Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prosa

 

Autore: Sugar

Status: In corso

Serie: City Hunter

 

Total: 15 capitoli

Pubblicato: 10-12-18

Ultimo aggiornamento: 07-03-23

 

Commenti: 22 reviews

» Ecrire une review

 

ActionGeneral

 

Riassunto: Un étrange Yakuza apparait dans la vie des City Hunter alors que le Japon subit d'importants changements juridiques .Ce monde de trafiquants est traqué par le gouvernement. Troublant, ce Yakuza va venir bousculer le monde des nettoyeurs .

 

Disclaimer: Les personnages de "Yakuza ( ヤクザ/やくざ)" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Sauf Eiji Ijichi , Yoshinori Watanabe

 

Tricks & Tips

I've signed in, but I cannot get access to the management section.

 

Please check that your browser accepts cookies. Please contact me with the email address you signed up and give me your login, password, ISP and localisation. Thanks.

 

 

   Fanfiction :: Yakuza (やくざ)

 

Capitolo 13 :: … Koi-Koi ! (こいこい) !

Pubblicato: 06-04-22 - Ultimo aggiornamento: 06-04-22

Commenti: Konichowa, une revenante dans le fandom..Je suis désolée pour le temps écoulé depuis la publication du dernier chapitre. Mais, les aléas de la vie et les soucis ont eu raison de moi. Je ne vous le cache pas, j’ai plusieurs fois voulu arrêter l’écriture de cette histoire, qui faut bien l’avouer, me prend toute mon énergie…A chaque chapitre. J’ai du mettre ce chapitre deux voir trois fois à la poubelle mais voilà, cette petite voix intérieure vient toujours me chuchoter de persévérer. Alors après nombreuses péripéties, j’ai enfin fini ce fameux chapitre 13 ! J’ai pris énormément de plaisir à l’écrire tant par sa complexité et l’envie de partager mon univers. Il m’a torturé aussi ce chapitre qui est encore une fois très conséquent. Chapitre que j’ai du couper tant il était dense. Bien qu’il ait été assez laborieux à faire sortir du néant, il m’aura permis de grandir et de comprendre aussi oh combien j’aimais écrire. Merci aux personnes qui m’ont soutenue dans mes épreuves. Ce qui amène à la question du chapitre 14 ? Et la crainte du délai d’attente avant sa publication : il suit son cours d’écriture. Toutefois, je ne vais pas m’avancer sur une date précise, cela prendra le temps qu’il faudra. Dans tout les cas mon objectif est bien de mettre « fin » à cette fanfiction, et j’ai toujours cette énergie et l’ambition de vous embarquer dans le monde des Yakuzas. Soyez en sûr. Merci pour les personnes qui suivent encore cette histoire. Bonne lecture. Big Boussas

 


Capitolo: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15


 

Adachi (足立区) Arakawa (荒川区)
 

Bunkyō(文京区) Chiyoda (千代田区)
 

Chūō (中央区) Edogawa (江戸川区)
 

Tabashi (板橋区) Katsushika (葛飾区)
 

Kita (北区) Kōtō (江東区)
 

Meguro (目黒区) Minato (港区)
 

 

 

 

Raijin (雷神) le Dieu du tonnerre et des éclairs venait de conquérir douze des vingt-trois arrondissements de Tokyo.  

Un fugace éclair illumina le décor désormais teinté de noir, de blanc et de gris. Tel un célèbre shogun, Il y avait apposé son sceau à l’image de celui de Minamoto no Yoritomo (源頼朝).  

 

Après une légère accalmie au cours de l’après-midi, la colère du ciel avait repris sa tirade électrique et dardait ses vibrations sur le foyer de Shitī Hantā(シティーハンター). Avec difficulté, l’immeuble se défendait en repoussant les violents assauts qui tentaient par tous les moyens de l’anéantir. Il vibrait, agonisait mais ses fondations résistaient face à l’adversité. Le tremblement de ses vitres prêtes à se briser en mille éclats, ressemblait à un des signes avant-coureur du grand tremblement du Kantō de 1923 à 11 h 58.  

 

Bien que ce désastre se soit déroulé il y a près d’un siècle, les Japonais en demeuraient marqués dans leur chair, comme si une onde d’angoisse s’était propagée sur plusieurs générations.  

Quand allait-elle être stoppée ? Certainement avec le séisme de la côte Pacifique du Tōhoku de 2011, qui relaierait à son tour ce funeste tsunami émotionnel dans les esprits.  

 

Mais pas ici, pas maintenant…  

 

La date inscrite sur les journaux s’envolant dans le ciel était 1Q92.  

 

Le vent avait d’ailleurs gagné en intensité, de lourds nuages gris continuaient à filer à l’Ouest, tel des soldats silencieux en partance pour le bout du pays. Les pôles semblaient être sur le point de s’inverser tant l’atmosphère paraissait irréelle et indescriptible pour le commun des mortels.  

L’appartement immergé dans la pénombre de la nuit, apparaissait dénué de chaleur et de présence humaine, il ressemblait à un des ces sinistres bâtiments abandonnés de par ses couleurs ternes et dépourvu de tout relief. Seule la voix rauque de Raijin emplissait le néant glacial du logement de Shitī Hantā.  

 

Elle infiltrait ses murs, puis se déversait dans son vide, intensifiant ainsi son cri de fureur pour se faufiler à travers ses couloirs désertés de ses célèbres personnages.  

 

Quelques Yokai éraient ici et là sans but dans ce lieu mythique pour les lecteurs de City Hunter.  

 

Une page se tourna et fit apparaître dans un encadré principal :  

Le salon… Un frisson…  

 

Un flot de souvenirs s’esquissa dans l’esprit des fans les plus épris de ce manga face à cette pièce de vie, pétrifiée dans le silence et le papier. Elle avait été le témoin de nombreuses séquences dans les 35 tomes de leur aventure. Mais celle qui se déroulait dans cette fanfiction était très différente car l’auteure semblait hésitante, à orchestrer ce chapitre pour redonner vie à cette histoire de Yakuza. Tant de faits, et de sentiments devaient être décortiqués, analysés avec minutie et lucidité afin qu’elle puisse dessiner dans l’esprit des lecteurs ce qu’elle avait envie d’exprimer avant de s’éclipser.  

 

Ici, depuis le début de ce chapitre 13, seuls subsistaient des vestiges invisibles.  

 

Il ne s’agissait pas d’une scène de crime, ni le déroulement d’une cérémonie du thé, mais d’une altercation dont il ne restait plus que les bruissements du souvenir. Le salon avait été le témoin d’une virulente dispute entre Ryo Saeba et Kaori Makimura. Encore une. La colère et la douleur s’étaient échauffées atteignant des températures extrêmes, et les avaient ébouillantés de l’intérieur. Les célèbres personnages n’étaient pas parvenus à les contenir.  

 

Maintenant.. .Maintenant tout semblait être hachuré d’un noir charbonneux.  

Elle avait éclaté il y a :  

 

Quatre heures,  

Vingt-huit minutes  

Et cinq secondes.  

 

À l’image de leur amour prisonnier de leurs cœurs bien trop étroits pour en contenir sa toute puissance, leur altercation avait été aussi intense que du saké Junmai Daiginjo. Pourtant, ce noble et puissant sentiment ne demandait qu’à jaillir et à se répandre sur leurs corps endoloris par des années de non-dits.  

 

Ils s’aimaient.  

 

Cet amour aussi pur que de l’eau de la source O Shôzu avait beau avoir été étouffé, malmené, piétiné avec rage durant toutes ces années : il résistait face à l’épreuve du temps, au grand étonnement du nettoyeur. Pourtant, il avait tout fait pour s’en détacher, du moins, dans les débuts de leur histoire, en le minimisant et en s’en éloignant, afin de l’oublier, mais cet amour demeurait toujours là, tapi dans l’ombre, prêt à réapparaître à la moindre occasion. La flamme se ravivait avec de simples détails... Un sourire, un regard, parfois un mot… Un simple mot prononcé d’une telle manière réussissait à affoler son cœur et lui donnait envie de plonger dans cet amour qui le faisait si peur.  

 

Malgré la crainte et les doutes, Ryo avait réussi plus ou moins à l’apprivoiser et avait même apprécié sa saveur du bout des lèvres, tout en ayant la conviction bien fragile que le feu s’apaiserait avec le temps. Or, cette flamme ne s’éteignait pas, bien au contraire ! Le foyer subsistait avec plus de vigueur dans le secret de son cœur. Il s’était même renforcé malgré les épreuves du temps, prêt à prendre vie à la moindre occasion. Les étincelles rebelles de plus en plus nombreuses parvenaient à s’échapper. Parfois, il prédisait malgré lui qu’un jour l’une d’entre elles parviendrait à se libérer et viendrait embraser leur décor de papier : Elle imprégnerait chaque fibre des pages de leur histoire, et la submergerait avec passion et détermination. Son corps frissonnerait de bonheur en savourant sa chaleur. La lumière jaillirait de toute part lorsque ses lèvres s’empareraient des siennes et leur accorderaient une fin digne d’un grand roman d’Amour.  

 

Une Happy End… ? Cela était-il possible ? Est-ce bien réaliste d’espérer une telle issue à leur aventure en connaissant les tenants et les aboutissants de leur vie dans un milieu aussi sombre ?  

 

Hojo Tsukasa lui-même ne leur avait pas accordé une fin fermée car il connaissait trop bien la réalité du milieu dans lequel il avait décidé de faire vivre ses personnages. Aussi, avec maestria, il avait pris soin de laisser le choix aux lecteurs d’imaginer la fin qui leur convenait. Qu’en était-il d’ici, dans cet écrit qui ne lui appartenait qu’à moitié ? Rien ne semblait être décidé tant l’équilibre des éléments paraissait fragile.  

 

Après l’altercation, le silence s’était imposé dans l’appartement durant un long moment, puis la porte s’ouvrit et se referma de nouveau, dans un violent fracas, laissant apparaître le nettoyeur qui se dirigea tel un automate vers le canapé. De retour de son rendez-vous avec Saeko, il devait rejoindre Mick au Cat’s, mais il souhaitait d’abord se changer et surtout reprendre possession de son esprit et de son cœur afin d’être de nouveau opérationnel.  

 

S’abandonnant sur le canapé, le nettoyeur numéro un du Japon demeurait sans réaction, encore pétrifié de sa propre colère envers sa partenaire. Vanné, épuisé, pétri par la torture que lui infligeait son cœur, il voulait une pause qui lui donnerait l’illusion que plus d’une année s’était écoulée depuis le chapitre 12.  

 

Une lutte acharnée se déroulait en son for intérieur, car il tentait par tous les moyens de rester concentré sur l’intrigue et sur les informations que Saeko lui avait fournies. D’ailleurs, que cela avait été pénible, ce rendez-vous ! Alors qu’il l’attendait au port, il était noyé dans ses pensées tant l’émoi était grand. Bien entendu, il ne laissait rien paraître face à elle, mais sa dispute avec sa partenaire avait une teneur différente et le rendait très soucieux et nerveux. Ce fut le bruit de talons doté d’une aura déterminée, revêtu d’autorité, qui le sortit de ses réflexions bien que son cœur soit resté à l’appartement.  

 

Peine perdue ! Il ne parvenait pas à rester concentré plus de cinq minutes sur la problématique de la fanfiction car ses pensées se redirigeaient vers l’être qui hantait son cœur et son esprit. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que Kaori n’était plus dans l’appartement tant l’atmosphère lui parut glaciale et terne. Lorsque Kaori était là, ils avaient beau être en conflit par moments, son aura emplissait l’appartement de sa chaleur et d’ondes positives qui avaient le don de l’apaiser.  

 

Mais ce soir, seul le vide, le froid et l’obscurité l’avaient accueilli. Un air de déjà-vu… D’un passé lointain, mais qui d’une manière sournoise, ne demeurait jamais bien loin. Pour se rassurer, Ryo se persuada qu’elle avait dû certainement se rendre chez son amie Eriko pour y passer la nuit. Cela lui arrivait lorsque les disputes dégénéraient et s’enlisaient un peu trop à son goût. La nettoyeuse revenait le matin comme si de rien n’était et lui préparait son petit déjeuner pour ensuite le sortir de son sommeil et reprendre ainsi leur vie commune.  

 

Leur quotidien, leurs habitudes lui manquaient. Les réveils abrupts, les chamailleries gentilles mais aussi les discussions beaucoup plus sérieuses qui ponctuaient leur vie, oui tout ce pan-là de leur existence de papier lui manquait terriblement. Cela n’était pas si loin, cette période ! Mais cela lui semblait faire une éternité. Quand pourrait-il de nouveau savourer ces instants pourtant si simples mais si chers à son cœur ? Peut-être bien… Jamais… Lui souffla une voix issue d’un autre monde. Il déglutit avec difficulté tant sa gorge lui parut contractée d’angoisse.  

 

Une migraine redoutable, qui le menaçait depuis sa dispute avec Kaori, l’incita à se reposer quelques instants. Il osait à peine respirer de crainte de déchirer le silence réparateur que ce paragraphe lui offrait. Il possédait très peu de temps avant de devoir rejoindre ses amis, afin de partir à la rencontre de cet homme, à l’origine de cette fanfiction.  

 

« Yakuza (やくざ) »
 

 

Il l’intriguait  

Il le haïssait.  

 

Yeux à demi-clos, le nettoyeur tentait de retourner son entière colère contre Eiji et non plus contre Kaori. Eiji et lui seul. N’était-il pas son ennemi ? La cause de tous leurs problèmes ?  

 

Peu à peu, ses muscles parvinrent à se détendre, du moins en apparence, sa respiration se fit moins saccadée et prit un rythme beaucoup plus apaisé tandis que le fil de ses pensées commença à s’évaporer et à s’effacer dans la fibre de papier. Alors qu’il s’apprêtait à fermer ses yeux pour franchir un monde parallèle, une silhouette familière apparut dans les limbes ténébreux de la pièce. Interloqué, il se redressa aussitôt et plissa les yeux face à cette surprenante apparition pour connaître son identité. Bien que les traits du personnage se confondissent dans l’obscurité, il les reconnut entre mille.  

« Kaori » Murmura-t-il avec difficulté tant son souffle en était coupé ; était-elle revenue ? Pour se réconcilier, pour mettre cartes sur table et ainsi enterrer le katana de guerre ? Se demanda-t-il avec fébrilité.  

 

La nettoyeuse s’enveloppa d’une obscure luminosité, et l’observa avec une certaine intensité. Cette tension qu’elle dégageait l’interpela mais, ce qui le déstabilisa davantage c’était sa mine dénuée d’émotion. Cela ne lui ressemblait pas du tout. Elle semblait lasse de cette histoire, et surtout très affligée par la tournure de la situation… Peut-être ? Il ne savait plus comment interpréter ce qu’il apercevait. Soudain, les traits de Kaori devinrent moins précis pour se modifier et regagner en netteté en prenant un tout autre visage. Ses cheveux s’allongèrent, tandis que sa bouche s’empourprait et s’épaississait un peu plus, parée d’un rictus moqueur. Ses yeux se rétrécirent pour faire apparaître un regard métallique… Qu’il était dur ce regard ! Beaucoup plus dur que celui de Kaori.  

 

Okuni.  

 

Le cœur du nettoyeur se figea devant cette venue improbable en ces lieux. Etait-elle vraiment là ? Dans le salon de Shitī Hantā? Non... Pas ici, elle n’en n’avait pas le droit assura-t-il avec nervosité. La culpabilité lui tenailla le bas-ventre mais aussi le cœur, l’incitant à réagir, aussi, dans un geste désespéré, le nettoyeur se leva avec précipitation, et s’approcha de la tenancière du Kabuki. Interloqué, il ne savait pas exactement comment réagir, ni quoi faire, ni quoi dire, dans de pareilles circonstances. Alors sans vraiment en comprendre la raison, il leva la main vers sa direction mais elle traversa le vide glacial. Surpris de cette froideur mortelle, il recula en éprouvant un brusque frisson qui lui parcourut le dos. Pourtant, Okuni demeurait là, immobile, à le soutenir d’un regard débordant de reproches. Il avait toujours horreur de son insistance à le dévisager effrontément, accompagnée de son sourire provocateur. Dans un geste de panique, il s’avança de nouveau, bien déterminé à effacer sa présence, alors de sa main droite, il gomma ses yeux, son nez, sa bouche dont il s’était de nombreuses fois emparé pour tenter de redessiner les traits de Kaori et ainsi revenir à la trame originale, en vain.  

 

Malgré ses efforts, un crayon invisible se remettait à l’ouvrage pour croquer la figure de la tenancière à la place de celle de Kaori : voir Okuni, ici, dans ce salon le torturait et le mettait mal à l’aise car la dure réalité se confrontait à lui, à sa conscience, mais il ne voulait pas accepter.  

Impossible !  

 

Alors qu’il renonçait à l’effacer en comprenant bien qu’il ne parviendrait pas à la faire disparaître ni de sa vue, ni sa vie, il constata qu’il était essoufflé et qu’un vide béant, glacial lui paralysait le corps. Il avait mal. D’un geste automatique il posa sa large main sur sa poitrine, et tenta de remettre de l’ordre dans ses idées lorsque son propre cœur lui apparut devant les yeux. Ébahi, il secoua la tête pour faire disparaître ce mirage. Soudain, ce cœur malmené virevoltant, se scinda en deux dans un fracas de verre. Le côté droit s’approcha de lui puis recula tandis que la partie gauche fit de même. Ce mouvement hypnotique semblait l’inviter à choisir une des deux parties de son cœur. Mais la question qui lui vint à l’esprit fut celle de savoir si cela était possible de vivre avec la moitié d’un cœur ?  

 

Kaori-Okuni : l’écho de leur prénom s’infiltra en lui. Semblables à deux atomes, ils s’agitèrent, remuèrent comme le mouvement Brownien le décrivait, ils se percutèrent avec force pour s’unir et créer une nouvelle molécule. Son cœur semblait scellé par des liens invisibles qui le rendaient prisonnier et le faisaient souffrir. Cette union semblait lui avoir broyé la poitrine.  

 

Il leva les yeux vers Okuni qui n’était plus seule, Kaori était désormais à ses cotés. Elles étaient là, toute les deux à le dévisager. De plus en plus mal à l’aise, Ryo ne parvenait pas à réagir tant cette scène paraissait invraisemblable. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, l’apparence des deux femmes se fit plus floue, aussi vaporeuse qu’un nuage, les frontières de leurs corps respectifs paraissaient s’effacer progressivement pour fusionner dans une même nuée lumineuse. Ce halo de lumière se modifia à son tour, pour laisser apparaître une forme humaine. Les yeux remplis de tristesse, la bouche crispée, ce nouveau personnage le regardait avec douleur.  

 

Je t’aime !  

 

Dans un éclat dont la sonorité s’apparentant à l’explosion d’un ballon lui fit mal aux oreilles et le fit sursauter. Il avait eu l’impression que ses tympans avaient été transpercés. Cet écho de voix ressemblant plus à un cri de désespoir qu’à une déclaration d’amour s’évapora dans l’atmosphère saturé de sentiments refoulés.  

 

La métamorphose d’Ovide avait disparu. La matière avait repris sa place dans l’ordre des choses. Du moins, il l’espérait tant cette sensation d’être dépossédé de lui-même lui était intolérable. De plus, ce qui le troublait encore plus, c’était bien le fait qu’il avait hésité dans le choix qui s’était présenté, il avait été pris de court. À cet instant précis, il souhaitait uniquement que le temps arrête sa course, et qu’il puisse repartir dans le passé pour défaire toute cette intrigue. Il aurait voulu hurler « Tomareとまれ ! » et reprendre sa vie là où tout avait basculé mais sa mâchoire paraissait bloquée, empêchant le moindre son sortir de sa gorge.  

 

Un violent sursaut.  

 

Le grand nettoyeur du Japon s’était assoupi dans un rêve sans ordre logique. Bien que cela ne fût qu’un songe surréaliste, il éprouva de la colère contre l’initiateur de ce moment à la touche onirique et ne put s’empêcher de demander : Qui était-ce ? Un oni ? Ou peut-être bien une Majo (魔女)?  

Une de ces sorcières de malheur, obstinée à modifier l’histoire, non, pas une histoire mais leur histoire en décortiquant chacune de leurs aventures et en fouillant au plus profond de leurs êtres pour extirper leurs fragilités et leurs fêlures et les métamorphoser en mots à la touche poétique jetés sur le papier ? Au nom de quoi et de qui s’autorisait-elle à leur donner vie sous ses doigts pianotant frénétiquement sur le clavier ? Elle s’acharnait sur eux, sans répit, alors que le manga a pris fin depuis plusieurs décennies. Leur décor s’était effacé, il fallait qu’elle les laisse se reposer.  

 

« Tomareとまれ ! »Parvint-il enfin à s’écrier comme pour mieux s’assurer de sa réalité.  

 

 

Essoufflé, secoué par ses pensées irrationnelles encore imbibées de sommeil, le nettoyeur avait la désagréable impression de devenir dément, complètement déconnecté de la réalité fanfictionnelle. Il lui fallut quelques instants pour reprendre le contrôle de la situation et de ses pensées ; dans un geste brusque il tourna la tête en direction de l’horloge et constata avec grand soulagement qu’il ne s’était assoupi que quelques instants.  

Pourtant, il avait la sensation d’être parti depuis très longtemps et surtout très loin dans les abysses de son esprit.  

Il soupira.  

Sa main droite se mit à masser son front comme pour mieux fluidifier la masse obscure qui assiégeait son esprit l’empêchant d’être clairvoyant tandis que sa main gauche s’empara avec nervosité d’une cigarette. Il hésita à l’allumer. L’odeur de fumée allait à coup sûr imprégner les murs, le tissu du canapé. Ce qui aurait pour conséquence la fureur de Kaori. Et après ?  

 

« Kaori ». Rien que son prénom parvenait à le torturer encore plus maintenant, à cet instant. Mal à l’aise à cause de son rêve, les bribes de leur dispute de cette après-midi lui revinrent en pleine face sans qu’il ne parvienne à les contrôler ni même à les effacer. Leur altercation le hantait car elle avait une tonalité particulaire, il le ressentait au plus profond de lui-même. Elle vibrait encore.  

 

Lors de chaque conflit, bien que cela ne lui fasse aucunement plaisir de la blesser, il était toujours rassuré de la voir réagir avec fougue et jalousie, car pour lui, l’indifférence était la pire des sentences. Il la redoutait. Or ce soir, il l’avait perçue à moins qu’il ne se fasse des idées sans fondement. Elle avait réagit oui… Du moins Au début… Dès qu’il avait prononcé « Angel » et « Eiji » ; il avait perçu une étrange lueur qui s’était agitée dans ses yeux.  

D’ailleurs, à peine l’Américain était-il parti que la tension entre les deux nettoyeurs était apparue et s’était épaissie au fil des minutes.  

 

Le regard fuyant de Kaori l’irritait.  

La colère de Ryo l’agaçait.  

 

Statu quo. Aussi éreintés l’un que l’autre par toutes ces innombrables fanfictions qu’on leur faisait vivre, il était bien déterminé à en finir avec celle de Yakuza.  

 

Le nettoyeur avait longuement hésité à prendre la parole le premier. Contrarié d’avoir assisté à ce rapprochement entre Kaori et Angel, il voulait savoir avant tout où s’était-elle volatilisée car elle paraissait distante, ailleurs... Son attitude était-elle dûe seulement à cause d’Okuni ? Non, il était convaincu que non. Il y avait une toute autre raison. Il le sentait. D’habitude Kaori ne lui dissimulait rien… Or ici, il avait perçu le trouble, le doute.  

 

Pour désamorcer la gêne et la tension palpables, le nettoyeur avait tenté un semblant de conversation autour de la surprenante invitation du Yakuza. Peut-être n’était elle plus aux yeux du milieu sa partenaire, mais elle le demeurait pour lui car elle représentait son équilibre. Cette situation était d’ailleurs temporaire, il l’avait affirmé de nombreuses fois pour la rassurer. Aussi sans se l’avouer, il avait peut-être eu envie de la mettre de côté dans cette histoire, la reléguer à un rôle secondaire, en attendant que l’orage passe et qu’il puisse la retrouver et partager de nouveau ce lien si particulier avec elle… Mais de toute évidence, cette option ne paraissait pas faire l’unanimité ! Bien au contraire, ce choix semblait lui échapper et partir dans des décors inconnus.  

 

Bien conscient de la douleur qu’il lui infligeait avec son aventure avec Okuni mise au grand jour, il s’en voulait bien entendu, mais il voulait à tout prix retrouver Kaori, sa Kaori, celle qu’il chérissait et qu’il connaissait aujourd’hui mieux que quiconque. Peut-être était-il égoïste... Oui certainement. Peu importe !  

 

Alors, il fit comme à son habitude, il mit son masque d’indifférence en parlant de l’intrigue et de la soirée de Hanafuda mais aussi de l’étrange livraison de ce présent assez spécial. Les explications qu’elle lui avait fournies pour expliquer la remise du présent d’Eiji l’avait fait tilter. Quelque chose n’allait pas. Il le sentait.  

 

Alors il avait tenté d’une manière détournée d’en savoir un peu plus sur son emploi du temps mais aussi le pourquoi de la présence de Mick, mais la nervosité de Kaori avait eu raison de lui au constat qu’elle devenait de plus en plus fébrile. À ce moment précis, la sombre colère avait pris le contrôle de son cœur, et il admettait que cette ire dévastatrice et la volonté de la blesser s’étaient réveillées et ne l’avaient pas lâché de toute l’après-midi. Qu’il était ignoble par moments.  

 

« Où étais-tu passée ? »
 

 

Cette question, cette simple question avait tout déclenché.  

Des bribes de conversations, les ricochets de leurs voix respectives s’abattaient sur lui, la douleur en était intolérable. Dans un geste nerveux, il secoua la tête comme pour enlever ces interférences dérangeantes mais les phrases se percutaient, s’éloignaient pour revenir à la charge avec violence comme de féroces souvenirs qui tentaient de le l’anéantir.  

 

 

« Depuis quand t’intéresses-tu à mes sorties, Ryo ?
 

 

 

« Et toi, où étais-tu Ryo ? »
Répliqua-t-elle d’une voix tendue en le toisant de son regard furieux et douloureux.  

 

Les questions se croisaient, s’enferraient comme deux lames de katana affutées puis elles semblaient déclarer forfait par ces longs silences. Muet, le nettoyeur la fuit du regard, bien conscient de sa position ambiguë et critiquable. Le silence fut pour Kaori une réponse des plus éloquentes.  

« La voir hein…» Dit-elle avec une voix qui semblait s’affaiblir.  

 

Des bruissements de son cœur l’avertirent de la déchirure imminente quand il osa de nouveau affronter Kaori du regard. Sa réflexion avait été dite dans un murmure à peine audible, de peur d’être entendue. Décontenancé par l’expression que revêtait le visage de la nettoyeuse, Ryo avait paniqué. Il la perdait. Son regard… Son regard semblait s’éteindre : Il avait vu que la couleur disparaissait à l’image de leur décor qui semblait être aspiré dans une furieuse tornade F5. Les feutres semblaient agonisés, usés. Cette phrase… Cette simple phrase l’avait perturbé car un voile de tristesse avait recouvert en intégralité sa voix et son regard jusqu’alors étincelant, rempli de colère et de jalousie.  

 

La culpabilité le rongeait en s’infiltrant d’une manière insidieuse dans son corps, prenant le temps de dévorer chacune de ses cellules, cela en était à devenir dément !  

 

Cette dispute battait, résonnait encore et encore en lui, sans qu’il ne réussisse à stopper l’hémorragie de ces ondes destructrices. Ses pensées ressemblaient à des violents coups de poignards qu’il s’infligeait à lui-même. À l’image du temps orageux bien décidé à s’enraciner sur la ville, il était ponctué de moments de calme suivis de nouvelles attaques des plus terribles. Malgré sa position des plus contestables dans cette histoire, sa propre jalousie avait débordé de son cœur et avait éclaté en mille éclats au milieu du couloir en la voyant partir. Il avait déversé ses mots acides comme une violente averse orageuse.  

 

 

« Mick n’a pas perdu de temps » lui avait-il lancé sur un ton moqueur.  

Avec lenteur, elle s’était retournée vers lui sans vraiment le considérer.  

Armé de son sourire des plus mauvais, il avait ajouté. « Tu as un ami des plus fidèles. »  

 

À cette tirade remplie de sous-entendu, elle avait sursauté tant elle fut choquée et blessée. Mais, cette fois-ci, elle ne se laissa pas démonter. Relevant la tête avec fierté, elle avait bombé la poitrine comme pour se donner davantage de courage mais aussi d’audace face à lui.  

« Oui ! Il est mon shin’yuu » Avait-elle affirmé avec force et conviction bien que sa voix tremblât… Un peu.  

 

À ce mot là, le sourire du nettoyeur disparut, son corps se figea en repensant à Okuni qui l’avait qualifié aussi ainsi dans la voiture. Cela en était trop pour lui.  

 

« Kazué va être ravie Ricana-t-il en prenant soin de peser chaque mot. On comprend mieux pourquoi il s’est installé juste devant chez nous.  

« Il n’a rien fait de mal… Il a juste voulu me remonter le moral ». Se justifia-t-elle tant bien que mal en serrant les poings comme pour mieux contenir son courroux.  

 

« J’ai vu cela… très touchant » Commença-t-il d’un ton moins assuré. Il avait mal. Terriblement mal. Il ne parvenait pas à effacer cette image qui le hantait et le faisait souffrir : Voir les doigts de Mick s’alanguir derrière son cou tandis que sa main droite se perdait agréablement quelque part sous ses omoplates lui était insupportable. Pourtant il arrivait souvent que Mick lui saute dessus comme un fauve mais pas de cette façon là. Non, ici le toucher était d’une toute autre nature.  

 

L’expérience parlait.  

 

Le cœur hurlait car il était devenu cendre dont chaque poussière s’envolant dans les airs était comme un arrachement des plus douloureux. Alors Ryo hésita… Mais il ne parvint pas à se contrôler tant la douleur était insoutenable. Jamais il n’avait eu aussi mal. La colère prit le dessus.  

 

« Tu ne vaux pas mieux que moi dans cette fanfiction, Kaori. » Accusa-t-il d’un ton des plus glacials pour soulager son cœur malmené.  

L’écho de sa voix avait résonné si fort sur les murs qu’il s’en était transformé en arme redoutable et s’abattit de plein fouet sur la femme qu’il aimait le plus au monde. Quelle incohérence ! Il faisait souffrir la personne qu’il aimait le plus au monde. Interloquée par l’attaque du nettoyeur, Kaori était restée quelques instants sans réaction. Les yeux écarquillés de stupeur.  

 

« Comment oses-tu me dire cela ? » Murmura-t-elle contre toute attente car il était convaincu qu’elle allait exploser de fureur à ses accusation. Or, elle rajouta, toujours dans un souffle « Ce n’est pas moi qui ne suis pas capable d’assumer mes sentiments. »  

« Tu me mens toi aussi. » Se défendit-il tout, aussi déstabilisé qu’elle par la tournure de cette dispute.  

 

« Non je ne mens pas Ryo » Déclara-t-elle avec force en relevant la tête pour mieux appuyer ses dires.  

 

« Tu me caches quelque chose Kaori… Je le sais. » Rétorqua-t-il en comprenant qu’elle jouait sur les mots.  

 

« Ce n’est pas mentir cela. » Se justifia-t-elle tant bien que mal consciente de sa position. Elle fronça les sourcils comme plongée dans ses propres réflexions. Elle était tiraillée entre l’envie de se confier mais la colère, la douleur qu’il lui avait causées la rendait prisonnière de ses aveux. L’un en face de l’autre, les deux personnages semblaient être dépourvus de paroles à cet instant. Ryo attendait qu’elle se confie, qu’elle dise ce qu’elle avait sur le cœur tandis que Kaori attendait un geste de sa part… Un simple geste qu’elle espérait depuis dix ans.  

 

La suite était-elle aussi intéressante à écrire ? Cela s’en était suivi des attaques des plus viles et des plus faciles que le nettoyeur ait pu faire en ciblant son physique négligé et surtout son absence de féminité.  

 

« Il faudrait peut-être que je remercie Angel en fin de compte »rajouta-t-il… « Il est temps que tu deviennes une vraie femme après tout. » Il n’en pensait pas un mot. Il voulait seulement lui effacer cette confiance qu’elle semblait avoir acquise devant lui et surtout… Qu’elle réagisse de nouveau, qu’elle hurle, qu’elle pleure.  

 

C’était lâche, c’était odieux et pourtant il en abusait dans une attitude des plus désespérées car il se sentait menacé par l’Américain mais aussi par cette histoire qui le dépassait. Bien sûr que c’était injuste, il lui faisait payer son écart minime alors que lui-même la trahissait avec Okuni.  

À ce souvenir, Ryo ouvrit brusquement les yeux et effleura de sa main sa joue encore endolorie.  

 

Kaori l’avait giflé.  

 

Le temps semblait s’être figé, choqué du geste de la nettoyeuse.  

Immobile, face à lui, les yeux rivés aux siens, blême, Kaori, hébétée par son propre geste. Puis, son regard devint fuyant. La gifle résonnait encore sur les murs comme des ondes incontrôlables.  

 

« Pardon » avait-elle dit dans un souffle dénué d’émotion, avant de se retourner et de partir d’un pas lent tel un automate, vers sa chambre. C’est à ce moment-là qu’il aurait dû intervenir, la retenir et lui dire qu’il l’aimait comme un damné.  

 

À ce dur souvenir et dans un élan de rage, il frappa de son poing l’accoudoir du canapé avec force, pour évacuer cet amas de colère qui grondait aussi fort que l’orage du Dieu Raijin (雷神). Il ne comptait pas les corrections qu’elle lui avait infligées… Que ce soit la massue et les suspensions dans le vide après ses soirées de beuverie. Cela constituait un jeu amoureux auquel il consentait pleinement.  

 

Mais cette gifle…  

 

La seule fois qu’elle avait levé la main sur lui c’était dans le volume 13 lors de l’épisode dans lequel, elle avait appris par Mary Moon son sombre passé, et une anecdote des plus tristes : son ignorance quant à sa date d’anniversaire. Kaori avait appris la froideur de son enfance. Son accident, sa survie grâce à Kaibara, qui l’avait fait devenir un mercenaire, dopé à la poussière d’ange. Il avait eu peur que le regard de Kaori se modifie en apprenant ces nouvelles données sur sa vie. Mais non, rien n’avait changé. Bien au contraire, leur lien s’était renforcé et elle était restée, bien déterminée à vivre à ses côtés et à l’aimer malgré son comportement des plus détestables.  

 

Quel homme était-il pour avoir de telle réaction ? Comme quoi être héros d’un manga n’était pas l’assurance d’avoir un comportement des plus respectables et acceptables. Il restait un simple homme, composé d’encre et de papier. À cette affirmation, il fronça des sourcils. Sa main partit à la recherche de son briquet bien décidé à l’allumer cette maudite cigarette.  

Malgré tout les efforts qu’il employait pour les effacer, ces pensées et ces souvenirs lugubres et torrentiels tonnaient, ruisselaient sur lui comme une tempêtes des plus terribles qu’il ait du affronter.  

 

Il glissa sa cigarette entre ses lèvres et mâcha un peu le filtre avant de l’allumer. La première bouffée était toujours sa préférée, aussi il laissa la fumée infuser en lui avant de la libérer. La fraicheur de la menthe l’apaisait toujours autant car elle le détendait. En savourant cette saveur végétale, un souvenir percuta son esprit… Un souvenir avec Angel, qui aujourd’hui, l’agaça encore un peu plus.  

 

Fraîchement débarqué au Japon, avec un objectif qui n’avait pas été des plus amicaux, l’Américain lui avait ri au nez lorsqu’il avait sorti son paquet de sa poche intérieure pour lui en offrir une. Il s’était moqué sans se le cacher, ce qui l’avait profondément vexé sur le moment. En effet, l’Américain s’était esclaffé et lui avait affirmé que les cigarettes mentholées aux USA c’était pour les mauviettes, pas pour les hommes de leur trempe. C’était ridicule. Ici, au Japon, tous les fumeurs brûlaient des tiges aromatisées car elles rafraichissaient, surtout en été. Incroyable. Le souvenir d’une simple cigarette pouvait prendre une ampleur différente selon les circonstances.  

 

Obnubilé par ce Yakuza, il avait baissé sa garde avec l’Américain. Car un vrai ami ne trahissait pas, du moins en théorie. Et pourtant, un adage ne disait pas qu’il fallait se méfier de son ennemi une fois, et de son ami deux fois ?  

 

L’ami pouvait devenir la personne la plus dangereuse car il connaissait certaines blessures, certaines faiblesses et il savait où appuyer pour l’anéantir. Sa faiblesse demeurait Kaori. Cela était terrible, en y réfléchissant, ce besoin de contrôler son monde ainsi que les gens qui gravitaient autour de lui et pourtant il excellait dans ce domaine, du moins jusqu’à aujourd’hui. Il fatiguait.  

 

Yeux fermés, il retint au maximum la fumée avant d’expirer dans un souffle profond et lent le poison pour l’envoyer imprégner le papier, et dissimuler ses fêlures. Malgré la pénombre, il tenta d’apercevoir les contours de sa cigarette dont le foyer ardent était devenu la seule source de lumière dans ses tenèbres. L’extrémité de ses doigts percevaient la chaleur de cette tige, devenue son unique dépendance. Cette onde brûlante qui se déployait dans son organisme lui octroyait du plaisir, mais pas n’importe lequel. Son sang, ses veines, ses muscles s’en nourrissaient avec insatiabilité et soulagement. Son corps réclamait sa subsistance pour qu’il puisse retrouver un peu de repos. Ce besoin était indescriptible pour les personnes n’ayant jamais connu cette douleur liée au manque. Ces relents lui rappelaient des instants qu’il souhaitait par-dessus tout oublier.  

 

Malgré tout, des souvenirs remontaient en lui comme la fumée de cigarette qui se répandait dans l’air. Un reste de ce passé bien sombre pas vraiment explicité mais bel et bien celui d’un drogué.  

 

Un frisson lui parcourut la nuque au souvenir de ces moments terribles qu’il tentait par tous les moyens de gommer. Ce sentiment de honte ne le lâchait pas malgré les années et il le dissimulait derrière son attitude détachée de son passé. Son état d’aujourd’hui n’avait plus rien de comparable bien entendu mais le corps n’oubliait jamais, il enregistrait et dissimulait les souvenirs les plus terribles dans l’une de ces pièces secrètes située dans les profondeurs obscures du cerveau.  

 

Néanmoins, il arrivait que des images fossilisées du passé parviennent à remonter de cette matière boueuse que constituait sa vie. Ce pouvait prendre la forme des simples détails, qui pouvaient paraître insignifiants pour la majorité des gens, mais qui étaient lourds de sens pour lui.  

Souvent, ces images interdites surgissaient dans ses songes, voilà aussi pourquoi il repoussait l’heure du coucher. Ces apparitions pouvaient prendre la forme de ressentis : Une douleur, une chaleur musculaire, un sentiment de frustration ou cette impression de perdre la raison. Il se réveillait en sursaut, détrempé de sueur, pétrifié à l’idée de rentrer dans une des crises des plus violente et de devoir maitriser ce cœur qui battrait à tout rompre, près à exploser tant chaque battement était des plus violent. Le ressenti était tout simplement affreux : se sentir mourir. Il lui fallait quelques secondes pour comprendre que ce n’était que des stimuli qui l’avaient trompé et effrayé. Rien d’autre. Il retombait dans son lit, haletant, mais soulagé que ce tout ceci ne fût que cauchemars ! Ceci se déroulait à l’abri des regards bien que ces dernières années il aurait aimé se réfugier dans les bras de la femme qu’il aimait pour se raccrocher à un peu de chaleur bienveillante.  

 

En dehors des terreurs nocturnes qui aujourd’hui n’étaient plus aussi fréquentes, demeuraient malgré tout des réactions physiques dans la vie de tous les jours qui revenaient parfois le narguer. Il lui arrivait encore parfois d’avoir de légers tremblements de la main gauche mais également de la jambe. Imperceptibles pour la plupart des gens mais certainement pas pour lui.  

Dans ses heures les plus sombres où les souvenirs le submergeaient dans un violent tsunami, des images nettes et précises apparaissaient à la surface : il se revoyait en pleine crise de démence durant laquelle il devenait une vraie machine de guerre, prête à tuer pour obtenir l’absolution. Le manque avait dicté son état pendant une longue période sans que cela soit explicité dans les pages qui lui étaient consacrées.  

Il avait blessé, détruit même des personnes ayant voulu l’aider, il n’avait strictement rien à voir avec le nettoyeur dessiné dans le manga. Et pourtant cela faisait bel et bien partie de sa vie, mais il s’agissait de séquences difficiles à dessiner. Quelques illustrations ici et là dispersées dans un volume tout au plus.  

 

À combien de crises le Doc avait-il dû faire face avant que le nettoyeur redevienne quelqu’un « d’acceptable » ? Sous ses airs de vieux pervers se cachait un homme professionnel doté d’une détermination à toute épreuve car il était parvenu à le faire sortir des ténèbres. Pour cela, le nettoyeur lui en serait éternellement reconnaissant.  

 

Cela n’avait pas été de tout repos pour le vieil homme de l’aider à s’extirper de son enfer sur Terre, mais il avait été déterminé à y parvenir. Pourtant, le nettoyeur s’était montré sous un angle inconnu des lecteurs, jamais dessiné, en se montrant des plus horribles et des plus violents avec lui. Près à le mordre tel un animal enragé, il avait tout fait pour que le Doc prenne peur et qu’il s’enfuit loin de lui, afin qu’il demeure seul dans ses propres ténèbres.  

 

 

Inflexible, le Doc n’avait pas fui et était resté prés de lui. Pourtant, Ryo lui avait fait voir toutes les nuances de noir et de gris pour obtenir la quantité que son corps réclamait. Le nettoyeur avait déployé diverses techniques dont la manipulation pour l’amadouer en optant pour un comportement doux afin de l’attendrir et le faire faiblir. Il était passé par la docilité. Avec un peu de chance de par son comportement de soumis, le nettoyeur avait eu l’espoir d’obtenir une dose supplémentaire pour le récompenser de ses efforts…  

 

Mais ce vieux renard était beaucoup plus rusé qu’il n’en paraissait, aussi il n’avait jamais failli et n’était jamais tombé dans ses divers pièges de plus en plus élaborés.  

 

Non Ryo disait-il avec calme il n’est pas l’heure, ajouta-t-il en jetant un coup d’œil furtif à l’horloge donc le tic-tac allait le rendre fou.  

 

Alors le nettoyeur avait aussi testé une posture menaçante et agressive. Malgré ses cris, ses supplications, ses gestes de colère pour avoir sa dose, le Doc demeurait impassible. Le nettoyeur avait haï de tout son cœur cet homme en le voyant imperturbable face à sa douleur. Sa colère redoublait en imaginant que ce vieil homme pouvait peut-être prendre du plaisir à le tenir ainsi dans sa main, soumis aux horaires auxquels il lui administrait sa dose. Il n’en n’était rien. Il avait juste appliqué un sevrage en douceur et progressif.  

 

Le Doc avait été bien décidé à affronter avec lui ce défi du retour à la vie. Interloqué par sa détermination, Ryo n’avait jamais réussi à obtenir une explication, il n’avait que des hypothèses, quant à sa volonté de l’aider. Avait-il été simplement touché par sa situation ? De la pitié ?  

Le temps avait fait son œuvre, en tissant des liens des plus solides faisant de ce personnage secondaire un ami. Un véritable ami. Pour le reste, la vie avait fait le tri avec les autres personnes de son entourage.  

 

Aujourd’hui, le nettoyeur était guéri et n’était plus tourmenté par la poudre blanche.  

 

Mais, ce soir, son cœur malmené s’était échappé de son enveloppe. Puis, il avait glissé par les artères comme un savon et s’était logé dans la tête en guise de cerveau, chaque muscle, chaque nerf désormais obéissait à son nouveau maître. Il était partout. Le nettoyeur était maintenant sous l’emprise d’une drogue d’une toute autre nature : l’amour. Elle était tout aussi bienfaitrice que destructrice. Difficile à gérer cette ambivalence, il savait pourtant qu’il demeurait l’acteur principal, et serait le responsable de son dénouement.  

 

 

Le nettoyeur soupira.  

 

D’un geste las, il se leva et partit dans la salle de bain pour se rafraîchir et se préparer. Il étouffait. Cette lourdeur et ce silence glacial dans l’appartement allaient le rendre fou. D’un geste nerveux, il ouvrit le robinet et laissa l’eau s’échapper, comme pour combler le silence inquiétant. Il leva la tête et s’observa dans le miroir tandis que l’eau s’engorgeait dans le lavabo. Tant de souvenirs aussi concentrés qu’un sirop visqueux, non pas gorgés de sucre, mais d’amertume me submergent. Maintenant, je suis là, depuis dix minutes devant ce miroir à examiner chaque ridule qui se dessine sur mon visage. Le contour de mes yeux, ma bouche, tout ces traits qui font de moi Ryo Saeba. L’eau coule, son bruissement me donne l’illusion de présence et de vie alors que je suis seul, face à mon reflet qui m’observe aussi. Qu’a-t-il à me dire ? J’aimerais tellement le savoir. Tout semble s’être précipité, sans sommation, j’ai du mal à rattraper le cours du temps et de mes sentiments alors que j’ai toujours été aux aguets.  

 

Kaori… Apercevoir ton regard insaisissable encore et encore me donne la nausée et me lacère le cœur. Un mélange de colère et d’angoisse m’envahit en m’imaginant le pire. Pourtant, je suis responsable et malgré ce constat, je ne peux admettre les conséquences que cela engendre.  

 

Tu me caches des faits. Je le sens, je le sais. Plus besoin de mots, plus besoin de longues explications entre nous ! Nous n’avons plus besoin de parler car notre cœur parle pour nous. Je te ressens dans chacun de tes souffles. Le sais-tu ? Est-ce bien cela l’Amour ?  

 

Ressentir l’autre, sans regarder ni parler ? Malgré mes multiples visages, tu as décodé un certain nombre d’entre eux, dans notre intimité, que j’ai tout fait pour protéger. Malgré le temps je ne m’y suis toujours pas habitué tellement c’est beau, intense mais tout aussi effrayant. Etre mis à nu nous fragilise mais nous renforce dans un même temps ! Que cela est apaisant de savoir qu’un être nous comprend et nous accepte tel que l’on est, sans devoir se dissimuler derrière un masque de papier. Une pause, un moment salutaire dans cette vie éphémère, qui octroie l’apaisement pour une âme abîmée.  

 

Mais, le constat ce soir est terrifiant : ton regard, Kaori, n’est plus aussi pur. Toi qui étais aussi transparente dans tes sentiments et ton comportement, tu sembles toi aussi t’imbiber de la noirceur du milieu. Oh loin d’être aussi sombre que le charbon, ton âme n’est pas obscure pourtant j’entrevois ici et là du gris. Tout ce que je redoutais ! Ma hantise ! Je ne souhaitais pas apercevoir chez toi cette nuance, jusqu’à présent tes couleurs me permettaient là aussi égoïstement de goûter du bout des doigts cette innocence de vie colorée que tu m’offrais. Je l’effleurais à peine, de peur de la souiller tant je la chérissais.  

 

Mes yeux ont vu tant d’atrocités que la pellicule de mes pupilles restera abîmée. Le monde demeurera toujours terne pour moi mais tu es parvenue à l’égayer en devenant ma lumière. Je savoure ta chaleur en te regardant m’aimer, à ta manière.  

 

Cet amour m’octroie de la couleur et de l’espoir dans cette noirceur que je te dissimule pour ne pas t’effrayer car je t’aime Kaori… Je t’aime tellement depuis tant d’années. Tu es l’amour de ma vie. Mais cet amour est prisonnier de mon cœur atrophié, et je crois bien qu’il le restera à tout jamais. Sauf ce soir, devant ce miroir, j’ai gommé mon rôle attribué, mes mimiques bien rodées, puis j’ai enlevé mon masque que je porte depuis des années pour laisser apparaître l’homme que j’ai toujours été :  

 

Un homme sombre. Je suis un homme sombre
 

Vivant seulement le moment présent
 

Ignorant le passé
 

Ne pensant pas au futur...
 

 

T’ai-je perdue ?
 

 

 

Depuis quelques temps je perçois certains changements qui s’opèrent en moi : les traits de mon âme semblent se modifier. Peut-être tout simplement je vieillis ? Rien à voir avec la vieillesse physique, mes aptitudes restent excellentes et pourtant… mon cœur semble se flétrir à devoir toujours le museler  

 

Aussi, à force de repousser ce sentiment qui m’effrayait, car il m’envoûtait, je me suis dirigé vers un autre piège tout autant dévastateur. Il a fallu que je m’attendrisse devant une autre âme aussi écorchée et souillée que la mienne. Okuni.  

 

Brisés. Des êtres brisés.  

N’avait-elle pas dit que j’étais un homme rapiécé ?  

 

On avait ravaudé pièce par pièce ce qui faisait de moi un homme à part entière. Cela avait encore plus de valeur m’avait-elle affirmée en faisant le lien avec le kintsugi(金継ぎ)qui consistait à accepter, et même sublimer les cassures d’un objet brisé qu’on recolle. Une seconde vie s’offrait ainsi aux objets brisés. Une renaissance.  

 

– Tu as cette chance Ryo « saisis-la » lui avait-elle susurré en le serrant contre elle, avant qu’il reparte chez lui. Il ne l’avait pas vraiment écouté. Ce soir, il le regrettait.  

 

Que c’était fascinant, ce déni dans lequel, elle se dissimulait. Okuni était tout aussi abîmée que lui et pourtant elle lui livrait des conseils, alors que sa propre vie était une véritable charpie. Elle aussi agonisait en restant liée à un homme qui la faisait souffrir et mourir à petit feu ; d’ailleurs c’était peut-être bien pire que lui ?  

 

Bien qu’elle affichât une colère et une haine manifestes à son égard dès qu’elle abordait le sujet, une lumière apparaissait dans ses yeux, il était évident qu’elle l’aimait encore malgré sa souffrance. Elle l’aimait à en crever.  

Peut-être s’agissait-il d’une des causes de leur rapprochement. Ils souffraient d’amour. Lui qui pensait trouver un échappatoire dans ce dur combat des sentiments, il s’était dirigé dans un engrenage tout aussi dangereux et destructeur. Il le comprit un peu trop tard en constatant que la jalousie avait fait son apparition au sein de leur relation sans nom… Ce tatouage qu’Okuni avait fait par amour l’irritait de plus en plus. Il aurait voulu le gommer de sa peau. Il enviait parfois cette fougue qu’elle avait déployée pour ce Yakuza et à demi-mot il aurait aimé qu’elle l’aime avec la passion qu’elle en avait éprouvée pour ce démon.  

 

Quel étrange spectacle !  

 

Son cœur était pris aussi et pourtant elle aussi s’était prise au piège de cette histoire sans réel scénario. Prisonniers. Les contours de leur relation n’avaient jamais bien été dessinés. À peine effleurés du bout de la pointe d’un crayon HB.  

 

Tic-tac  

Tic-tac  

Tic-tac  

 

 

L’appel du temps me rattrape et m’extirpe de mes pensées et des sentiments bien trop lourds à accepter. Tel un automate, Je me change pour les circonstances, autant bien faire les choses puisque je suis invité à une soirée de Hanafuda. Quel symbole !  

 

Je me dirige vers l’entrée en enfilant une veste noire qui tranche avec la blancheur de ma chemise, puis, je me regarde une dernière fois le reflet de mon personnage dans le miroir du couloir comme pour me persuader que c’est bien moi qui marche, qui respire. Ai-je mis le bon masque invisible pour cette étrange partie ?Chacun de mes pas résonnent comme pour me montrer que je suis seul face à moi-même et mes agissements. J’avance vers la porte d’entrée, mais un objet m’interpelle. J’hésite en le distinguant avec difficulté dans cette noirceur oppressante.  

 

 

À peine sorti de l’appartement, je reçus un nouveau soufflet non pas de la part de Kaori mais du vent furieux qui s’abattit sur moi sans ménagement. Un frisson presque douloureux me parcourut le crâne, car j’avais l’étrange intuition qu’on tentait de me « réveiller » de me montrer quelque chose que je ne souhaitais pas voir. Je lève les yeux au ciel et je vois grâce aux réverbères les nuages passer en foule au dessus de ma tête, ils surgissent comme des bataillons, de derrière les immeubles. Le vent se tut puis reprit de plus belle comme s’il livrait un monologue à ses soldats vaporeux. Les nuages semblaient ainsi lui obéir en s’enfuyant eux aussi vers l’Ouest tant l’atmosphère qui régnait ici, dans la capitale, était angoissante. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’un orage s’emparait de la ville.  

 

La nuit paraissait étrange, tellement étrange que Tokyo exaltait une vapeur, une sorte de condensation qui imprégnait chaque particule d’air. Ou peut-être s’agissait il seulement des ressentis d’une présence ? Elle demeurait une ville chargée d’histoire, n’importe où dans ses vingt-trois arrondissements, on ressentait la présence des Yakuza ordinaires. Avec les années, j’ai appris à les identifier : cela pouvait se traduire par le vrombissement des motos des bossozoku mais pas que… on pouvait également les reconnaître au scintillement d’une Rolex, mais aussi dans un café, à la manière dont se levait un homme trapu aux cheveux courts, permanentés, ayant rentré le bas de son polo dans un pantalon de polyester noir, une paire de chaussure en peau de serpent… Ou encore un tatouage sur le dos de la main.  

 

Mais celui qui m’intéressait n’avait pas encore de visage et n’appartenait pas à cette catégorie de Yakuza. J’en suis persuadé. Ce soir, j’exige d’apercevoir ton visage afin que je puisse t’examiner pour comprendre quelles sont tes motivations dans cette fanfiction. Que veux-tu ? Qu’attends-tu de moi ? Me demandai-je en me dirigeant vers la voiture. Alors que j’ouvre la porte, je semble sentir un souffle prés de mon oreille qui me murmure la réponse, bien que je n’en sois pas certain. Deviendrais-je fou ? Peu importe ! Je suis bien décidé à en finir… Que ce soit de ce yakuza ou de la question sentimentale épineuse ; je me déciderais.  

 

Sur ces pensée, je pars rejoindre Mick qui m’attend au Cat’s pour m’accompagner vers cette soirée qui changera, à coup sûr, la trame de cette histoire, sans vraiment savoir si cela va être à notre avantage ou non.  

 

 

Adachi (足立区) Arakawa (荒川区)
 

Bunkyō (文京区) Chiyoda (千代田区)
 

Chūō (中央区) Edogawa (江戸川区)
 

Tabashi板橋区 Katsushika (葛飾区)
 

Kita (北区) Kōtō (江東区)
 

Meguro (目黒区) Minato (港区)
 

Nakano (中野区) Nerima (練馬区)
 

Ōta (大田区)
 

 

Raijin (雷神) le dieu du tonnerre et des éclairs venait de conquérir 15 des vingt-trois arrondissements de Tokyo. Une page se tourna et dévoila l’encadré principal mettant, au devant de la scène, le Cat’s.  

 

Il percevait les éléments avec beaucoup plus d’exactitude que les personnes dotées de la vue. À défaut de voir concrètement le monde qui l’entourait, Umibôzu en discernait ses vibrations les plus infimes. Il écoutait les battements des cœurs, l’intonation des voix, les silences, il parvenait à décrypter l’éventuelle nervosité cachée derrière un geste d’apparence banale et sans importance. Tout était question de sensibilité et de perception. Resté plus ou moins en retrait jusqu’à ici, il hésitait à intervenir en partageant ses observations, en raison de l’étrange tournure que prenait cette histoire.  

 

Après la fusillade qui avait valu quelques dégâts matériels à l’établissement, il avait ressenti une surprenante agitation de la part de sa femme Miki. Il en fut d’ailleurs étonné car, il s’agissait malgré sa reconversion, d’une femme de terrain, d’une ancienne mercenaire. Aussi, il avait très vite compris que son état était lié à l’étrange attitude de Kaori. Lui aussi avait bien perçu un malaise chez la nettoyeuse qui était d’ailleurs grandissant et inquiétant. Bien qu’elle fût en temps normal si attachée à ses visites quotidiennes, la nettoyeuse n’était pas venue depuis la fois où il avait remarqué la fébrilité de sa femme après une conversation avec Kaori dans la cuisine. La nettoyeuse semblait s’effacer au fil des chapitres, comme si on gommait progressivement sa présence dans l’histoire. Certes, la décision de Ryo de l’écarter temporairement avait provoqué ce ressenti… Mais il n y avait pas que cela. En mettant la jeune femme de coté, Ryo voulait savoir quelle était la cible véritable, leur duo ? ou la personne même de Kaori ?... Or de toute évidence on voulait toucher à City Hunter pour une cause non encore déterminée.  

 

Il avait été avec Kaori et Miki le seul témoin à analyser Eiji, ce dernier étant venu dans leur établissement. En y réfléchissant, cela avait été le point de départ à cette surprenante affaire. Sans en comprendre la raison, le Yakuza était intervenu lors de la fusillade et avait ainsi sauvé Kaori. Bien que sa femme ait dressé un portrait-robot physique avec précision, un certain flou semblait entourer ce personnage.  

 

Il avait été pourtant proche de lui lorsqu’il avait déposé son café et avait même détecté son aura qui ne l’avait pas aidé davantage, car il ne parvenait pas à la classer. Pourtant, il n’avait pas détecté de menace mais il peinait à le cerner avec exactitude. Est-ce que cet homme détenait cette faculté de s’entourer de ce brouillard si épais autour de lui et mettrait ainsi en déroute ses capteurs pourtant bien sensibles ? Cela serait une première pour lui. D’autant plus que son comportement ne semblait pas cohérent, mettant à mal son analyse. Néanmoins, Umi avait du mal à l’imaginer comme un ennemi, peut-être qu’il se trompait, vu que ce brouillard l’empêchait de ressentir son aura, mais son intuition, n’en démordait pas.  

 

 

Un nouveau coup de tonnerre retentit et fit vibrer la grande baie vitrée donnant sur la rue désertée. Il régnait une ambiance surprenante, accentuée par cette sensation que l’orage semblait stagner sur Tokyo pour déverser inlassablement sa colère sur elle. Ils étaient désormais à un tournant de l’intrigue. L’ancien mercenaire en était convaincu. Depuis le temps que tous les auteurs ravivaient leur décor de papier, il commençait à connaître les schémas et les intrigues sur le bout du cœur. Mais il prenait toujours autant plaisir à décortiquer chacune de leurs aventures pour extraire le message qui s’y cachait, d’une manière volontaire ou inconsciente.  

 

Ici, le mercenaire était soucieux quant à l’attitude agitée de sa femme, et son comportement surprenant. Elle lui avait même fait accepter de fermer l’établissement le temps d’une matinée au motif d’inventaire. Balivernes ! Loin de ne pas comprendre qu’elle aussi dissimulait certains faits depuis sa discussion avec Kaori, il n’avait pas souhaité faire de vague et avait accepté sans poser de question.  

 

Mais aujourd’hui, un nouveau sentiment avait jailli chez Miki : À la nervosité et l’angoisse s’était ajoutée la colère à l’encontre de Ryo.  

 

Depuis que le prénom Okuni était parvenu à ses oreilles, une sombre irritation grondait en elle. Lors d’une de leurs conversations sur le sujet, Miki s’était emportée : Comment a-t-il osé ? S’était-elle écriée avec rage.  

Ce soir, il resterait ici avec Miki qui lui avait expressément demandé de ne pas intervenir dans cette histoire. Après tout, il n’était qu’un personnage secondaire dans cette histoire tandis que Ryo et Mick étaient quant à eux en première ligne pour cette soirée sous le signe du Hanafuda.  

 

 

 

L’arrivée de Mick qui d’habitude débordait d’entrain, n’améliora pas la lourdeur ambiante car il semblait tout aussi contrarié voire soucieux.  

 

– Konbanwa (こんばんは) ! Lança –t-il tout en jetant un regard à travers la salle « Ryo n’est pas encore là » Rajouta-t-il avec surprise tout en s’installant au bar.  

 

Miki acquiesça de la tête et lui offrit un café. Le moment n’était pas propice aux conversations animées. L’américain se contenta d’adresser des banalités, ponctuées de silence et du son cristallin des verres soumis à un nettoyage intensif par Miki. Cette dernière fixait un point invisible dans la rue en espérant voir apparaître Kaori qui semblait s’être volatilisée depuis sa demande de rester prudente.  

 

L’ancienne mercenaire avait même tenté de la joindre par téléphone mais en vain. Pourtant, elle souhaitait absolument s’entretenir avec elle, déjà pour mettre au clair la requête qu’elle lui avait adressée. Pourquoi ? Rien ne s’était passé, aucune attaque n’avait été menée, cela lui avait valu une matinée de manque à gagner. Pourtant, la tenancière en était certaine : Kaori détenait des informations importantes. La détresse, l’angoisse de son regard ne mentaient jamais.  

 

 

Une idée des plus déstabilisantes s’était logée dans son esprit, mais elle lui accordait peu de place tant elle en était troublée, et ne souhaitait pas trop s’avancer tant cela serait incroyable. Et pourtant… Une petite voix lui murmurait que Kaori était en contact avec ce fameux Yakuza qui lui aurait donné quelques informations. Pourquoi le cacher à Ryo ? Cela était invraisemblable… Surtout venant d’elle ! Ce n’était pas dans ses habitudes ni sa manière d’être… Du moins celles qui lui étaient attribuées par les lecteurs.  

 

 

De plus, l’ancienne mercenaire souhaitait aussi savoir comment la nettoyeuse se sentait face à l’apparition d’une menace d’une toute autre nature : Okuni. L’histoire en filigrane entre Ryo et cette tenancière du Kabuki avait été révélée en grand jour. Quelle humiliation ! Loin de ne pas savoir que cet obsédé notoire continuait ses rondes nocturnes, ce qu’elle redoutait le plus était arrivé : il s’était entiché de l’une d’entre elles !  

 

 

– Tomare(とまれ) ! Souffla Falcon en l’obligeant à arrêter de s’acharner sur le verre qui était sur le point de se briser sous la pression qu’elle mettait pour le ressuyer.  

 

Ce fut à ce moment précis que Ryo fit à son tour son apparition dans l’établissement. L’atmosphère s’alourdit encore un peu quand le regard du nettoyeur croisa cela de Miki et de Mick.  

 

« Colère »
 

« Jalousie »
 

« Angoisse »
 

 

Les ressentis des deux nettoyeurs s’entrechoquèrent avec violence, Falcon en intercepta les vibrations. Il lisait l’invisible comme s’il touchait les pages d’un manga dessiné en braille, il en effleurait chaque illustration représentant chaque personnage. Chacun d’entre eux possédait un grain de papier différent. Ceux de Ryo et Mick étaient si proches et différents que cela en était troublant.  

 

Contre toute attente ce n’est pas un café qu’Umibôzu déposa devant les deux nettoyeurs, mais un whisky on the rocks. Surpris, Ryo l’observa avec insistance lorsqu’il posa le verre devant lui.  

 

– Que nous vaut cet honneur ? Commenta le japonais d’un air suspicieux buvant du bout des lèvres l’alcool alors que d’habitude Falcon lui offrait seulement un café noir.  

– Peut-être Le dernier verre ! Ricana Mick sans lever les yeux du liquide « Les Japonais sont si superstitieux » rajouta-t-il malgré lui dans un souffle. Il fronça les sourcils en se remémorant une séquence de sa vie avec Kazue. Grâce à elle, il en avait appris d’avantage sur les codes, les habitudes des Japonais et leurs superstitions. Son cœur se serra malgré lui, car depuis quelques temps, il percevait l’inquiétude grandissante de Kazue. Le couple s’effilochait sans qu’il ne parvienne à rattraper le fil.  

 

Un moment passa sans qu’aucun n’osât prendre la parole. Miki lançait des coups d’œil furtifs en direction des nettoyeurs et de l’horloge dont le tic-tac devenait agaçant. Elle s’apprêtait à demander des nouvelles de la nettoyeuse et voire peut-être en découdre avec Ryo, mais elle se ravisa, ce n’était sûrement pas le moment.  

 

– Tu avais besoin de te trimballer avec ce machin ? Remarqua l’Américain en effectuant un mouvement de tête en direction du flacon qui trônait fièrement sur le bar.  

Intriguée, Miki plissa les yeux en direction de l’objet car elle ne l’avait pas remarqué tant elle demeurait concentrée sur la gestion de sa colère qui ne demandait qu’à être déversée sur le nettoyeur.  

 

– Qu’est ce que c’est ? Interrogea-t-elle en se rapprochant de l’objet.  

 

– C’est le cadeau qui accompagnait la carte d’invitation pour la soirée de Hanafuda envoyée par Eiji, répondit le nettoyeur. « J’aimerai savoir à qui appartient cette phalange » Rajouta-t-il.  

 

Après un mouvement de recul, Miki sourcilla devant ce lugubre présent.  

– Ha non Ryo, regarde bien ce n’est pas seulement une phalange mais un doigt entier, Déclara-t-elle avec dégoût  

 

Le nettoyeur faillit recracher sa gorgée d’alcool à l’écoute de la remarque de Miki. Il se raidit en constatant qu’elle avait bel et bien raison.  

Comment n’avait-il pas vu ? comment n’avait-il pas remarqué ? Pourtant... La différence était très importante. Dans un effort de concentration, il repartit dans ses souvenirs pour comprendre sa signification. Le monde des yakuzas avaient été quelque part le sien, surtout à ses débuts en débarquant sur le sol japonais.  

 

– Cela veut dire quoi ? Demanda Mick piqué par la curiosité.  

Falcon lui répondit :  

– Lorsqu’un yakuza se coupe une phalange c’est qu’il a fauté. On parle de doigt mort. « Shini yubi »Mais lorsqu’il se sectionne le doigt entier, on l’appelle de Iki yubi… le doigt vivant. Il est fait pour mettre fin à un conflit en donnant le doigt de la personne incriminée au clan adversaire.  

 

Stupéfait, Mick regarda le japonais droit dans les yeux  

 

– Cela veut dire qu’Eiji cherche à mettre fin à cette fanfiction ? Questionna l’Américain.  

 

Autant surpris que Mick, Ryo observa ce doigt…  

 

– Je n’en sais rien, Mick je n’en sais rien… Avoua le nettoyeur en mettant de côté toute la rancune qu’il pouvait avoir contre l’Américain.  

 

– « Il vient certainement te livrer le doigt de l’homme qui a agressé la tenancière. » Ajouta l’ancien mercenaire en omettant volontairement de prononcer le prénom gênant.  

 

– C’est possible, Répliqua d’une manière évasive le japonais qui de toute évidence semblait troublé par cette éventualité.  

 

Le silence qui s’imposa à cet instant permis à chaque personne de réfléchir mais il fut brisé.  

 

« Il s’agit peut-être aussi d’un appel à l’aide, peut-être une main tendue » Rajouta Umi d’un ton impassible.  

– Désolé pour le jeu de mot Ajouta-t-il.  

 

Sourcillant à la remarque du mercenaire, Ryo réfléchissait.  

 

– Un appel à l’aide ? répéta-t-il de plus en plus déconcerté par la tournure des évènements.  

– De l’aide mais pourquoi ? Enchaîna l’Américain « D’ailleurs cette invitation dans quel but ? Il invite à jouer ? À discuter ? On ne sera pas seuls… J’ai du mal à comprendre sa démarche. »  

 

 

 

Au fil des chapitres, Ryo ne parvenait pas à mettre un adjectif bien précis sur cet insolite ennemi pour le qualifier. Quelle étiquette devait-il mettre sur ce personnage. À première vue, cela paraissait évident : il était un yakuza de la famille, donc il s’agissait d’un ennemi potentiel au vu des derniers événements. Malgré les faits, quelque chose le gênait dans l’intrigue. Un contretemps dans cette rythmique écrite. De plus, ce présent atypique que lui avait accordé Eiji rajoutait une épaisseur au brouillard entourant cet étrange personnage. L’ascension de cet homme auprès de Watanabe semblait étrange et rapide. Son attitude ambivalente décontenançait toute analyse. Contradiction était bel et bien le mot.  

 

– Soit il sait ce qu’il fait mais joue dangereusement avec le feu, soit ce type est complètement givré, Admit Ryo d’une manière pensive. « Saeko m’a informé que le premier lieutenant de Watanabe avait été abattu sur Osaka. Si les rumeurs sont fondées, Eiji serait bien en tête de liste pour le remplacer. Ainsi, ce soir, ce n’est pas un simple Yakuza que nous irons voir mais le bras droit de Watanabe en personne. Ce qui change beaucoup de chose dans cette entrevue » rajouta le nettoyeur  

Mick se redressa de son siège.  

 

– Hein ? Que faisait-il sur Osaka vu la situation actuelle sur Tokyo ? Abattu, tu dis ? Mais par qui ? Questionna l’Américain surpris par cette nouvelle.  

 

– Aucune idée, l’enquête est en cours d’après ce que m’a dit Saeko. Il y a beaucoup de tension car un mouvement anormal de Yakuzas a été détecté. Partant sur Osaka et les USÀ… Ce qui veut dire que quelque chose se prépare... Mais quoi ? La prise de contrôle du territoire certainement mais ce qui me perturbe ici ce n’est pas l’objectif à proprement parler car il semble des plus banals.  

– Qu’est ce qui te perturbe ? Demanda Mick troublé par les observations du nettoyeur.  

– Le sens de ces incursions, bien sûr ! Affirma Ryo. En temps normal c’est Tokyo qui est très convoitée. D’où la présence de Watanabe ici… Nous pensons depuis le début qu’il est ici pour posséder le territoire. Il en rêve ! Il rêve d’avoir Tokyo. Ce n’est pas un scoop ! Il est ici pour ça. Mais dans un même temps et nous n’avions pas remarqué, il y a une étrange agitation à l’ouest puisqu’une tripotée de Yakuzas semble vouloir profiter de l’air d’Osaka, voire même des USA. Est-Ouest… Tokyo… Osaka… Voire USA. Il y a quelque chose qui cloche. Et si… tout ceci n’était qu’un traquenard ?…  

 

– Un traquenard ? Rebondit Umi  

 

– Oui une diversion… Nous nous sommes concentrés sur ce qui se passe ici sur Tokyo en étant certain que Watanabe est ici pour en découdre, mais de toute évidence quelque chose se forme à Osaka. Je n’ai jamais vu cela auparavant. Déclara Ryo d’un calme des plus troublants.  

 

Cela ne devait pas être l’alcool qui lui déliait la langue mais Mick ne put s’empêcher de montrer son désappointement face aux dires de Ryo. Il replongea son regard dans son verre vide et devint anxieux. Il avait dû apprendre les codes régissant le milieu japonais, son fonctionnement qu’il ne connaissait que de loin. On lui avait dit que l’année 1991 était l’année de transition, l’amorce d’un déclin programmé. Peut-être cela était-il vrai, mais personne ne pouvait encore savoir quel en serait son nouveau visage. Il lança en regard en direction du Japonais et ne put s’empêcher d’être inquiet pour ce dernier, sans en comprendre réellement la raison et ceci malgré les tensions récentes entre eux. Il restait son ami. Bien qu’il ne laissât rien paraître, Ryo sentait le regard de l’Américain sur lui, il était tout autant soucieux que lui, à cause des informations que Saeko lui avait passées, car il s’agissait bien là d’une première dans sa carrière de nettoyeur.  

Il n’était pas le seul nettoyeur existant au Japon, loin de la, mais certainement le plus connu et le meilleur, bien qu’il soit devenu un simple garde du corps. Son passé le suivait et le traquerait toujours, jusqu’à la fin.  

 

 

Le tic-tac de l’horloge les rappela à l’ordre.  

 

– Ryo, Mick ne tardez pas ! Intervint Umi bien conscient de l’ampleur et de la complexité de la situation.  

 

D’un commun accord, les nettoyeurs avaient décidé de prendre la voiture bien que la soirée ne se déroulât pas si loin que cela. Néanmoins, ils préféraient la garer un peu plus loin et faire le reste du trajet à pied. Ils avaient attendu que la soirée soit déjà bien engagée pour s’y rendre afin d’avoir une vue d’ensemble avant de faire leur entrée. Une tension des plus étranges s’abattit soudainement dans l’habitacle. Le silence du ciel paraissait suspect, comme s’il retenait ses grondements ou qu’il préparait une nouvelle offensive. Le trajet se fit dans le silence car le malaise entre les deux hommes demeurait palpable. Mick avait renoncé à cacher ses sentiments et Ryo l’avait bien entendu remarqué dès qu’il avait franchi la porte du salon. L’Américain ne regrettait rien car il avait fait ce qu’il avait pu. Inquiet pour Kaori, il n’était pas parvenu à la faire parler, alors qu’elle s’était laissé aller à ses émotions en se réfugiant entre ses bras. Si Ryo n’était arrivé que plus tard, peut-être aurait-elle craqué et lui aurait-elle certainement dit ce qui la rendait si invisible et si agitée.  

 

– Comment as-tu imaginé notre arrivée, Mick ? interrogea Ryo bien décidé à ne penser qu’à sa mission tout en écartant les problèmes personnels.  

 

– Je suis partagé, je me dis cela peut être un guet-apens mais j’ai du mal à le croire tellement cela paraît gros. Surtout avec ce machin dit-il en regardant le bocal entre ses mains.  

 

– Je ne pense pas que cela en soit un, Affirma Ryo.  

 

– Mais bon Dieu comment peut il organiser une telle soirée sous le nez de son chef ? Et pourquoi ? Cela me dépasse... Tu ne vas pas me dire que Watanabe n’a pas des oreilles qui traînent partout. Il doit être au courant. Ce n’est vraiment pas net tout cela ! Expliqua l’Américain.  

– Mon informateur a mis du temps pour avoir des informations concernant la soirée, cela n’a pas été une mince affaire… Et c’est bien Eiji qui nous a permis d’en savoir plus. Je pense qu’il a bien verrouillé la soirée et tout a été calculé… Mais il prend certainement des risques. Oui… Il reste un joueur compulsif mais avec l’assassinat du premier lieutenant de Watanabe, je ne sais pas s’il va modifier ses plans ou pas, conclut le nettoyeur en prenant la direction de Ikebukuro 池袋.  

 

 

 

Ikebukuro 池袋  

 

1 Chome-16-3 Higashiikebukuro, 豊島区Toshima-ku, Tōkyō-to 170-0013  

 

Lorsqu’ils arrivèrent aux abords de la gare d’Ikebukuro, une fine pluie se mit à tomber et à imprégner les pages du chapitre. L’humidité, la fraîcheur s’étaient invitées à l’atmosphère orageuse, conférant un peu d’air et un tout autre ressenti en ce nouveau lieu.  

 

Après avoir garé la voiture à une distance raisonnable, suffisamment proche afin de pouvoir l’atteindre rapidement en cas de besoin mais suffisamment éloignée pour ne pas attirer l’attention, les nettoyeurs se dirigèrent vers le lieu où se déroulait la soirée de Hanafuda. Ce dernier se situait à l’écart du centre-ville mais restait facilement accessible à pied, ce qui leur permettrait de faire un petit tour de repérage bien qu’ils sussent que leurs figures n’étaient pas inconnues du milieu. Ils avaient tous deux pris la peine de revêtir des costumes, prenant l’apparence d’employés ordinaires rentrant chez eux après une journée éreintante au bureau. Ils se fondirent dans la foule.  

 

Les nettoyeurs longèrent la grande avenue où se côtoyaient nombreux restaurants, des karaokés, des magasins d'anime, ou encore des salles d’arcade d’où s’échappaient les bips des machines et les clameurs des joueurs chevronnés.  

 

 

Le tumulte des badauds et la circulation malgré l’heure tardive conférait un air festif à cet endroit.  

 

Après avoir parcouru quelques mètres, ils arrivèrent au pied du célèbre Sunshine 60 (サンシャイン60) dans le complexe Sunshine City. Il s’agissait du plus haut gratte-ciel de Tokyo jusqu’en 1991 qui serait dépassé d’ici peu par le siège du gouvernement métropolitain de Tokyo. Instinctivement les nettoyeurs levèrent la tête en direction du ciel. Bien qu’il soit illuminé, avec la pénombre de la nuit, ce bâtiment semblait être un titan veillant sur son territoire ou encore surgissant de la noirceur à l’affût d’une proie comme dans l’œuvre Shingeki no Kyojin de Hajime Isayama.  

 

D’ailleurs, cet endroit semblait approprié pour ce parallèle manganesque songea Ryo en constatant qu’ils étaient arrivés aux abords du parc Naka-ikebukuro, très apprécié des fans de cosplay. Le hasard voulut que ce soir-là, un rassemblement de passionnés ou de fans de manga eût lieu. Un attroupement joyeux s’était formé dont les éclats de voix lui parvinrent. En remarquant tout ces personnages issus d’un autre monde, Ryo fut troublé, et ralentit le pas malgré lui pour considérer tout ces célèbres visages. Un malaise, une incompréhension s’immisça en lui sans en comprendre la raison. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’il apercevait ce genre de rassemblements qui fleurissaient un peu partout dans les villes.  

 

Il reconnut ainsi Eikichi Onizuka, l’un des plus célèbres professeurs, avec sa vision de l'enseignement totalement décalée par rapport aux pratiques habituelles. Sasuke au côté de Naruto revisitait le monde des Shinobi, suivi de près par Haruo de High Score Girl dont la passion pour les jeux vidéo donnerait aux plus récalcitrants l’envie d’y jouer. Pikachu apportait, quant à lui, une touche enfantine à ce groupe très hétérogène.  

 

Et lui, Ryo Saeba que représentait-il dans ce décor de papier ? Par moment, le nettoyeur avait l’impression de vivre dans un univers parallèle peuplé d’histoires aussi incroyables les unes que les autres qui faisaient la marque du Japon en matière de manga et d’animés. Mais au Japon, ils semblaient bel et bien être dans un monde à part avec des codes spécifiques.  

 

 

– Hé Ryo ! Interpela Mick étonné de voir Ryo ralentir le pas pour examiner les badauds « Tout va bien ? Tu as vu quelque chose ? » Rajouta-t-il discrètement en se rapprochant de lui.  

 

– Tu n’as pas l’impression parfois, Angel, de vivre une vie dont tu n’es pas certain qu’elle soit réelle ? Ou l’impression d’être juste un pantin qui ne décide pas vraiment de ce qu’il fait ? Demanda le nettoyeur les yeux rivés sur ces personnes parées de maquillage, de masques à l’image de super-héros empêchant de voir leurs vrais visages.  

 

– C’est quoi ces conneries ? Lança Mick d’un rire nerveux, Bien que lui-même ait eu parfois le même ressenti.  

 

Sourcillant à ce petit laps de temps suspendu dans leur course folle, Ryo reprit la marche en rétorquant :  

 

– Rien… C’est trop subtil pour ton esprit Angel, allons-y !  

 

Mick allait protester mais se rétracta en haussant les épaules puis emboîta le pas au nettoyeur.  

 

Ils passèrent devant une grande statue représentant une chouette célèbre qui rappelait de nombreux souvenirs à ceux qui la connaissaient. Elle reposait sur une pile de livres représentant l’univers littéraire. Cette statue leur indiquait qu’ils arrivaient au deuxième repère avant de parvenir à destination.  

 

 

Puis, ils bifurquèrent vers des petites rues adjacentes où le calme reprenait peu à peu ses droits. Au fur et à mesure des mètres parcourus, le tumulte diminuait pour laisser place à un calme beaucoup plus marqué, tout en ayant arrière-plan le bruit de la circulation. Il n’était plus question de rêvasser, car ils approchaient du lieu dit. Vérifiant régulièrement qu’ils n’étaient pas suivis, ils furent surpris de la facilité avec laquelle ils parvinrent à destination. Il s’agissait d’une rue banale composée de pavillons, jalonnés d’imposants poteaux électriques. Celle dans laquelle la soirée de Hanafuda se situait à l’angle de deux rues.  

 

Ryo analysa avec insistance la maison située à plusieurs mètres de lui pour être certain que cela n’était pas un piège dissimulé. Ce ne serait pas le premier qu’on lui tendait dans ses aventures. La maison semblait être en travaux car des sacs de ciment étaient déposés à même le trottoir qui longeait la clôture. Il observa également les ruelles environnantes au cas où ils devraient partir dans la précipitation. Des indics étaient dispersés un peu partout sur Ikebukuro,bien entendu, mais ses deux meilleurs éléments étaient pris ce soir : l’un était déployé ce soir-là pour surveiller Okuni, tandis que l’autre avait été envoyé à la recherche de Kaori pour savoir si elle était bel et bien chez Eriko.  

 

– T’es certain que c’est ici ? Souffla Mick plus habitué aux réunions dans les entrepôts que dans des logements ordinaires.  

 

– Oui c’est bien ici ! affirma le nettoyeur.  

 

Le seul signe apparent qui trahissait un événement particulier fut la sortie de deux hommes, qui se postèrent devant le portail de la maison, occupés à fumer et à discuter, d’ailleurs, ils ne semblaient guère aux aguets. Ils paraissaient être de simples convives ayant décidé de prendre l’air et de fumer ensemble une cigarette. Mais il ne fallait pas s’y méprendre, il s’agissait de yakuzas, de surcroît d’origine coréenne. Leur accent les trahissait.  

 

Les fenêtres illuminées indiquaient la présence de personnes à l’intérieur de la maison, mais ils avaient pris soin de rabaisser tout les stores pour éviter que des yeux curieux s’y attardent. Les yeux rivés sur la maison Mick ne détectait aucune présence menaçante hormis des deux hommes postés devant l’entrée.  

 

– Alors qu’est ce que tu proposes Ryo ? Demanda Mick les yeux rivés sur la porte d’entrée.  

 

– On y va tout simplement ! Nous sommes invités, pourquoi faudrait-il passer ailleurs que par l’entrée principale ?  

 

– Cela semble si évident ! Déclara l’Américain avec ironie. « Il y a vraiment quelque chose de bancal dans cette histoire » marmonna t-il pour lui-même car il était inquiet : leur venue pouvait être risqué, créer un mouvement de panique au sein des invités. Certains sous le coup de la pression pouvaient avoir la gâchette facile. Tous devaient faire partie de près ou de loin au milieu, peut-être des yakuzas, ou des malfrats sans affiliation, de différents horizons. Voir le nettoyeur numéro du japon pourrait s’apparenter à un affront. Mais il voyait dans le présent d’EIJI comme une invitation à s’engager dans la partie sans ces inquiétudes. Il n’avait rien à craindre. Cela pouvait être un coup de poker mais après tout, n’était-il pas là pour jouer ?  

 

– Tu ne peux pas tenir ton cadeau, demanda Mick dans un souffle en regardant d’un air dégoûté le récipient.  

 

Après avoir vérifié qu’il avait le mot accompagnant du cadeau, le nettoyeur s’empara du présent et ouvrit la marche. Mick lui emboîta le pas en soufflant légèrement comme pour se donner davantage de courage.  

 

– Il les a tous battus ! Les dés ! Waouh ! Comment ils les a tous dégagés ! S’exclama le veilleur.  

 

Grand de taille, le guetteur semblait absorbé par une discussion passionnante.  

 

« … Je te parie trois contre un qu’il va gagner à coup sûr… Sinon il n’aurait pas fait le déplacement ici » Ajouta-t-il tout en tirant une bouffée de sa cigarette.  

 

– Min Hun a toutes ses chances, Déclara l’autre convaincu de ses dires.  

 

– Min Hun ? Tu plaisantes ? Je suis persuadé qu’il le dégage d’ici la fin de la soirée ! Affirma le plus grand.  

 

À peine avait-il énoncé ces dires, qu’il s’interrompit en apercevant deux hommes se diriger vers eux. Aussi confondus l’un que l’autre en reconnaissant Ryo Saeba qui marchait d’un pas tranquille vers eux, les veilleurs ne savaient pas quelle attitude adopter.  

 

– Désolé du retard ! S’excusa le nettoyeur sourire aux lèvres en s’arrêtant à quelques pas des deux hommes.  

 

Après avoir lancé un regard en direction de son acolyte, le plus téméraire lui demanda d’un air médusé par sa présence improbable :  

 

« Vous êtes conviés ? »  

 

– Et comment ! Eiji en personne m’a envoyé une invitation. Et il faut que je le remercie de ce présent ! Ajouta-t-il en exhibant fièrement le bocal contenant le doigt sectionné.  

 

Le Coréen eut un mouvement de recul en reconnaissant l’objet contenu dans le récipient car il représentait la menace qui planait sur tout les yakuzas récalcitrants et désobéissants. L’un des deux hommes parla dans un murmure, par le biais de son oreillette pour informer de la situation les hommes situés à l’intérieur du pavillon.  

 

–Nous sommes déjà bien en retard ! Insista le nettoyeur en percevant le scepticisme et l’hésitation des deux hommes.  

 

Il put enfin détecter la voix émise dans l’oreillette de l’homme. Celui-ci hocha la tête et fit un signe discret à son coéquipier, et d’un mouvement rapide, il se recula pour laisser passer les nettoyeurs.  

 

Ils franchirent la barrière métallique et rejoignirent la porte d’entrée de la maison d’où trois hommes sortirent afin de les accueillir. Un nouveau barrage à franchir. Une légère tension semblait planer sur les hommes, mais ils conservaient en apparence leur calme. Quelques mots coréens furent prononcés, puis après les avoir détaillés du regard eux aussi firent un geste d’approbation et se décalèrent pour les laisser passer.  

 

Les nettoyeurs traversèrent un vaste corridor dépouillé de toute décoration, les murs immaculés, accentuaient le vide et l’impersonnalité des lieux. L’entrée ne contenait qu’un casier en bois destiné à y ranger les chaussures des visiteurs, sauf que ce soir, personne ne semblait avoir pris la peine de se déchausser. À ces observations rapides, Ryo en conclut qu’il ne s’agissait pas d’une maison habitée mais qu’elle servait seulement de lieu de rendez-vous, pour des soirées de jeux sur fond d’argent.  

 

La rumeur de leur venue avait dû faire le tour des yakuzas chargés de la sécurité, car Ryo perçut une certaine agitation. La porte située à leur droite, s’entrouvrit avec lenteur, et laissa s’échapper un fond musical, et une forte odeur de cigarette mêlée d’alcool.  

 

Ryo et Mick s’avancèrent avec prudence, lorsqu’ils franchirent la porte, la lumière aveuglante vint les accueillir. Ce fut une fraction de seconde mais suffisamment longue pour que les nettoyeurs ressentent un léger moment de panique et une montée d’adrénaline vint les happer. Une vague de chaleur balaya le visage de Ryo, des bourdonnements de voix essentiellement masculines, parlant Coréen, vinrent lui envahir les oreilles, avec en arrière-plan, les tintements de verre. Le cœur du nettoyeur battait à tout rompre, et semblait même vouloir s’échapper de son corps. Non qu’il éprouvât de la crainte de ce qui l’attendait mais il n’avait qu’une seule hâte en percevant une aura différente, située à plusieurs mètres de lui : celle d’Eiji Ichiji.  

 

 

À cet instant, une surprenante pensée vint le saisir, avec l’impression que sa rencontre avec ce Yakuza permettrait de remettre en place une certaine logique dans cette fanfiction tant il ne parvenait pas à se reconnaitre à certains moments.  

 

Il parcourut d’un œil rapide l’ensemble des personnes présentes, et en remarquant tout ces visages aux traits coréens, il avait plus l’impression d’être tombé en plein hanguk deurama (한국드라마) un drama, une de ces séries coréennes de plus en plus appréciées au Japon.  

 

Soudain, le son semblait s’être disloqué pour s’éteindre progressivement : Le tumulte s’était tu lorsque les têtes se tournèrent en direction des retardataires. Après quelques instants d’incompréhension, des chuchotements se firent entendre. « Saeba », « Angel », des mine graves ou décontenancées, voire paniquées se dessinèrent sur le visage des convives.  

 

Alors que la stupeur s’était invitée, l’organisateur jusqu’alors appuyé contre le mur se redressa en reconnaissant lui aussi l’identité des retardataires, et tourna la tête en direction d’Eiji qui, quant à lui, n’avait pas cillé. « Ce n’était pas du tout prévu », tentait de dire le Coréen décontenancé par la situation. Eiji lança un regard convenu pour le rassurer, et fit un geste discret afin qu’il se rapproche.  

 

Ce dernier s’exécuta et s’abaissa afin d’être à sa hauteur. Le Yakuza lui glissa quelques mots à l’oreille, ce qui eut pour effet l’apaisement voire le contentement de l’organisateur, qui se frotta les mains et incita les spectateurs à se calmer et à s’écarter de la table. Le duo City Hunter put ainsi se rapprocher du centre névralgique de cette soirée, les joueurs éliminés, le public convié s’écartèrent à leur passage.  

 

Le nettoyeur refit une inspection rapide des convives, mais il n’en reconnut quasiment aucun car il s’agissait pour la plupart de Coréens. Il aurait dû s’en douter. Les yakuzas coréens faisaient parti des personnes les plus discrètes du quartier. Il ne connaissait que les gérants les plus populaires du Kabukicho tenant des pachinko. Son regard s’accrocha à un visage familier : ce Coréen-là détenait un bar dans Kabukicho, et semblait être le gestionnaire de cette soirée. Ce dernier qui se rapprocha de la table, se baissa et semblait être en discussion avec Eiji sans qu’il ne parvienne à l’apercevoir. Le yakuza devait avoir des liens privilégié avec les Coréens. Il avait pris la précaution de ne convier des personnes extérieures, du moins en apparence. À cette subtilité, le nettoyeur se réjouit de ce souci de détail. Le cœur du nettoyeur s’accéléra en ressentant les ondes émanant d’Eiji. Il se sentait observé. Le Yakuza l’examinait. Il en était persuadé.  

 

 

 

Adachi (足立区) Arakawa (荒川区)
 

Bunkyō (文京区) Chiyoda (千代田区)
 

Chūō (中央区) Edogawa (江戸川区)
 

Tabashi (板橋区) Katsushika (葛飾区)
 

Kita (北区) Kōtō (江東区)
 

Meguro (目黒区) Minato (港区)
 

Nakano (中野区) Nerima (練馬区)
 

Ōta (大田区) Setagaya (世田谷区)
 

Shibuya (渋谷区) Shinagawa (品川区)
 

Shinjuku (新宿区) Suginami (杉並区)
 

Sumida (墨田区) Taitō (台東区)
 

Toshima (豊島区)
 

 

Raijin (雷神) le dieu du tonnerre et des éclairs venait de conquérir les vingt-trois arrondissements de Tokyo.  

 

Une page entière fut consacrée à cette séquence de ce chapitre. Certes, elle allait être aussi brève qu’un éclair, quelques secondes tout au plus dans cet océan de combinaisons de lettres, mais attendue et redoutée par les lecteurs plongés dans cette étrange affaire.  

 

Un an et demi d’attente pour enfin lire la séquence demandée !  

 

Le héros, l’ennemi pour un face à face inédit… Non pas avec des armes mais avec des cartes de Hanafuda.  

 

À peine avait-il effectué quelques pas que les derniers invités regroupés autour de la table où se déroulait le jeu se reculèrent, certainement sous le coup de l’étonnement face à sa présence improbable en ces lieux. Ce mouvement de foule mit à découvert le Yakuza, dont le regard ne cillait pas et demeurait fixement jeté sur Ryo malgré la barrière humaine.  

 

Le cours de l’histoire et du temps semblait s’être cristallisé, les actions paraissaient s’être figées pour laisser le temps nécessaire aux deux hommes de s’observer. Un moment qu’ils n’oublieraient jamais.  

En faisant abstraction du décor, de la présence des convives les entourant, le célèbre regard de charbon ne perdit pas une seule seconde et commença son analyse : Cela ne dura qu’une fraction de seconde mais suffit à Ryo pour dresser une esquisse du portrait du Yakuza aux multiples visages. Des lèvres convenablement charnues. Les pommettes légèrement saillantes mais assez discrètes. Ses cheveux aussi noirs que les siens. Japonais ? Il n’en n’était plus certain. Le profil du visage ovale, dominé par ces yeux clairs chargés d’histoire, qu’il était impossible de pénétrer. Il nota aussi un certain trouble dans ce regard... De la tristesse ? De la souffrance ? Physique ? Mentale ? De l’agitation ?  

 

Le nettoyeur n’était pas forcément des plus doués pour lire dans la pensée des autres, mais il savait qu’on pouvait repérer la tragédie, la vraie tragédie quand elle se cachait sous la surface d’un regard ou d’un silence. La douleur suintait dans chaque particule ou dans un mot qui valait tout un discours. On pouvait presque toujours deviner par où quelqu’un était passé quand on y regardait d’assez prés et surtout quand on s’y intéressait avec sincérité.  

 

Ryo sourcilla à un autre fait des plus surprenants : Son aura. Son aura paraissait impalpable voir inclassable à se demander si cet homme était bel et bien vivant. La cerner dans son entièreté apparaissait difficile tant elle était virevoltante. S’agissait-il d’un hologramme ? Une simple projection sans consistance réelle ? Face à cet étrange questionnement et bien qu’il fallût toujours demeurer prudent quant aux apparences, le nettoyeur n’éprouva aucune once de danger émanant de sa personne.  

Passées les quelques secondes d’observation physique, Ryo se sentit troublé face à ce jeune homme, car il avait la désagréable et surprenante impression de se revoir lorsqu’il avait débarqué au Japon.  

 

C’était son regard qui l’interpellait car il s’agissait du même regard fixe, mais perdu dans les profondeurs noirâtres de la fosse des Mariannes, cette fosse océanique la plus profonde de la Terre. Loin de ne pas être aux aguets, Eiji était bien éveillé, mais il était aussi ailleurs, la lueur de ses yeux braqués sur lui le trahissait. Son sourire aussi. Il avait beau sourire, une partie de lui-même n’était pas présente en ce lieu.  

 

Deux personnes dissimulées dans un corps, accompagnées d’un masque invisible, d’où, peut-être, l’étrangeté de son aura qu’il percevait par intermittences. Il était indéniable que cette particularité apparaissait comme un point fort dans leur milieu sordide. En l’ayant désormais en face de lui, Ryo comprenait pourquoi Watanabe l’avait pris sous son aile, car il était un de ces éléments très prometteurs, au vu de ses capacités hors-norme à brouiller les analyses. Il pourrait l’aider dans l’aboutissement de son rêve de dominer le pays. Toutefois, cet atout pouvait se relever être un point faible et dangereux. Eiji était instable. Les mains du Yakuza étaient dissimulées sous des gants noirs très fins, qui s’alliaient très bien à son ensemble, et semblaient être comme une seconde peau, mais Ryo n’était pas dupe : cela signifiait très certainement que sa main gauche avait été mutilée. Il avait fauté. Contrairement aux autres yakuzas sa fierté l’obligeait à dissimuler ce fait, donc cela confirmait qu’il n’était pas totalement formaté, et n’acceptait pas la sentence.  

 

Bien qu’il semblât jeune, Ryo capta des ondes mortifères qui l’enveloppaient, il n’allait certainement pas faire de vieux os s’il continuait à brûler toutes ses chances d’ascension, malgré son talent. Le talent ne faisait pas tout, il devait être maîtrisé, et utilisé d’une manière structurée. Or de toute évidence ce n’était pas vraiment le cas ici.  

 

Eiji pouvait être aujourd’hui le premier lieutenant, cela ne durerait pas très longtemps car, de toute évidence, en assemblant toutes les données qu’il possédait maintenant, Eiji obéissait à un tout autre maître : la drogue.  

Peut-être était-il en cure de désintoxication, mais ce maître avait encore emprise sur lui. Il le dévorait et allait certainement le détruire Ou peut-être se ferait-il abattre lorsqu’il ne parviendrait plus à maitriser cet amas de noirceur. Son temps était compté.  

 

Le nettoyeur sourit. Peut-être que le Yakuza avait compris que le nettoyeur avait fini son analyse de sa personne car il déclara :  

 

« Yaku (役 ) ! »
 

 

Je réponds à ton sourire car j’ai compris le sens de ta répartie.  

Je connais la réplique que tu attends afin que nous débutions cette surprenante partie.  

L’auteure de toute évidence elle aussi, car Sugar écrit :  

 

Ryo lui répondit avec la même intonation :  

 

« … Koi-Koi (こいこい) ! »
 

 

Jusqu’alors, les spectateurs de cette rencontre semblaient avoir retenu leur souffle, mais cette tirade entre Ryo et Eiji les tira de leur torpeur.  

 

« Koi- Koi» apparaissait comme signal permettant au temps de reprendre ses droits. Il avait deux significations : une expression utilisée pour relancer une partie mais aussi le nom d’un jeu qu’on utilise avec des cartes d’Hanafuda. Leur dialogue avait une véritable signification codée, et fait surprenant, ils s’étaient instantanément compris.  

 

Les gens qui les entouraient regagnaient en netteté, ainsi que Mick Angel, qui était pourtant aux cotés de Ryo, mais lui aussi apparaissait comme un simple figurant à cet instant.  

 

Le joueur chanceux qui avait réussi à franchir les différentes étapes pour parvenir au jeu de cartes avec Eiji, et atteindre éventuellement la finale, demeura coi. En reconnaissant le nettoyeur japonais, il avait tout de suite compris que le jeu s’arrêterait pour lui ici. Une moue d’insatisfaction et de contrariété s’empara de son visage à l’idée des conséquences de sa présence et surtout du manque à gagner. La colère semblait avoir pris le dessus car il allait passer à côté d’une somme assez conséquente.  

Le joueur déchu allait protester contre une telle injustice, mais le geste d’Eiji l’en dissuada. Le regard du Yakuza croisa le sien et il sourit.  

« Vous serez dédommagé. Je ne pense pas que monsieur Saeba soit venu pour la récompense » lui adressa-t-il en jetant un regard furtif et convenu en direction du nettoyeur.  

 

Le joueur ouvrit la bouche mais se ravisa aussitôt, en lançant un regard sombre en direction de Ryo et Mick. Résigné, il soupira et se leva pour laisser la place aux deux hommes. Mais, il ne perdit pas une seconde et se dirigea vers l’organisateur de la soirée, auquel il n’allait pas manquer de faire part de son mécontentement. Des injures en Coréen fusèrent, des bribes de phrases se firent entendre  

 

« Qu’est-ce que c’est que ce chapitre ? » lui lança-t-il à voix basse.  

S’ensuivit des murmures entre l’organisateur tout aussi décontenancé que le joueur évincé. Malgré les faibles protestations en arrière-plan, Eiji redirigea son attention vers les nettoyeurs. Il gomma le reste. Une nouvelle partie allait commencer Mais une partie d’une toute autre nature… Celle du Koi-koi !  

 

– Vous avez dit koi-koi… Vous avez relancé d’une certaine manière la partie, Monsieur Saeba, Déclara le Yakuza d’une manière solennelle pour réintégrer les lecteurs à la séquence.  

 

Lorsque Mick avait aperçu le visage d’Eiji, son sang s’était figé: Il l’avait déjà vu. Comme une remontée dans le temps, il se voyait dans la rue, bousculant un homme doté d’une casquette à l’effigie de son équipe préférée : les Yankees. Il en était certain, c’était lui ! Cet impertinent lui avait même parlé alors que le meurtre de Jimin-Jang venait d’avoir lieu à quelques mètres de là.  

 

Son sang se glaça. Peut-être Ryo avait-il raison. Il était peut-être l’assassin. Que faisait-il sur les lieux ? À partir dans le sens opposé ? Mick releva les yeux et surpris le yakuza qui le fixait aussi en affichant un fin sourire. D’une manière quasi-instinctive, Mick tenta d’y percevoir de la dangerosité. Mais, son aura était étrange comme flottante.  

 

– À vrai dire je vous attendais avec impatience… Non… En fait… Nous vous attendions tous, vos lecteurs aussi. Déclara le Yakuza d’une voix atone.  

 

– Mes lecteurs ? Releva le nettoyeur, Stoppant son élan pour s’avancer et s’assoir face à Eiji.  

 

– Bien-sur, Murmure-t-il. « Toute personne suivant vos aventures depuis tant d’années » « Karlinx, Didinebis, Patatra, Ben02, Elisabeth, Marzia, Libellule et Kaori 83, Mathieu Réau, et tant d’autres ! Ajouta-t-il en lui lançant un coup d’œil furtif… Très furtif.  

 

Sourcillant à l’énumération de tout ces lecteurs invisibles, Ryo considéra malgré tout les convives invités pour cette soirée de Hanafuda. La plupart lui étaient inconnus, peut-être un ou deux chefs qu’il avait pu croiser, mais ce n’était pas certain. D’autant plus que la majeure partie des personnes présentes était coréenne. Il n y avait pas trace de personne lambda ici et encore moins de fan ou de groupie comme il le lui avait dit à l’instant, il n’y avait que des yakusas coréens pas franchement ravis de le voir en ces lieux.  

 

Le Yakuza semblait être en plein délire. Ses yeux se relevèrent en une fraction de seconde et se plantèrent dans ceux du nettoyeur japonais. Désarçonnant. Ce simple mouvement oculaire contrastait avec l’instant d’avant où il semblait figé dans l’abîme. La manière dont ses pupilles ballottaient de droite à gauche avec une telle rapidité, pouvait désarçonner toute personne prenant le temps de l’observer comme Ryo le faisait. Ses yeux ressemblaient à des billes lumineuses fuyantes par intermittences.  

– « Vous ne comprenez pas l’intrigue n’est-ce pas ? » Lança le yakuza soutenant d’une manière provocatrice de son regard celui du nettoyeur  

 

« Rassurez-vous, moi non plus » ajouta –t-il en esquissant un sourire.  

 

Eiji invita d’un geste les nettoyeurs, à venir s’installer à la table de jeu, face à lui.  

 

« Je vous en prie… Je suis ravi que vous ayez accepté mon invitation »  

 

« Yokoso ! (ようこそ !) Bienvenue, monsieur Saeba, Monsieur Angel. » enchaîna le yakuza d’un ton beaucoup plus chaleureux contrastant avec l’aspect solennel qui jusqu’alors régnait. « Jouons donc à une partie de Koi- Koi ! »  

 

 

 

 

Raijin (雷神) conclut cette séquence par un dernier cri de fureur. Un déchirement se fit entendre. L’air semblait-il s’être scindé ou s’agissait-il simplement d’une page qu’on arrachait ou qu’on rabattait sans ménagement ?  

 

À quinze kilomètres de là, devant l’immeuble des City Hunter. Un coup de tonnerre vint de nouveau éclairer d’une manière fugace le décor lacéré, meurtri, vidé de ses célèbres personnages. Les yokai pouvaient s’envoler à travers les épais nuages qui filaient vers l’ouest comme aimantés par Osaka.  

 

Elle marchait à vive allure afin de regagner au plus vite ses pénates. Son unique préoccupation était de rentrer, prendre une douche bouillante pour relaxer ses muscles endoloris par une journée cauchemardesque qu’elle voulait vite oublier.  

 

 

Un clic. Elle perçut ce clic. Elle se figea sur place. Ses yeux s’agrandirent sous le coup de frayeur que lui infligeait la nature reconnaissable de ce son.  

 

Lui aussi perçut le changement lorsque son regard croisa le sien. Debout, verres à la main, en plein milieu du salon, il venait de lui lancer sa réplique. Watanabe n’en fut pas surpris. Il avait pris un risque, tentait un coup de poker mais il avait de toute évidence perdu.  

 

Une ombre file dans la nuit, c’est un assassin qui s’enfuit.  

 

 

 

Si j’étais d’humeur à poser ma plume, je pourrais admirer ce moment de l’histoire après tout… Il n y aucune raison d’infliger à mon esprit des contorsions aussi peu naturelles, parce que jamais plus je ne contemplerai le dessin et qu’il a été complexe à créer.  

Une fois achevé ce chapitre de cette histoire je n’aurai plus aucun désir de me revoir, penchée sur lui, en train de le dessiner, puisqu’il vous appartient désormais...  

 

 


Capitolo: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15


 

 

 

 

 

   Angelus City © 2001/2005

 

Angelus City || City Hunter || City Hunter Media City || Cat's Eye || Family Compo || Komorebi no moto de