Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Author: nodino

Beta-reader(s): Amelds

Status: Completed

Series: City Hunter

 

Total: 22 chapters

Published: 17-02-10

Last update: 17-11-18

 

Comments: 139 reviews

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RomanceDrame

 

Summary: Une nuit, tout bascule et la rupture devient inévitable... L'amour aussi... Mais jusqu'où peut on aimer quand on est City Hunter ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Ain't no sunshine." sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Ain't no sunshine.

 

Chapter 20 :: A la croisée des chemins... Un renouveau ou la fin de tout.

Published: 21-01-18 - Last update: 18-08-19

Comments: Bonjour à tous. Voici la suite, qui arrive si longtemps après le dernier chapitre. Je n'ose même pas regarder de quand il date tant je suis mortifiée ^^'. Je continue l'histoire et je veux la finir, c'est tout ce que je peux vous dire. J'espère que ce chapitre vous plaira.

 


Chapter: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22


 

Quand j'ouvre les yeux, je ne rencontre que la pénombre. Il fait si sombre... Où suis-je ? J'ai du mal à respirer ; il y a de la fumée partout. J'étouffe, je tousse. C'est horrible, j'ai l'impression qu'on m'arrache les poumons... Où suis-je bon sang ? Du bras, j'essaie d'écarter la purée de poix qui me cache la vue mais impossible de distinguer quoi que ce soit. Plus je m'active plus elle se densifie. Elle m'entoure, menaçante, danse autour de moi ; on dirait un serpent. Elle s'infiltre partout, froide et glaciale, chaude et brûlante à la fois, et s'étire, indéfiniment. Une sourde angoisse bourdonne en moi ; je me tourne dans tous les sens pour essayer de comprendre. Mais peine perdue. Il n'y a plus ni ciel ni terre ; je plane dans une espèce d'univers immatériel.  

 

Je suis seule. La peur me serre le ventre. J'ai mal. A bout de souffle, j'essaie de reprendre possession de ma pensée et de ma mémoire. « Réfléchis Kaori, essaie de te souvenir ! » Tel un mantra, je me répète cette phrase en boucle. Puis, soudain, me revient le bruit sourd d'une explosion. Ryo... tu étais là ! Tu as disparu quand la bombe a explosé ! La douleur me tord de plus en plus les entrailles, mais il faut que je te retrouve . Mais il m'est soudain impossible de bouger et je m'effondre. Mes jambes sont paralysées. Je lâche un juron. Qu'est-ce que c'est que ça encore ?! Mon corps refuse de m'obéir, je suis prisonnière de ces volutes qui délimitent les horizons. La panique me gagne. Non non non ! Je ne peux pas rester bloquée ici, sans savoir ce qui t'est arrivé ! Alors que je brasse frénétiquement l'air autour de moi, il me semble apercevoir une forme au loin. C'est toi, c'est sûrement toi !!! Mais lorsque j'essaie de crier pour attirer ton attention, la fumée s'infiltre violemment dans ma bouche, m'agresse la gorge et m'asphyxie. Je n'arrive plus à respirer. J'étouffe. J'ai l'impression de mourir. Ryo ! Aide-moi ! Ça ne peut pas finir comme ça ! C'est un cauchemar !  

 

Au moment même où mon esprit effrayé formule ces mots, je comprends enfin. C'est un rêve ! C'est forcément ça ! M'arrachant aux limbes et à la douleur qui irradie dans tout mon corps, je m'accroche comme à une bouée à un souvenir tactile : tes bras, j'étais dans tes bras ! Je me souviens de la force de ton corps et de tes bras qui me soutenaient. Tu étais avec moi ; tu ne m'aurais jamais laissée ! Cette peur et ce sentiment de solitude qui m'étouffent ne peuvent être réels !! Cette certitude m'électrise alors et, aspirant difficilement une grande bouffée de cet air glacial et vicié, je réussis à dépasser cette effrayante impression de mourir pour enfin crier.  

 

-RYOOOOOOO !!!  

 

J'ouvre enfin les yeux. Je suis dans un lit. Le temps de reprendre pied, j'inspire profondément plusieurs fois, pour faire disparaître cette affreuse sensation de suffocation qui me serre encore les poumons. L'impression de suffoquer s'estompe un peu. Où suis-je ? Le lit est spartiate, comme un lit d’hôpital et les draps qui me recouvrent sentent le frais. La pièce est plongée dans une semi-pénombre, mais vu le violent mal de crâne qui me vrille les tempes c'est mieux comme ça. Je connais cet endroit, mais pour l'instant j'ai tellement de mal à remettre de l'ordre dans mes idées qu'il m'est impossible de savoir quand et comment j'ai déjà pu venir ici. Est-ce que je suis toujours en train de rêver ? Cet endroit est-il réel ? Ai-je vraiment crié ? C'est en posant mon regard sur la blouse blanche et les longs cheveux bruns de celle qui dort, la tête dans les bras, assise devant son bureau, que les pièces du puzzle retrouvent leurs places. Kazue.  

C'est bien son bureau, je reconnais maintenant les meubles en formica et les placards en métal qui caractérisent son espace, ou plutôt le laboratoire où elle officie. Cela explique mon impression de déjà vu. Et à priori, je ne l'ai pas réveillée ; elle semble dormir paisiblement ; mon cri s'est donc arrêté aux portes de mon cauchemar.  

 

Un peu empêtrée dans les couvertures, j'essaie de les repousser pour me lever mais je ne peux retenir un gémissement. Mon corps est si douloureux et courbaturé que le moindre mouvement est une torture. Voilà pourquoi j'avais si mal dans mon rêve. Comme un écho, ma mémoire corporelle se réveille et déroule alors le film de tout ce que mon corps a subi. La fenêtre chez Tybault, le filin providentiel, le choc contre le mur, mon enlèvement par Paris, la douleur à mon réveil, la bombe, l'explosion... Les souvenirs du cauchemar qui s'effilochaient doucement refont surface, et la violente angoisse ressentie il y a quelques secondes à peine, dans l'irréalité du rêve, revient et me rappelle celle qui en était à l'origine. La bombe ! Ryo !  

 

Sans réfléchir, j'attrape tout ce qui me recouvre et m'en libère pour quitter ce lit et partir à ta recherche, mais j'ai sous-estimé les limites de mon corps, car ce geste m'arrache cette fois un vrai cri de douleur, suffisamment fort pour sortir Kazue de son sommeil, et il est évident que si j'avais réussi à me lever, je me serais effondrée par terre. Lorsqu'elle se tourne vers moi, son visage pâle et tourmenté et ses yeux rouges et cernés finissent de lever le voile sur mes souvenirs des dernières heures. Mais dès que nos regards se croisent, ses traces de fatigue disparaissent aussitôt et c'est d'un pas assuré qu'elle se dirige vers mon lit.  

 

-Attends, ne bouge pas, je vais t'aider...  

 

-Ryo ? Où est-il ?  

 

-Il va bien, ne t'inquiète pas, il est parti faire le tour de ses indics, il revient bientôt. Toi, tu dois rester calme et te reposer. Allonge-toi s'il te plaît, je dois t'examiner.  

 

Soulagée, j'essaie de me laisser retomber sur l'oreiller et je ne peux retenir une grimace douloureuse. Heureusement, Kazue anticipe mes besoins ; d'une main, elle me retient et, de l'autre, vient caler deux coussins derrière mon dos. Tout en m'aidant à bien m'installer, elle prend ensuite mes constantes sans cesser de m'observer de son regard professionnel.  

 

-Comment te sens-tu ?  

 

-Je n'ai jamais testé le rouleau compresseur, mais ça doit se rapprocher de ça. J'ai mal partout. Vraiment.  

 

-C'est normal. Tu as pris de sacrés coups. Tu as au moins deux côtes cassées et des contusions partout sur le corps. Tu as dormi plus de douze heures d'affilée.  

 

-Oh. Douze heures...  

 

Pas étonnant que je me sente vidée, je n'ai pas l'habitude de dormir autant. La nuit blanche et la violence des événements ont eu raison de moi. Je m'affaisse un peu plus sur l'oreiller pendant que Kazue finit de prendre ma tension et de faire des allers-retours jusqu'à son bureau pour apporter de quoi vérifier mes réflexes. Je la laisse faire en silence, sans la quitter des yeux, essayant de deviner dans son regard concentré mais fuyant et ses traits tendus les réponses à mes questions. Les souvenirs des dernières heures m'étant revenus, je me rappelle très bien de tes derniers mots avant que je ne m'effondre dans tes bras. Mick. Tybault. Tu n'avais rien dit d'autre mais ton air grave était suffisamment éloquent. Il suffirait que je lui demande pour savoir ce qui s'est passé mais, face à elle, alors que je brûle de savoir s'ils sont toujours vivants, j'ose à peine prononcer un mot tant j'ai peur qu'elle ne confirme mes craintes. Ma prière muette doit se lire dans mes yeux, car elle tente d'abord désespérément d'y échapper en fixant le mur derrière moi, puis ses paupières papillonnent plusieurs fois avant qu'elle ne se laisse tomber sur le lit pour s'asseoir à côté de moi.  

 

Je lui prends la main, inquiète.  

 

-S'il te plaît, dis-moi...  

 

-Je ne sais pas quoi te dire...  

 

-Mick...  

 

Je n'ose formuler mieux ma question tant j'ai l'estomac serré. Son regard fuyant ne me laisse que peu d'espoir et quand elle lâche un profond soupir et qu'une larme en profite pour s'échapper je m'agrippe aux draps, m'attendant au pire.  

 

-Mick est vivant... lâche-elle dans un souffle, avant de modérer l'espoir qui vient de desserrer un peu l'étau autour de mon estomac en rajoutant : « Pour l'instant . »  

 

J'attrape aussitôt sa main lorsque je la vois trembler comme une feuille, prête à fondre en larmes. Sa main serre alors la mienne à m'en faire mal et, après quelques secondes de silence, elle parvient à trouver dans la rigueur du diagnostic médical un soutien pour continuer :  

 

-Il a été touché deux fois. La première balle a déchiré l'artère fémorale et il a perdu beaucoup de sang. La deuxième a transpercé le poumon droit et a créé un hémothorax et un épanchement pleural. Il a heureusement été amené ici assez rapidement pour que les dégâts ne soient pas irréversibles. Le Doc a pu lui faire un drainage thoracique, puis une réanimation par voie intra-osseuse car il était en état de choc hémorragique. En ce moment, il tente une thoracotomie pour le stabiliser mais le pronostic est assez mal engagé. Son cœur s'est arrêté de battre deux fois déjà et il fatigue. Ce n'est pas certain qu'il puisse repartir une troisième fois...  

 

Le sens de la moitié de ce qu'elle m'a expliqué m'échappe mais peu importe, j'ai compris l'essentiel. Mick va mal. Très mal. Mais il y a un faible espoir qu'il survive. Il y a toujours de l'espoir, c'est tout ce que je veux retenir. Je pose mon autre main sur la sienne et je tente de lui transmettre toute la force de ma foi en Mick.  

 

-Il est fort Kazue. C'est un battant, il a déjà survécu à tant de choses. Aie confiance en lui.  

 

Ma voix vibre de conviction, mais je vois bien à son haussement d'épaules qu'elle n'y croit guère. Il reste à espérer que les heures à venir me donnent raison. Je veux y croire.  

Le silence envahit doucement la pièce, seulement ponctué de nos respirations saccadées et courtes, qui trahissent notre angoisse conjointe. Aucune raison de vouloir s'y complaire, nous ne partageons rien d'agréable, mais j'ai presque peur de le briser pour oser poser la deuxième question.  

 

-Et Tybault ? Lui aussi a été blessé ?  

 

Lorsque je vois le sang refluer du visage déjà très pâle de Kazue, je comprends aussitôt que la nouvelle va être mauvaise...  

 

 

*****************  

 

 

-Je vais chercher Kaori, Doc. Préviens Saeko qu'on la rejoindra dans ton bureau.  

 

Dans l'interstice, juste avant que la porte ne se referme, mon regard se pose sur la silhouette qui se découpe devant la fenêtre. Debout devant le corps inerte de Mick, les deux mains sur la barrière du lit, le Doc l'observe en silence. Les traits tirés, il ne le lâche pas des yeux, je me demande même s'il a entendu ce que je viens de lui dire. Il ne m'a jamais semblé plus vieux et fatigué qu'à cet instant.  

 

La poignée est froide. Je regarde ma main sans la voir. Un vertige, léger. Je commence à accuser le coup. Putain de journée, j'ai hâte qu'elle se termine. J'enfonce les mains dans mes poches et, après un dernier regard sur la porte derrière laquelle la Mort a joué son va-tout, je m'éloigne dans le couloir. Trois pas plus loin, un deuxième vertige me ralentit. Mon regard accroche une chaise qui traîne là et je m'assois. Seules les veilleuses éclairent faiblement le couloir de leur lueur blafarde et elles créent des ombres qui se fondent dans la pénombre et le silence. Je me laisse aller deux secondes contre le dossier et pose ma tête contre le mur, les yeux fermés. Je n'ai pas l'habitude des moments de faiblesse, mais il est tard. Ma dernière nuit remonte à plus de deux jours et maintenant que la pression retombe, la fatigue me tombe dessus. Il faut que je me secoue, il reste encore beaucoup à faire et j'ai l'impression que la journée est loin d'être terminée. Quand Saeko m'a appelé, sa voix au téléphone était préoccupée, grave. Encore plus grave que la fois précédente, quand elle m'avait prévenu que Tybault était mort. Son appel avait été extrêmement bref, juste le temps de balancer l'information. Son équipe était aussi sur le toit et son préfet de père était derrière elle, elle ne pouvait s'attarder.  

 

Tout ce que je sais de ce qui s'est passé pendant que j'étais sur les docks, ce sont mes indics qui me l'ont appris. Après avoir débarqué à la clinique en catastrophe en te portant à bout de bras, j'avais juste attendu que Kazue me certifie que tu n'étais pas en danger et qu'elle allait s'occuper de toi. Mick était toujours sur la table d'opération mais vivant, Makato et mademoiselle Taki étaient en sécurité dans une des chambres de la clinique. J'avais donc filé en direction de l'immeuble où j'avais laissé Tybault. Il fallait battre le fer tant qu'il était encore chaud, c'était maintenant que les langues allaient se délier, après il serait trop tard.  

 

Les infos avaient déjà fuité et tous mes indics étaient au courant de la mort d'un des leaders du clan Futago. Tous ceux qui se trouvaient dans le quartier, alertés par la fusillade dans le hall de l'immeuble de Makato, avaient bien vu débouler cette berline noire et en sortir cette femme à la longue chevelure ébène qui s'était engouffrée dans le bâtiment, pour en sortir une demi-heure plus tard, l'air hagard et des traces de sang sur les vêtements ou les mains, en fonction des personnes qui m'avaient raconté l'histoire.  

 

Par contre, ils étaient tous unanimes sur une chose : il n'y avait pas eu d'explosion. Entre le moment où la femme était entrée et celui où elle était sortie de l'immeuble, aucun bruit ressemblant de près ou de loin à une bombe ne s'était fait entendre. Paris n'avait donc pas déclenché l'explosif qu'elle avait accroché à son frère. Mais elle l'avait pourtant tué. Ils avaient tous été témoins de la sortie du brancard supportant le sac mortuaire noir, qu'un policier avait hissé dans une ambulance. Aucun doute là-dessus.  

Voilà, Tybault était mort. Il savait ce qu'il risquait. Il voulait vraiment essayer de raisonner sa sœur, il avait échoué. Ce matin, je l'aurais tué de mes propres mains ; je l'aurais fait sans aucun remord. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti cette violente pulsion qui vous saisit et vous fait perdre toute raison. Mais maintenant, je ne pose plus le même regard sur la situation. Ce n'est pas un yakuza qui est mort, mais un homme qui tentait de racheter ses erreurs. Je pense que tu auras besoin de savoir cela. Je te connais, Kao. La vie t'a déjà bien malmenée, et même si tu n'en montreras rien, je sais que tu accuseras le coup. Savoir qu'il voulait sauver sa sœur et la ramener à la raison, qu'il était devenu quelqu'un de meilleur, apaisera peut-être un peu les choses.  

 

Dans le fond de ma poche, mes doigts butent sur un petit disque, dont la fraîcheur réveille mes sens. D'instinct, je fais jouer entre mes doigts ce que je sais être un petit bouton de nacre pour le réchauffer. C'est devenu une espèce de réflexe pour me détendre ou me rebooster, et effectivement, deux secondes plus tard, j'ai retrouvé une nouvelle énergie.  

 

J'ouvre les yeux. Le vertige a disparu. Je repars en direction du bureau de Kazue, mais j'ai à peine atteint le bout du couloir que mon téléphone vibre dans ma poche.  

C'est Hitaro, un de mes plus anciens indics. Comme le vieux Xiang, il connaît tout de cette ville et de son histoire, ses légendes. Je lui avais donné comme mission de me trouver tout ce qu'il y avait à savoir sur le groupe de yakuzas dont Tybault m'avait parlé : le clan Aryû. Je connais tous les gangs actifs actuellement et je sais donc qu'ils ne sont plus en activité, ni ici ni ailleurs au Japon. Pourtant, leur nom ne m'est pas inconnu et je serais curieux de savoir pourquoi, et en quoi Paris est liée à ça.  

Je décroche :  

 

-Oui Hitaro ?  

 

-J'ai trouvé tes informations Ryo. Je connaissais un peu la légende mais je voulais vérifier avant de t'en parler.  

 

-Je t'écoute.  

 

Il se racle la gorge avant de commencer. Je sens que ça risque d'être long alors, avisant une rangée de chaises dans le couloir, je m'assois de nouveau pour mieux l'écouter.  

 

-Voilà, je ne connais pas vraiment les détails, ce qui est assez étonnant, car en général, il y a toujours un flic qui aime raconter ce qu'il sait à un inconnu dans un bar. Faut juste trouver la bonne dose de saké et tu apprends tout sur leur vie. Jusqu'à la couleur de la petite culotte de leur femme, se marre-t-il.  

 

-....  

 

-Bon, ouais, mais là, reprend-il devant mon silence, personne ne connaît vraiment le fin mot de l'histoire. Aucun de mes potes n'a pu m'apprendre quelque chose de nouveau, même les plus anciens.  

 

-Abrège, qu'est-ce que tu sais Hitaro, demandé-je en réprimant difficilement l'impatience qui me gagne.  

 

-Ouais, j'y viens. Donc... le clan Aryû a été totalement descendu il y a une dizaine d'années. Ils étaient assez actifs. Pas les meilleurs, mais quand même très efficaces. Rapides et discrets. Ils commençaient même à être plutôt côtés. Leur truc, c'était les kidnappings. Et les bombes aussi. Leur chef aimait bien tout faire sauter. Et il était très doué paraît-il.  

 

-Oui, il paraît, j'ai vu le travail d'une de ses élèves. Et comment ont-ils disparu ?  

 

-Personne ne sait. Une nuit, leur repaire a explosé. Tous butés, résume-t-il laconiquement.  

 

-Rien d'autre ?  

 

-Non. A l'époque, personne n'avait rien trouvé. Tous des tocards dans la police, si tu veux mon avis.  

 

-Et Paris ?  

 

-Quoi Paris ? C'est qui, ça, Paris ?  

 

-Paris Gaotuf. Leur dernière victime. Je sais de source sûre qu'elle était avec eux.  

 

-Ah, la môme Gaotuf, celle dont les parents ont été tués et qui avait été kidnappée ? Elle s'appelait Paris, je savais pas. Alors, si je me souviens bien, on a retrouvé la môme errant dans la ville quelques jours plus tard, couverte de sang. Elle était amnésique. Tu es sûr que c'étaient eux qui l'avaient enlevée ?  

 

-Oui, sûr. Donc, pour résumer ce que tu m'as dit : le clan entier a été décimé en une seule nuit et personne n'a trouvé le moindre indice sur le responsable et aucun lien n'a été établi avec Paris ?  

 

-C'est ça. C'est tout ce que tu voulais savoir Ryo ?  

 

-Oui. Merci Hitaro. Bois un coup à ma santé.  

 

-Ça marche. Salut Ryo.  

 

Quand je raccroche, j'ai encore plus de questions qu'avant le début de la conversation. J'inspire profondément et me laisse couler un peu plus contre le dossier en plastique dur de la chaise. Fermant les yeux, je repasse en mémoire les informations que j'ai en ma possession pour essayer de faire le tri dans tout ça. Paris et le clan Aryû. Je reprends les éléments que Hitaro m'a fournis, ceux que Tybault t'avait racontés et ce que j'avais lu dans le dossier fourni par Saeko. J'ai la désagréable impression d'avoir de l'huile et du vinaigre dans un shaker. Des éléments qui, même en les secouant, ne veulent pas se mélanger. Comment se fait-il que le clan Aryû, responsable de la mort des parents de Paris, ait pu lui apprendre autant de choses. Elle était leur victime. Un yakuza est plus souvent amené à tuer celui qu'il a kidnappé qu'à le former. Serait-il possible qu'il y ait eu quelque chose de plus intime entre la jeune fille et le chef du clan ? Je sais que cela arrive... Mais, dans ce cas, quel rôle a bien pu jouer Paris dans leur disparition ? Elle est la seule rescapée de l'explosion de leur repaire. Mais elle n'a été retrouvée que plus tard. Rescapée... ou responsable ? J'ai l'impression qu'il me manque encore des données pour trouver la réponse à toutes ces questions. D'un coup de tête rageur, je viens cogner contre le mur derrière moi. La douleur qui annonce la naissance d'une bosse me rappelle à l'ordre. Dans l'immédiat, je dois aller te chercher. Je vais donc mettre tout ça dans un coin de ma tête et j'y repenserai plus tard. Je suis sûr qu'en laissant décanter, des choses se mettront en place toutes seules.  

 

D'un mouvement de buste, je me relève et repars, mais j'entends soudain claquer derrière moi la voix de celui qui est responsable de tout ce merdier.  

 

-Monsieur Saeba !  

 

-Monsieur Makato... réponds-je, en me retournant vers le petit homme, dont les yeux brillent de colère. Il sort de la chambre contre laquelle je viens de frapper de la tête. Le bruit a dû l'inciter à sortir.  

 

-Je peux savoir combien de temps vous comptez nous garder prisonniers ici ? m'apostrophe-t-il, je n'ai pas que ça à faire de mes journées d'attendre dans une chambre d’hôpital !  

 

-Écoutez, je reviens vous voir plus tard, je vous expliquerai tout ce que nous allons mettre en place pour votre protection. Pour l'instant, j'ai autre chose à faire, dis-je en amorçant un demi-tour.  

 

-Hors de question !! rétorque le petit homme, qui se dirige vers moi en montant dans les aigus. Derrière lui, Mademoiselle Taki apparaît et tend le bras pour essayer de le retenir, mais il est rapide, malgré sa petite taille.  

 

-Est-ce que vous savez qui je suis ? Savez-vous quelles sont mes responsabilités ?? aboie-t-il, un doigt vindicatif tendu dans ma direction. Ma patience a plus que des limites. Cela fait douze heures que la commissaire nous a laissés ici, sans aucune information, et que nous attendons dans cette chambre ! C'est inadmissible !!  

 

Malgré moi, je louche sur ce doigt qui s'agite sous mon nez et je sens que si sa patience a des limites, la mienne est inexistante en ce qui le concerne. Une violente pulsion monte des profondeurs de ma colère et je dois faire un effort pour ne pas attraper ce doigt et le tordre à le lui arracher. Il n'a aucune idée de ce que ça me coûte de rester calme et continue de s'en servir comme métronome pour ponctuer sa diatribe :  

 

-J'ai des réunions moi, Monsieur, j'ai des associés qui attendent des directives, moi, Monsieur ! Avec ces Yakuzas qui s'en prennent à tous les Pdg de la ville, les affaires de l'entreprise sont au ralenti et vous, vous... Il s'étrangle presque d'indignation... Vous, que faites-vous ?? Vous restez là, sans rien faire, à attendre le prochain attentat de ces fous furieux !! Déjà, après cette fausse attaque dans nos bureaux avant-hier, j'avais commencé à me poser des questions, mais maintenant qu'en plus votre collègue est mort, je m'interroge sur votre capacité à nous protéger. Vu ce qui s'est passé dans le hall de mon immeuble, c'est clairement de l'incompéten...  

 

Lorsque je l'entends évoquer le hall de son immeuble, le visage de Mick traverse mon esprit. Son visage livide. Son sang sur le sol. Quelque chose de profondément animal hurle alors en moi... et je laisse ma colère s'exprimer. D'un mouvement vif du poignet j'agrippe le doigt de cet insupportable bonhomme. De surprise, il avale la dernière syllabe de son mot et lâche un petit couinement. Ses yeux, qui me fixaient avec toute l'agressivité dont il était capable, se mettent à briller d'inquiétude, tout comme ceux de Mademoiselle Taki qui se dirige instinctivement vers moi. D'un regard, je l'arrête, puis reviens vers un Makato blafard, pour qu'il puisse lire dans mes yeux tout ce que mes mots n'exprimeront pas.  

 

-Ne vous inquiétez pas Mademoiselle Taki, la rassuré-je sans le quitter du regard, je ne lui ferai pas de mal. Je n'ai pas pour habitude de blesser mes clients. Mes clients qui, eux, sont en général reconnaissants qu'on les protège et qui ne s'amusent pas à risquer nos vie pour je ne sais quelle raison. Donc, comme je le disais à votre patron, Mademoiselle Taki, je vais revenir vers vous le plus rapidement possible, et je vous expliquerai la suite du protocole de protection. Est-ce que cela vous va Mademoiselle ?  

 

-Oui, oui, bien sûr, répond en toute hâte la secrétaire. Nous sommes en sécurité ici, Monsieur Saeba, et c'est le plus important ! Nous en sommes tout à fait conscients. N'est-ce pas, Monsieur Makato ?  

 

Le regard toujours enfoncé dans les profondeurs de la peur de Makato, je continue à lui serrer le doigt. Je sens contre ma paume à quel point il tremble de frayeur. Je sais que je dois lui faire peur. Pas mal. Peur. Si j'ai parlé calmement à la jeune femme, lui n'a en face de lui qu'un masque aux sourcils froncés et au regard meurtrier. Si je pouvais, je lui ferais avaler sa morgue au fond de la gorge. Il doit le sentir, et c'est d'une toute petite voix qu'il répond :  

 

-Oui, bien sûr... Il est vrai qu'ici nous sommes plus en sécurité que dans nos bureaux et nous pouvons encore patienter quelques instants. Vous avez raison Monsieur Saeba, et je vous sais gré de tous vos efforts pour nous aider.  

 

Je ne sais pas si c'est son attitude totalitaire d'il y a quelques secondes ou celle-ci, obséquieuse, qui me dégoûte le plus chez cet homme. Le sourire reconnaissant qu'il affiche sur son visage sonne tout aussi faux que sa personne. Mais j'ai plus urgent à faire que d'exprimer mon aversion pour lui, et ta compagnie me sera bien plus agréable. Je relâche donc, presque à regret, son doigt, qu'il s'empresse de masser pour y refaire circuler le sang, puis je le regarde faire rapidement demi-tour pour battre en retraite dans la chambre, bousculant Mademoiselle Taki au passage. Elle m'arrête d'un sourire, devinant à mon nouveau froncement de sourcils que je m'apprête à le rappeler à l'ordre, tandis qu'il claque la porte derrière lui, sans l'attendre.  

 

-Tout va bien, Monsieur Saeba, ne vous inquiétez pas.  

 

-Non, tout ne va pas bien. Je ne devrais pas m'énerver, mais il n'y a rien de normal dans sa conduite à votre égard.  

 

-Il est nerveux, c'est pour ça. Je vous remercie de vous inquiéter autant pour moi. N'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit pour vous aider dans votre mission.  

 

D'un soupir, je renonce à lui faire comprendre qu'elle ne doit pas se laisser ainsi faire. Après tout, il n'y en a pas deux comme toi ; il n'y a que toi pour rendre au centuple la monnaie de sa pièce à ton tortionnaire. Il faudrait que tu la rencontres et que tu lui donnes des cours.  

En attendant, sa proposition a quelque chose d'intéressant, dans la mesure où cela me permettrait de vérifier quelque chose...  

 

-Effectivement, j'aurais besoin de vous. Si vous vous en sentez capable bien entendu, je ne veux vous obliger à rien.  

 

-Dites-moi de quoi il s'agit Monsieur Saeba, je ferai tout mon possible pour vous satisfaire.  

 

-Sortez avec m... réponds-je instinctivement, comme un vieux réflexe, avant de me reprendre d'une tape sur le crane, devant le regard éberlué de la jeune secrétaire. Que voulez-vous, on ne se refait pas, et même si je ne pense qu'à toi, la demoiselle reste vraiment, vraiment, mais vraiment mokkori dans son petit tailleur, même s'il est taché de sang. Euh non, ce n'est pas ça, ah ah ah ! reprends-je en bafouillant. Non, j'aurais besoin que vous m'aidiez à voir ce qu'il y a de si important dans cette mallette que cela nécessite que votre patron risque sa vie. Et la notre au passage.  

 

La jeune femme semble peser le pour et le contre, hésite une seconde, puis deux. Puis elle s'incline légèrement :  

 

-Je ferai de mon mieux, Monsieur Saeba.  

 

-Merci. Maintenant, je vous laisse.  

 

Je pars cette fois presque en courant, sans m'arrêter sur la dernière question qu'elle me lance : « Et Monsieur Angel, comment va-t-il ? » . Je suis déjà à l'autre bout du couloir avant même qu'elle ne prononce le dernier mot de sa phrase. Cette envie de fracasser la tête de Makato m'a donné encore plus envie de te retrouver. Kaori. Apaise-moi.  

 

Lorsque j'arrive enfin près du bureau de Kazue, je m'arrête. Depuis l'intérieur, j'entends vos deux voix qui se répondent, puis soudain, ta voix, qui vibre d'angoisse :  

 

-Et Tybault, lui aussi a été blessé ?  

 

 

*************************  

 

 

Les mots de Kazue flottent autour de moi. Elle me parle avec beaucoup de tact et de douceur. Je peux sentir sa main qui serre la mienne, tout comme moi je serrais la sienne il y a quelques minutes encore. Elle m'explique, me raconte le piège tendu à Tybault par Paris pour l'obliger à tuer Makato, mon rôle dans cette affaire. J'entends qu'il a décidé d'attirer à lui Paris pour laisser à Ryo le temps de venir me délivrer. Au milieu de toutes ces phrases, de tous ces mots, s'immiscent le souvenir tactile de la bombe contre mon ventre et de son dernier adieu, son dernier baisemain. Je peux encore voir les chiffres rouges luminescents du compte à rebours, qui s'égrènent et se superposent sur son visage alors que nos regards se croisaient une dernière fois, avant que la porte de l'ascenseur ne se referme. Je comprends ce qu'elle me dit. Elle me dit qu'il est mort. Que sa bombe a sûrement explosé. Qu'il s'est sacrifié. Qu'elle l'a tué. Paris a tué son frère. Comment est-ce possible ? Un sanglot étouffé me secoue. Je ne pleure pas mais j'ai mal. Mal d'incompréhension.  

 

Le menton sur la poitrine et les yeux fermés, je me sens complètement submergée. Tybault était un criminel, un yakuza, il a tué des hommes sans aucun état d'âme. Mais, parallèlement et loin de toute notion de bien et de mal, il était aussi attentionné et le souvenir du temps passé à ses côtés, de sa tendresse, en dessine une silhouette plus nuancée... Et je tenais à lui. Je tenais à lui et je lui ai menti pour obtenir ces informations dont tu avais besoin. Moi qui ne mens jamais, j'ai utilisé ses sentiments contre lui. Je dois faire un effort pour balayer ces bribes de culpabilité qui tentent de s'immiscer en moi, mais c'est finalement assez facile. Il n'était pas stupide, il devait forcément savoir que son histoire ne finirait pas bien. Que la mort l'attendait au détour d'une erreur ou d'un mauvais choix. Là, c'est un acte de courage qui a fait basculer sa destinée. Un acte qu'il a sciemment choisi d'accomplir. Pour moi. Tybault... Une dernière fois, je laisse venir à moi le souvenir de son visage fin, encadré de ses longs cheveux noirs retenus en catogan dont s'échappaient toujours une ou deux mèches, je revois nos longues discussions devant une glace et son sourire avant de m'embrasser. Même s'il n'était pas l'homme que je croyais, je lui dois d'avoir retrouvé le goût de vivre, et maintenant, alors que je lui dois aussi la vie, je laisse s'envoler mon ressentiment pour ne garder en mémoire que la reconnaissance que je lui dois. Merci Tybault.  

 

Un soupir. Un souffle. Qui me libère. J'ouvre les yeux et essuie une larme. Kazue n'est plus à mes côtés. Elle a dû vouloir me laisser accuser la nouvelle, à moins que je ne me sois endormie, car elle est retournée à son bureau. De là où je suis, je peux la voir et je sens immédiatement que quelque chose ne va pas. Une main soutenant son front et une petite fiole qu'elle observe dans l'autre, je sens d'ici que son aura est quasi éteinte. Un souffle de vent qui s'engouffrerait dans la pièce suffirait à l'éteindre ou à la faire exploser en sanglots. Se serait-il passé quelque chose pendant que je me suis assoupie ? Mick ? Oh non, j'espère que non !  

 

Avec le plus de précautions possible pour ne pas souffrir, je roule sur le côté en me repoussant des bras sur le matelas, puis fais tomber mes jambes dans le vide et réussis à m'asseoir, puis à me lever. Je tiens debout, c'est déjà ça. A pas hésitants je me dirige vers elle, et l'interpelle doucement en posant une main sur son épaule.  

 

-Kazue ?  

 

-Oh, Kaori ! sursaute-t-elle d'abord avant de confirmer mon hypothèse : « Tu es réveillée... »  

 

-Que se passe-t-il Kazue ?  

 

-Tu t'es assoupie deux ou trois minutes, alors je voulais te laisser te reposer tranquillement, se méprend tout d'abord l'infirmière.  

 

-Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je... Tu... Qu'est-ce qui ne va pas ? Mick ?  

 

-Non, toujours pas de nouvelles...  

 

-Oh. Tant mieux, j'ai eu peur soudain, je ne sais pas pourquoi. Qu'est-ce que c'est ?  

 

Elle suit mon regard interrogateur et comprend que je parle de la petite fiole qu'elle fait tourner devant ses yeux et qui semble avoir sur elle un effet hypnotique. Elle fixe d'un regard quasi contemplatif les reflets mordorés que crée la lumière de la lampe en se diffusant au travers du liquide ambré.  

Elle hausse les épaules, comme si cela n'avait aucune importance, mais lorsqu'elle me répond et que je reconnais l'intonation de sa voix, je sens un mauvais frisson me glacer l'échine. Ce ton, morne et désabusé à la fois, c'est celui de quelqu'un qui ne croit plus en rien, qui pense avoir tout perdu, c'est celui qu'elle avait au Cat's, juste avant de quitter Mick. Mais plus que sa voix, ce sont les mots qu'elle prononce ensuite qui me terrifient :  

 

-C'est de l'extrait d'aconit. Une des plantes les plus toxiques qui soit. Une gorgée et c'est la mort assurée.  

 

Dans le lourd silence qui suit, elle se replonge dans l'observation de la petite fiole et de ses jeux de lumière. Ce n'est que lorsqu'elle reprend la parole que je m'aperçois que j'ai arrêté de respirer. Sa voix est un murmure, à peine un souffle et moi j'ai la gorge nouée. Je me demande si son discours m'est vraiment adressé ou si elle monologue :  

 

-Et le plus étrange, c'est que c'est aussi un antidote. Ce poison peut sauver quelqu'un de la mort s'il a été piqué par un scorpion. C'est fou ça... Une même plante, deux issues possibles... Deux points de vue sur une même situation. Une nouvelle chance ou une fin à tout...  

 

Je sens bien qu'elle ne parle plus de la plante, que le fil de ses pensées l'a ramenée à sa propre situation. Je lutte contre l'envie de lui arracher le poison des mains et de le balancer au loin pour éloigner tout danger. Je fais taire mon angoisse et presse son épaule pour la ramener à moi. Elle tourne la tête dans ma direction et plonge son regard profondément triste dans le mien :  

 

-Parfois, j'aimerais juste ne plus avoir à me battre contre la vie. Ne plus avoir à souffrir. Elle m'a d'abord enlevé mon fiancé. Et maintenant Mick... Je suis tellement fatiguée Kaori, tellement fatiguée...  

 

Une larme roule sur sa joue sans qu'elle ne cherche à l'essuyer. Je voudrais tellement la réconforter et en même temps, la voir ainsi abandonner m'exaspère.  

 

-Tu vaux tellement plus que ça Kazue ! m'écrié-je malgré moi. Ton rôle, ce n'est pas de créer des poisons, mais de trouver comment les contrer ! Ne te laisse pas faire Kazue ! Bats-toi, aie confiance ! Mick va s'en sortir Kazue. J'en suis certaine. Il va s'en sortir et vous allez vous retrouver, garde espoir !  

 

-Espoir... Quel joli mot que voilà, pouffe-t-elle amèrement entre deux larmes, mais quel espoir Kaori ? Oh que oui, je prie pour qu'il s'en sorte, je n'imagine même pas la vie sans lui... Mais ensuite ? Qu'on se retrouve ? Il ne m'aime pas Kaori, il ne m'a jamais aimée... et moi je ne l'aime plus. C'est la fin de tout, de nous. J'aimerais pouvoir appeler ça une nouvelle chance, un nouveau départ et y trouver un nouvel élan, mais je n'y arrive pas ... J'ai l'impression que je n'en aurai plus jamais la force souffle-t-elle en reportant son attention sur le liquide mordoré qui danse dans sa fiole.  

 

-Ne dis pas n'importe quoi Kazue !  

 

J'essaie de me contenir mais l'angoisse que créent ce poison et son attitude m'empêchent de rester aussi calme que je le souhaiterais. J'ai l'impression de revivre certaines sensations de mon cauchemar et leurs souvenirs affleurent dans mon esprit, me laissant un mauvais goût en bouche, et j'ai juste envie de la secouer pour la sortir de sa léthargie :  

 

-Mais moi j'y crois Kazue ! asserté-je un peu plus violemment que je ne l'aurais voulu, j'y crois. Je crois que tu peux trouver une antidote à ce poison; je crois que si jamais mick et toi vous séparez vraiment, tu t'en relèveras encore, parce que tu as une force en toi que tu ne peux même pas soupçonner ; je crois que, malgré tout ce que tu me dis, tu l'aimes encore et je crois aussi que Mick est assez fort pour ne pas laisser le droit à quiconque de lui dicter le moment de sa mort. Il est de la même trempe que Ryo et rien, rien ne peut les terrasser tant qu'ils n'ont pas décidé que c'était le moment !  

 

-Tu en crois des choses, Kaori... ironise Kazue, le regard enfin plus vivant mais rempli d'amertume. Immortel hein ? Et qui t'a pondu une bêtise pareille ?  

 

-Ryo, réponds-je du tac au tac, piquée au vif, en repensant à ton aveu lors de mon kidnapping par le général Kreutz. Je ne peux en dire plus, n'ayant jamais dévoilé ce moment à qui que ce soit et j'espère bien que Kazue ne m'obligera pas à argumenter sur ce point et, pour éviter d'avoir à le faire, j'enchaîne directement :  

 

-Et survivre à une attaque, ce n'est pas être immortel, Kazue. Il survivra, j'en suis sûre, juste parce qu'il aura une bonne raison de le faire, pour ne pas faire de la peine à celle qu'il aime...  

 

-C'est à dire toi, me coupe brusquement Kazue en secouant la tête d'un air buté, s'il revient, ce sera pour toi, seulement toi !  

 

-Mick ne reviendra pas pour Kaori, Kazue....  

 

D'un même mouvement, Kazue et moi nous retournons vers la porte, où tu te tiens, adossé nonchalamment contre l'encadrure. Les bras croisés et le regard indéchiffrable, tu t'adresses à l'infirmière, sans rien laisser paraître sur ton visage qui pourrait éclairer cette phrase sibylline et inquiétante.  

 

Blanche comme un linge, Kazue se lève, les mains serrées l'une contre l'autre pour les empêcher de trembler, et elle s'avance rapidement vers toi.  

 

-Tu... Tu as des nouvelles ? Les mots s'étranglent dans sa gorge. L'opération est terminée ?  

 

Devant ton silence, la jointure blanchie de ses doigts trahit l'augmentation de son tremblement et mon cœur se serre en entendant sa respiration s'accélérer au point d'en devenir erratique. De mon côté j'essaie follement de déchiffrer ton expression, pour y trouver un signe qui démentirait ce que je crains de comprendre.  

 

-Tout ce que je peux dire Kazue, annonces-tu d'un ton sans appel, c'est que ses derniers mots ont été pour toi...  

 

Avec une espèce de petit cri étouffé, elle laisse ses jambes se dérober sous elle. Ayant anticipé dès le début de ta phrase, je la rattrape in extremis et passe mon bras autour d'elle pour la maintenir debout. Je la sens trembler comme une feuille contre moi, et si le fait de supporter son poids ne me faisait pas autant souffrir je crois que j'en tremblerais aussi. Je serre les dents et ravale mes gémissements et, relevant la tête, j'accroche ton regard en une supplique silencieuse. Mick... Non... Mais l'instant suivant, alors que d'un hochement de tête tu m'autorises à sonder tes pensées et que je lis la vérité dans tes yeux, j'agrippe Kazue encore plus fermement, car je sais que la suite va la secouer encore plus.  

 

-...Et ses premiers mots, à son réveil, aussi.  

 

Les tremblements contre moi s'intensifient à tel point que j'ai peur de tomber avec elle. Heureusement, tu nous rejoins en deux enjambées et tu l'attrapes par les épaules. Je peux alors la lâcher et reculer, en me tenant les côtes pour retrouver mon souffle. Kazue, face à toi, est à deux doigts de l'hystérie. Des sanglots, ou ce qui ressemble à des hoquets, s'échappent de sa bouche et ce n'est que quand tu la secoues doucement qu'elle se calme en entendant ta voix :  

 

-Oui, il va bien, Kazue, et il t'a réclamée. Enfin, il l'a plus baragouiné qu'autre chose, mais je sais qu'il a prononcé ton prénom avant de nous la rejouer Belle au bois dormant.  

 

Tu sembles trouver tout ça presque drôle, et ton petit sourire indique en tout cas que tu es très fier de ton petit effet dramatique. Mais quel abruti !  

Kazue, qui a repris ses esprits, doit penser la même chose, car, d'un mouvement d'épaule elle te fait lâcher prise et te retourne une gifle magistrale, qui fend l'air avant de venir violemment percuter ta joue.  

 

-Espèce de sale con ! Ça t'amuse de faire peur aux gens comme ça ? hurle-t-elle d'une traite avant de partir en courant en direction de la chambre de réveil.  

 

Me tenant toujours les côtes, je m'avance vers toi et te toise de ce que je pense être un regard noir.  

 

-Tu as de la chance que j'aie mal partout, sinon tu peux être sûr que j'y aurais aussi mis mon grain de sel, et je te jure que cette marque sur ta joue aurait été le cadet de tes soucis.  

 

Un air innocent plaqué sur la figure, démenti par un petit sourire en coin, tu me réponds en te massant la joue :  

 

-Bah quoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?? Bon ok, reconnais-tu devant mes sourcils froncés, d'accord j'y suis allé un peu fort, mais reconnais que j'ai été efficace... Au moins, comme ça, elle connaît ses véritables sentiments...  

 

-Non mais je rêve ! m'étouffé-je presque d'indignation de te voir te préoccuper autant des sentiments des autres alors que tu n'es pas fichu de gérer les tiens. Un peu fort ? Tu as vu dans quel état tu l'as mise ?  

 

-Rien de mieux qu'un bon coup d'adrénaline pour t'obliger à baisser ta garde. Je sais de quoi je parle...  

 

Ma colère s'estompe aussitôt tandis que tant de scènes de notre ancienne vie me reviennent en mémoire, toutes ces fois qu'un danger t'avait contraint à baisser ta garde justement et laisser filtrer tes sentiments dans un regard, un geste, un semi-aveu. Effectivement, c'est efficace, mais ça ne suffit pas. Encore faut-il ensuite laisser parler ses sentiments à froid, loin de toute urgence. Mais tu ne sembles pas encore avoir compris ça.  

 

-J'espère pour toi que Mick pensait vraiment ce qu'il a dit, parce qu'une fois que l'adrénaline sera retombée, il va falloir que ça aille dans le bon sens. Sinon tu auras le désespoir de Kazue sur la conscience et moi je serai obligée de te tuer, abruti.  

 

-Heureusement pour moi alors qu'il le pensait vraiment, me réponds-tu, visiblement confiant dans tes chances de survie. Il ne risque plus de venir marcher sur mes plates-ban...  

 

Instinctivement, tu t'arrêtes, le sourire amusé qui étirait déjà ton visage s'efface aussitôt, comme si tu prenais conscience que tu t'apprêtais à dire quelque chose d'important, mais ni à la bonne personne ni au bon moment. Le sourcil levé, surprise moi aussi, j'attends de voir si tu vas poursuivre ta phrase, mais tu te contentes de passer une main gênée dans tes cheveux, ta nuque, puis tu fais mine de t'étirer.  

 

-Je suis fatigué, je commence à dire n'importe quoi... Ou alors j'ai une commotion cérébrale.  

 

-Comment ça une commotion ? L'inquiétude me gagne aussitôt et je te rejoins pour t'observer de plus près. Tu as été blessé dans l'explosion ? Kazue m'avait rassurée en me disant que tu allais bien. Tout en parlant, je fais courir mes mains sur ton visage et passe mes mains dans tes cheveux, à la recherche d'une éventuelle blessure qui aurait échappé au regard du Doc ou de l'infirmière. Lorsque je croise ton regard, je prends alors conscience de notre proximité. Nous ne sommes qu'à quelques centimètres l'un de l'autre et je peux même sentir le souffle de ta respiration sur ma joue. Une drôle d'ombre voile le noir de tes yeux, comme une hésitation, puis tu recules doucement d'un pas, en me prenant les mains qui continuaient de t'examiner.  

 

-Non Kaori, je vais bien, ne t'inquiète pas. C'est plutôt moi qui me faisais du souci pour toi. Comment te sens-tu ?  

 

-Ça va.  

 

-Vu ta tête on ne dirait pas. Mick a presque meilleure mine que toi...  

 

-Kazue m'a parlé de plusieurs côtes cassées, de gros hématomes, rien de comparable avec Mick. Mais tu...  

 

Je lâche un léger souffle de surprise quand, alors que j'allais m'éloigner, tu tires soudain sur mes mains que tu avais gardées dans les tiennes, pour m'attirer à toi. Je sens à la force de tes bras qui me serrent que tu t'es vraiment inquiété, même si tu me tiens avec douceur car, alors que chaque geste est une souffrance depuis mon réveil, là, je ne ressens aucune douleur. Je ferme les yeux quelques secondes, le temps de reprendre des forces. Ces dernières heures ont été pires que des montagnes russes sur le plan émotionnel, mais ta présence m'apaise et me fait étrangement plus de bien que les douze heures que je viens de passer à dormir. Le cauchemar prend fin.  

 

-Kao, le Doc nous attend dans son bureau, m'interpelles-tu doucement. Je sens dans ta voix que cela te pèse autant qu'à moi de nous séparer. Saeko doit être arrivée aussi, elle veut nous parler le plus rapidement possible.  

 

-Ok, allons-y alors, en me dégageant avec regret et en me dirigeant d'abord vers le bureau de Kazue.  

 

-Que fais-tu ? me demandes-tu, perplexe.  

 

-Je mets quelque chose en sécurité, réponds-je en prenant le petit flacon d'aconit et en me dirigeant vers un placard. Ouvrant la porte, j'avise le lot de petites fioles de toutes les couleurs qui composent les sujets de recherche de Kazue, et, après un dernier coup d’œil sur le liquide ambré et mortel, je le dépose au fond, loin derrière les autres. Puis, refermant la porte d'un coup sec, je me retourne vers toi :  

 

-Bien, on peut y aller maintenant.  

 

 

******************************************  

 

 

Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons dans le bureau du Doc. Dès que je passe la porte, je remarque que Saeko est déjà là, assise dans un fauteuil. A sa tête, je sens immédiatement qu'on a des ennuis. La bouche est pincée, le front barré d'un pli soucieux et, chose rarissime, ses mèches rebelles ont perdu de leur tombé impeccable. Pas de petit regard sexy en biais à mon arrivée, ni de demi-sourire aguicheur ou de jeu de jambes qui révélerait la blancheur d'une jambe interminable. Rien. Immédiatement je sens que ça pue.  

 

Dès qu'elle ouvre la bouche, je comprends que j'ai raison.  

 

-On a un problème, annonce-t-elle d'emblée, dès que la porte du bureau se referme derrière nous.  

 

Après une telle entrée en matière, nous voilà forcément immédiatement tous attentifs, mais surtout extrêmement tendus. Elle se lève, et vient se planter devant toi pour t'attraper le poignet :  

 

-Kaori. Quand as-tu vu ton revolver pour la dernière fois ? te questionne-t-elle sans préambule, tandis que tu la regardes, les yeux écarquillés et pleins d'incompréhension.  

 

-Heu... Je ne sais pas, commences-tu, incertaine. Je l'avais mis dans mon sac pour aller chez Tybault, et il doit toujours y êtr..... Mon sac ! t'écries-tu soudain, le regard paniqué, je l'avais avec moi quand Kazue m'a déposée au Cat's, juste avant que Paris ne m'agresse ! Mais pourq...  

 

-Bon sang ! grommelle l'inspectrice en te lâchant aussi brusquement qu'elle t'avait agrippée et en allant se poster devant la fenêtre, les bras croisés, en pleine réflexion.  

 

-Saeko... interviens-je fermement, que se passe-t-il ?  

 

-Le revolver... Le revolver de Hide... commence-t-elle dans un souffle, avant de se tourner vers nous pour nous asséner cette nouvelle qui va changer notre approche de la situation, on a retrouvé ton revolver sur le toit. Et c'est une de ses balles qui a tué Tybault.  

 

-Quoi ? t'écries-tu, effarée, mais je croyais... Il y avait une bombe ! Alors elle n'a pas explosé ? C'est pas vrai ! Avec mon revolver ? Mais alors...  

 

Inquiétude, douleur, incompréhension, soulagement, inquiétude encore. Pendant qu'une multitude d'émotions se dessinent sur ton visage, j'essaie de voir comment la présence du revolver de Tybault peut nous affecter autant. A moins que …  

 

-Alors tu seras très bientôt la première suspecte du meurtre de Tybault, assène Saeko sans ménagement, confirmant mes craintes.  

 

-Comment c'est possible Saeko ? D'habitude, c'est le genre de preuves que tu fais disparaître en un tour de passe-passe.  

 

-Pas cette fois-ci Ryo, me répond-elle. Mon père s'en est mêlé ; il a été sommé par ses supérieurs de régler une fois pour toute cette histoire qui rend malades les plus grandes entreprises. Et comme quand les entrepreneurs éternuent, la bourse s'enrhume, on lui a mis une grosse pression pour qu'il règle ça une bonne fois pour toutes. Donc il a pris les choses en main. Il a décidé de tout superviser de près et de me suivre sur le terrain. Il était déjà là quand je suis arrivée sur le toit de l'immeuble, et je n'ai pas réussi à faire disparaître l'arme près du corps, ni à récupérer la balle après la première autopsie.  

 

-Et ? demandé-je en sentant le pire arriver.  

 

-Et ? Eh bien, il a donc été établi que c'est cette arme qui a servi à tuer Tybault Gaotuf. Tybault Gaotuf, reconnu aussi, depuis ce matin, après saisie par la police de documents compromettants dans un hangar qui servait de planque pour de la contrebande d'animaux exotiques, comme étant l'un des chefs du clan Futago.  

Et comme ils avaient l'arme du crime, ils ont pu remonter jusqu'à son ancien propriétaire, Hideyuki. Et ils remonteront bientôt jusqu'à toi Kaori. De plus, estimant qu'à cause de mes liens avec Hide je suis trop impliquée, mon père a décidé de me retirer de cette affaire. Donc, à partir de maintenant, je ne peux plus intervenir pour vous protéger. Pour te protéger, termine-t-elle en plantant son regard dans le tien. A partir de demain matin neuf heures, le dossier sera entièrement transféré à un autre inspecteur... Je suis vraiment désolée, je ne peux rien faire.  

 

La gravité de la situation nous frappe de plein fouet. Sans la protection de Saeko, rien n'empêchera la police de t'inculper et de prouver que tu es la meurtrière du leader du clan Futago. Pour finir par faire le lien avec City Hunter. Si moi je ne risque rien vu que je n'ai pas d'existence officielle, ta couverture ne tiendra pas deux minutes s'ils s'intéressent d'un peu trop près à tes activités quotidiennes. La situation semble empirer de seconde en seconde. Instinctivement, je me rapproche de toi, comme pour te protéger du destin. Mais, à peine à tes côtés, je sens à ton aura que tu ne le laisseras pas t'abattre aussi facilement. Il se dégage de toi une telle combativité qu'elle me gagne aussitôt et que, plutôt que des problèmes, j'entrevois aussitôt des solutions à tout ce bordel.  

 

-Ne sois pas désolée, rétorques-tu, on ne va pas se laisser faire et il est hors de question que je laisse Paris gagner cette bataille. Elle a tué son frère et elle veut me faire porter le chapeau ; bon sang, elle ne peut pas s'en tirer ainsi !  

 

-Ne t'emballe pas Kaori, tempéré-je en pressant ton bras qui tremble de colère. Avant de rendre justice, il faut d'abord te mettre à l'abri. Ce n'est pas derrière des barreaux que tu seras la plus utile. Saeko, est-il déjà établi que l'arme appartient à Kaori ?  

 

-Non, les documents disent juste que c'est l'arme de service de Hide.  

 

-Y-a-t-il une chance qu'ils ne remontent pas jusqu'à Kaori ?  

 

-Impossible. Tu te doutes bien qu'ils vont chercher des empreintes. Je suppose que tu ne portais pas de gants les dernières fois que tu t'en es servie, Kaori.  

 

-Non, effectivement, reconnais-tu, étrangement calme, il y aura donc mes empreintes dessus. Mais ce n'est pas grave, rien ne m'oblige à leur rendre des comptes. Ils veulent m'inculper ? Qu'ils me trouvent d'abord ! Le plus simple serait de me cacher et disparaître. Après tout, ce n'est pas comme si je n'avais jamais été recherchée par des criminels. Là, ce sera juste par la police, ça ne changera pas grand chose ; eux au moins n'essaieront pas de m'enlever. Passer dans l'ombre et me volatiliser me permettra plus facilement de...  

 

-Non Kaori, t'interrompé-je, c'est hors de question. Tu as une vie, une existence à protéger ; je refuse que tu effaces tout d'un claquement de doigts, pas s'il existe une autre solution !  

 

Le regard agacé que tu me retournes me ferait presque sourire si la situation n'était pas si grave. Je ne peux pas te laisser quitter définitivement la lumière pour intégrer mon monde sans possibilité de retour. Je dois trouver autre chose... un truc qui te placerait à mille lieux d'ici ce matin... Mille lieux... Une idée commence à poindre. Une idée qui me déplaît fortement, mais qui me semble la seule pour l'instant capable de te mettre à l'abri. L'air grave, je te serre un peu plus fort le bras avant de la partager.  

 

-Kaori, il faut que tu retournes à Nagoya. On demandera à Eriko de dire que tu es rentrée il y a deux jours.  

 

-Non ! t'écries-tu d'une voix forte, pourquoi ?  

 

-Parce qu'il faut mettre de la distance entre toi et le meurtre, explique Saeko, me montrant d'un signe de tête qu'elle a compris mon idée. Tu n'as pas le choix Kaori, Ryo a raison. C'est faisable. Le nouvel inspecteur en charge de l'enquête ne prendra pas le dossier avant demain matin, donc on a tout à fait le temps de te ramener à Nagoya. Si tu es là-bas depuis deux jours, preuve à l'appui avec le témoignage d'Eriko, tu ne pouvais donc pas être ici ce matin. Il va juste falloir trouver une explication pour le revolver.  

 

Sans dire un mot, tu retires brusquement ton bras de ma main et te mets à marcher de long en large dans la petite pièce. Les bras à demi croisés, une main dans les cheveux pour mieux réfléchir, tu fais les cents pas, t'arrêtant parfois pour nous regarder, visiblement prête à émettre une objection énergique contre notre idée, avant d'abandonner et de repartir en triturant tes cheveux pour mieux réfléchir. Puis tu t'arrêtes et, dans un bref soupir, signe que tu renonces mais que c'est contre ton gré, tu proposes, d'un ton résigné mais contrarié :  

 

-Je peux dire qu'on me l'a volé. En plus, vu mon état, c'est très possible de croire que j'ai été agressée pour me faire voler mon sac, avec mon arme dedans.  

 

-Ou de penser que tu t'es battue avec Tybault avant de le tuer. Cela pourrait devenir une preuve à charge contre toi, oppose Saeko. Non, il faut trouver autre chose.  

 

-Je peux vous aider, intervient le Doc, jusqu'alors silencieux. Un vieil ami à moi est chef de service aux urgences de Nagoya. Il me doit un service, vu que j'ai fait décrocher ses jumeaux de la cocaïne. Il pourra sans problème établir un dossier de prise en charge à l'hôpital pour Kaori. Je passe un coup de fil et tu auras ton alibi pour toute la journée d'hier et d'aujourd'hui. Agression, vol de sac à main, admission à l'hôpital. Document à l'appui, l'histoire tient la route.  

 

Une grande bouffée d'air pénètre dans la petite pièce exiguë et nous respirons tous soudain bien mieux. Saeko retrouve immédiatement de sa superbe et, repoussant derrière son oreille une mèche de cheveux qui a retrouvé tout son ressort, elle se dirige vers toi et commence à te pousser vers la sortie.  

 

-Allez Kaori, nous partons immédiatement. Nous avons trois heures de route devant nous, ce qui nous laisse amplement le temps d'arriver avant que le nouvel inspecteur ne décroche son téléphone pour joindre celui de Nagoya.  

 

Au moment où Saeko prononce ces mots en t'accompagnant vers la porte, ton regard s'accroche au mien. J'y lis la panique. C'est trop rapide. Trop brutal. Ni toi ni moi n'avions prévu de nous séparer de nouveau. Hier à peine, nous reformions notre duo. Toute la journée, pendant la tournée des indics, j'ai attendu ton réveil pour te ramener enfin chez nous. Une sensation désagréable me tord de l'intérieur, quelque chose qui annihile toute raison et toute pensée sensée. Je refuse qu'on nous empêche de nous retrouver seuls. Cette nuit nous appartient.  

 

J'arrête Saeko d'un bras qui fait barrage entre elle et la porte.  

 

-Trois heures de route, tu dis ? Donc si tu pars à quatre heures du matin, vous y serez pour sept heures, bien assez tôt pour y être avant que le branle-bas de combat ne soit lancé. Kaori est fatiguée. Elle a besoin de se reposer dis-je d'un ton sans appel. Je vais la ramener à la maison et tu passeras la prendre demain à l'aube.  

 

-Ce n'est pas raisonnable Ryo, objecte Saeko d'une voix aussi ferme. Le temps joue contre nous.  

 

-Il n'a pas tort Saeko, réplique à son tour le Doc, avant de s'avancer et de continuer d'un ton faussement professionnel, je n'aime pas trop l'idée que Kaori s'éloigne de Tokyo dans les prochaines heures. Pour l'instant, son état est satisfaisant vu les coups qu'elle a reçus, mais je préfère la savoir dans les environs pendant quelques heures encore, au cas où il y aurait une aggravation de son état.  

 

Il fait mine de vouloir t'examiner, mais ses mains se dirigeant essentiellement vers ta poitrine, il se mange d'abord une claque derrière la tête, avant de continuer, en essuyant une larme qui a jailli de ses yeux sous la violence de la baffe :  

 

-Donc, Ryo, je t'autorise à emmener Kaori chez vous, mais tu dois la surveiller jusqu'à quatre heures et la ramener ici à la moindre difficulté respiratoire.  

 

-Vous ne me facilitez pas la tâche tous les trois, marmonne Saeko en se massant l'arête du nez pour marquer sa désapprobation, mais puisque vous le dites Doc, j'accepte d'attendre jusqu'à quatre heures. Mais pas une minute de plus ! Et puisque ce problème est réglé, je vous laisse. Je dois aller me disputer avec mon père à propos de cette idée de me retirer une affaire... Il va m'entendre celui-là.  

 

Avant que la porte ne claque derrière elle, elle nous lance un dernier : « N'oubliez pas, quatre heures ! » puis nous l'entendons s'éloigner en claquant des talons et en râlant contre nous tous.  

Restés seuls avec le Doc, nous le regardons prendre son stéthoscope et le placer autour de son cou.  

 

-Bien, allons voir comment se porte Mick, puis ensuite je t'examinerai toi aussi Kaori, en tout bien tout honneur cette fois-ci, se dépêche-t-il de rajouter devant ton froncement de sourcils, et après vous pourrez partir.  

 

-Oh oui, je veux voir Mick aussi! t'écries-tu en partant devant.  

 

-Merci, Doc, murmuré-je à l'adresse du vieux, au moment où il passe devant moi.  

 

-Hmmm ? C'est normal mon garçon, cet ami a une dette envers moi et quand quelqu'un a des dettes, il faut savoir s'en servir. Si Saeko avait autant de dettes envers moi qu'envers toi, crois-moi qu'elle me les paierait, à moi ! fanfaronne-t-il en me raillant d'un grand sourire pervers.  

 

-Je n'en doute pas une seconde, ironisé-je à mon tour , sarcastique, mais ne faites pas l'innocent je parlais du coup de pouce avec Saeko.  

 

-Aaaaahhhh, ça... Je me suis dit qu'il fallait bien que jeunesse s'exprime, sourit-il d'un air entendu. Par contre, Baby Face, reprend-il plus sérieusement, la fougue de la jeunesse va devoir, elle, se mettre en berne, si tu vois ce que je veux dire. Parce que ce que je te disais tout à l'heure était réel. Tu dois la surveiller de près et l'empêcher de trop bouger. Il y a de vrais risques de perforation du poumon. Donc, doucement. Compris ?  

 

Je hoche la tête en signe d’acquiescement puis, pensant qu'il en a fini avec les recommandations, je me dirige vers la porte. Mais il me retient par la manche et continue, ses yeux devenant flous de concupiscence :  

 

-Comme je te le disais tout à l'heure, il faut savoir utiliser les dettes que les gens ont envers toi... Je me souviens que tu as un numéro très spécial du magazine « Bunnies & Coquines ». Le hors-série numéro trois. Il manque à ma collection... Tu sais maintenant quoi m'offrir pour mon anniversaire, termine-t-il en riant.  

 

-Espèce de vieux crout... commencé-je à ronchonner en le suivant, complètement abattu. Mon magazine, mon précieux... un original numéroté, avec la double page centrale présentant les miss Bunnies de décembre et janvier en toute petite tenue de dentelle... Le vieux fourbe ! J'en pleurerais presque. Mais au moment où je passe la porte, quand je croise ton immense regard fatigué qui s'illumine à mon sourire, je me dis que je peux bien lui laisser ce trésor. Le Doc nous offre un temps précieux avant une nouvelle séparation et ça, ça vaut toutes les revues cochonnes du monde. Bon, peut-être pas toutes quand même, mais au moins tous les hors-séries !  

 

M'approchant de toi, je t'offre mon bras, sur lequel tu viens t'appuyer.  

 

-Allons voir comment se porte notre Belle au bois dormant préférée, puis rentrons chez nous...  

 

A ces mots, tu viens t'appuyer un peu plus fort contre mon bras et je peux sentir à la chaleur sur mon épaule, contre laquelle tu as posé ta joue, que ton visage vient de s'éclairer d'un sourire. 

 


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