Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Author: nodino

Beta-reader(s): Amelds

Status: Completed

Series: City Hunter

 

Total: 22 chapters

Published: 17-02-10

Last update: 17-11-18

 

Comments: 139 reviews

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RomanceDrame

 

Summary: Une nuit, tout bascule et la rupture devient inévitable... L'amour aussi... Mais jusqu'où peut on aimer quand on est City Hunter ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Ain't no sunshine." sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Ain't no sunshine.

 

Chapter 22 :: ... is the...

Published: 17-11-18 - Last update: 19-11-18

Comments: Bonjour à tous. Voilà la deuxième partie de ce chapitre si long (la troisième est en cours) . Je ne l'ai pas gardée pour le plaisir de vous faire attendre, promis ^^ , c'est juste que cette "première fois" (nan je ne parle pas de sexe lol) je l'avais dans la tête depuis que j'ai commencé à écrire l'histoire, c'est dire l'importance qu'elle revêt hihi. Mais le chap ne me plaisait pas, grosse frustration donc. Heureusement ma beta et Cris étaient là pour m'aider à y voir plus clair et me rassurer et j'ai enfin fini par être satisfaite. Un grand merci à elles et merci à vous pour toutes vos reviews. Franchement, elles sont merveilleuses de gentillesse et c'est un grand bonheur pour moi de découvrir vos réactions (et même que je ne sais jamais où me mettre quand je vous lis tellement je suis toute rouge ^^ ' ) . Encore merci de vos retours. Je vous laisse lire et je vous dis "à bientôt" pour la suite :)

 


Chapter: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22


 

Pendant que je finis de me sécher, je jette un coup d’œil sur la petite pendule qui se trouve dans un recoin de la salle de bain. Il est déjà minuit. Il ne nous reste plus que quatre heures à passer ensemble. Le temps file trop vite. Dans quatre heures, je serai partie...  

 

Ton torse contre mon dos...  

 

Chassant cette pensée en secouant la tête, je me dépêche d'enfiler mon pantalon de pyjama et y arrive sans trop grimacer. Béni soit cet onguent anesthésiant. En relevant la tête, je croise mon reflet dans le miroir et prends conscience qu'il n'est pourtant pas magique. Les hématomes sont toujours là, les côtes cassées aussi. Les éléments qui le composent endorment juste la douleur.  

 

« Elle le paiera, Sugar. »  

 

Ta voix résonne dans ma tête. Malgré la violence de tes mots, je souris doucement. Cette phrase... Elle signifie que ce qui m'arrive compte et que tu nous projettes dans l'avenir. Même si je dois partir, je fais encore partie de City Hunter. Cela reste difficile de devoir m'en aller mais ce n'est pas comme la dernière fois, ce départ n'est pas une fin en soi. Je ne pars pas en me disant que tout est fini entre nous. Bien au contraire...  

 

Ta main sur mon ventre...  

 

Alors que je pose la main là où s'est posée la tienne, les réminiscences de ces instants dans la baignoire affluent dans ma mémoire. Comme une adolescente, je me retrouve à ricaner bêtement, les pommettes en feu. C'était tellement intense ! J'ai vraiment désiré, une seconde, que le temps se prolonge indéfiniment et que tu me serres plus fort encore. Complètement enivrée par ces sensations charnelles qui se mêlaient aux souvenirs de cette nuit-là, mon corps vibrait sous ta main ferme et chaude, plus chaude encore que l'eau, si chaude qu'un désir est né et remonté tout le long de ma colonne jusqu'à éclater dans ma tête, au point que j'ai dû fermer les yeux pour ne pas chavirer.  

 

« Imbécile »  

 

L'insulte m'a tellement surprise. Elle sortait de nulle part et a claqué à mon oreille alors que tu ne l'avais que murmurée. Je n'étais même pas sûre qu'elle m'était destinée. Est-ce que tu te moquais de ma facilité à me troubler, est-ce que tu fuyais encore, je ne comprenais plus rien... Et tu es brusquement sorti de la baignoire en me laissant mortifiée et honteuse, pour finalement revenir me parler, en souriant comme si de rien n'était.  

 

Encore une fois, tu souffles le chaud et le froid et moi je suis perdue.  

 

Je me prends la tête dans les mains, essayant de refaire à l'envers le film de cette soirée, pour voir si je peux en tirer quelque chose qui m'aiderait à mieux comprendre. Mais je ne sais pas trop à quoi me raccrocher, nous ne nous sommes finalement pas dit grand-chose. Pourtant, lorsque nous étions sur le toit, j'avais l'impression que le peu que nous nous étions dit était important. Pour toi. Pour moi. Alors, qui était cet « imbécile » ?  

J'espère avoir le temps de le découvrir, pour qu'il n'y ait plus de doute entre nous. Je veux te faire comprendre à quel point je tiens à toi et que si je veux revenir c'est pour ne plus jamais repartir. Ne plus jamais te quitter. Que tu m'aimes ou non.  

 

Des coups frappés à la porte me tirent brusquement de mes pensées.  

 

-Oui, oui ! Pardon ! Je me dépêche et je sors !  

 

J'attrape le haut du pyjama et l'enfile aussi vite que je le peux pour cacher le spectacle de mon pauvre corps malmené et, deux secondes plus tard, je quitte la salle de bain, ma robe découpée à la main... et me fait bousculer dans la foulée. Me rattrapant comme je peux au mur, je lève la tête et croise le regard morne de ce Mr Makato, qui ne cherche même pas à comprendre le cri de douleur que je viens de pousser. Il me jette un vague mot d'excuse et, sans un regard en arrière, se dépêche d'entrer dans la salle de bain et de claquer la porte derrière lui.  

 

-Mmmph, quel mufle ! me dis-je en jetant un regard torve à la porte, qui s'ouvre soudain de nouveau sur la petite silhouette de l'homme, qui revient vers moi.  

 

-Auriez-vous l'obligeance de me fournir une serviette de toilette ? me demande-t-il sans plus se soucier de mon état.  

 

-Euh... Oui, réponds-je, d'abord prise de court devant si peu d'empathie. Puis, me rappelant à mes devoirs d’hôtesse malgré une furieuse envie de lui faire manger sa cravate, je ravale mes griefs et retourne dans la salle de bain pour sortir deux serviettes du placard. Je les pose sur le lavabo puis ressors.  

 

-Voilà. J'espère que cela suffira. Si jamais vous avez besoin d'autre chos...  

 

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que la porte se referme devant mon nez, signifiant que la « conversation » est terminée.  

 

-Mais de rien, Monsieur, c'est tout à fait naturel, Monsieur... marmonné-je en reniflant dédaigneusement. Ce n'est pas la politesse qui l'étouffe celui-là... Mon pauvre Ryo, tu vas t'amuser...  

Heureusement, Hisae est bien plus sympathique, me dis-je, avant d'être soudain rattrapée par mes vieux démons. Oubliant complètement la scène de la baignoire, je me laisse envahir par la jalousie :  

 

-Et mokkori aussi. J'espère que tu ne retomberas pas trop vite dans tes travers de pervers ! Quel dommage que je n'aie pas pu lui montrer comment se servir de tous mes pièges... et de ce que j'ai caché sous le plancher sous mon lit. Ryo, tu as intérêt à te tenir à carreau avec elle sinon tu me le paieras, maugréé-je toute seule en marchant dans le couloir.  

Quand je m'arrête devant la porte de ta chambre, je m'aperçois que j'ai l'index tendu comme si tu te trouvais vraiment là à écouter mes menaces. Amusée d'avoir gardé mes anciennes habitudes, je pénètre en souriant dans ta chambre pour y déposer la robe abîmée sur la commode. La lumière est éteinte. Dans la pénombre, devant la lune dardant ses faibles rayons blafards sur le lit, j'ai une espèce de vertige. Mon sourire s'efface aussitôt. Des flashs me traversent. Des émotions si fortes que mon ventre se serre. Ce lit... Notre étreinte... Si intense et triste à la fois...  

 

« Allez Kaori, me morigéné-je en secouant la tête, ce n'est pas le moment de te laisser aller ! Je te signale que c'est là que tu vas dormir, donc il vaut mieux penser à autre chose sinon tu n'es pas prête de pouvoir ne serait-ce que t'allonger sur ce lit sans éclairer toute la chambre comme une luciole ! ». Et pour mettre un point final à ma réflexion, j'appuie sur l'interrupteur. La pièce reprend aussitôt sa forme habituelle et je te revois, avachi dans ton lit en vrac, pendant que je te tirais par les pieds pour t'en sortir de force ou que je te balançais tes affaires sales à la tête en râlant après ton bordel.  

 

Je ris silencieusement en repensant à ces matins si mouvementés mais, au moment de sortir, je m'arrête et jette un œil circonspect à la pièce. Quelque chose ne colle pas avec mes souvenirs, mais je ne vois pas quoi. Chaque chose est pourtant toujours à sa place. Ton grand lit trône au milieu de la pièce, avec l'armoire au fond et le canapé sur le côté, près de la vieille commode. La couleur des murs est toujours la même. Tout semble identique. Pourtant il y a quelque chose qui n'est pas raccord, mais impossible de mettre le doigt dessus. Bah, tant pis, ça me reviendra peut-être plus tard, me dis-je en haussant les épaules et en refermant la porte derrière moi. Mais quand je me retourne, c'est pour tomber de nouveau nez à nez avec Mr Makato, qui me met derechef un paquet de linge sale dans les bras. Baissant les yeux, je reconnais ce qu'il portait quelques minutes plus tôt.  

 

-Merci de faire attention au col de la chemise.  

 

-Pardon ? bredouillé-je sans comprendre.  

 

-Le col... reprend-il en me regardant comme si j'étais une imbécile finie, j'aime quand il est parfaitement empesé.  

 

-Le col... Le col... Oooh je vois ! comprends-je soudain, alors que la moutarde me monte violemment au nez et que, cette fois, je ne peux m'empêcher de répondre. Je crois que vous vous méprenez, Monsieur Makato, vous n'êtes pas à l'hôtel ici, et je ne suis pas le room-service. Ryo prendra le plus grand soin de votre sécurité mais cela ne comprend pas le linge sale. Par contre, si vous le souhaitez, je peux vous montrer où se trouvent la machine à laver et le fer à repasser...  

 

Les yeux du PDG se sont d'abord écarquillés au début de ma tirade, avant de se transformer en deux petites fentes, pendant que son teint se brouille et vire au blême quand je lui remets son linge dans les bras.  

 

-Ça ira bien, siffle-t-il en tournant le dos avant de retourner dans sa chambre, je vais me débrouiller. Mlle Taki s'en chargera.  

 

Quand la porte se referme derrière lui, j'en ai le souffle coupé. Mais quel rustre ! Pour qui se prend-il ?! Et pour quoi prend-il sa secrétaire ? La pauvre se retrouve déjà embarquée plus ou moins malgré elle dans cette situation parce qu'elle travaille pour lui et il n'a pas la moindre considération pour elle ! Je t'en ficherais, moi, de l'empesage ! C'est sa tête qu'il faudrait empeser plutôt, oui ...  

 

Tout en ronchonnant contre l'indélicat PDG, je descends l'escalier pour me diriger vers la cuisine. Mais quand j'arrive à la première marche et que je relève la tête pour regarder le salon, la même sensation que dans la chambre me saisit, sans que pour autant je n'arrive à formuler ce petit truc indéfinissable qui me dérange... Après un dernier coup d’œil en arrière, j'abandonne et pénètre dans la cuisine, d'où une très agréable odeur d'épices et d'omelette se répand.  

 

-Assieds-toi, Kaori. Tu prends toujours du thé pour ton dîner ? t'enquiers-tu tout en t'affairant devant quelques poêles à l'aide de grosses baguettes. Sers-toi, la théière est prête sur la table.  

 

-Merci, réponds-je en me servant une tasse et en appréciant l'odeur du thé vert qui en émane.  

 

La chaleur de la tasse sur mes mains me prépare à celle de la boisson que je vais sentir sur ma langue, et effectivement, quand j'en bois une gorgée, je m'aperçois qu'elle est à l'exacte température à laquelle je l'aime. Cela titille mes papilles et éveille un peu ma faim. Je me rends soudain compte que mon dernier repas remonte à très loin et que mon estomac crierait famine si je n'étais pas encore un peu en état de choc. L'odeur de ce qui crépite dans les poêles achève de me convaincre qu'il est plus que l'heure de passer à table et un pitoyable petit gargouillis se fait finalement entendre sous mon pyjama.  

 

-C'est presque prêt, y réponds-tu, avant de verser une quantité plus que généreuse de tes préparations dans une assiette et de venir déposer le tout devant moi. Voilà, bon appétit !  

 

Moi qui m'attendais à une espèce de plâtrée gargantuesque sans forme ni couleur, je ne peux que m'exclamer de surprise devant la belle assiette de légumes sautés au curry, accompagnés d'une omelette bien lisse, qui se trouve devant moi :  

 

-Wow, c'est magnifique, Ryo ! Mais il ne fallait pas te donner tant de mal tu sais ! Même si mon estomac n'a pas l'air au courant, je n'ai pas très faim.  

 

-En fait, tempères-tu, ce ne sont que quelques restes de légumes que j'ai cuisinés hier et que j'ai réassaisonnés. L'omelette est toute fraîche par contre, rajoutes-tu en replaçant une de tes mèches rebelles, sans te rendre compte que tu laisses, du coup, une petite trace de curry sur ta joue.  

 

-Ryo, là, ris-je en m'essuyant la joue pour te montrer l'endroit, tu viens de t'étaler du curry.  

 

-Fais voir, dis-tu en attrapant une louche propre qui traînait sur le plan de travail pour t'en servir comme d'un miroir. Ah oui ! constates-tu en louchant sur l'image déformée de ton visage. Je vais la laisser tiens. A défaut d'avoir une toque ou un tablier de grand chef, je trouve qu'elle donne du relief à mon charme naturel. Qu'en penses-tu Kaori ? me demandes-tu en cessant enfin de t'admirer dans la louche, je suis irrésistible en Ryo Chouchou Cuisinier, non ?  

 

-Je pense surtout que tu dis n'importe quoi, rétorqué-je en me jetant sur les baguettes pour résister à l'envie de venir essuyer cette troublante petite tache avec mon doigt, doigt que je serais ensuite obligée de lécher... C'est bon le curry, ne puis-je m'empêcher de penser en piquant intérieurement un fard, c'est sexy même. Je m'interdis de relever la tête car je sais que si je croise ton regard je vais rougir pour de bon cette fois, du bout des orteils jusqu'à la pointe des cheveux. Je fixe donc intensément mon assiette, me découvrant un furieux besoin de dévorer, histoire de m'enlever ces pensées de la tête, et déclare :   

 

-Moi, ce que je trouve irrésistible, c'est cette omelette et je compte bien y faire honneur ! Itadakimasu !  

 

Du bout des baguettes, je prends donc un beau morceau d'omelette pour la goûter. La surprise est de taille ; elle est tout simplement divine. Oubliées les pensées salaces. Étonnée, les yeux écarquillés et les baguettes toujours en l'air, je te regarde sans rien dire pendant que je savoure ma bouchée. Je ne te connaissais pas ce talent de cuisinier ! Pour en avoir le cœur net, j'attrape quelques légumes et les enfourne à leur tour dans ma bouche. Même constat. C'est délicieux ! Le dosage des épices est parfait, excitant les papilles pour rehausser le goût des légumes, tout en en conservant les saveurs. Bien qu'ils datent de la veille, ils sont restés croquants et le contraste qu'ils forment avec le fondant et le moelleux de l'omelette est juste... Parfait !  

 

-Bon sang, Ryo... Je ne te savais pas si bon cuisinier ! C'est déli...  

 

Et alors que le compliment s'apprête à sortir de ma bouche, je comprends enfin ce qui me perturbait dans ta chambre et dans le salon... Tout comme ce plat, tout y était parfait. Nickel ! Rangé ! Ton lit était fait et aucun vêtement ne traînait par terre. Sur les murs de ta chambre, aucune fille ne semblait prête à sauter de son poster pour passer une nuit torride avec toi ! Pareil dans le salon. Pas de bouteilles jonchant le sol, aucun magazine de charme oublié sur le canapé... Rien à voir avec le dépotoir auquel j'aurais pensé si j'avais dû t'imaginer tout seul ici ! Estomaquée, je reviens vers toi, et je vois à ton sourcil relevé et ton regard perplexe que tu t'interroges sur ce qui a pu interrompre les louanges auxquelles tu t'attendais. Quand je reprends, rien ne peut m’ôter cette certitude : tu te paies ma tête.  

 

-Qui a fait la cuisine, Ryo ?  

 

-Qui a quoi ? Ben tu vois bien qu'il n'y a que moi ici...  

 

-Ne te moque pas de moi. Je te sais doué pour beaucoup de choses, mais la cuisine n'en a jamais fait partie... Et le ménage non plus. Pourtant l'appartement est nickel. Quelqu'un a pris ma place ici...  

 

-... ??  

 

-Qui a pris ma place Ryo ? Qui a fait la cuisine ?  

 

Tu restes silencieux, les traits impassibles. J'en déduis que j'ai fait mouche. Il y a donc bien quelqu'un qui a pris ma place pour gérer le quotidien. Même si je ne l'avouerai jamais, la jalousie me tord l'estomac. J'ai envie de vomir. Je repousse mon assiette, je n'ai plus faim. Face à moi, ton regard reste insondable. Seul ce petit pli au-dessus de ton sourcil droit m'indique que tu réfléchis. Vite. A force de vivre avec toi, j'avais fini par le remarquer et il m'indiquait les fois où tu cogitais en silence pour te sortir d'un pétrin dans lequel tu t'étais fourré. Tu es donc sûrement prêt à m'avouer que City Hunter n'est plus, malgré ce que je pensais, parce que City Hunter s'est déjà reformé, mais avec quelqu'un d'autre. Un autre partenaire. Un homme au mieux, une femme au pire... Oh non, une femme mokkori peut-être ! Mon cœur s'affole et s'agite dans ma poitrine, mon sang bouillonne, je dois avoir cette petite veine qui palpite contre ma tempe. J'ai l'impression de devenir dingue.  

 

-Ça va pas la tête ou quoi ? lâches-tu soudain, alors que tu prends cet air benêt en penchant la tête, comme si le fait de me voir sous un autre angle allait t'aider à mieux comprendre ce que je dis.  

 

-Te fous pas de moi, Ryo, je te connais, tempêté-je en fronçant tellement les sourcils que j'en aurai sûrement une ride demain. Il y a cinq mois, je devais trimer comme une folle pour que l'appartement ne soit pas jonché de canettes ou de bouteilles vides et tu laissais traîner tes fringues partout ! Tu ne me feras pas croire que cinq mois plus tard, tu t'es transformé par miracle en fée du logis.  

 

Si tu restes impassible face à mes accusations, ta pupille se contracte brusquement et un éclair de panique traverse ton regard en entendant mon argument. Là, maintenant, je sais que je viens de marquer un point. Les yeux dans le vague, le pli encore plus marqué, tu hésites quelques secondes, pesant le pour et le contre dans le fait d'engager ou non cette conversation, puis, semblant capituler, tu lèves les bras en un signe d'impuissance.  

 

-Tu me croirais si je te disais que si ?  

 

-Les miracles n'existent pas. Crache le morceau Saeba !  

 

-Ecoute...  

 

Quand je te vois prendre une bonne inspiration et reculer prudemment vers le fond de la cuisine, je m'attends au pire. J'avais donc raison. Anticipant la douleur de me savoir remplacée, j'essaie de me blinder, mais cela ne suffit pas à atténuer le choc qui me tombe dessus quand tu m'annonces :  

 

-J'ai toujours su cuisiner Kaori. Sans être, comment tu dis ? : « une fée du logis», je sais m'occuper de moi. C'est pas trop grand ici et c'est mieux quand c'est rangé.  

 

J'en reste sans voix une seconde ou deux, avant que l’aberration de la situation ne me saute aux yeux et que je résume dans un murmure, histoire d'être bien sûre d'avoir compris la situation :  

 

-Alors toutes ces années pendant lesquelles tu mettais le bordel partout dans l'appart, tu aurais pu ranger ? Toutes ces fois où tu as critiqué ma cuisine, avachi sans rien faire sur le canapé, tu aurais pu cuisiner ? Je te croyais bordélique mais tu le faisais seulement exprès ?!  

 

Cela tempête tellement dans ma tête que je me relève brusquement en faisant s'entrechoquer la vaisselle sur la table. L'air de rien, tu recules encore un peu jusqu'au plan de travail, guettant au-dessus de moi l'éventuelle apparition d'une massue vengeresse. Loin de me faire rire, la situation me rend furieuse. Notre relation n'est décidément basée que sur des faux-semblants, et même pire, des mensonges ! Encore une fois, je suis totalement blessée et affreusement vexée. C'est définitivement moi « l'imbécile ». Et ce depuis toujours. Nous n'avons jamais été sur un pied d'égalité. Tu parles d'un partenariat ! Foutaises !  

Je m'avance, pointant dans ta direction la louche que j'ai attrapée sur la table.  

 

-J'imagine que ça devait bien t'amuser de tout retourner et de me regarder nettoyer et courir pour faire les courses, la cuisine, le ménage, ramasser derrière toi et faire encore le ménage ! Oh, Kaori vient de terminer la vaisselle, et si j'oubliais quelques canettes sous le canapé ? Elle vient de ranger le linge ? Hop, désapons-nous et balançons tout dans la salle de bain !  

 

Je parle de plus en plus vite au fur et à mesure que le ton monte, et tu rentres la tête dans les épaules en tentant d'interrompre le flot de reproches.  

 

-Non mais c'est pas ça... Pose d'abord cette louche et je t'explique d'accord ?  

 

-Ce n'est pas ça ?! Mais si c'est ça ! m’énervé-je en balançant carrément la louche sur le plan de travail. Et tu sais le plus triste ? continué-je sans te laisser le temps de reprendre ton souffle, c'est que je me dis que finalement, je ne te connais pas. Ton passé n'en parlons même pas... Mais je pensais quand même pouvoir avoir confiance en ce que je savais de ton présent !  

 

Stoïque, tu continues de me fixer, complètement dépassé par la situation. Tu t'attendais certainement à ce que je prenne mal la vérité, mais pas à ce point. Le visage toujours penché sur le côté, ta mèche flirtant dangereusement avec la tache de curry sur ta joue, tu essaies de trouver une échappatoire à tout ça, mais en vain. Et ça m'énerve encore plus de ne pouvoir m'empêcher de fixer ce curry alors que je fulmine. J'ai soudain besoin de prendre l'air. Il faut que je mette de la distance entre moi et ta sale tronche de cuisinier sexy :  

 

-Bon sang, allez vous faire voir toi et ta tache sexy sur la joue ! Je vais me calmer là-haut !  

 

-Ma tache quoi ?? Mais Kao ? Et ton repas ?  

 

-J'EN VEUX PAS ! Et ne t'avise pas de monter ou je te jette du toit !  

 

Ta voix, pleine d'incompréhension, est au diapason de ce que je lis sur ton visage alors que la mienne explose dans les aigus. Mes oreilles bourdonnent tant la tension m'oppresse et c'est à peine si j'arrive à entendre la phrase qui me parvient pourtant au milieu de mes hurlements lorsque je passe l'encadrure de la porte :  

 

« Je voulais que tu aies une raison de rester ».  

 

Je ne suis même pas certaine que quelqu'un ait prononcé ces mots et encore moins que ce soit toi, car je les ai plus devinés qu'entendus. Interdite, je m'arrête et me retourne, mais seul ton dos me fait face, pendant que tu commences, à grands renforts de gestes et de mousse, à nettoyer la vaisselle.  

 

-Qu'est-ce que tu as dit ?  

 

-Rien...  

 

« Je voulais que tu aies une raison de rester ». La furie hystérique et parano qui hurlait dans ma tête appuie sur le bouton pause pour me laisser la possibilité d'analyser ces mots. Non, tu ne peux pas avoir dit ça. Tu ne peux pas avoir fait exprès d'être à ce point bordélique juste pour que j'aie l'impression que tu avais besoin de moi. Quoique... Je me souviens que je voulais vraiment t'être utile, pour que TOI tu aies envie de me garder... Ce serait cohérent que tu aies eu la même réflexion. Ce serait tordu. Mais très possible. Mais vraiment complètement tordu... Mais, tout compte fait... J'y réfléchirai là-haut, décidé-je, sentant ma fureur fondre comme neige au soleil devant cette nouvelle perspective pendant qu'un irrépressible sourire naît sur mes lèvres. Je continue sur ma lancée et quitte la pièce, croisant derrière le mur le regard de Hisae, qui attendait visiblement une accalmie pour pouvoir entrer à son tour.  

 

 

**************************  

 

Je continue de frotter vigoureusement la poêle alors qu'elle est déjà propre depuis un bon moment, mais j'ai besoin de m'occuper les mains pour mieux réfléchir et je n'ai pas mon magnum à démonter sous le coude.  

Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer comment c'est arrivé ? On discutait tranquillement, je pourrais presque dire qu'on flirtait même un peu, tu dévorais mon omelette et puis soudain... ça. Un naufrage. Le Titanic en live. Je connaissais ton caractère soupe au lait, mais là, je n'ai rien vu venir. Comment les choses ont-elles pu m'échapper à ce point !  

J'aurais dû prévoir que tu allais bientôt repasser par l'appartement un jour ou l'autre, c'était couru d'avance depuis le moment où j'en ai fait la promesse à Miki ! J'aurais dû immédiatement recommencer à laisser traîner des trucs un peu partout, juste au cas où. Bon sang, je me foutrais des baffes ! Je me suis échiné à te faire croire pendant des années que sans toi je n'étais bon à rien et que ta présence m'était indispensable pour gérer mon quotidien, et je te fais revenir dans un appartement propre comme un sou neuf ! Sans même penser aux conséquences ! Mais quel con !  

 

Posant un peu brusquement la poêle briquée et dégoulinante de mousse sur l'égouttoir, j'attrape la poêle d'à côté, déjà propre elle aussi et recommence à la laver à grands coups d'éponge, ce qui fait dangereusement monter le niveau de mousse dans l'évier.  

 

Bon sang, comment je vais bien pouvoir arranger ça maintenant, moi ? Monter sur le toit me semble compromis, je ne suis pas sûr que tu plaisantais quand tu as menacé de me jeter du toit et je te sais très capable de le faire. Il nous reste juste quatre petites heures à passer ensemble et je ne me vois ni les passer saucissonné dans un futon accroché au balcon, ni caché dans un placard à me demander quelle terrible vengeance tu es en train de fomenter. J'espère que regarder la ville depuis le toit te calmera et moi, pendant ce temps, je vais essayer de trouver comment réparer ce « léger malentendu »... Léger malentendu mon œil, énorme connerie plutôt, oui ! suis-je obligé de reconnaître.  

 

Reposant la seconde poêle sur l'égouttoir, j'attrape maintenant la louche que tu as jetée et l'énorme visage au nez démesuré qui se reflète dedans semble se foutre de moi. Dire qu'il y a quelques minutes à peine, je te taquinais juste pour le plaisir de voir si j'arriverais à te faire rougir. Quel crétin ! me dis-je en ponctuant ce mot d'un coup sur le crâne après m'être essuyé la joue d'un geste rageur.  

La douleur me remet directement sur les rails. Tout en lavant cette louche, propre elle aussi, je me dis qu'il faut que nous parlions, que je dois pouvoir arranger ça. Il faudrait déjà que je sache si tu as entendu ce que j'ai dit. « Je voulais que tu aies une raison de rester ». Je l'ai pensé si fort que les mots ont fusé hors de ma bouche sans que je puisse les retenir. Mais bien sûr, au lieu d'enfoncer le clou et de me servir de cette vérité pour que tu me pardonnes, je n'ai rien assumé. J'ai préféré te laisser partir furieuse plutôt que de reconnaître que j'ai toujours voulu que tu restes près de moi. Crétin ! m’asséné-je encore, arrêtant mon bras juste à temps avant de me refiler un coup de louche. Par précaution, je choisis d'éloigner le danger et la range dans son tiroir. Je ne vais pas avoir le choix, il va falloir que j'ose te parler. Te parler vraiment. Ah, et en parlant d'oser...  

 

-Ne restez pas dehors Mlle Taki, appelé-je celle dont je devine la présence depuis un bon moment déjà.  

 

-Je... Je suis désolée Mr Saeba, je ne voulais pas avoir l'air de vous espionner, se confond en excuses la jolie secrétaire en pénétrant enfin à pas hésitants dans la cuisine. Je voulais un verre d'eau et quand je suis arrivée, vous vous disputiez, alors je n'ai pas osé entrer. Et ensuite, je ne savais pas si c'était opportun de vous déranger pour un verre d'eau alors que... Alors que... Est-ce qu'elle vous aurait réellement jeté du toit ? finit-elle par demander, la curiosité l'emportant sur la bienséance.  

 

-Oui, elle l'aurait fait, réponds-je en riant malgré moi devant l'air abasourdi de la demoiselle.  

 

-Et ça vous fait rire ? s'affole-t-elle, tout en suivant du regard la mousse qui déborde de l'évier et vient s'échouer en petits pâtés à mes pieds.  

 

-On s'y habitue, dis-je en haussant les épaules tout en poussant du pied le tapis de sol pour qu'il absorbe les dégâts.  

 

-Mais... C'est dangereux non ? essaie-t-elle de comprendre en secouant ses cheveux détachés.  

 

-Non, chacun de nous fait très attention à l'autre, expliqué-je en me disant que c'était rare que je parle autant de nous à quelqu'un. En voulant prendre ta défense, je risque de m'ouvrir bien plus que je ne le voudrais. Il est temps de changer de sujet... Vous avez faim ? lui proposé-je en sortant un verre pour le remplir d'eau, il me reste quelques légumes et un peu d'omelette.  

 

-Merci, mais j'avoue qu'après cette journée, je n'ai pas très faim, me dit-elle en prenant le verre que je lui tends. Je serais déjà en train de dormir si je n'avais pas eu si soif. Merci pour le verre d'eau et encore toutes mes excuses. Bonne nuit Mr Saeba.  

 

-Attendez, ne partez pas tout de suite, la rappelé-je alors qu'elle recule déjà vers la porte. Je dois vous parler.  

 

-Oui ? me demande-t-elle en levant vers moi ses grands yeux fatigués mais intrigués.  

 

-Je n'en ai pas pour longtemps, rassurez-vous. Vous vous souvenez de ce que je vous ai demandé tout à l'heure ?  

 

-Tout à l'heure, pendant l'attaque ? cherche-t-elle à comprendre, pendant que son regard se voile d'horreur de devoir se remémorer ce souvenir. Je ne me souviens pas non...  

 

-Pas ce matin, mais à la clinique...  

 

-Ah oui, pardon, je suis tellement épuisée que je mélange tout. Oui oui, je me souviens. Je vous ai promis de vous aider à récupérer la mallette de Mr Makato.  

 

-Oui, voilà, cette mallette et ces papiers qui ont l'air si importants, dis-je sans rappeler que c'est pour les protéger qu'il a failli la faire tuer et que Mick a été gravement blessé.  

 

-Dites-moi comment faire, me propose-t-elle spontanément en replaçant nerveusement une de ses mèches derrière son oreille. Je ne sais pas si j'oserai m'opposer à Mr Makato ni lui dérober ses affaires, mais je peux toujours essayer.  

 

-Justement, c'est de ça dont je voulais vous parler, me dépêché-je de la détromper. Je ne veux pas que vous preniez de risques, prévenez-moi simplement s'il s'en éloigne un peu. Je me débrouillerai pour récupérer ce qu'elle contient.  

 

-Vous pensez que c'est compromettant ? s'inquiète-t-elle en reposant son verre sur la table. Mokkori, courageuse et intelligente, décidément je suis de plus en plus fan de cette femme.  

 

-Je ne sais pas, mais un homme normal ne prend pas autant de risques pour un peu de paperasse. C'est important pour moi de comprendre les motivations de mon client pour mieux le protéger, mens-je effrontément. En tant qu'employée, il est possible qu'elle ait des scrupules à trahir ainsi son patron, et lui présenter les choses sous cet angle lui facilitera la décision de m'aider, même si je sens bien que la question ne se pose pas pour elle, car c'est d'un ton assuré qu'elle me répète la même chose qu'à la clinique.  

 

-Très bien, Mr Saeba, je ferai de mon mieux.  

 

-Je vous remercie, souris-je devant son air résolu. A cet instant, elle a quelque chose de toi au fond des yeux, une espèce de flamme qui ne demande qu'à s'allumer et à briser le carcan du costume tailleur/chignon que lui impose sa vie. Je suis certain que te côtoyer lui apporterait ce souffle de liberté qui lui manque pour laisser exploser sa réelle personnalité. C'est bien dommage que vous ne fassiez que vous croiser. Voyant bien que je l'observe, elle me retourne mon regard inquisiteur puis répond à mon sourire.  

 

-Je l'ai déjà dit à Kaori, mais vous pouvez m'appeler Hisae vous savez ? Je vais passer un certain temps ici et je sens que je peux avoir confiance en vous.  

 

-Ah ah ah, confiance... ça dépend pour quoi, m’esclaffe-je bêtement, tandis qu'elle me contemple, un peu décontenancée par ma réponse spontanée. Heu, je plaisante bien sûr... me reprends-je rapidement, inquiet de ce que tu as pu lui montrer dans ta chambre. Je ris un peu jaune, une goutte de sueur sur la tempe, pendant qu'elle continue de m'observer stoïquement, tentant sûrement de comprendre comment je fonctionne, puis je tousse pour reprendre contenance.  

 

-Va pour Hisae, crachoté-je à la fin de ma quinte de toux, parce qu'effectivement ça coule de source de l'appeler ainsi. Mais si ça ne vous dérange pas, nous attendrons demain pour commencer, ajouté-je en me passant la main derrière la nuque. Kaori est déjà suffisamment en rogne contre moi, ce n'est pas la peine qu'en plus elle sache que je vous appelle par votre prénom.  

 

-Oh, vous pensez qu'elle pourrait s'inquiéter ?  

 

-S'inquiéter n'est pas tout à fait le mot qui me vient à l'esprit quand j'imagine ce qu'elle pourrait me faire.  

 

-Ah bon ? Qu'est-ce qu... commence-t-elle avant de soudain comprendre et de reprendre, les yeux aussi grands que des soucoupes :  

 

-Par-dessus bord ?!  

 

-Par-dessus bord, confirmé-je en riant sous cape devant son expression effarée. Mais comme je vous l'ai dit, on s'y habitue.  

 

-Ah mais non alors, je ne veux pas que vous risquiez votre vie pour ça. Oubliez ce que je vous ai proposé !  

 

Je ris maintenant franchement devant sa réaction et, après un instant d'hésitation, elle pouffe elle aussi, surtout quand je commence à jeter des coups d’œil surjoués en direction de la porte pour vérifier que tu ne vas pas apparaître après avoir entendu notre conversation.  

 

-Vous savez quoi ? On va oublier les prénoms, je vais plutôt vous appeler Mr Saeba, ou juste Monsieur... En fait je ne vais plus vous appeler du tout, ce sera plus sûr s'amuse-t-elle en attrapant son verre.  

 

-Tant que vous ne me sifflez pas.  

 

-Oh ça je ne pourrai jamais, rit-elle joyeusement, parce que je ne sais pas siffler ! Son rire est clair, son visage détendu ; l'inquiétude et l'angoisse qui voilaient son regard a disparu. Elle pourra se reposer sans trop penser à l'attaque de ce matin. C'est bien ; j'ai atteint mon but.  

 

-Hisae ?  

 

-Oui Monsieur ? me répond-elle, joueuse.  

 

-Appelez-moi Ryo, d'accord ?  

 

-D'accord, acquiesce-t-elle.  

 

-Merci, lui dis-je, la remerciant intérieurement de m'avoir aussi changé les idées après le fiasco de tout à l'heure.  

 

-De rien, dit-elle en sortant, son verre à la main, avant de s'arrêter en passant l'encadrure de la porte et de se retourner vers moi.  

 

-Au fait Ryo...  

 

-Hum...  

 

-Tout à l'heure, quand j'ai croisé Kaori qui sortait de la cuisine... Elle n'était pas du tout « en rogne ». Je pense même qu'elle a apprécié ce qu'elle a entendu.  

 

-Ah... éludé-je en voyant où elle veut en venir. Si même Hisae m'a entendu, alors forcément toi aussi...  

 

-Vous devriez peut-être le faire un peu plus souvent... Les femmes aiment quand leurs hommes s'ouvrent à elles. Et Kaori ne déroge sûrement pas à la règle. Elle... Elle avait les yeux brillants, elle souriait. Elle était vraiment magnifique.  

 

-...  

 

-J'y vais maintenant. Bonne nuit Ryo.  

 

-Bonne nuit Hisae.  

 

J'en suis encore à repenser à ce qu'elle vient de dire quand j'entends son pas monter vers les chambres. Comme je le pensais, elle est intelligente. Elle a réussi à nous cerner en quelques heures à peine.  

Mais je n'ai pas vraiment le temps de réfléchir à tout ça, car tu ne vas pas tarder, et il vaut mieux que je sois sûr de ce que je veux faire avant de me lancer dans quoi que ce soit. Je m'apprête à sortir à mon tour et éteins la lumière quand je m'arrête, puis la rallume. Embrassant du regard la cuisine, je sais ce que j'ai à faire avant toute chose. Récupérant ton assiette, j'en remets le contenu dans une casserole que je pose sur le feu, avec un couvercle pour le garder au chaud ; puis je repousse du pied le tapis, avant de quitter la pièce en la laissant allumée.  

 

En arrivant à l'étage, j'entends la porte qui donne sur le toit s'ouvrir et je m'arrête, me fondant dans l'ombre du couloir. Ainsi, je suis certain que même par hasard tu ne pourras déceler ma présence. Adossé au mur, les bras croisés, j'arrive à trouver l'angle parfait pour voir l'entrée de la cuisine depuis le haut des escaliers. Tu devras forcément passer devant pour aller dans le salon. Effectivement, quelques secondes plus tard, ta silhouette s'encadre devant l'encart lumineux de la porte ouverte. Comme je m'y attendais, tu jettes un coup d’œil dans la cuisine, intriguée par la lumière, puis tu y pénètres en ronchonnant. Forcément, la mousse qui tombe encore au sol n'est plus absorbée par le tapis et se transforme en une flaque épaisse sur le carrelage ; je peux même t'entendre râler pendant que tu nettoies le sol. Au moment où le silence se fait, je devine que tu viens de trouver la casserole qui tient ton repas au chaud et au bruit d'une chaise qui racle le sol que tu as compris ma manœuvre et que tu t'es assise pour manger un peu. Je souris. Je suis pardonné ; pour l'instant.  

 

 

Par contre, même si je ne me flagelle plus à coups de louche, je m'en veux.  

« Je me dis que finalement je ne te connais pas... Ton passé n'en parlons même pas. Mais je pensais quand même pouvoir avoir confiance en ce que je savais de ton présent ! » Tes mots résonnent dans ma tête, résumant en une seule phrase combien j'ai merdé ce soir. Et toutes ces années.  

Le reconnaître n'est pas facile, mais il m'est encore plus difficile de me dire que j'ai aussi la solution à tout ça, solution donnée par une petite secrétaire mokkori venue chercher un verre d'eau dans la cuisine.  

« Les femmes aiment quand leurs hommes s'ouvrent à elles ». C'est à la fois simple et sacrément compliqué. Passant la main dans mes cheveux, je me demande si je ne préférerais pas que tu me jettes réellement du toit finalement...  

 

Je n'ai pourtant pas le choix. J'ai tourné la question dans tous les sens pendant cette soirée, mais je crois que c'est définitivement la seule option qu'il me reste pour que tu partes pour mieux me revenir.  

 

 

Me redressant d'un coup d'épaule, je me dirige vers ma chambre et y pénètre sans allumer. J'ai chaud soudain. J'enlève mon tee-shirt et, retrouvant un réflexe vieux de cinq mois, je le balance derrière moi. Passant encore une fois la main dans mes cheveux pour me donner du courage, je vais m'allonger sur le lit et me tourne vers la lumière pâle de la lune qui filtre au travers de la grande baie vitrée. Bordel, est-ce que je vais pouvoir faire ça ?  

 

Dans mon dos, la porte s'ouvre en silence. Un bruit de pas feutrés glisse sur le sol. Je sens ta présence jusque dans mes fibres nerveuses. Tu restes immobile, sûrement le temps que tes yeux s'habituent à la pénombre. Non, ce n'est pas ça. Tu hésites. Un instant, le temps de ramasser mon tee-shirt par terre en soupirant, tu retrouves contenance, mais cela ne dure qu'une seconde. Ce n'est que lorsque tu te diriges vers le canapé que je comprends. Tu n'oses pas venir te coucher. J'ai dit à Hisae quand nous étions dans le salon que je dormirais dans le canapé et toi dans le lit. Et là, comme j'y suis, tu penses sûrement que ce n'est pas ta place. Idiote. Je crève d'envie que tu me rejoignes, de sentir ta chaleur dans mon dos. Cela m'aiderait même. Si tu t'éloignes, je n'aurai pas le cran de me lancer. Allez Sugar, viens...  

 

Mais ma supplique silencieuse fait un flop. Tu t'arrêtes, regarde une dernière fois dans ma direction, puis, après avoir secoué la tête, repars vers le canapé.  

 

Je n'ai plus le choix. C'est maintenant ou jamais.  

 

-Bleu... Ma voix résonne dans le silence de la chambre.  

 

-Quoi ? demandes-tu dans un souffle en te retournant.  

 

-Ma couleur préférée.  

 

-Oh...  

 

-Le curry...  

 

-...  

 

-Ce que je préfère cuisiner... Avec l'omelette. J'ânonne et me sens affreusement stupide mais je continue. Je rate une fois sur deux les okonomiyakis par contre.  

 

-...  

 

-Repasser... j'aime pas, le reste, ça va. Le saké... c'est pour la fête et l'ivresse. Je préfère le goût du whisky.  

 

Tu restes silencieuse, immobile. Je continue.  

 

-Brunes... Mon type de femme.  

 

Tu tiques dans mon dos. Je poursuis :  

 

-... Enfin, officiellement...  

 

Je souris dans le noir de sentir ton soulagement. Je reprends avec plus d'assurance.  

 

-Quinze secondes... Le temps qu'il me faut pour monter et démonter n'importe quelle arme. Trois... le nombre de pays où j'ai vécu. Six... Celui de mes partenaires. Trente-quatre centimètres... La taille de mon m...  

 

-Ryo ! Sale pervers ! t'écries-tu en me balançant mon tee-shirt à la tête, je ne veux pas connaître la taille de ton mokkori !!  

 

-...de mon Magnum, reprends-je, c'est toi la perverse aux idées mal placées. Et puis 34 cm... c'est bien trop court ! Je jubile intérieurement de ta confusion et récupère mon tee-shirt en m'asseyant. Puis, froissant le tissu dans mes mains, je prends une profonde inspiration. Jusque là c'était facile. Les choses vont maintenant se corser. Mes muscles se crispent. Un nœud se forme. J'ai froid. Je reprends.  

 

-Trois... ans...  

 

C'est dur. Je bute sur les mots. L'impression d'être à poil. Mais je continue. L'aura de la pièce change, tu le sens aussitôt.  

 

-Trois ans... La jungle... La peur... Du plus loin que je me souvienne, ce sont mes premiers souvenirs.  

 

*******************  

 

« Du plus loin que je me souvienne, ce sont mes premiers souvenirs. »  

 

Quand je t'entends prononcer ces mots, je comprends aussitôt ce que tu t'apprêtes à faire. L'émotion qui m'étreint est fulgurante. Elle me prend aux tripes, circule dans mes veines, se diffuse dans tout mon corps et me monte aux yeux. Je pose une main sur ma bouche. Peut-être pour retenir un sanglot.  

 

Un mot après l'autre, les phrases se forment. Difficilement. Un mot après l'autre, le petit garçon perdu dans la jungle prend forme. Je le vois chercher un passage dans le feuillage, laissant derrière lui la carlingue démantibulée d'un avion fantôme. Je l'entends pleurer doucement, traumatisé par la catastrophe dont il ne garde déjà plus aucun souvenir - mécanisme naturel d'un cerveau privilégiant la survie au détriment de la mémoire. Le petit garçon entend des bruits tout autour de lui. Il ne sait plus comment il s'appelle. Il est seul. Il a peur.  

 

Je ne veux pas qu'il ait peur.  

 

Alors, un pas après l'autre, je le rejoins. Un pas après l'autre, dans la pénombre de la chambre, je me dirige vers toi, fixant intensément ton dos nu. Debout devant le lit, je continue de te regarder, hésitant sur la conduite à tenir. Dans l'histoire, le petit garçon échevelé, blessé et éperdu vient d'être trouvé par des hommes dans l'ombre de la jungle. Parmi ces hommes, il trouve du réconfort auprès de deux d'entre eux. Il les aime bien. Surtout celui qui est japonais. Il lui a même donné un prénom. Ryo. Pourtant, ils sont durs avec lui. Très durs. Souvent, le petit garçon pleure le soir, quand il est à bout de forces. Je pense même qu'il doit parfois appeler sa maman au milieu de ses larmes. Tu ne le racontes pas ; je l'imagine, c'est tout. Mais personne n'est là, personne pour lui donner cette tendresse réconfortante dont il a besoin. Alors, le petit garçon finit par arrêter de pleurer. Il ne pleurera plus jamais là-bas.  

 

Moi, je pleure. En silence. Je pleure pour ce petit garçon. Je pleure pour toi. Parce que je sais que l'enfant blessé est toujours là, quelque part, et que personne n'a jamais pris le temps de le consoler de la perte de ceux qui sont restés dans l'avion. Je mets un genou sur le matelas et me laisse glisser derrière toi. Tu ne perçois pas ma présence ou n'en laisse rien paraître, continuant de raconter le petit garçon qui grandit. Dans la violence. Les entraînements s’enchaînent. Les coups aussi. Mais le petit garçon se relève, toujours. Il a compris qu'il n'avait pas le choix, alors il essuie bravement la boue sur son visage et reprend l'entraînement. Dans sa petite main, les armes pèsent lourd.  

 

Les larmes roulent sur mes joues. J'essaie de me raccrocher au fait que je sais que tu aimais Kaibara et qu'il t'aimait vraiment aussi. Mais c'est dur. Comme cette vie là-bas, cette vie où la guérilla rythme les jours, les mois, les années. Je vois le jeune garçon rouler pour se cacher sous une cabane, pendant que son camp est attaqué. Il tremble, les insectes grimpent sur lui, s'infiltrent dans sa bouche, mais il sait qu'il doit rester silencieux. Autour, des coups de feu pleuvent. Puis une arme tombe devant la terrasse sous laquelle il se terre. Il l'attrape, hésite une seconde, une seule. Puis il se rue dehors pour aider ceux qui sont sa famille. Le coup part ; un mercenaire s'effondre. Puis un autre. Encore un. Le jeune garçon sait que son père sera fier. Et moi je continue de pleurer.  

 

Sur les muscles de ton dos dont je distingue à peine les courbes, tes cicatrices illustrent l'histoire pendant que les mots dansent autour de moi. Pas besoin de les voir, je connais par cœur l'emplacement de chacune d'elles. Ici une blessure par balle, là une boursouflure due à un coup de couteau, là encore une plaie recousue grossièrement. Chacune d'elle met en exergue les souffrances qui s'inscrivent dans la peau du jeune homme qui grandit pendant que son corps s'endurcit, se développe, ploie parfois sous la douleur mais devient plus fort. Je les survole du doigt, suis leurs chemins sans te toucher, de peur de t'interrompre. Je devine combien cela t'est dur et je crains que tu ne puisses reprendre si tu t'arrêtes.  

 

Mais tu t'arrêtes.  

 

Pendant de longues secondes, tu restes silencieux. Je sais que tu arrives au passage de ta vie que tu préfères éviter. Les yeux rivés sur la courbe dure de tes épaules qui bougent au rythme de ta respiration plus rapide qu'à l'ordinaire, j'ai envie de te prendre contre moi, de te crier que tu n'es pas obligé de continuer, que je ne suis plus en colère, qu'une fois encore je me suis énervée trop vite, sans réfléchir, que j'ai compris que c'était ta manière de faire en sorte que je reste avec toi, que c'était une idée pourrie mais qu'au moins elle m'avait permis de trouver ma place et de rester à tes côtés. Mais d'un autre côté je comprends. Je réalise le cadeau que tu m'offres. Ce que tu fais ce soir tu ne l'as jamais fait. Pour personne. T'exposer ainsi et te raconter est la chose la plus personnelle, violente et intense que tu aies jamais faite pour moi. Tu t'offres entièrement, faisant sauter à grands renforts d'hésitations une partie de ces barrières qui existaient entre nous.  

 

L'histoire reprend, difficilement, les muscles de ta nuque se contractent, pendant que tes mots racontent la culpabilité d'un fils qui se sent responsable du sacrifice de la jambe de son père. Le dévouement et la reconnaissance qu'il porte à l'homme atteignent leur paroxysme alors que la guérilla bascule en la défaveur des guérilleros et que le désespoir commence à instiller le venin de la folie dans la tête du père. Mais le fils ne voit pas le danger. Dans cet univers où le sang coule chaque jour et où les armes se déchaînent à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, il se raccroche à l'indéfectible affection qu'il éprouve pour lui, comme un ancrage dans la normalité. Mais l'homme devient fou. Petit à petit. Insidieusement.  

 

Lorsque qu'arrive enfin le moment que j'appréhende avec angoisse, parce que je sais que rien ne pourra en changer l'issue, un violent frisson me saisit en entendant le nom de l'Angel Dust. Je ne pleure plus. J'ai juste froid. Je tremble. Je connais déjà l'histoire. Tu me l'as racontée quand Kaibara est revenu dans ta vie, brièvement, pour que je comprenne vos liens. Mais là, aujourd'hui, c'est différent. Je le sens, le ressens dans chaque atome de la pièce. Tu ne vas pas rester à la surface des choses. Ta voix change, ne s'entrecoupe plus ; elle devient monocorde et descend profondément dans les graves, vibrant comme la corde trop tendue d'une basse prête à rompre, pendant que la fureur et la violence explosent et que l'Angel Dust fait voler en éclat l'humanité du fils. Ennemis broyés, faction décimée, des corps sans vie que l'homme découvre à son réveil, un goût de fureur putride au fond de la gorge et l'horreur féroce à jamais gravée dans la mémoire. Trahison, dégoût, souffrance infernale et haine prennent alors tout pouvoir sur le fils qui, fou de rage et de douleur, tente de tuer le père, qui le laissera pour mort.  

 

La tragédie me semble encore plus tangible maintenant que je sais à quel point tu as aimé cet homme et quelle déchirure cela a été de le haïr. Oh Ryo... Un sanglot échappe à mon contrôle et passe la barrière de mes mains, me réveillant de cette torpeur dans laquelle je me suis plongée et je laisse, cette fois, libre cours à la pulsion qui me pousse à te toucher pour te faire sentir que je suis là pour toi. Je me serre contre ton dos, m'accrochant à tes épaules, et c'est en sentant à quel point tu es glacé que je prends conscience que tu ne parles plus. Assis sur le lit, la tête baissée, tu restes silencieux. Passant ma main sur tes épaules, je t'appelle doucement. Ton mutisme pour toute réponse m'interpelle et je te secoue franchement cette fois.  

 

-Ryo...  

 

Deux secondes plus tard, j'ai fait le tour du lit et m'agenouille péniblement près de toi. Inquiète. La lune éclaire ton visage quand tu le lèves enfin vers moi et me montre combien j'ai raison. Ta mâchoire contractée et l'orage dans tes yeux me procurent un choc. Le contre-jour accentue les ombres et torture plus encore tes traits. Je sens immédiatement que tu n'es plus tout à fait là. Une part de toi est restée coincée quelque part là-bas, dans le cauchemar de tes souvenirs, et je ne suis pas sûre que tu me voies, perdu dans une noirceur et une tristesse infinies.  

 

-Hey... Ryo...  

 

Je murmure ton nom dans un souffle, passant et repassant mes mains sur les muscles de tes bras, tes jambes. Je ne sais même pas pourquoi, c'est instinctif - créer un lien et te réchauffer pour tenter de te ramener. L'atmosphère de la chambre est affreusement pesante, j'ai du mal à respirer. Ta poitrine se soulève rapidement aussi. Bon sang, Ryo, qu'est-ce qui t'arrive ?  

 

-Ryo... Je suis là, tout va bien...  

 

Tu appuies ta joue sur la main que je viens d'apposer sur ton visage et mue par une fulgurante idée, je me relève et m'assoie à califourchon sur tes genoux. Je refrène un violent fard qui me vient et me concentre sur cette certitude que je peux te réconforter par mon contact. Entourant ton cou de mes bras je te serre doucement contre moi, un peu mal à l'aise toutefois. J'ai beau frotter ton dos, ta peau reste glacée et je n'obtiens aucune réponse. Me relevant brusquement, je me mets en posture de combat, jambes écartées et poings sur les hanches.  

 

-Bon, écoute Ryo, ça suffit maintenant. Tu n'es plus là-bas. Tu es à Tokyo, avec moi. Kaori. Alors arrête ce cirque ou je vais devoir te frapper. Tu m'entends ! Tu veux une paire de baffes ? Un coup de massue peut-être ? Une fille ?  

 

Je dis n'importe quoi, mais je suis perdue, rien de ce que je tente ne te fait réagir. Tu me regardes toujours sans me voir. La seule chose qui ait fonctionné c'est quand je t'ai touché la joue de ma main. C'était un geste tellement intime.  

J'ai alors comme une illumination. Oui, c'est ça, il faut que ce soit intime ! Mais je rejette cette pensée aussitôt. Hors de question que je fasse ça ! Pourtant, le temps file, il est déjà une heure du matin. Que se passera-t-il si tu es toujours dans cet état quand Saeko arrivera et que je devrai partir ? Je ne peux quand même pas prendre le risque de te laisser ainsi prostré si je peux essayer quelque chose. C'est une très mauvaise idée mais je n'ai pas le choix. Avec un pervers comme toi, il n'y a que la chaleur d'un corps de femme qui peut te faire réagir. Je balaie mes dernières hésitations d'un juron et attrape mon haut de pyjama par le bas.  

 

-Ecoute-moi bien Ryo, te préviens-je en le retirant, je te jure que si c'est un stratagème de dégénéré, tu vas me le payer ! Et si jamais tu utilises ce que je vais faire contre moi, si jamais tu racontes ça à qui que ce soit, t'es un homme mort ! Pigé ?  

 

Le torse nu mais caché derrière le pyjama que je presse contre moi, complètement cramoisie, j'oublie la douleur ressentie pendant que je l'enlevais et me remets sur tes genoux, laissant tomber le haut sur le lit juste avant de reprendre ma position initiale. Fermant les yeux, j'essaie de laisser couler le fait que la situation soit devenue affreusement embarrassante pour me rappeler pourquoi je le fais et me remets à murmurer :  

 

-Ryo, je suis là... Tout va bien... Est-ce que tu m'entends ? Rien de tout ça n'était de ta faute... Reviens Ryo, reviens vers moi.  

 

Je te serre contre moi, les seins pressés contre ton torse, passe la main dans tes cheveux, caresse du pouce l'arcade près de ta tempe. La température monte autour de nous. J'y suis sensible malgré l'angoisse qui m'étreint. Pourtant, je sens que ça fonctionne, ton corps se réchauffe contre ma poitrine. Te prenant le visage en coupe, j'observe attentivement tes yeux, cherchant le moment où le lien se fera. Mais tu me prends par surprise quand, soudain, tes mains se posent au creux de mes reins. Par réflexe, je baisse le regard et quand je relève les yeux vers toi, c'est pour te découvrir un petit sourire sur les lèvres et une lueur légèrement fiévreuse au fond des yeux. Sans réfléchir, juste mue par la joie de te retrouver, je me jette spontanément à ton cou, avant de prendre conscience que l'effet escompté commence à se ressentir sur la partie basse de ton corps. Bon sang, tu vas faire mokkori !!  

 

Comme un ressort je tente de me relever, mais tu me maintiens contre toi. Le visage enfoui dans mes cheveux, tu viens poser tes lèvres près de mon oreille et je ne peux retenir un léger frisson quand ton souffle chaud vient me murmurer :  

 

-Juste deux secondes Kao, ne bouge pas...  

 

Je m'immobilise aussitôt. Tu as prononcé ces mots comme une supplique, et même si je suis affreusement gênée, je dois avouer que je me sens bien dans cette bulle de sensualité que crée la sensation de nos deux peaux l'une contre l'autre. Alors j'acquiesce en silence. Ainsi assise sur tes genoux et dans tes bras, baignée par la clarté de la lune, la sensation de chaleur qui naît au creux de mes reins réveille un souvenir un peu plus charnel et je ferme les yeux, me laissant envahir par ce bien-être. Me rappelant ta demande, je ne peux m'empêcher de compter jusqu'à deux puis me redresse légèrement. Face à toi, je ramène mes mains dans tes cheveux et caresse ta nuque. Ton visage est détendu, tu souris légèrement... tes lèvres attirent mon regard. Qu'est-ce qui me prend de les fixer comme ça ? Je suis juste incapable de détourner les yeux. J'ai envie de t'embrasser...  

 

-Je...  

 

-Dis-donc, me demandes-tu soudain en pinçant un peu de peau de chaque côté de ma taille, tu n'aurais pas un peu grossi ces derniers temps ?  

 

-Abruti ! m'écrie-je en me relevant d'un bond et en croisant les bras devant moi pour cacher ma nudité.  

 

Non mais quelle idiote j'ai été de me laisser ainsi aller ! me dis-je en attrapant mon haut de pyjama pour le remettre. Mais tandis que j'essaie tant bien que mal de l'enfiler, les bras en l'air pour passer les manches, tu me rattrapes doucement par les hanches et me ramènes vers toi en écartant les jambes pour me laisser un passage avant de venir poser ta joue contre mon ventre. Il y a tant d'intensité, de sensualité et de tendresse dans ce geste que la phrase bien sentie que j'allais t'envoyer meurt aussitôt sur mes lèvres.  

 

-Merci Sugar...  

 

Une bouffée d'émotion me saisit et je ramène mes mains, toujours emberlificotées dans les manches, sur tes cheveux pour y glisser mes doigts. Nous restons comme cela quelques instants, savourant d'être proches l'un de l'autre et d'avoir compris tout ce que l'autre est prêt à faire pour lui. Je romps le silence la première :  

 

-C'est moi qui te remercie Ryo. Merci d'avoir partagé ces souvenirs...  

 

-Tu ne comprends pas Kao, me coupes-tu. Cette phrase...  

 

-Quelle phrase ? demandé-je en essayant de comprendre à quoi tu fais allusion, avant de crier en réalisant que tu vas relever la tête pour me répondre :  

 

-Attends, attends !! Ne regarde pas ! Je me rhabille d'abord !  

 

Obéissant, tu ris en silence contre mon nombril pendant que j'essaie d'enfiler mon pyjama, mais je suis tellement confuse et troublée par la sensation de ta bouche contre mon ventre que je m'empêtre plus qu'autre chose dans le tissu et que je mets plus de temps à le passer qu'un enfant d'à peine trois ans. Et plus je me débats, plus j'ai mal et plus je m'emmêle les pinceaux. Bon sang, je ne vais pas rester comme ça toute la nuit ! Le peu de dignité qu'il me restait s'évapore quand tu t'adresses soudain à mon ventre, joueur :  

 

-Enchanté nombril de Kaori, moi c'est Ryo, j'ai l'impression que nous allons rester un bon moment en tête à tête, parce qu'elle ne veut pas que je la regarde mais qu'elle m'a l'air bien coincée. Sachez que je vous trouve très sexy.  

 

Je rougis violemment sous le tissu, en essayant de dépêtrer mon coude qui, pour une raison inconnue, s'est retrouvé dans le col. Je ne veux pas passer les trois heures qui restent là-dessous, les bras au-dessus de la tête et la poitrine à l'air ! Quel soulagement quand je sens soudain le haut descendre de lui-même, mes bras et ma tête trouvant naturellement le bon chemin dans les méandres de tissu. Enfin rhabillée, je m'aperçois que tu tiens encore dans tes doigts le bas du vêtement, sur lequel tu tires doucement avec un petit sourire moqueur, histoire que je comprenne bien que c'est à toi que je dois ma délivrance.  

 

-Ton nombril est vraiment charmant tu sais, il faudra que nous fassions plus ample connaissance un jour...  

 

Toujours rouge pivoine, j'ignore le sous-entendu et reviens à notre première conversation pour retrouver une certaine contenance.  

 

-Qu'est-ce que je n'ai pas compris, Ryo ? insisté-je alors que ton sourire s'efface et que ton regard redevient sérieux, qu'est-ce que j'ai dit ?  

 

-Que rien de tout ça n'était ma faute, réponds-tu après un instant.  

 

-Ohhh... Ryo, murmuré-je en m'asseyant à ton côté sur le lit et en posant ma main sur la tienne. Bien sûr que ce n'était pas ta faute... As-tu jamais vraiment eu le choix en atterrissant si petit dans ce monde de violence ? Tu pouvais difficilement devenir autre chose qu'un mercenaire à ton tour, ne serait-ce que par loyauté et amour envers ton père. Et lorsque... Lorsque « ça » est arrivé, tu n'étais plus maître de toi-même. Tu n'as jamais décidé de prendre du PCP pour tuer tous ces gens. C'est Kaibara qui te l'a injecté sans ton accord, tout en sachant que tu en mourrais aussi ! Toutes ces horreurs que tu as traversées, ces gens que tu as perdus, ce n'était pas de ton fait. Par contre, quand il a fallu faire des choix entre le bien et le mal, tu les as toujours faits en suivant ton cœur et à chaque fois c'était une décision juste et bonne. Et ce sont ces choix qui te définissent comme un homme bien. Parce que tu l'es... Tu es vraiment un homme bon Ryo. Je l'ai toujours pensé. Certes, tu es un abruti, un obsédé et un dégénéré, mais tu es aussi quelqu'un de bien. Sinon, je ne serais pas...  

 

-Hmm ? m'interroges-tu quand je m'arrête brusquement, prenant conscience de ce que je m'apprêtais à dire.  

 

-...  

 

-Tu ne serais pas quoi ? insistes-tu.  

 

-Ben... tu vois quoi...  

 

-Ben non, je ne vois pas... persistes-tu en te rapprochant de mon visage, l'air intrigué. Tu ne serais pas quoi ? Constipée ?  

 

-Oh mais c'est pas vrai ! Quel con ! fulminé-je en te repoussant d'une main dans la figure. Oublie tout ça, je ne suis rien du tout. Je vais dormir.  

 

Énervée, je me faufile à quatre pattes jusqu'en haut du lit, sans plus un regard pour toi, attrape les couvertures et me glisse en dessous. Abruti ! Tu as vraiment le don pour plomber les meilleurs moments d'intimité ! Je te déteste ! En même temps, je ne suis pas plus douée que toi pour les déclarations ! dois-je reconnaître, mortifiée, en me cachant le visage sous le drap. Quelle idiote je fais d'avoir peur d'un simple mot. Amoureuse, c'était pourtant simple à dire... Enfin, pour l'instant, je ne suis certainement plus amoureuse. Comment l'être d'un abruti pareil ?! Le drap qui se soulève à côté de moi me tire de mes récriminations. Tournant la tête, j'avise alors ton corps simplement vêtu d'un boxer qui se glisse, à son tour, dans le lit. Repoussant brusquement les couvertures, je te demande, interloquée :  

 

-Mais qu'est-ce que tu fais ?  

 

-Ben je me couche.  

 

-Je croyais que tu allais dormir sur le canapé, objecté-je.  

 

-Le canapé n'est pas confortable, plaides-tu, en faisant la moue.  

 

-Je ne veux pas de toi dans mon lit.  

 

-Sois pas fâchée Kao, si tu veux je ne dirai plus de bêtises, argumentes-tu encore, mais c'est vraiment plus confortable ici... S'il te plaît Kaooo.  

 

-... Ok... Couche-toi alors et reste tranquille, sinon je te jette du lit, te menacé-je en m'écartant encore un peu plus vers le bord.  

 

-D'abord du toit, maintenant du lit... Arrête de vouloir faire du lancer de Ryo Chouchou, marmonnes-tu dans ta barbe, en t'allongeant... Et puis de toute façon c'est mon lit alors hein...  

 

-Ryo, la ferme !  

 

-Ok, Ok... Bonne nuit Kao.  

 

-Bonne nuit, te réponds-je sèchement en me tournant vers la porte.  

 

Le silence s'installe. Je ferme les yeux ; il ne reste que peu de temps avant la fin de cette nuit, qui me laisse un goût mitigé en bouche. Alors autant dormir, ça passera le temps et évitera peut-être qu'on se quitte vraiment fâchés. Mais je sais que je n'y arriverai pas. Alors je fixe la porte en écoutant ton souffle derrière moi. Calme, régulier. Te serais-tu endormi ?  

 

-Je peux le prendre comme je veux ? me demandes-tu soudain, répondant ainsi à ma question.  

 

-Hein ? réponds-je bêtement, sans comprendre de quoi tu parles.  

 

-Ce que tu as dit tout à l'heure... Le mot qui n'est pas « constipée ».  

 

-Oh... Ça... Je... Ce n'est pas... C'est juste... bafouillé-je lamentablement avant de concéder dans un souffle :  

 

-Prends-le comme tu veux, j'm'en fiche...  

 

Aussitôt, ton corps roule sur le matelas et vient se coller contre mon dos, ton bras m'encercle doucement, tandis que ta large main vient se poser sur mon ventre en un geste d'une infinie tendresse pour me ramener un peu plus près de toi.  

 

-Alors je vais le prendre comme ça...  

 

Fixant toujours la porte, mais cette fois sans la regarder, je souris, profondément heureuse. Tu m'as offert ce passé si mystérieux, te dévoilant comme jamais et, à ma façon, j'ai réussi à te faire passer mes sentiments. Ce qui nous unit est encore plus fort désormais. Tout est imparfait bien sûr. Nous sommes encore loin de pouvoir nous dire tout ça de vive voix et tu restes un crétin fini, mais une chose est sure : nos deux corps imbriqués l'un dans l'autre, ma main posée sur la tienne, est la meilleure posture qui soit pour dormir. 

 


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