Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Author: patatra

Status: To be continued

Series: City Hunter

 

Total: 23 chapters

Published: 02-03-11

Last update: 19-07-22

 

Comments: 159 reviews

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GeneralDrame

 

Summary: City Hunter n’existe plus. Après avoir accepté une mission, Kaori rencontre un homme qui veut détruire City Hunter et qui y réussit. Qui est cet homme ? Que veut-il à Ryo ? Comment réagit Kaori ? Pourquoi Ryo perd-il son ange ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Le vent", excepté celui de Keiji, sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Le personnage de Keiji m'appartient exclusivement.

 

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   Fanfiction :: Le vent

 

Chapter 21 :: Une oreille attentive

Published: 24-02-21 - Last update: 24-02-21

Comments: Bonjour, Oui, oui je sais, c'est une honte! Je suis le plus lent et le plus dispersé des auteurs CH. Désolé! En plus, ce chapitre que je vous livre aujourd'hui ne me convient pas vraiment. Je n'en suis pas satisfait. Faut dire qu'il ne comporte que peu de bouleversements, il temporise. Le suivant sera du même acabit. Je ne peux pas faire autrement. Faut dire que le précédent était central et émotionnellement fort. Celui-ci sera plus morne. Bon, faut se lancer quand même! Ca fait des jours qu'il est prêt. Donc je publie mais me laisse le droit de le retravailler. Bonne lecture à ceux qui lisent encore cette vieille histoire et merci pour vos commentaires. Pat

 


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Une oreille attentive
 

 

 

 

Treize mois plus tard…  

 

 

Miki prit une grande inspiration afin de se donner du courage avant de pénétrer dans l’appartement de Ryô. Le poing contre la porte, elle eut un nouveau temps d’hésitation. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle appréhendait son entrevue avec le nettoyeur ; elle n’ignorait pas que le sujet qu’elle souhaitait aborder avec lui était particulièrement délicat, que Ryô savait se montrer dur, voire violent en paroles, dès qu’on osait parler de son ancienne coéquipière. Il se braquait très facilement, envoyait paître avec agressivité et quittait les lieux, excédé ; et il pouvait laisser passer des semaines avant de reparaître. Aujourd’hui, dans un souci de conservation de l’équilibre précaire du groupe, chacun évitait de contrarier le brun. On se taisait, on faisait avec, on se censurait. Ryô était devenu ombrageux, taciturne, il avait changé et Miki en arrivait à le craindre un peu. C’était absolument fou, presqu’incroyable… elle le craignait un peu. Elle surveillait ses paroles, et même ses regards. Oui, elle avait parfois le sentiment que le nettoyeur lisait dans ses yeux les griefs qu’elle nourrissait à son encontre concernant sa meilleure amie. Griefs qu’elle peinait à s’expliquer elle-même.  

 

Si elle avait d’abord cru, envisagé, qu’Il l’avait fait fuir, peut-être même chasser, elle avait appris relativement rapidement que les circonstances de la rupture étaient nébuleuses, que personne n’en cernait véritablement l’essence ou la source. Kaori était allée à la rencontre de son ravisseur. Rien n’était clair, les relations qu’elle avait nouées avec lui, d’éventuelles complicités. Mais, par instinct d’amitié pur, Miki refusait d’investir le côté sombre de l’histoire ; elle refusait d’y croire. C’était comme une mare noire et mouvante qui l’encerclait et dans laquelle il n’était pas concevable de tremper le pied. Aussi, la mercenaire avait tout simplement évacué ces considérations inconsidérables et se concentrait sur la recherche de la nettoyeuse. La localiser, la retrouver, la ramener peut-être, renouer assurément. Voilà quel était son moteur quotidien. Et le principal obstacle qui se dressait entre elle et son graal n’était autre que celui qui se trouvait dans l’appartement à la porte duquel elle s’apprêtait à frapper. Son ami indéfectible. Un frère pour son mari. L’Amour malheureux de Kaori.  

 

Miki ferma les yeux et roula des épaules, histoire de se préparer à la future confrontation. Ah, il était loin le temps de l’insouciance où Ryô tentait de lui sauter dessus chaque fois qu’il pénétrait dans le café. Aujourd’hui, c’est à peine s’il lui adressait la parole ; dire qu’ils se fuyaient est exagéré, mais ils s’évitaient. Simplement, ils s’évitaient.  

Elle avala sa salive, elle savait que le nettoyeur était présent, de la lumière s’échappait de sous la porte.  

 

— T’attends quoi pour entrer ? cria-t-il avec force de l’autre côté.  

 

Elle entra, penaude, vexée d’avoir ainsi été grillée. Il était à moitié débraillé, avachi sur le canapé, un verre de whisky à la main. Il plia un bras sous sa nuque et lui jeta un œil goguenard.  

 

— Ne me dis rien Miki chérie, tu viens enfin de réaliser que ton nounours n’était pas à la hauteur et tu viens te jeter dans les bras d’un étalon qui saura te faire connaître les vrais plaisirs de l’amour physique, c’est ça ?  

 

 

Elle soupira d’exaspération tout en levant les yeux au ciel mais ne s’abaissa pas à répondre à l’obsédé notoire et tenta de se frayer un chemin jusqu’au salon parmi les détritus qui jonchaient le sol. Elle n’était pour autant pas dupe de la supercherie, Ryô se jouait d’elle ; son ton était empli de cynisme et l’humour n’affleurait pas. Oui, le temps de l’insouciance était révolu !  

 

— Je vais t’envoyer ma femme de ménage demain après-midi. C’est quoi ce capharnaüm ? Il doit y avoir des rats par ici, c’est répugnant !  

 

Il sourit de toutes ses dents et se leva pour aller chercher un verre derrière le bar.  

 

— Pourquoi pas ? répliqua-t-il contre toute attente. Je ne serai pas contre un coup de propre ici. Tu veux un verre ?  

 

Elle acquiesça. Puis elle fit une pose afin d’observer le nettoyeur qui était en train de lui verser le liquide ambré et puissant qu’il affectionnait particulièrement… et dont il abusait un peu, il fallait être lucide. Elle n’en raffolait pas mais Miki voulait amadouer Ryo ; elle essayait donc de louvoyer en acceptant sa boisson fétiche. Elle admira discrètement l’homme qu’elle venait visiter. Les cheveux en bataille, en jean et T-shirt, pas rasé, on aurait pu dire que le malheur lui allait bien. Il n’avait rien perdu de sa superbe. Bien au contraire, l’air grave qu’il affichait maintenant ajoutait encore à son charme naturel. Conscient d’être examiné, il lui tendit son verre en même temps qu’un regard suspicieux.  

 

— Que me vaut le plaisir de ta visite ? s’enquit-il sur un ton trop léger pour être honnête. J’imagine que ce n’est pas pour parler chiffon ou ménage.  

 

Miki sentit la décharge désagréable d’un frisson le long de sa colonne vertébrale et précipita ses lèvres dans l’alcool. Elle ignorait à vrai dire comment manœuvrer son ami. Elle était convaincue qu’il avait déjà saisi le sujet qui la poussait jusqu’à chez lui et qu’il se jouait d’elle. Il ne pouvait ignorer les efforts de tout un chacun pour ménager sa nouvelle susceptibilité.  

 

— Je ne veux pas te fâcher, entama-t-elle avec courage.  

 

Il la toisa. Ne consentit pas le moindre effort pour la mettre à l’aise et laissa un silence inconfortable s’installer entre eux. Miki se mordit l’intérieur des lèvres, elle manquait d’aplomb et cela ne lui ressemblait pas.  

 

— Je n’ai pas non plus envie d’être fâché, répondit-il froidement. Ne nous engage donc pas sur des sujets fâcheux.  

 

— J’ai le droit de savoir Ryô, poursuivit-elle calmement, sourde au conseil malintentionné. Ça fait maintenant plus d’un an que nous la cherchons, j’aimerais savoir où se trouve Kaori ?  

 

Le nettoyeur accueillit la requête de la brune avec son impassibilité habituelle. Seule une contraction de la mâchoire trahit qu’il ne goûtait pas la discussion qui se dessinait.  

 

— Moi, je ne la cherche pas, se contenta-t-il de préciser.  

 

— Tu ne la cherches peut-être pas mais tu sais où elle est, je me trompe ?  

 

Il jeta un regard noir à celle qui, visiblement, allait persévérer dans son interrogatoire.  

 

— Effectivement, tu te trompes. Je ne peux pas t’aider, je ne veux pas t’aider ; autant que les choses soient claires !  

 

Visiblement, le nettoyeur campait sur ses positions et ne semblait pas prêt à des concessions. Pour autant, il ne fuyait pas le regard décidé, braqué sur lui. La tâche s’annonçait ardue pour l’ancienne mercenaire mais peut-être y avait-il un espoir. Elle avait bien sûr lancé cette conversation des dizaines de fois, avait essuyé tout autant d’échecs, mais elle ne se décourageait pas et revenait à la charge régulièrement. Un travail de sape méthodique et détestable dont Miki avait bien conscience ; mais la nature féminine est un formidable atout dans telle entreprise.  

 

Ryô résistait habituellement avec une remarquable placidité, indifférent aux turpitudes qui se devinaient dans le cœur de la tenancière.  

Oui, car Miki s’en voulait. Elle s’en voulait terriblement. D’avoir tardé à réagir lorsque Kaori n’avait plus donné signe de vie après la rupture entre ses deux amis, respectant ce silence qu’elle croyait nécessaire aux nettoyeurs pour « recoller les morceaux ». Kaori elle-même lui avait fait cette demande, par écrit. Une lettre sobre, qui ne donnait aucun détail, aucune explication, et qui réclamait simplement solitude et respect de sa doléance. Miki n’avait pas su lire entre les lignes. Encouragée en ce sens par son mari, elle avait consenti à ne pas s’immiscer entre les deux partenaires ; elle avait ainsi contrarié sa nature, ses habitudes d’indiscrétion et d’ingérence. Mais cela n’avait pas été un simple silence, c’était une disparition, un évanouissement. Comment son amie avait-elle fait pour s’évaporer de la sorte ? Et pourquoi Ryô avait-il si bien protégé sa fuite ? Protéger ou… organiser ? La barmaid n’avait pas mesuré, comme tout un chacun, l’ampleur exacte du désastre. Comment aurait-elle pu avoir accès à cette folie ? Cela avait été imprévisible, inattendu. Ils s’aimaient tant !  

 

— À l’orphelinat ils n’ont pas de nouvelle non plus. Est-ce seulement possible ? Et Saeko m’a dit que la tombe d’Hideyuki est sans visite de sa sœur.  

 

— Je ne sais rien, persista le nettoyeur.  

 

— Penses-tu que je vais te croire ? asséna-t-elle avec rebuffade. Nous sommes tous à sa recherche, nous sommes tous dans l’ignorance du lieu où elle vit. Ma meilleure amie me manque. Je me fais du souci Ryô, tu peux comprendre ça au moins ?  

 

— Ta meilleure amie… répéta-t-il sur un ton méprisant en coulant sur elle un regard déçu.  

 

— Je ne suis pas venue ici pour me disputer avec toi. Je suis venue demander ton aide…  

 

— Je ne cache rien Miki, je ne la séquestre pas dans ma cave, sans téléphone et sans possibilité de te contacter. Il semblerait qu’elle n’ait tout simplement pas envie ou pas besoin de se rapprocher de toi.  

 

Miki serra fort les dents, à les faire grincer.  

 

— Tu n’entameras pas ma détermination à la chercher, à la retrouver, trouva-t-elle la force de lui répondre, accusant le coup bas.  

 

— Formidable ! éclata-t-il d’une fausse joie. Bonnes retrouvailles alors !  

 

— Cesse tes sarcasmes ! Dis-moi juste par où commencer…  

 

— Et toi cesse de voir des sarcasmes là où il n’y a que lassitude de tes vieilles histoires. Fais ce que tu veux Miki mais laisse-moi en dehors de ça !  

 

— Il lui est peut-être arrivé quelque chose, persévéra la jeune femme, sourde aux réticences du nettoyeur. Quelque chose de grave. Tu ne t’inquiètes pas, toi ?  

 

— Pas le moins du monde... Tu me fatigues ! Je me contrefous de ce qu’elle est devenue, de là où elle vit, de qui elle voit ou fréquente. Elle ne fait plus partie de ma vie, elle y est même indésirable. Tu m’entends Miki, prononça-t-il les dents serrées, la voix plus grave que jamais. Ta meilleure amie n’a plus rien à voir avec moi. Donc ne me casse plus les oreilles avec elle… et change de sujet ou retourne d’où tu viens.  

 

Il s’éloigna d’elle, lui tourna le dos.  

 

— Tu ne peux pas la haïr à ce point ; ce n’est pas possible Ryô… pas après tout ce que vous avez vécu ensemble.  

 

— Tais-toi, scanda-t-il avec fermeté en faisant violemment volte-face. Je ne la hais pas, je me fiche juste de tout ce qu’elle est.  

 

Miki était affligée ; elle luttait encore mais savait son combat vain. Les deux dernières tirades du nettoyeur laissaient entrevoir l’ampleur du désastre. Il était vraiment douloureux de contempler pareille désolation. Douloureux et inconcevable pour ceux qui les avaient connus avant… Ils s’aimaient tant !  

 

— J’ignore où est ta meilleure amie, répéta-t-il en détachant chaque syllabe, lui faisant face à nouveau. Que tu me croies ou non, c’est la vérité.  

 

Des larmes envahirent les yeux de la barmaid. Des larmes et de la colère. Le nettoyeur vit très bien le chagrin gagner celle qui venait le tourmenter ; étrangement, il resta de marbre, n’en retira aucune émotion. Miki croyait naïvement connaître sa meilleure amie, elle lui faisait une confiance aveugle, encore aujourd’hui. Mascarade ! Tout ceci n’était que mascarade ! Putain ! Il souhaitait juste ne plus jamais entendre parler d’elle ! Était-ce si compliqué à comprendre ? Et pour cela, il était prêt à toutes les petitesses, même les plus méprisables.  

 

— Vous me faites tous chier ! lâcha-t-il avec emportement, sentant ses résistances s’effondrer. Il est préférable que tu rentres chez toi Miki…  

 

Il lui arracha le verre des mains et lui tourna le dos pour le reposer sur le bar ; il la congédiait on ne peut plus cavalièrement. Elle crut défaillir devant la mine enragée qu’il venait de lui opposer, devant les yeux habités d’un orage sans pluie, électrique et menaçant. Sa colère et sa détresse redoublèrent, ses poings se serrèrent, son cœur s’affola, ses joues s’empourprèrent sous le coup de l’émotion qu’elle décida de déverser en flots sur lui.  

 

— Comment oses-tu ? Est-ce que je ne suis plus ton amie Ryô ? Moi aussi je me contrefous de ce que tu ressens. Je sais que tu sais où elle vit, il est impossible qu’il en soit autrement. Je te connais Ryô !  

 

— Rentre chez toi, se contenta-t-il d’objecter.  

 

Elle se précipita sur lui et l’obligea à lui faire face.  

 

— Regarde-moi ! vociféra-t-elle. Regarde-moi et écoute-moi !  

 

Il obtempéra, se laissa manipuler, retourner, et se retrouva les yeux dans les yeux avec l’ancienne mercenaire. Miki, tout à sa rage, ignora la mine patibulaire tendue vers elle, refusa de considérer les émanations agressives que le corps du nettoyeur irradiait à son encontre.  

 

— Peut-être ne la cherches-tu pas Ryô mais pourtant tu devrais ! Moi je la cherche pour m’assurer de son bonheur, de son bien-être, rien d’autre. Mais toi… Toi Ryô… C’est pour t’excuser platement que tu devrais la chercher…  

 

— Quoi ? tiqua-t-il, fulminant.  

 

— Pour t’excuser et la remercier !  

 

Un rictus tressautant gagna les lèvres masculines.  

 

— MERCI pour m’avoir supporté toutes ces années, entama-t-elle avec solennité. PARDON pour mes humeurs, mon égoïsme, mes sales manies ! PARDON pour le manque de considération de tes désirs, de ta féminité, de tes sentiments, PARDON pour t’avoir bafouée si souvent, t’avoir humiliée, t’avoir ignorée ! Et MERCI pour ton indéfectible amitié, pour avoir fait de moi l’homme que je suis. MERCI pour le regard que tu as toujours posé sur moi !  

 

Son cœur s’emballait dans sa poitrine. Ses tempes battaient douloureusement ; colère, stupeur et chagrin se mêlaient si intimement qu’il ne parvenait à distinguer quel sentiment dominait. Fallait-il qu’il la détestât à ce point, qu’il se détestât tout autant pour en arriver à se perdre dans ce marasme inextricable.  

 

— MERCI pour la tendresse, asséna finalement la tenancière du Cat’s, au bord des larmes, les poings toujours serrés sur la poitrine du nettoyeur. Cette tendresse que tu m’as donnée sans compter, sans contrepartie, qui m’a nourri et réchauffé. MERCI pour la tendresse, Kaori !  

 

Ce fut plus soufflant qu’un uppercut. Il accusa le choc, une grimace déforma sa face habituellement lisse. Il se reprit pourtant très vite et sonda la profondeur du regard que Miki posait sur lui. Ressentiment et rancœur y tenaient les rôles principaux.  

 

— C’est ainsi que tu me résumes avec elle ? s’enquit-il difficilement.  

 

— Tu es un handicapé du sentiment Ryô, un daltonien du cœur, s’engagea-t-elle davantage dans sa rage vengeresse.  

 

Elle n’en pensait rien ! Non, elle avait bien conscience de céder à la colère, que l’attitude du nettoyeur avec sa partenaire ne pouvait se condenser dans les horreurs qu’elle déchargeait sans censure, ni mesure ; les mots naissaient sur sa langue, acides et virulents, ils enflaient dans sa gorge et s’échappaient dans un torrent qui se voulait féroce et blessant.  

 

— Tu ne comprends rien Miki, tu ne sais rien, énonça le nettoyeur d’une voix blanche.  

 

La brune observa attentivement son ami, son visage trahissait l’ébranlement qui l’avait saisi. Ses poings s’effacèrent alors du torse qui semblait avoir perdu de sa virilité ; elle calma sa respiration erratique et tenta de reprendre ses esprits. Y avait-il moyen aujourd’hui d’en apprendre davantage sur la disparition de sa meilleure amie ? Pouvait-elle espérer ?  

 

— C’est toi qui refuses toujours que nous évoquions ce qui s’est passé ce jour-là, ce que tu as cru voir, ce que vous vous êtes dit. Chaque fois que j’ai lancé la discussion sur ce sujet, tu as esquivé.  

 

— NON ! Je ne parle pas de ça, je ne veux pas parler de ça, opposa immédiatement le nettoyeur, agacé qu’on ose à nouveau aborder devant lui ces événements précis.  

 

— C’est un malentendu Ryô. Forcément, nécessairement, persista-t-elle. Tu as réagi sans mesure, tu t’es emporté. Tu l’as chassée, tu l’as blessée.  

 

— Je l’ai blessée ? répéta-t-il, hébété et incrédule.  

 

— Mais aujourd’hui, de l’eau a coulé sous les ponts, il y a prescription, non ? On peut envisager de reprendre autrement. Dis-moi où elle est Ryô, implora-t-elle. S’il te plaît, aide-moi…  

 

Il ne fit aucun geste pour se défaire des poignes qui l’enserraient de nouveau, ni pour fuir le regard suppliant de l’épouse du géant aux lunettes noires. Non, il ne tenta pas de s’échapper. Ryô ne voulait pas s’échapper, il voulait blesser, faire mal, être odieux. Tout autant qu’elle venait de l’être avec lui. Avait-elle seulement conscience d’avoir éveillé le monstre qui sommeillait en lui ? Une boule de feu venait de se former dans sa gorge, de renaître, elle se nourrissait de ces anciennes visions de celle qu’il souhaitait oublier. Sur l’odieuse place du parc. De son corps abandonné aux mains de l’Autre ordure, de son attitude amoureuse, de son visage serein qui reposait contre le torse ennemi. Elle avait menti ! Elle l’avait trompé ! Elle l’avait trahi ! Elle avait fait exploser ses repères, ses rêves, les fondations de sa vie. Putain ! Ne pouvaient-ils pas tous réaliser ce qu’elle avait détruit ?  

 

— Il faut que tu comprennes, prononça-t-il solennellement, j’ignore réellement où se trouve ta meilleure amie. Et je n’ai aucune envie de le savoir ! Elle est peut-être même avec lui à l’heure qu’il est… et tu n’as plus à ses yeux la moindre importance.  

 

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’enquit difficilement la brune en desserrant son étreinte, accusant le choc de la défaite et de la révélation. Tu dis n’importe quoi ! Et c’est qui lui ? Celui qui l’a kidnappée ? C’est ridicule !  

 

— Miki, osa-t-il péniblement, la veille de sa libération, alors que nous courions dans tous les sens pour glaner des informations, alors que tu mourrais d’inquiétude pour ta meilleure amie, te souviens-tu ? Et bien, ce soir-là, elle était juste en train de se faire baiser par celui qui voulait notre mort. Oui Miki, tu as bien entendu. La veille de sa libération ! La veille de sa libération, elle copulait avec l’ennemi, celui-là même qui menacerait notre cliente le lendemain, celui-là même qui tenterait de m’abattre le lendemain. Ce soir-là, sa tendresse était destinée à un autre, crois-moi. La veille de sa libération, je n’étais plus son partenaire… et toi tu n’étais plus sa meilleure amie.  

 

Le nettoyeur éclata d’un rire féroce tandis qu’il contemplait la lividité conquérir les joues de la barmaid. Il s’étrangla de rire. Ah, il avait envie de vomir. Vomir sur elle, vomir sur lui-même. Lui qui, là, abandonnait le secret qu’il s’était juré de toujours protéger. Quelle pathétique bassesse ! Voilà qu’il se révélait de la plus écœurante médiocrité. Vomir !  

 

Il se souvenait de la rencontre inattendue… À peine deux jours après le départ de sa partenaire, aux détours d’une virée dans les quartiers chauds de Shinjuku, il avait croisé l’un de ses informateurs, le slave, Vladimir. Tout s’était alors emballé rapidement, Ryô n’avait pas tout saisi. Son téléphone, un message ? Mais le coup de grâce avait été porté. Fallait-il être con pour ne pas avoir soupçonné pire traîtrise que celle prise en flagrant délit ? Elle s’était faite baiser dans le parc la nuit précédant son duel avec l’immonde casquette. En toute liberté ! C’était factuel. Rêche. D’une cruelle ironie. La veille de leur duel ! La veille de leurs retrouvailles.  

 

La connaissance de cette nouvelle trahison avait sonné le glas définitif de leur relation. À dater de ce moment, il n’avait œuvré qu’à la faire disparaître totalement de sa vie. Il avait vidé l’appartement de tout ce qui pouvait de près ou de loin rappeler une présence féminine, sa chambre à elle était désormais un débarras, il avait détruit ses photos avec délectation, voyant dans les flammes destructrices le symbole de son ignominie. Quelle terrible rage l’avait emporté ! À la mesure de sa déception. Monumentale. Indescriptible. Et puis, il avait fait épier ses moindres faits et gestes. Ryô n’ignorait pas les capacités de sa partenaire, elle avait très vite réalisé que, nulle part à Tokyo, elle ne trouverait refuge. Cela n’avait d’ailleurs pas été dans ses intentions. Elle s’était cloîtrée à l’hôtel jusqu’à son départ pour New-York. Précipité. Désorganisé. Un visa à la hâte avec l’aide de Sayuri. Il avait suivi tous les détails et en même temps avait tout verrouillé. Nul ne devait parler, nul ne devait savoir… Ni ses propres amis, ni l’Autre. Mick avait rappliqué, mais un peu tard, il lui avait aussi fallu du temps pour digérer les scènes auxquelles il avait assisté. Il avait exigé des explications, était parti à la recherche de son amie. Mais Tokyo n’était pas sa ville, il l’avait véritablement réalisé pour la première fois à cette occasion, Tokyo n’était pas sa ville, c’était celle de Saeba. Le blond américain en avait vacillé de détresse. Une chappe de plomb recouvrait la capitale nippone, rendant Kaori introuvable, invisible. City Hunter avait la rage ; tout un chacun devait filer droit ; tout un chacun filait droit. Et personne n’était prêt à risquer sa peau, à défier l’homme le plus craint de Tokyo.  

 

Ensuite, elle s’était envolée. Loin du Japon. Le nettoyeur s’était enfermé dans sa colère. Puis la colère avait cédé la place à un étrange sentiment. Un vide abyssal. Le renoncement. Que lui importaient alors ses autres amis, leur souffrance, leur incompréhension ? Chacun devait panser ses plaies, chacun s’arrangeait du manque. Le reste n’avait plus d’importance.  

 

— Je ne te crois pas, prononça l’ancienne mercenaire d’une voix blanche, scrutant le visage du nettoyeur afin d’y lire la vérité.  

 

Car ce qu’il énonçait ne pouvait être la vérité.  

 

— Tu as raison, ne me crois pas ! reprit-il conscience, s’ébouriffant les cheveux de sa dextre. Pars, s’il te plaît Miki. Pars.  

 

La tenancière du Cat’s resta interdite, ne pouvant détacher les yeux de son ami. Il venait de lui faire une terrible confidence, elle se rendait bien compte d’ailleurs qu’il regrettait s’être emporté. Cela ne lui ressemblait tellement pas ! Se pouvait-il que Kaori les ait abandonnés pour vivre avec cet Autre dont ils ignoraient tout, si ce n’est la dangerosité ? La connaissaient-ils si mal ? Ryô l’avisa d’un air coupable, il devinait fort bien l’ébranlement de la barmaid, celle-ci ne tentait pas de dissimuler ses nouveaux tourments. Elle était défaite.  

 

— Ne crois rien de ce que je viens de dire, tenta-t-il maladroitement de se rattraper. Je suis sûr que Kaori va bien.  

 

Il lui coûtait d’évoquer son ancienne partenaire au travers de son prénom. Il fallait vraiment qu’il soit acculé pour en arriver à cette extrémité. Mais il voulait rassurer son amie, il voulait malgré tout aussi rétablir l’image de son ex-partenaire aux yeux de celle qui l’aimait tant. La salir. Comment avait-il osé la salir à ce point ? Déverser sur elle l’acide qu’elle avait fait naître dans son estomac ? Cette faiblesse dont il ne s’était pas cru capable le répugnait.  

 

Plus blême que jamais, Miki ne demanda pas son reste, elle tourna les talons et s’échappa.  

 

Ryô trouva refuge près de la fenêtre. Il contempla l’euphorie de la ville ; cela le rassura un peu. Il venait de déconnecter son cerveau. Ne pas penser, ne pas analyser sa faiblesse, la nier même, c’était la seule voie raisonnable pour ne pas sombrer. Il finit rapidement son verre et se dirigea vers le téléphone qu’il empoigna avec empressement. Une envie venait de s’inviter dans ses reins ; envie qu’il souhaitait contenter.  

 

— Oui ? retentit une voix cristalline à l’autre bout du fil.  

 

— C’est Ryô, se contenta-t-il de dire en guise de bonjour.  

 

— … Oh.  

 

Il sourit, elle était impressionnée. Comme toujours.  

 

— Je peux venir ?  

 

— Oui, souffla Taya.  

 

— J’arrive.  

 

Mais, à peine venait-il de raccrocher et de s’éloigner d’un pas qu’il gela son mouvement vers l’escalier, renonçant à aller se changer dans l’immédiat. Il avait en fait envie d’un autre coup de téléphone, ses mains en tremblaient, une certaine panique le gagnait. Oui, l’envie était irrépressible. Ryô voulait résister à cette injonction née de son récent échange avec la tenancière du Cat’s, mais il n’y parvint pas. Il fixa douloureusement le téléphone, souhaitant le faire disparaître par la seule force de son esprit. Évidemment, il n’en fut rien ; pire que tout, cet objet, honni désormais, l’attirait comme un aimant. Le nettoyeur décrocha, se saisit avec fébrilité d’une feuille gribouillée qui traînait là et composa le numéro qui y figurait.  

 

Putain ! Qui que vous soyez je vais vous faire la peau ! l’accueillit en anglais une voix rauque trahissant l’addiction à la nicotine.  

 

— Saeba, se présenta sommairement Ryô.  

 

— Merde Ryô tu sais quelle heure il est ici ? Tu es si nul que ça en maths ? 18 heures chez toi, c’est 4 heures du mat’ chez moi. Merde, merde ! Je dors moi à 4 heures du mat’, s’énerva l’homme au bout du fil dans un japonais impeccable. Qu’est-ce que tu veux ?  

 

— Des nouvelles, énonça-t-il sans sourciller.  

 

— Ppppfff, souffla le combiné. Qu’est-ce que tu veux que je te dise, je perds mon temps à la fliquer comme ça ! Sa vie n’a pas beaucoup évolué depuis que je t’ai eu. Je pourrais passer à trois fois par semaine.  

 

Un silence lui répondit.  

 

— J’ai l’impression de faire ça pour rien, Ryô… Et là, j’aimerais me recoucher. Tu peux rappeler plus tard ?  

 

— Des nouvelles, insista le nettoyeur d’un ton qui ne tolérait aucun refus.  

 

— Bah, elle a un nouveau job.  

 

Le nettoyeur se crispa imperceptiblement à cette nouvelle.  

 

— Quoi donc ?  

 

— Elle vient d’être embauchée dans une petite galerie d’art spécialisée dans les objets japonais. Elle s’occupe des achats. Elle sort un peu plus avec ses collègues mais c’est pas transcendant non plus, une fois par quinzaine environ. Restau, bar, dîner chez les uns, chez les autres.  

 

— Son entourage proche ?  

 

— Pas d’homme, le rassura son vieil ami, comme s’il eut deviné. Pas de japonais. Enfin elle voit beaucoup Sayuri, la journaliste, sa sœur si j’ai compris. Mais sinon, elle est plutôt solitaire cette fille.  

 

— Pas de danger autour d’elle ?  

 

— Tu imagines bien que j’ai mené ma petite enquête sur chacun de ses nouveaux collègues. Pas la moindre aspérité, pas de casier, pas de cadavre dans le placard. Elle est en sécurité Ryô, je te rassure.  

 

— Je ne veux pas être rassuré, j’ai fait une promesse, c’est tout, trouva-t-il bon de mettre au clair. Te fais pas repérer, ne la sous-estime pas.  

 

— Ah ben je crois pas qu’elle soit du genre à faire très attention à ce qui l’entoure. Et tu me connais, je suis un sioux.  

 

— Son téléphone ? interrogea le nettoyeur, indifférent aux digressions de son ami.  

 

— Rien de spécial Ryô. Vraiment rien ! Elle passe peu d’appels, que sa sœur pratiquement, n’en reçoit quasiment pas. Je l’ai mise sur écoute, je ne passe à côté de rien. Tu veux les enregistrements ?  

 

— Non, coupa court le nettoyeur, presqu’effrayé à cette perspective. Non.  

 

Ryô ferma les yeux, fronça les sourcils et tenta de maîtriser les élans qui traversaient sa poitrine. Il en était ainsi chaque fois qu’il prenait de ses nouvelles. Tous les deux mois environ.  

 

— Dis-moi, reprit l’indic expatrié, je peux la lâcher un peu cette petite ? Je passe beaucoup de temps à la filer pour pas grand-chose. C’est le calme plat dans sa vie.  

 

Ryô hésita.  

 

— Oui, dit-il après quelques instants, okay pour trois fois par semaine. Je te fais confiance. S’il y a le moindre changement, tu me préviens immédiatement et tu reprends le rythme quotidien.  

 

— Évidemment. J’ai bien compris que c’était important.  

 

Le nettoyeur grinça des dents, mais se garda bien de répondre.  

 

— Bonne nuit, le congédia en bâillant l’homme au bout du fil.  

 

— Ouais, c’est ça.  

 

Il raccrocha et resta pensif quelques instants, sa main reposant toujours sur le combiné. Il analysait malgré lui la conversation. Un nouvel appartement il y a quelques mois et, là, un nouveau travail. Elle installait durablement sa vie à New-York, c’était on ne peut plus clair. Il souffla bruyamment et secoua la tête pour recouvrer ses esprits. Tout cela le laissait indifférent… Il voulait juste ne plus avoir à se préoccuper d’elle. Il se détourna rapidement et se précipita dans les escaliers. Il lui fallait rapidement se changer et partir retrouver Taya. Il avait envie de sexe !  

 

oOo
 

 

Mick retournait l’objet entre ses doigts, jouait avec la pierre en la faisant rouler, créant quelques étincelles auxquelles il concédait, par moment, une alimentation en essence en terminant son geste sur la détente. Quelques modestes flammes dansaient alors. Ses sourcils se contractaient immédiatement et il relâchait son étreinte afin de faire mourir le feu. Cependant, il regardait son zippo d’un air absent. La vérité était que son esprit s’était envolé très loin du lieu où il se trouvait. Il volait dans les nuages, indifférent aux chimères invisibles qu’il souhaitait incendier. L’ancien nettoyeur souffla d’un air las, reposa sa nuque contre le dossier du canapé sur lequel il reposait depuis plus d’une demi-heure déjà, et fixa le plafond. Pourquoi donc la fatigue et l’ennui étaient-ils désormais ses compagnons quotidiens ? Pourquoi les multiples plaisirs qui, il ne devait pas le nier, agrémentaient ses journées, ne suffisaient pas à l’extraire de l’obscurité qui grignotait peu à peu son cœur ?  

 

Ses soirées avec Ryô ? Une triste mascarade, le brun était devenu maître dans l’art de la dissimulation, l’euphorie qui les entourait toujours ne parvenait à tromper que les bunnies qui se pendaient à leur cou. Ses nouvelles activités professionnelles, ces petites missions pendant lesquelles il accompagnait le japonais, les grasses plaisanteries qu’il servait aux jolies clientes ? de maigres tentatives pour occuper son temps avec ce qui faisait son bonheur, jadis, mais qui, aujourd’hui, lui paraissait bien fades. Les soirées amicales ? Elles étaient rares ; très rares. Et la liesse passée avait disparu. Quant à l’amour… l’amour… voilà un sujet qu’il préférait ne plus investir. Pourtant, avec Kazue, tout allait bien. Oui, tout allait bien !  

 

Ce fut à ce moment précis que la brune fit son apparition dans le salon. Mick était toujours perdu dans ses pensées, dans la contemplation du plafond et, même s’il devina la présence de sa compagne, il ne daigna pas la considérer. Du moins pas immédiatement. Kazue ne se démonta pas devant l’indifférence affichée, elle éteignit quelques lampes afin d’instiller une ambiance tamisée puis alluma la stéréo pour passer la musique qu’elle avait prévue pour l’occasion. Mick sourit à l’écoute des premières mesures et prêta enfin attention à l’infirmière. Aussitôt, il leva les sourcils d’un air approbateur et charmé. La brune pulpeuse n’était vêtue que d’une nuisette en dentelle noire dont les jeux de transparence ne cachaient rien de la perfection de ses courbes.  

 

Elle s’immobilisa et darda ses prunelles en feu sur l’homme que son cœur avait élu. Elle rencontra avec appréhension les océans profonds qui acceptèrent l’échange chargé de sous-entendus. Il sourit. Elle respira. Puis se mit à onduler vers lui, lentement, très lentement, ses mains glissant sur ses cuisses, les caressant dans un geste d’un érotisme bouleversant, retroussant sa nuisette juste ce qu’il faut pour suggérer les trésors qui ne se dévoilaient pas encore, mais que Mick pourrait assurément conquérir avec une éblouissante facilité ; cela tout en chaloupant ses hanches au rythme de la musique. L’américain ne quitta pas des yeux la scène merveilleuse qu’elle était en train de lui jouer. Il désirait la jeune femme. Ardemment. Les paroles de la chanson pénétraient en lui, chassaient les ombres et les doutes qui le taraudaient ; son sexe était ému et palpitait déjà aux perspectives charnelles que la brune insinuait avec sensualité. C’est qu’il avait cette faiblesse ; il le savait. Elle aussi. Il avait le désir facile, il aimait lui faire l’amour, lui donner du plaisir. En prendre également.  

 

Presqu’arrivée à sa hauteur, elle stoppa brutalement, faisant naître une mini frustration dans le ventre masculin. Mick faillit se lever du canapé pour simplement prendre ce qu’elle tardait à lui offrir mais, d’un geste, elle lui intima de ne pas bouger. Il obtempéra, non sans afficher un sourire éclatant. Le jeu l’émoustillait, il ne pouvait pas le nier ; être en position passive, subir, ne faisait qu’attiser le feu qui avait gagné ses reins. Kazue poursuivit sa danse lascive, laissa ses dextres courir sur son corps fuselé. Elle empauma ses seins, les maltraita légèrement, mais suffisamment pour laisser deviner qu’elle en retirât quelque satisfaction ; elle gémit avec éloquence, se mordit les lèvres, ploya son cou vers l’arrière et ses cheveux dévalèrent ses épaules ; ses yeux se voilèrent. Puis elle griffa langoureusement l’intérieur de ses cuisses, tout en toisant sa prochaine victime d’un air licencieux assumé. Le blond plissa les yeux d’intérêt, passa une main sur ses lèvres, croqua la pulpe de son index pour tenter de maîtriser la tension qui s’emparait de lui. Le spectacle l’échauffait grandement, il piaffait d’impatience de la rejoindre et peinait à réfréner ses pulsions. Mais il avait compris que Kazue souhaitait mener l’échange, le torturer encore, agitant sous ses yeux ses courbes affolantes, osant les gestes dont elle aurait rougi au début de leur relation et qu’elle assumait dorénavant avec impudeur.  

 

Ses yeux parlaient pour elle. Ils criaient à l’américain tout le désir qu’il inspirait, et ils promettaient des moments d’intense extase. Un petit rire prit vie dans la gorge étrangère, l’infirmière fit mine d’en prendre ombrage. Elle tomba à genoux, courroucée. Et lança ses mains à l’assaut de la ceinture du blond éphèbe. Ce dernier faillit perdre souffle lorsqu’elle parvint à le défaire de son pantalon et de son boxer sans qu’il n’osât l’aider ou s’interposer. Son sexe fut alors exposé magnifiquement au regard et à l’appétit de la jeune infirmière. Elle le prit en main et l’admira longuement, signifiant par là toute l’adoration qu’elle portait à l’appendice masculin ; celui-là en particulier, évidemment ! Mick se permit une caresse sur la chevelure soyeuse, lança sa deuxième main sur la joue rosie de concupiscence. Elle leva rapidement ses iris pour lui offrir un regard sévère et se défit de la caresse. Il capitula et s’abandonna tout sourire contre le dossier du canapé.  

 

— Voilà qui est mieux ! susurra Kazue avec péremption.  

 

Puis elle s’appliqua à le rendre fou…  

 

Lorsqu’elle eut fini de le dévorer, qu’il eut tremblé plus que de raison de crainte de ne pas maîtriser parfaitement son plaisir, elle entreprit de le faire sien ; avec langueur, elle s’installa à califourchon. L’américain mêla enfin ses mains à l’affaire. Il n’était plus question maintenant de ne pas la toucher. Il la dévêtit urgemment tandis qu’elle gloussa de bonheur entre ses bras et, qu’avec impatience, elle ouvrit la chemise pour admirer le torse parfait de celui qu’elle s’apprêtait à chevaucher. Les bouches se savourèrent enfin et des notes musquées se mêlèrent à l’eau de leurs salives. L’américain se débarrassa de sa chemise pendant que sa compagne le guidait en elle. Ils grognèrent à l’unisson et luttèrent pour reprendre conscience après que leurs intimités se fussent pénétrées. Mick enlaça amoureusement sa cavalière et accompagna de ses hanches et de ses mains les mouvements de leur union charnelle.  

Enfin elle se laissa aimer, cajoler, caresser et embrasser.  

 

Il la fit jouir.  

 

L’américain, aux premières loges, fut entièrement happé par l’orgasme de sa partenaire qu’il but littéralement. Oui, il se délecta de la mine perdue, de la gorge gonflée de cris, des sourcils contractés, des yeux chavirés qu’elle lui livra et qui eurent raison de ses dernières résistances. Comblé de l’avoir menée au septième ciel, il la rejoignit et se laissa transpercer par l’extase, abandonna à son tour des râles fauves qu’il déversa dans le cou féminin.  

 

Kazue l’enlaça. Fort. Si fort. Elle aurait voulu plus fort encore. Tout autant que l’amour dont elle vibrait pour lui au quotidien. Il répondit à son étreinte et tous deux restèrent de longs instants perdus dans les nimbes de la communion physique. Mick fit jouer ses mains dans le dos nu, apprécia la douceur de l’épiderme dont il connaissait par cœur les frissons.  

 

— Je t’aime… confia-t-elle, comme à chaque fois.  

 

Il rit franchement, non surpris de la déclaration, et obligea l’infirmière à se désunir un petit peu de lui afin de pouvoir croiser ses prunelles amoureuses.  

 

— Quel appétit darling, l’interpella-t-il tout joyeux. Ces derniers jours tu te révèles insatiable.  

 

— Tu m’inspires, avoua-t-elle le rouge aux joues en faisant jouer ses doigts sur le torse glabre dont elle ne se lasserait jamais. Et visiblement, je t’inspire aussi…  

 

Il haussa les sourcils sans se déparer de son sourire. À l’évidence, ce moment intime l’avait allégé du poids de ses tourments. Mick se sentait rassénéré et une énergie nouvelle pulsait en lui. La femme qu’il tenait dans les bras - sa femme - venait de lui offrir un nouveau festival des sens. Kazue roula sur le canapé, s’échappa de l’étau délicieux de son amant.  

 

— Je vais prendre une douche, murmura-t-elle à son oreille tout en roulant exquisément des épaules.  

 

— Je t’accompagne.  

 

Lorsqu’il parvint dans la salle de bain, Kazue se savonnait sous la douche, il admira quelques instants le corps qui se devinait derrière la paroi opaque avant de la rejoindre. Il ne fallut pas une minute pour que des éclats de rire et quelques gloussements excédés se firent entendre. L’infirmière quitta donc plus rapidement que prévu le confort aquatique pour ne pas avoir à subir les nouvelles attaques sensuelles de son blond.  

 

— Petite joueuse ! cria-t-il de dépit.  

 

— Je déclare forfait, avoua-t-elle en s’enroulant dans une serviette.  

 

L’américain expédia rapidement sa toilette qui avait perdu de son intérêt sans la présence de sa compagne. Il sortit ruisselant et apprécia le regard inquisiteur que Kazue jeta à sa nudité. Il se savait beau et aimait lire l’affolement qu’il provoquait dans les prunelles de sa dulcinée.  

 

— Forfait j’ai dit ! précisa-t-elle à nouveau tandis que le regard azuréen se troublait encore.  

 

Mick râla mais ne quitta pas la salle de bain pour autant. Il s’essuya grossièrement puis s’adossa contre le mur et contempla la jeune femme qui se brossait les dents. Elle était décidément l’une des plus belles femmes qu’il connaissait !  

 

— Se laver les dents à cette heure ! la taquina-t-il.  

 

— Hum… besoin de me rafraîchir l’haleine, baragouina-t-elle.  

 

Il sourit. Kazue fit vrombir sa brosse à dent et se perdit dans la contemplation de son propre regard, dans le miroir surplombant le lavabo. Une ombre traversa les iris bruns et elle déconnecta de la réalité, entièrement happée par son reflet, aspirée dans un monde duquel elle ne pouvait ressortir indemne. Le bruit de la brosse à dents résonnait maintenant dans ses méninges, l’étourdissait, l’engourdissait, anéantissait tout éveil de sa conscience. Se méprisait-elle à ce point ? Des larmes accostèrent ses yeux, une boule se forma dans sa gorge tandis qu’elle devait subir l’image de l’infâmie sur son visage délicat et qu’elle devinait l’amour de sa vie, cette image blonde et brouillée dans le coin du miroir. Était-elle vraiment cette beauté resplendissante qu’elle dévisageait encore il y a peu au travers la glace ? La vraie beauté était-elle de cette nature-là ?  

 

L’américain, quant à lui, aveugle au trouble de sa femme, encouragé par leur dernière étreinte, l’euphorie qui suit l’orgasme, l’énergie retrouvée, céda à la volonté de partage qui le pressait de s’épancher. Comme un sursaut de vie qui ne demandait qu’à éclore en lui. Kazue n’était-elle pas la personne toute trouvée pour l’extraire du marasme dans lequel il s’enlisait ? Le conseiller, le guider, le consoler, l’écouter. Un espoir naquit bientôt dans son cœur. Un espoir fou. Revivre !  

 

— Je ne sais pas quoi faire pour Kaori, confia-t-il d’une voix à peine audible. Je ne sais pas où la chercher, ni même si je dois la chercher... Je n’arrive pas à parler de ça avec Ryô, avec personne d’ailleurs, même pas avec toi. Je repense à cette journée maudite, à ce que j’ai vu, ce que j’ai compris, ce que j’ai interprété. Je regrette tellement ne pas avoir su réagir comme il fallait. Qu’est-ce que j’aurais dû faire Kazue ? Qu’est-ce que j’ai merdé ?... J’ai besoin de toi…  

 

La brosse à dents s’était tue juste avant qu’il ne délivrât son message de détresse, qu’il ne jetât sa bouteille à la mer.  

Mick Angel restait là, immobile et tremblant, le cœur arraché de son poitrail, cœur palpitant et tourmenté, déposé au creux sa main ; main qu’il tendait à celle qui partageait sa vie et dont il attendait un geste, un mot, un réconfort. Prends mon cœur.  

 

L’infirmière, quant à elle, ne quittait pas des yeux sa propre image reflétée dans le miroir. Elle n’avait rien entendu de ce que l’amour de sa vie venait de lui abandonner, n’avait pas conscience de ce qu’il lui réclamait, de l’urgence du moment. Elle se noyait dans la profondeur de son propre désarroi et ne pouvait être sensible à rien d’autre.  

 

Un terrible silence s’installa dans la salle de bain. Un mutisme lourd de sens, annonciateur d’une désolation prochaine. Ces deux êtres, distants d’à peine deux mètres, étaient en réalité à mille années-lumière l’un de l’autre. Une grimace dantesque défigura le visage habituellement lisse et avenant de l’américain. Il regarda sa compagne. Il la regarda avec une froideur qui aurait effrayé la jeune femme si d’aventure elle l’avait considéré.  

 

Pourtant, il attendit encore. Espéra encore. Peut-être. Un peu. Mais rien ne vint. Il imagina moult raisons au silence glacial : une incompréhension de sa requête, des soucis à la clinique, un ras-le-bol du sujet Kaori, ce qu’il pouvait comprendre d’ailleurs… Mais il fut déçu au possible ! Oui, une vague de déception le heurta de plein fouet. Il n’y avait visiblement rien à attendre de ce côté-là de sa vie. Nul réconfort, nulle consolation. Hurler. Mick avait envie de hurler. Lui hurler dessus. Sur Elle ! Sur son égoïsme patenté ! Indifférente et aveugle le concernant. Indifférente et aveugle !  

 

Il s’affaissa quelque peu, faiblesse trahissant l’espoir qu’il avait mis dans son entreprise. Il ne s’était pas attendu à cela. Non, pas à ça. Ses mains vinrent se poser sur ses genoux, il plia échine… et réalisa. Putain, il était nu ! Nu devant elle. Cet état lui devint bientôt insupportable. Il se précipita alors au dehors de la salle de bain et claqua la porte derrière lui, ce qui eut pour effet d’extirper Kazue de sa morose contemplation. Elle respira profondément et chassa les papillons de ses yeux, tenta de reprendre pied dans la réalité.  

 

Lorsqu’il eut regagné sa chambre et revêtu un survêtement et un tee-shirt, Mick reprit peu à peu la maîtrise de ses émotions et de ses pensées. Son récent et cuisant échec auprès de Kazue ne pouvait se réduire au naufrage qu’il paraissait être ; du positif pouvait en être extrait, devait en être extrait. L’américain refusait pour le moment d’investir le devenir de leur relation, la suite à donner à leur histoire. Certes, il renonçait à s’épancher de nouveau avec sa compagne, il ne chercherait plus ni réconfort, ni écoute ; mais la vie auprès de Kazue avait bien d’autres avantages. L’américain grimaça et se mordit les lèvres. Fallait-il être couard pour réfléchir ainsi ?  

Pour autant, l’épisode qu’il venait de traverser l’éclairait sur ses véritables besoins. Il lui fallait se confier, livrer ses doutes, ses craintes, il lui fallait être écouté, compris. Il lui fallait trouver la bonne oreille.  

 

Le blond écarquilla de grands yeux sous la surprise de l’inspiration qui venait de le frapper. Le visage qui venait de s’imposer à son esprit n’était pas celui d’une personne qu’il qualifierait de compréhensive, altruiste ou empathique. Non, pas du tout. Il esquissa un sourire. Quelle étrange idée ! Il secoua bêtement la tête mais ne varia pas d’intention. Il savait maintenant qui visiter le lendemain matin. Elle saurait l’écouter. Pourquoi avait-il cette curieuse certitude, il ne sut ? Mais elle saurait l’écouter.  

 

 

oOo
 

 

 

Le géant vert prenait les trois-quarts de la largeur du lit, et ses jambes dépassaient beaucoup s’il se tenait allongé de tout son long. Mais Miki ne souffrait pas de l’exigüité de son territoire nocturne. Elle aimait par-dessus tout se perdre entre les bras puissants de son mari, contre son torse confortable, jouir de sa chaleur, respirer son odeur. Chaque soir, le rituel était immuable. Falcon se couchait le premier, il aimait vraisemblablement profiter de tout le lit avant qu’elle ne le rejoignît. C’était son moment à lui, et sa femme lui octroyait sa petite demi-heure de solitude. Elle ignorait tout ce qu’il faisait en l’attendant : lecture, prière, méditation, réflexion… L’ancienne mercenaire mourait bien sûr d’envie d’en apprendre plus sur ces occupations du soir mais elle respectait le moment d’intimité qu’elle devinait essentiel pour son mari, un jardin secret en quelque sorte. Il en avait bien d’autres, il est vrai, mais celui-ci était des plus mignons et conférait une dimension humaine à celui qui, de par son apparence, semblait échapper à cette condition.  

 

Lorsqu’elle pénétra leur doux repaire ce soir-là, le géant devina immédiatement une grande contrariété chez celle qu’il avait élue. Elle avait divagué en ville tout l’après-midi et, dans la soirée, c’est lui qui avait dû s’absenter pour régler quelque sale affaire avec un éleveur de chats mal intentionné. En rentrant, ils avaient peu échangé, Miki lui avait paru fatiguée mais il n’y avait guère prêté plus attention que cela. Le mercenaire s’en voulut de cette légèreté qui ne lui ressemblait pas.  

 

Il tapota doucement sur le lit, à ses côtés, pour inviter sa douce, de nuisette vêtue, à le rejoindre.  

 

— Quelque chose ne va pas ?  

 

Miki souffla fort et tenta de minimiser ses tourments.  

 

— C’est Ryô. Je suis allée le voir cet après-midi. Rien de grave hein, mais il refuse toujours de me dire où est Kaori.  

 

— Hum, répondit son mutique mari.  

 

— Je voudrais savoir où elle est, murmura la barmaid en s’asseyant. Je voudrais aller la chercher ou tout du moins lui parler. Comprendre pourquoi elle a disparu. M’assurer qu’elle est heureuse en ce moment, que tout va bien pour elle…  

 

— Hum, consentit Umibozu après un temps de réflexion. Je comprends.  

 

— Chéri, osa-t-elle en posant sur lui ses prunelles où se lisaient confiance et désarroi. En sais-tu davantage sur l’homme qui l’a kidnappée et retenue prisonnière ?  

 

Le géant au tee-shirt kaki parut quelque peu surpris.  

 

— Pourquoi me demandes-tu cela ?  

 

— Est-il possible que Kaori soit partie avec lui ?  

 

Il écarquilla les yeux, ce qui ne transparut pas derrière l’écran opaque qui cachait ses prunelles mal voyantes. Il recala machinalement ses lunettes noires, puis se tourna davantage vers celle qui faisait battre son cœur.  

 

— C’est Ryô qui t’a soufflé cette idée ?  

 

— Oui, osa-t-elle à peine murmurer.  

 

— J’ai du mal à le croire, marmonna le mercenaire pour lui-même.  

 

— Tu es d’accord avec moi, c’est impensable ? Il m’a dit que Kaori et cet homme… enfin… avant qu’elle ne soit libérée… qu’ils avaient…  

 

Le mercenaire prit le temps de réfléchir avant de formuler une réponse qu’il voulait la plus neutre possible. Mais ce qui lui vint au final n’était qu’une question.  

 

— Qu’ils avaient ?  

 

— D’après ce que j’ai cru comprendre, avant même d’être libérée, Kaori et cet homme ont eu une relation, prononça péniblement la jeune femme. Une relation intime… avant le duel… Umi, est-il possible que Kaori soit tombée amoureuse de cet homme, qu’elle nous ait quittés pour partir avec lui ?  

 

— Quoi... Il est surprenant que Ryô t’ait confié ça !  

 

L’ancienne mercenaire fronça les sourcils d’incompréhension. Il n’était jamais aisé de décrypter les paroles de son mari. Pourtant, force était de constater que ce dernier se révélait toujours extrêmement perspicace et pertinent dans ses analyses ; clairvoyant. Et il savait apaiser comme personne. C’était plus qu’un talent d’ailleurs, un Don !  

 

— Par quoi es-tu réellement étonné Falcon ? Par la teneur de ces propos ou par le fait que ce soit Ryô lui-même qui me les ait confiés ?  

 

— Hum, par les deux en fait.  

 

La brune détourna le regard et le reporta sur ses cuisses nues abandonnées sur le lit ; elle posa une main sur chacune d’elle et les massa doucement dans un geste machinal que son mari supposa destiné à la détendre. Elle souffla lentement pour évacuer les tensions.  

 

— Il s’est passé quelque chose entre Kaori et son kidnappeur, asséna le géant avec douceur, conscient qu’il abordait un sujet sensible. Quoi exactement, je ne peux pas le dire, je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais le jour où elle s’est enfuie, Mick et Ryô l’ont retrouvée avec lui.  

 

— Je sais tout cela, rétorqua Miki, crispée par le sujet qu’elle avait retourné maintes fois dans tous les sens sans jamais décider quoi en penser. J’ai bien compris ce qu’il s’était passé ce jour-là. Et tu sais ce que j’en pense.  

 

— Un malentendu…  

 

— C’est ce que m’a écrit Kaori.  

 

— Oui, je sais.  

 

— Je n’ai aucune raison de remettre ça en question. Nous ne disposons pas des versions de tous les protagonistes.  

 

Une moue dubitative étira les lèvres charnues du mercenaire adepte des bazookas.  

 

— Et toi, tu sais que je ne partage pas ton avis.  

 

Les larmes montèrent dans l’instant aux yeux désolés de la barmaid qui comprenait très bien où voulait en venir son mari : Kaori et cet homme avaient partagé bien plus que ce que la nettoyeuse avait laissé entendre. Les événements obscurs qui entouraient le rapt, la libération, puis la fuite de Kaori, revêtaient ce soir un sens nouveau. Miki avait depuis longtemps intégré qu’il n’y avait rien à voir avec une vulgaire querelle entre les deux nettoyeurs, les blessures étaient profondes, les non-dits nombreux et insondables ; quant à la fracture, il était à craindre qu’elle ne soit irréparable. Aujourd’hui, elle était pétrie de regrets. N’était-ce pas son immobilisme lorsqu’elle avait reçu la lettre de Kaori que tous payaient aujourd’hui ?  

 

Ce courrier, Miki le relisait souvent, presque le connaissait-elle par cœur. Trois jours après l’explosion du duo, alors qu’elle ignorait encore que ses deux amis s’étaient séparés, elle avait reçu l’étrange missive. Succinctement, presque froidement, la nettoyeuse l’informait de la séparation du célèbre duo, réclamait solitude ; il fallait panser ses plaies. La rouquine évoquait un « malentendu » qui ne regardait qu’elle et son partenaire ; elle appelait aussi au respect de sa volonté d’isolement, exigeait que Ryô ne soit pas tenu responsable ; elle seule était à blâmer pour cette rupture, mais une réconciliation était peut-être envisageable. Elle allait s’y atteler, y travailler.  

 

Elle n’avait au final que noyé le poisson, manœuvré. Elle avait distillé espoir, avait gagné du temps pour mieux disparaître. Kaori finissait son courrier par un « Je t’aime, je te fais confiance. » lourd de sens. Contre toute attente, à ce moment du drame, Miki, pourtant prompte à s’emballer, avait temporisé. Son époux l’avait rassurée et surtout dissuadée d’intervenir dans la précipitation, arguant du respect qui se devait à chacun des membres de City Hunter.  

 

Quelques heures, quelques jours.  

 

Mais après, il était déjà trop tard. Il n’y avait plus trace de Kaori dans toute la ville. Miki, rejointe par Mick, était restée impuissante à trouver une piste. Aucun doute quant à l’origine du mutisme de tout le milieu, Ryô avait tout verrouillé. Elle avait alors supplié son époux de s’ingérer. Lui seul était en capacité de lutter contre l’influence de Saeba. Il jouissait d’un pouvoir comparable ; il terrorisait tout autant que le nettoyeur ; possédait au moins autant d’indics. Pourtant, Umibozu n’avait rien fait pour l’aider.  

 

Rester neutre, Miki en était convaincue, c’était prendre le parti de Ryô. Mais le Géant n’avait pas varié, s’était montré intraitable, inflexible. Que de colères et de ressentiments entre les deux époux lorsqu’elle avait pris conscience que son amie avait définitivement disparu !  

 

Et puis, elle avait appris. Les circonstances. L’impensable… L’incompréhensible…  

 

Falcon n’avait pourtant jamais évoqué le comportement supposément coupable de Kaori pour justifier son refus d’intervenir. Au contraire, il n’avait argué que du bien des deux protagonistes, du respect de leur intimité, de leurs décisions ; fussent-elles mauvaises, fussent-elles dévastatrices, fussent-elles irrévocables et définitives. C’était là, pour lui, le sens véritable de l’Amitié. Il avait bataillé ferme contre sa femme, tout en lui assurant une oreille attentive, l’empathie qu’elle nécessitait, la compréhension qu’elle revendiquait.  

Mais non, lui n’interviendrait pas !  

 

Pour Miki, l’essentiel était ailleurs. Il fallait aider leurs amis en dépit d’eux-mêmes, au risque de les heurter, de les enrager, au risque de les perdre pourquoi pas. La réconciliation n’avait pas de prix ! Il fallait leur rappeler combien leur relation était la source de leur bonheur, combien l’un ne pouvait être sans l’autre. Les deux conceptions de l’amitié étaient bien différentes et incompatibles dans cette affaire. Miki avait dû renoncer à obtenir l’aide de son mari.  

 

Et au final, elle avait échoué !  

 

Perdue dans ses pensées, la jeune femme secoua fortement sa caboche dans l’espoir d’extraire les images invraisemblables qui l’assaillaient à nouveau, qui remontaient suite à la remarque de son mari. Entre Kaori et cet homme, ça n’était pas qu’un malentendu.  

 

— Elle est la personne la plus loyale que je connaisse, reprit-elle, ébranlée. Aurait-elle pu s’enticher de ce sale type au point de partir avec lui ? D’abandonner sa vie ?  

 

Oui, elle avait retourné ces informations dans tous les sens, avait tricoté et détricoté les faits, uniquement les faits, tenté de reconstituer les événements. Que s’était-il passé dans l’espace de la captivité de sa meilleure amie ? La barmaid n’était pas dupe, elle devinait bien que des choses lui échappaient, le puzzle était largement incomplet.  

 

— Je ne sais rien de ce type, consentit le mercenaire. Non, je ne connais pas ce type, ses motivations à vouloir détruire Ryô, City Hunter, mais je connais Kaori ! Et je lui fais confiance. Jamais elle n’aurait fait de mal intentionnellement ; jamais elle n’aurait mis la vie de sa cliente en péril ; et encore moins celle de Ryô.  

 

— Mais la veille de sa libération…  

 

— Peut-être ! Je n’en sais rien, Ryô ne m’a jamais parlé de ça… Mais j’imagine mal Kaori vivre heureuse loin de nous avec cet homme dont on ignore tout, pendant que nous sommes là à nous morfondre de son absence. Je n’y crois pas un seul instant !  

 

Miki soupira bruyamment, visiblement indécise, écartelée entre l’envie de se ranger à l’avis raisonnable de son mari et celle de se laisser happer par le doute. Elle observa attentivement le visage de son amoureux ; derrière le tain noir de ses lunettes, se devinait son regard intelligent, bienveillant et, sur ses lèvres, le petit sourire sincère qui l’avait séduite. Miki fronça les sourcils, il n’y avait pas à hésiter, elle n’avait pas le choix. Elle devait faire confiance à son amie. Respecter ses choix. Accepter ses choix. N’était-ce pas là l’essentiel de ce qu’elle se devait de lui offrir ? N’était-ce pas là l’une des plus jolies leçons enseignées par son mari depuis quelques mois ? Avait-il fallu tant de temps pour enfin accéder à ce qu’il tentait de lui faire comprendre ?  

 

— Tu m’énerves d’avoir toujours raison, confia-t-elle tout sourire, éblouissante. Je me dois de lui faire confiance. Kaori ne m’a pas oubliée, ce n’est pas possible ! Et quoi qu’elle ait pu vivre avec cet homme, elle a ses raisons et, la connaissant, ce sont de bonnes raisons.  

 

— De bonnes raisons ? répéta Falcon. Je ne sais pas honnêtement. Elle tient à lui. Et il tient à elle, il l’a sauvée ; voilà qui est factuel. Mais il l’avait lui-même mise en danger et il veut tuer Ryô. C’est tout aussi factuel. Rien n’est simple.  

 

Il suffisait d’une phrase éminemment sensée pour reformuler toute la complexité de la situation. Miki soupira.  

 

— Il reste aujourd’hui encore beaucoup de zones d’ombre, reconnut son épouse. Cet homme a aussi disparu des écrans-radar mais je pense qu’il est toujours vivant, je ne crois pas que Ryô l’ait retrouvé.  

 

— Il ne l’a pas retrouvé.  

 

La barmaid scruta son mari avec intérêt.  

 

— As-tu des informations que j’ignore ? s’enquit-elle avec presque acidité.  

 

— Des informations pas nécessairement fondamentales, du moins pas en ce qui concerne tes recherches sur Kaori…  

 

— Me laisserais-tu juger de cela ?  

 

— Nous avons passé quelques semaines à le chercher après que la petite s’en est allée, reprit Falcon. Partout.  

 

— Et vous avez retrouvé sa trace ? persévéra-t-elle.  

 

— En quelque sorte…  

 

Miki leva les yeux au ciel et souffla d’exaspération, désirant communiquer à son rustre de mari comme il était souhaitable qu’il se montrât un peu plus loquace.  

 

— Il est peut-être en Chine.  

 

— En Chine ? Vous savez qui il est ? Falcon, tu m’as caché…  

 

— Non… nous n’avons pas exactement réussi à l’identifier… En fait, nous avons découvert l’identité de son complice.  

 

— Son complice ? Celui qui a tué tous les hommes ?  

 

— Oui. Avec l’aide de Chizu, nous y sommes parvenus, il était son gardien pendant la captivité. Saeko a remué ciel et terre pour glaner des informations et quelques bribes ont filtré. Le massacre a été très mal pris dans le milieu, c’est contraire aux lois le régissant. Peu d’informations, soyons honnêtes, mais suffisamment pour mettre un nom et un visage sur celui qui a massacré leurs acolytes.  

 

— Et ? Qui est-il ?  

 

— Un certain Danno Sato.  

 

Les beaux sourcils de Miki formèrent une adorable arabesque et ses yeux s’écarquillèrent.  

 

— Cette piste n’a pour le moment pas permis d’aboutir au kidnappeur, intervint immédiatement Umibozu pour couper court aux espoirs de son épouse. Cet homme a quitté le Japon peu après la libération de Kaori, avant qu’avec Ryô… Enfin… On sait qu’il a pris un avion pour Shangaï.  

 

— Et son complice l’aurait rejoint ?  

 

Le géant accueillit la question avec un haussement d’épaule.  

 

— Va savoir…  

 

— Tu le penses ?  

 

— Non, répondit-il rapidement. Je pense qu’il est encore ici ; errant à Tokyo. Je pense qu’il a recontacté Ryô et qu’il veut savoir autant que nous où est passée Kaori.  

 

— C’est ce que t’a dit Ryô ? s’empressa de questionner Miki.  

 

Son mari esquissa un sourire qui ressemblait davantage à une grimace.  

 

— Non, bien sûr que non. Mais c’est ce que moi je ferais à sa place.  

 

Elle observa son mari, assis dans leur lit, et lui offrit un sourire généreux. Il avait véritablement la faculté de la tempérer, de la rasséréner. Mieux que personne, il parvenait à désamorcer les bombes de fureur, de désespoir qu’on plaçait dans son cœur de femme passionnée. Ryô avait été particulièrement détestable, il connaissait sa fragilité, son désir ardent de savoir où se trouvait Kaori, de la retrouver, de les inscrire à nouveau dans une dynamique de bonheur. Oui, il connaissait l’amitié indéfectible qu’elle nourrissait pour son ancienne partenaire et il avait œuvré à insinuer le doute, la rancœur, la défiance. Il l’avait blessée sciemment… Miki en eut un étourdissement. Ryô était souvent indéchiffrable malgré des dehors balourds, voire grotesques, mais il prenait toujours bien garde à ménager les sentiments des autres, sans jamais s’épancher sur les siens. Oui, il avait habituellement cette immense délicatesse. Était-il encore cet homme, son ami ou, comme elle le craignait, tout avait-il volé en éclat ? N’y avait-il plus que ruines à sauver ?  

 

— Il en bave encore sacrément, renchérit le chauve.  

 

— Quoi ? balbutia la jeune femme, extirpée de ses divagations.  

 

— Ryô a essuyé la pire blessure de toute sa vie. Une blessure d’orgueil. Une blessure d’Amour. Il n’y a rien de plus cruel ou de plus douloureux.  

 

— Ça n’a pas toujours été facile pour Kaori non plus, se rebiffa la brune.  

 

— C’est différent… Ryô n’a jamais véritablement baissé la garde que devant elle, poursuivit le géant inhabituellement loquace. Pour nous, c’était peut-être insaisissable mais, crois-moi Miki, il s’est mis en danger avec la petite, comme jamais auparavant.  

 

— Et ça lui a explosé à la figure, c’est ça ?  

 

Falcon se satisfit de hocher la tête.  

 

— Oui… je comprends, acquiesça-t-elle doucement, culpabilisant des paroles blessantes qu’elle lui avait crachées au visage et dont, au final, elle ne pensait pas un mot.  

 

— Et tout ce qu’il t’a dit aujourd’hui, c’était pour se protéger. Une espèce d’instinct de survie. Ne lui en veux pas.  

 

Miki sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle se perdit dans la contemplation de l’homme merveilleux dont elle avait la chance de partager la vie. Peu de personnes avaient accès à ses trésors de tendresse, d’intelligence et de gentillesse. Elle baragouina un « je t’aime » étouffé et se précipita dans ses bras. Elle avait juste envie de lui faire l’amour.  

 

 

 

 

 


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