le poussa sans ménagement, il recula d’un pas, surpris.  

 

— Va-t-en ! vociféra-t-elle, consciente qu’il n’était question que de secondes avant que ses deux compères ne soient sur leurs talons. Keiji, je ne partirai pas avec toi, je ne peux pas vivre sans Ryô. Jamais ! Il est ma vie !  

 

Les larmes ne cessaient de ravager son visage. Elle le poussa encore et encore, l’obligeant à reculer, à se retrouver aux abords de la manifestation, si près des estrades où les enfants jouaient encore malgré l’effervescence ambiante. Lui était anéanti par la déclaration. Pourtant, très objectivement, celle-ci n’avait rien de surprenant. Il avait toujours su que l’amour qui l’unissait à Saeba était indestructible.  

Il leva les yeux sur les poursuivants, ils ne marchaient plus, couraient presque. Keiji mourait d’envie de se battre. D’y laisser sa peau pourquoi pas. Que lui importait ?  

Kaori eut-elle deviné ?  

 

— Si tu tiens à moi un minimum, je t’en conjure, supplia-t-elle désespérée. Ne vous battez plus !  

— Kaori, je veux te raconter. Tu dois savoir ! Je ne suis pas…  

— Non, je t’en supplie, disparais maintenant ! hurla-t-elle. Je veux que tu vives, tu m’entends ?  

— Que va-t-il arriver pour toi ? demanda-t-il inquiet, indiquant implicitement qu’il abdiquait, reposant les yeux sur elle pour ne voir sur son visage que chagrin et détresse.  

— C’est à moi de gérer ça ! Pars vite ! Ne me contacte plus. Ne t’expose plus. Sauve-toi !  

 

Dans un dernier sursaut, elle le fit chavirer dans la foule violemment. Keiji obtempéra, il lui semblait inconcevable de ne pas se plier aux exigences de celle à qui il avait suffisamment fait de mal. Les doigts féminins glissèrent sur sa chemise, Kaori referma sa poigne, caressa son torse au travers du tissu. La dernière fois qu’elle le voyait, la dernière fois qu’elle le touchait. Elle investit toute son âme dans ce dernier contact. Il se fondit dans la masse et s’évapora aussitôt.  

 

À peine s’étaient-ils dirigés vers le couple enlacé qu’ils avaient l’un et l’autre laissé exploser leur colère. Leurs auras s’étaient embrasées et avaient interpellé les clandestins. Ryô avait cru défaillir lorsqu’il avait rencontré le regard noisette apeuré. Kaori, il s’agissait de Kaori. La déception était incommensurable. Dès lors, ses pas n’avaient plus mené qu’à elle. Il avait bien entendu constaté qu’elle repoussait son complice pour qu’il lui échappât à nouveau. Il avait su parfaitement lire le dessein de sa partenaire. Le sauver de lui ! Lui permettre de s’échapper ! Une étrange confusion s’était alors emparée du nettoyeur, le cri dans l’entrepôt qui lui avait fait manquer sa cible lui revint en mémoire, l’incapacité de Kaori à coopérer, à faire un portrait-robot, à les renseigner sur l’identité de leur ennemi, à leur fournir de simples informations. Il s’était laissé berné en beauté ! Mettant sur le compte d’un pseudo-traumatisme dont il ne cernait pas les exacts contours le malaise de sa partenaire.  

Il ne la lâchait pas du regard. La casquette qui disparaissait dans la foule ne l’intéressait plus, au grand dam de Mick qui ne cessait de grommeler des mots inintelligibles.  

 

— Hâtons-nous ! Je fonce pour le récupérer, proposa-t-il. Je vais m’occuper de lui.  

— Laisse tomber, prononça contre toute attente Ryô. Il n’y a qu’ELLE qui nous intéresse pour le moment.  

 

C’était étrange. Il haïssait toujours plus que tout l’homme qui avait orchestré l’odieuse scène apocalyptique dans l’entrepôt mais à cet instant, seule Kaori concentrait sa fureur. Des envies de la massacrer émergeaient en lui. Il voulait l’anéantir, la détruire. Évidemment d’une manière bien différente de celle dont il allait s’occuper de l’autre ensuite. Lui, il se délecterait de la souffrance qu’il lui infligerait. Mais Kaori. ELLE. Il lui fallait s’occuper d’ELLE maintenant ! Définitivement !  

 

La nettoyeuse ravala ses larmes, n’opposant toujours que son dos à ceux qui la rejoignaient. Le chaos. Oui, le chaos régnait en maître dans son esprit. La panique. Chacun de ses muscles était tétanisé, elle craignait à chaque instant d’être confrontée au regard noir qu’elle avait pu croiser tandis qu’ils entamaient leur marche vers elle. L’angoisse. Elle se mordit la lèvre inférieure, la crainte qu’ils ne poursuivent Keiji, qu’ils ne parviennent à le rattraper, qu’ils lui fassent payer son audace d’avoir tenté de la retrouver, lui enserrait les entrailles. Keiji. Quels adieux minables lui avait-elle faits ! La vérité n’était pas tout à fait celle qu’elle lui avait exposée. Pourtant, qu’il soit sain et sauf…  

 

Mais déjà une poigne de fer se saisissait de son bras et la contraignait à faire volte-face, elle ne résista pas et se retourna pour se retrouver yeux dans les yeux avec son partenaire et son meilleur ami. Les orbes noires et profondes de Ryô pénétrèrent en elle comme des couteaux affûtés. L’impression d’être mise en lambeaux, que ses chairs étaient entaillées, que son âme était déchiquetée. Il ne s’approcha pas tant d’elle, refusant qu’elle entre dans son espace intime. Elle y était désormais étrangère. Ryô la fixait avec dureté, la mâchoire crispée, les babines retroussées, comme s’il s’apprêtait à mordre. Dans un réflexe défensif, Kaori détourna le regard et chercha quelque soutien chez Mick. Les prunelles céruléennes la sondaient avec incompréhension. Moins d’agressivité, moins de rage, moins de folie aussi peut-être, mais une telle déception. Pas de lueur d’espoir ! Que se passait-il ?  

 

D’un geste brutal Ryô l’obligea à les accompagner. La main toujours cadenassée sur son bras était douloureuse mais la nettoyeuse ne s’en plaignit pas, elle suivit avec résignation la direction qu’on lui imposa. Elle plia la tête et trouva refuge dans la contemplation de ses sandales qui battaient le bitume. Des vagues de détresse fouettaient ses côtes. Elle voulait pleurer et hurler mais elle en était tout simplement incapable. Que se passait-il ?  

 

Le ciel s’était chargé en nuages noirs et menaçants, un tonnerre grondeur accompagnait les tambours et alourdissait l’atmosphère lourde prémices de la tempête annoncée. Le vent s’était brusquement levé et faisait tournoyer dans les airs une multitude de déchets invisibles jusqu’alors. Sous l’effet du vent, la robe de Kaori se gonflait et se dégonflait comme un cœur palpitant, son visage était fouetté et elle loua silencieusement cet air vivifiant qui lui permettait de garder contact avec la réalité. Ne pas s’évanouir. Que se passait-il ?  

 

On la fit s’engouffrer dans la voiture. Mick prit place à l’arrière, Ryô à ses côtés. Aucun mot ne fut échangé. La mini démarra et prit la direction de leur immeuble. En chemin, Kaori se hasarda à jeter un regard sur le conducteur. Crispé, tendu, Ryô l’était. Mais il demeurait concentré et impassible, les yeux rivés sur la route et la circulation.  

Lorsqu’ils se garèrent enfin, la nettoyeuse fut inondée de chagrin, incapable du moindre geste et il fallut à son partenaire venir la tirer de sa place passagère. Elle fut extirpée sans délicatesse aucune, presque traînée en dehors du véhicule. Qu’allait-il se passer ?  

 

Encore une fois, la poigne implacable de Ryô l’obligea à avancer vers leur entrée. Elle suivit avec docilité sans trouver la force ou le courage de relever la tête et de croiser le regard de ses anciens complices.  

Mick assistait avec désespoir au spectacle navrant du duo City Hunter en perdition. Ryô laissait éclater sa fureur depuis la sortie de la voiture, il en devenait méconnaissable tant ses traits se contractaient. Bien sûr, Kaori échappait à la vision de cauchemar, elle refusait toujours de se confronter à la réalité, d’affronter son partenaire ne serait-ce que du regard. Il n’était pourtant question que de secondes avant que tout n’explosât. L’américain fit quelques pas à la suite de ses amis. Mais Ryô le stoppa net.  

 

— Rentre chez toi Mick, le reste ne te regarde pas !  

— Ryô, entama le blond en posant une main sur l’épaule de celui dont il n’imaginait jamais qu’il puisse être ainsi blessé. Ne fais rien que tu puisses regretter.  

 

Ryô ne répondit pas mais fit comprendre à Angel qu’il n’était pas concevable qu’il n’obéisse pas à sa dernière demande : « Rentre chez toi, le reste ne te regarde pas. »  

 

— Ne lui fais pas mal, osa le blond.  

 

Pour toute réponse, il eut droit à un regard meurtrier. Puis Ryô reprit la marche vers l’immeuble, poussant Kaori devant lui. Mick bien sûr obtempéra, il dévia vers chez lui non sans lancer des regards inquiets vers le couple qui disparaissait dans l’entrée qui menait à leur appartement.  

 

Arrivés à leur étage, Kaori fut surprise d’être poussée de nouveau, il lui fallait poursuivre la montée des marches. Le toit. Ainsi Ryô voulait aller sur le toit ? Elle avala sa salive et grimpa jusqu’au repaire si réconfortant pour eux, cet endroit qui avait vu tant de crises et tant de complicité. La nettoyeuse n’ignorait pas le symbole de cet endroit ; il n’était pas surprenant que son partenaire ait fait ce choix pour l’explication qui s’annonçait. Pour autant, le toit était balayé par le vent fort de la tempête et les tympans furent immédiatement malmenés. Ça soufflait de toute part.  

 

D’un geste brusque il la positionna au milieu du toit et s’éloigna pour trouver refuge contre la rambarde. Elle leva doucement le visage et les yeux mais son partenaire était de dos. Il contemplait la ville en proie à la tempête.  

 

— AHAHAHAHAH !  

 

Il venait de pousser un cri de fureur convulsé. Un frisson d’effroi parcourut l’échine de Kaori, le cri surpassait en puissance le sifflement strident du vent. Jamais elle n’avait entendu pareil hurlement de sa part.  

Il se retourna, lui fit face, se passa la main dans les cheveux, se massa le visage, mais se refusa à faire un pas dans sa direction.  

 

— Qui est-il ? Que me veut-il ? questionna-t-il froidement.  

 

La peur, la surprise s’invitèrent instamment dans le cortex de l’interrogée. Elle calcula rapidement. Quelles réponses étaient attendues, quelles possibilités s’offraient à elle. Sauver sa peau. Sauver sa vie. Celle de Keiji.  

 

— Je ne sais pas, bredouilla-t-elle mollement.  

 

Il la regarda avec incrédulité. Allait-elle jouer encore longtemps ?  

 

— Un nom ! ordonna-t-il.  

— Je ne sais pas, s’obstina-t-elle.  

 

Il s’approcha doucement, désireux de lire dans les prunelles noisette de celle qui partageait sa vie depuis si longtemps les reflets du mensonge.  

 

— Que faisais-tu là-bas ?  

 

Un éclair s’abattit non loin laissant deviner l’imminence de l’orage et de la pluie. Quelques instants après, le tonnerre gronda.  

 

— C’est une rencontre imprévue, je te jure, tenta-t-elle pour sa défense. Il m’a certainement suivie.  

 

C’était suicidaire ! Cette ligne de défense ne pouvait tenir et Kaori en avait parfaitement conscience mais la raison lui échappait, elle ne pouvait réfléchir calmement, elle était morte de trouille, craignait pour la vie de son geôlier, craignait pour sa relation à Ryô. Lui demander un temps de décompression, un temps pour analyser la situation, accepter d’être honnête et sincère n’était bien sûr pas envisageable. Ryô, malgré le ton posé qu’il avait employé, était dans une rage inédite et Kaori le réalisait parfaitement. Il habillait cette rage afin de ne pas l’effrayer davantage mais tout en lui pulsait de fureur absolue et, assurément, il n’accorderait aucun délai de réflexion à celle qui était l’autre moitié de City Hunter. Du moins, encore à cet instant. A l’écoute de sa réponse, il posa sur elle un regard qu’elle ne lui avait encore jamais vu. Pas menaçant, pas de pitié, non, la désillusion ? la déception ? la résignation ? elle ne sut dire. Mais un regard d’une dureté inégalable, un regard désenchanté qui souffla le froid dans le cœur et le corps de Kaori. Un froid d’hiver qui s’installait durablement en elle, elle en était convaincue. Elle se mit à grelotter alors que la température extérieure dépassait les 25 degrés, la glace emprisonna ses entrailles, figea son courage et sa raison. Ce regard balaya tous ceux qu’il avait pu lui tendre auparavant. Huit années de regards.  

 

— Le sauver lui est-il plus important que nous sauver nous ? prononça-t-il avec solennité.  

 

Cette question n’appelait pas de réponse évidemment, elle scellait leur destin.  

 

Elle contempla avec désespoir le dos qu’il lui opposa lorsqu’il se détourna à nouveau pour se pencher sur la ville.  

 

— Ryô, reprit-elle avec précipitation.  

— Te rends-tu compte ? la coupa-t-il avec un ton dur et froid.  

 

Il se retourna vers elle.  

 

— Te rends-tu compte de ce qu’il a fait ? Il vous a kidnappées, il a mis en danger de mort notre cliente. Chizu. L’innocente Chizu ! Il n’aurait pas un instant hésité à lui ôter la vie. Tout comme il n’aurait pas un instant hésiter à me tuer si j’avais par malheur choisi de te sauver toi !  

 

Il éclata d’un rire sans joie et posa les mais sur ses joues afin de vérifier la tangibilité de l’horreur de ce qu’il était en train de vivre.  

 

— Si j’avais choisi de tuer le yakusa qui te menaçait, si j’avais écouté mon cœur et non mon instinct, j’étais un homme mort et Chizu mourrait de la même manière. Wouah ! Et aujourd’hui… Et aujourd’hui Kaori, tu me mens pour couvrir l’ordure qui avait ourdi ce plan de merde. Tu veux sauver ce mec et tu en viens à nous détruire nous !  

 

Elle écoutait. Fascinée et désespérée. Oui, tout cela était vrai ! Mais Keiji ne pouvait être résumé au monstre que Ryô décrivait. Elle le savait, avait appris à le connaître et elle avait développé des sentiments pour lui. Des sentiments difficiles à définir, certes, des sentiments étranges et déroutants, plus puissants qu’elle ne voulait l’admettre, mais très différents de ceux qu’elle nourrissait à l’égard de son compagnon de toujours. Ryô était et restait l’Amour de sa vie. Oui, tout cela était vrai mais elle niait malgré tout en bloc, sa caboche s’obstinant dans un mouvement latéral de négation. Kaori refusait de considérer sa trahison. Elle n’avait obéi qu’à une seule volonté, celle de sauver tout le monde, d’épargner la vie du plus grand nombre. Et ne pas trahir Keiji, était-ce vraiment trahir Ryô ?  

 

— Je ne veux pas nous détruire nous, tenta-t-elle de se justifier d’une voix quasi-inaudible. Ryô, tu sais à quel point je t’aime !  

 

Il leva immédiatement la main, telle un sceptre, signe lui intimant l’ordre de se taire. Alors elle se tut.  

 

— Je t’interdis de t’aventurer sur ce terrain-là ! énonça-t-il avec une froideur déroutante. Ici, là et maintenant il n’est pas question d’amour ou de sentiments entre nous.  

 

Comment osait-elle ? L’allusion avait failli le plonger dans un chaos dont il pourrait ne jamais ressortir. Qu’elle se taise ! L’aimer ? Quelle odieuse plaisanterie !  

 

— Tu ne comprends décidément rien ! renchérit-il avec dédain. Kaori, je te parle du ciment de notre relation. Notre relation professionnelle. Est-ce que cela te dit vaguement quelque chose ? Putain, là, je te parle de confiance Kaori ! Tu es… Tu étais la personne en qui j’avais le plus confiance au monde ! J’aurais placé ma vie entre tes mains. Aveuglément. Sans la moindre hésitation. Jamais je n’aurais imaginé…  

 

L’air lui manquait, il suffoquait presque. Pourquoi donc ne se débattait-elle pas plus que ça ? Était-elle satisfaite de la tournure des événements ? Ne désirait-elle pas se défendre, batailler, tenter un sauvetage désespéré ? Peut-être même n’avait-elle attendu que cela ? Projetait-elle de le retrouver ? C’était envisageable. Putain ! C’était envisageable… Hurler. Crier. Rugir. Pleurer. C’était quoi ces envies irrépressibles qui lui compressaient le cœur ?  

 

La nettoyeuse était anéantie, elle avait sous les yeux l’homme qu’elle chérissait le plus au monde dans un état de douleur dont elle ne l’aurait jamais cru capable et dont elle était entièrement responsable. Elle n’était qu’une piètre partenaire, elle en avait conscience, mais sa trahison aujourd’hui était d’une toute autre nature que ses manquements habituels. Ici, on ne remettait pas en question son maniement des armes ni son incapacité à rester à sa place ou à ne pas prendre trop de risques lors d’une mission. Aujourd’hui, elle n’était tout simplement plus digne d’être la partenaire de Ryô Saeba. Et rien de ce qu’elle pouvait objecter ne changerait cette réalité… Pleurer. Gémir. Mourir. Hurler. C’était quoi ces étaux si douloureux qui lui enserraient le cœur ?  

 

Le nettoyeur s’approcha d’elle, il détailla chacun des traits qu’il avait tant chéris, ces yeux dont il avait cru pouvoir discerner chaque nuance comme autant de circonvolutions merveilleuses de sa personnalité : sa droiture, son intégrité, sa fidélité tout autant que ses colères et autres excès délicieux en tous genres. Tout volait en éclats aujourd’hui ! Quel carnage !  

 

— Pourquoi ? lâcha-t-il malgré lui.  

 

Kaori était hébétée, ne parvenait pas à aligner deux pensées cohérentes, ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Il lui semblait n’être qu’un assemblage de souffrances et de douleurs.  

 

— Je ne voulais pas que tu lui fasses du mal, répondit-elle sans réfléchir.  

 

Le nettoyeur avait la tête qui tambourinait. Pourquoi donc ramenait-elle tout à l’autre ? Il la détestait ! Comment était-il possible qu’il en soit venu à l’exécrer à ce point ? Elle qu’il avait aimé à la folie.  

Les éléments se déchaînaient désormais autour du couple mythique, de grosses gouttes explosaient partout sur le toit, le vent faisait voler la robe fleurie, les pans de la veste bleue qu’il ne quittait que très rarement. Ryô perdait pied, crevait d’envie de la gifler, de la secouer, de la maltraiter et ne parvenait à se maîtriser qu’au prix d’une concentration infernale. Ressentait-elle le mal qu’elle lui causait ? N’y avait-il qu’à cet autre qu’elle accordât intérêt et considération ? Qu’il ne lui fasse pas de mal ? Fallait-il en rire ? Était-elle en train de plaisanter ? En finir au plus vite avec cette mascarade des sentiments ! Oui, il lui fallait maintenant en finir au plus vite…  

 

— Dégage ! scanda-t-il d’une voix d’outre-tombe. DÉGAGE !  

— Mais, Ryô…  

— Quitte ma vie, précisa-t-il de toute sa hauteur. Ma vie, ma ville, mon univers ! Ne croise plus ma route, ne côtoie plus mes amis. Va le rejoindre si tel est ton désir ! Va au Diable ! Mais dégage et épargne-moi ta vision désormais.  

 

Il éructait, des flammes semblaient sortir de ses orbites, ses mains battaient l’air avec violence. Son ton ne laissait pas de doute et Kaori le comprit parfaitement. Jamais il ne reviendrait sur sa décision, sa dernière phrase avait valeur de sentence.  

Elle explosa en larmes, tomba à genoux, posa paumes au sol, y chercha un éventuel soutien. Sa tête était baissée, signe de désolation et les spasmes provoqués par les larmes secouaient son corps. Il la contempla un instant mais ne fut pas ému le moins du monde. Oui il contemplait le tableau désastreux de ce qu’était maintenant leur partenariat, sa vie peut-être. Tout n’était plus que miettes. Elle avait tout détruit.  

 

Elle pleura en gros sanglots de longues minutes, prosternée à ses pieds indifférents. L’orage avait éclaté, le vent se déchaînaient mais les deux anciens partenaires restaient insensibles aux manifestations météorologiques. Il leur fallait vivre les derniers instants de leur rupture, assimiler les changements radicaux qui allaient survenir, l’irrévocabilité de leur séparation.  

Enfin, Kaori se releva. Difficilement. Elle dut rassembler le peu de force qui lui restait. Pourrie jusqu’à l’os, elle se refusa à croiser de nouveau les yeux du brun qui ne bougeait pas d’un iota et qui la couvait d’un regard méprisant. Elle tourna lentement les talons et se dirigea vers la sortie.  

 

— Accorde-moi vingt minutes pour rassembler mes affaires. Après, je quitte ta vie.  

 

Elle avait parlé d’une voix monocorde. La sensibilité avait déserté son corps et son cerveau, réflexe salutaire qui lui permettait de faire face, ou tout du moins d’en donner l’illusion.  

 

— Sache que je vais te faire suivre, prévint-il. Je t’utiliserai pour remonter jusqu’à lui, tu ne pourras rien contre moi.  

 

Le nettoyeur se maudit de la faiblesse qu’il lui dévoilait, cette jalousie qui le dévorait. Kaori s’était posée un instant, n’avait pas pris la peine de se retourner pour écouter ce qu’il avait à ajouter. Il perçut l’infime mouvement de sa tête, signe qu’elle avait bien entendu et compris la menace sous-jacente. Puis elle quitta le toit.  

 

Il patienta sous les trombes d’eau, en proie au vent qui prenait un malin plaisir à le torturer. Il la vit de loin avec sa valise se rendre à l’arrêt de bus, attendre, puis monter dans le premier bus qui passa. Alors seulement il s’autorisa à quitter son masque d’impassibilité. L’air se raréfia d’un seul coup, il ploya sous la douleur fulgurante qui zébra sa poitrine. Il tomba à genoux, courba échine, dut prendre appui sur le sol avec ses mains. La tête ainsi penchée, l’eau ruisselait sur son visage, collait ses cheveux, se mêlait à ses larmes. Pourquoi était-ce si douloureux ? Pourrait-il y survivre ? Il explosa en sanglots, s’effondra sur le sol et y demeura de longues heures.  

 

 

 

 

 

 

 

 


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