Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prosa

 

Autore: Sugar

Status: In corso

Serie: City Hunter

 

Total: 15 capitoli

Pubblicato: 10-12-18

Ultimo aggiornamento: 07-03-23

 

Commenti: 22 reviews

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ActionGeneral

 

Riassunto: Un étrange Yakuza apparait dans la vie des City Hunter alors que le Japon subit d'importants changements juridiques .Ce monde de trafiquants est traqué par le gouvernement. Troublant, ce Yakuza va venir bousculer le monde des nettoyeurs .

 

Disclaimer: Les personnages de "Yakuza ( ヤクザ/やくざ)" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Sauf Eiji Ijichi , Yoshinori Watanabe

 

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   Fanfiction :: Yakuza (やくざ)

 

Capitolo 15 :: Mizu shobai (水商売)

Pubblicato: 07-03-23 - Ultimo aggiornamento: 09-03-23

Commenti: Bonjour, Publication du chapitre15 en ce début de mois de mars, je suis désolée de ne pas avoir pu le finir et le poster pour la fin d’année, mais cela a été impossible pour moi. Il s’agit d’un chapitre transitoire mais important. il y a un petit point à préciser. Jusqu’à présent l’aspect l’espace temps et historique étaient respectés. Dans ce chapitre, les descriptions de Tobita Shinchi et de l’univers du Mizu Shobai ainsi que certains rites funéraires demeurent exactes. Par contre, les alliances entre certaines familles et de l’évolution de certains personnages réels sont fictifs. Un tournant dans cette fanfiction qui avance mine de rien. Je vous souhaite une bonne lecture avec Yakuza. Big Boussas

 


Capitolo: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15


 

Mizu shobai (水商売)
 

 

Elle emplissait le vide de sa voix mélancolique. Sans se soucier des rafales de vent qui la charriaient, elle sautillait, dansait tout en poursuivant son chant entêtant à travers les venelles détrempées.  

 

Flap
 

flap
 

flap
 

 

Quasiment inaudible, la pluie chuchotait de sa voix suave des mots issus d’un autre langage. Les lecteurs les percevaient-ils, eux aussi ?  

 

Elle s’infiltrait dans le corps pour se propager comme une ode envoûtant les sens, pour ensuite s’enfoncer dans la source de nos secrets. Elle s’y déversait.  

 

Les gouttelettes, telles des notes de musique, formaient autant d’octaves, différents selon leur point de chute. Ensemble, elles formaient un hymne bien spécifique à Osaka.  

 

Un index vint étaler l’une d’entre elle un peu plus salée que ses comparses sur l’illustration en noir et blanc, le mouvement était net et précis mais lent pour laisser le papier s’imprégner de sa présence. Le décor se modifiait sous ce doigt invisible, il se métamorphosait pour laisser place à une masse sous laquelle les lignes du paysage s’estompaient pour accentuer cette atmosphère d’humidité qui l’encerclait.  

 

Mizu (水)
 

 

L’eau….
 

 

 

À l’instar du feu, Mizu pouvait elle aussi tout ravager sur son passage si elle en avait décidé ainsi….Selon ses humeurs, elle se montrait apaisante, fascinante, pour ensuite devenir une vague violente et terrifiante.  

 

 

Il s’agissait d’une pluie qu’il n’appréciait guère, car au premier abord, elle paraissait légère, sans incidence, mais elle trompait par sa douceur et sa discrétion. Subrepticement, elle se déposait, s'infiltrait pour le tremper jusqu’aux os ! Jamais il n’avait autant cogité sur la pluie que depuis qu’il avait été muté ici. D’un geste vif, il remonta le col de sa veste tant l’humidité le faisait grelotter. Il ne souhaitait plus l’écouter.  

 

Faisant mine de lire une affiche placardée à un poteau, promettant le pays des merveilles aux âmes esseulées, il jeta un coup d’œil vers l’établissement qu’il surveillait. Quelques minutes auparavant, un homme était en pleine conversation avec une vieille dame avant qu’il ne reparte d’un pas pressé. Il semblait contrarié mais, surtout, il avait remarqué qu’on le surveillait. Intuition. Cela n’avait aucune importance ; Okubo avait aperçu ce rictus trahissant sa nervosité. L’homme avait détalé comme un lapin de peur d’être poursuivi. L’idiot ! Il n’allait certainement pas lui courir après, cela n’était pas nécessaire pour le moment. Néanmoins, il était trop tard pour lui, il avait enregistré son visage dans sa mémoire. En moins de deux, il trouverait son identité bien qu’il en eût déjà une petite idée car, en réalité, il l’avait déjà aperçu. Un yakuza.  

 

Un schéma se dessinait doucement dans sa tête, « pas assez vite ! », selon les dires du lieutenant Saeko Nagomi de Tokyo, mais Okubo n’appréciait pas qu’on le bouscule durant une enquête, surtout lorsqu’un héros de manga y était mêlé : Ryo Saeba.  

 

L’inspecteur bifurqua dans la rue de droite afin de disparaître complètement du champ de vision de la femme postée devant l’entrée. Malgré son âge avancé et son apparence sereine rehaussée d’un sourire obséquieux, se dissimulait derrière ce masque de tranquillité et de douceur une âme carnassière. Connue dans le quartier pour sa poigne mais aussi pour son professionnalisme, cette mama-san dirigeait ses filles d’une main de maître, d’après les dires, les clients étaient satisfaits de sa maison close. De la où il se situait, il perçut sa voix familière, concurrençant la pluie, pour héler un jeune homme intimidé, qui s’était arrêté et qui hésitait à succomber aux tentations.  

 

– Je vous en prie, jeune homme, venez, venez ! fredonnait-elle avec l’accent typique du Kanzai-ben pour faire fléchir la pudeur inutile de ce futur client.  

.  

 

Il porta son regard vers la grande baie vitrée accolée à l’entrée, y aperçut une jeune femme assise sur le sol. Entourée de coussins de velours rouge vif en forme de cœur et des célèbres nounours « Hello Kitty », cela aurait pu ressembler à une mise en scène enfantine, mais on comprenait bien vite à l’habit de la jeunette qu’il ne s’agissait pas de jeux d’enfants. Vêtue d’un ensemble d’écolière mais avec la particularité d’avoir une coupe échancrée mettant en valeur sa poitrine, sa tête était inclinée sur le côté, pour donner encore plus de candeur et d’innocence à l’ambiance malsaine. Deux projecteurs étaient installés de chaque côté de la pièce, braqués sur elle, pour mettre en valeur le produit à louer. Immobile, elle ressemblait à une poupée de cire. Un sourire à peine ébauché. Figée.  

 

Il s’agissait d’un système de racolage unique au Japon, à Tobita Shinchi (飛田新地).  

 

La moue écœurée que revêtit le visage de l’inspecteur trahissait à chaque fois son dégoût viscéral devant ce dessin bien sordide. Quel âge avait-elle ? Triste vie, terrible destinée pour cette jeune fille esseulée, songea-t-il en tentant de voir malgré tout une note de couleur, une étincelle de vie dans ce regard à peine dessiné. Il semblait éteint, ce regard. Bien que ce ne fût pas la première fois qu’il assistait à cette scène de proxénétisme, son cœur ne s’y habituait pas.  

 

La misère humaine semblait sans fond, se répétait-il avec désespoir, déambulant dans le plus grand bordel du Japon. Le côté traditionnel de ses maisons se distinguait de la modernité actuelle pour falsifier cette réalité nauséabonde de perversité. Il avait la sensation d’être remonté dans le temps, car ici les autorités laissaient encore le Mizu Shobai tranquille. Trop tranquille. Il ressemblait à une rivière paisible, où rien ne venait perturber son rythme.  

 

Flap
 

Flap
 

Flap
 

 

La pluie s’intensifia
 

 

 

Bien qu’il ne l’eût pas vu arriver, Daisuke avait perçu un regard, une présence. Déjà irrité par la vieille chouette, il avait abrégé leur conversation pour se hâter de sortir du quartier, ayant compris qu’ils étaient surveillés.  

 

À son allure négligée, son air détaché voire blasé, il avait tout de suite fait le rapprochement avec cet inspecteur dont Shigeo Nishiguchi, son oyabun, lui avait ordonné de se méfier. Une anguille. Une fouine, autant de qualificatifs peu élogieux qu’il avait débités pour lui dessiner un fait important : considéré comme un personnage redoutable, doté d’un flair imparable ici, à Osaka, il était dangereux. De plus en plus célèbre, l’inspecteur demeurait malgré tout discret mais venait trop souvent fouiner ici depuis quelques jours. Or, il fallait vite l’effacer, le gommer. Un filament invisible s’était ébauché malgré eux entre Kabukicho et Tobita Shinchi. Lui.  

 

Contrarié par cette donnée, Daisuke déglutit en sentant la nervosité le gagner car il avait désormais pour mission de modifier ce fait gênant ; tout n’était pas encore prêt pour le chapitre final. Putain. Il se retrouvait là, seul comme un con, sous la pluie à s’enfuir comme un rat car il n’avait toujours pas trouvé comment se débarrasser de cet emmerdeur.  

 

Où était passé Sandayu, d’ailleurs ? Il avait des comptes à régler avec lui, mais il semblait avoir disparu ! Gommé ! Aurait-il été éliminé par Watanabe ou son pote Eiji ? Fallait dire qu’il n’était pas très futé, ce type.  

 

Shigeo Nishiguchi lui avait confié, sur un ton moqueur, qu’il ne fallait jamais faire confiance à un type qui avait trahi sa propre famille, ce qui signifiait que dans tous les cas, Sandayu ne ferait certainement pas de vieux os au sein de la famille Sumiyoshi-rengo. D’une nature fourbe, Nishiguchi était un vrai serpent. Mais bon, ici, dans son cas il n’aimait pas ces silences de certains personnages car cela le rendait parano. Il pressa le pas. Daisuke respira un peu mieux lorsqu’il arriva sur la grande avenue.  

 

Il s’assura encore une fois que cette fouine ne le suivait pas, ce n’était certainement pas le moment de se faire coffrer. Il n’aurait pas dû apercevoir son visage. Angoissé par son manque de vigilance, il devait se ressaisir, par tous les moyens, car il préparait son avenir à lui aussi. Un échec ne serait pas admis car il s’agissait de sa dernière chance, il savait qu’il devait pas se foirer, surtout pas ici.  

 

Rien à foutre de Ryo et de sa clique. Ha, et Eiji aussi, il savait plus les saquer. Ryo et Eiji… Ces deux-là, il les haïssait autant l’un que l’autre pour différentes raisons. Le premier se tapait son « ex » et ce Yakuza fêlé ne semblait pas être aussi le yakuza fidèle à son maître que l’on avait présenté dans les premiers chapitres.  

 

Il voulait en finir avec tout cela, car, lui, voulait maintenant se poser tranquille et se faire un maximum de pognon. Elle pouvait encore le juger comme un homme hédoniste, aujourd’hui, il s’en fichait.  

 

Mais tout de même, en y réfléchissant, il avait été déçu par Watanabe qui, lui aussi, avait disparu de la circulation. Supprimé ? Ou utilisait-il lui aussi la technique Thanatose ? En fait, il le trouvait aujourd’hui con comme ses pieds de rêver de grandeur pour lui et son protégé. Limite, cela aurait pu être touchant, cette connerie sentimentale. Il croyait vraiment que Shigeo Nishiguchi était prêt à faire du véritable business avec lui ? Croyait-il qu’il n’avait pas remarqué son double jeu, à laisser Eiji faire capoter les petits coups de pression prévus ? Il avait été aussi naïf alors qu’il était réputé pour son intelligence. Mais fallait dire que, dans le milieu, on était toujours le con de quelqu’un…  

Watanabe n’avait même pas remarqué qu’il s’était lui-même fait rouler dans la cocaïne par Nishiguchi en se laissant attirer jusqu'à Tokyo.  

 

Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort, et c’est exactement ce qu’était Nishiguchi. Même lui qui le côtoyait de près ne savait pas exactement ce qu’il avait dans la tête, juste quelques lignes, car ce dernier ne faisait confiance à personne, pas même à sa propre ombre. Pour dire !... Les oyabun étaient de vrais paranos, complètement givrés à vivre toujours ainsi dans la crainte d’une trahison.  

 

Ici, Daisuke risquait gros, et il n’était pas encore sorti d’affaire, dans cette fanfiction. Que ce soit ici ou au Kabukicho..  

 

Trahison sur trahison.  

 

De fausses alliances.  

 

Rien n’était vrai, ici.  

 

Voilà quelle était la réalité du milieu du Mizu Shobai dans lequel évoluait cet héros de manga condamné.  

 

Un haut-le-cœur, une suée désagréable lui saisirent le corps tant la tension devenait insoutenable. Ruminant mille et une insultes, il hésitait à informer l’oyabun que l’autre inspecteur l’avait vu. Et pis, non, il dirait rien. Qu’il aille se faire foutre, cet agent de mes deux, rien à cirer !  

 

Il devait penser à son intérêt, lui aussi, à son business qu’il ferait fructifier après que tout soit fini. Un paquet de fric à se faire s’il menait habilement la barque à sa faveur.  

 

Afin de faire taire ses tremblements et sa colère, il prit avec difficulté une cigarette. Fatigué de cette tension mentale, il voulait rentrer au plus vite dans sa planque pour se reposer et se prendre un cacheton. Encore un. À cette pensée, une grimace de dégoût se dessina sur son visage déjà contrarié et fatigué.  

 

Il s’était montré naïf ou idiot quand Nishiguchi lui avait vanté les qualités de ces nouveaux cachets, alors que lui voulait juste sortir de ce merdier. Elle l’avait quitté aussi pour ça, pas vrai ? Ouais, vraiment il avait été un abruti fini d’écouter les salades du grand chef qui lui vantait qu’il serait zen, détendu, « tu vas être bien ! » qu’il avait dit… Conneries, tout ça !  

 

Et voilà, le résultat, lui, au début, il bouffait ça comme des bonbons pour pouvoir pioncer et être tranquille au pieu, car le sommeil avait disparu comme cette salope. Putain ! Il se retrouvait à s’abrutir comme un débile toute la journée, langue collée à son palais desséché, le cerveau vide, comme un ordinateur HS, qui ne répondait plus de rien. Il aurait dû juste continuer à boire, ouais c’était pas top, mais au moins, les trucs cools devenaient encore meilleurs tellement elle l’avait écœuré en se foutant de sa gueule. Il supportait mieux les emmerdes avec du whisky, cela revenait même moins cher et, en plus, il était content d’avoir sorti cette poudre de merde de son organisme, mais non ! Aujourd’hui il crevait pour des cachetons. Troquer une drogue contre une autre… Quelle évolution, pas vrai ? Quelle vie de merde !  

 

Les gens se retournaient au passage de cet homme qui semblait avoir perdu totalement la raison et qui éructait sans retenue sa rage. Mais lui, il en avait rien à cirer, des gens ou encore de sa vulgarité, ha cela aussi, elle le lui reprochait ! Qu’elle crève aussi, celle-là ! Là maintenant tout de suite, il voulait juste prendre sa dose. Sa dose. Elle lui manquait cette dose. Cette pensée le calma. Un peu. Un peu de vérité dans cette noirceur oppressante. Elle lui manquait, se répéta-t-il encore une fois. Une détresse insoutenable lui arracha le cœur.  

 

Elle était là. Tapie dans l’ombre, surgissant à n’importe quel moment de la journée, elle ressemblait à un de ces Yokai dont la mission aurait été de le tourmenter sans relâche. À cet instant précis, il se sentait pathétique d’avoir le cœur trop sensible lorsqu’il s’agissait de cette putain des bas-fonds. Enfin, c’était lui,qui l’avait fait devenir ainsi. Un peu.  

 

« Tu n’es qu’un raté. »  

 

Il s’arrêta et regarda partout autour de lui.  

Il aurait juré entendre sa voix. Bordel, il délirait ! Il devenait fou !  

 

Sa voix résonnait dans son cerveau comme la pluie. Goutte après goutte, elle parvenait encore à s’infiltrer comme l’eau dans ses pensées bien sombres. Elle le faisait devenir dément. La rage s’invitait dans ces moments-là. Cette garce savait appuyer là où cela faisait mal, très mal. Le pire, elle avait appris à en jouer avec une certaine agilité pour pouvoir s’éloigner de lui.  

 

Il y a un certain temps, il aurait juré avoir ressenti de la haine à son égard, de la rancœur aussi, mais, en vrai, c’était des conneries, des mensonges, il ne parvenait pas à éteindre l’amour qu’il avait pour elle. D’ailleurs, pouvait-on apprendre à ne plus aimer ? En l’effaçant, en fuyant ailleurs… L’atténuer… Peut-être, mais l’essentiel restait là, logé au fond du cœur. Il brûlait de l’intérieur. Intense, mais destructeur, leur amour était de feu.  

 

Il tenta d’échapper aux images qui commençaient à se former dans sa tête car il se sentit aussi coupable… Coupable d’avoir su qu’une action allait être menée contre son l’établissement et de n’avoir rien fait, de n’avoir rien dit… Il s’agissait d’un ordre de l’oyabun, il n’y pouvait rien, se défendit-il face à sa propre inertie alors que la femme qu’il aimait était menacée.  

 

L’oyabun savait qu’elle avait été sa compagne, mais cela, ce n’était qu’un détail sans importance pour lui. D’ailleurs il lui avait simplement dit « attaque ».  

Lui, comme un con, il y avait vu l’opportunité de la voir revenir vers lui, croyant qu’une petite leçon lui aurait suffi pour qu’elle revienne sur sa décision. Mais, là encore, il se sentit minable car ça ne s’était pas passé comme il l’avait imaginé : le feu devait détruire le Kabuki mais certainement pas s’en prendre directement à Okuni. Et malgré qu’elle n’ait plus rien, cette conne l’avait encore une fois repoussé alors qu’il lui proposait son aide.  

 

Bon, c’est vrai, il était une véritable enflure par moments, mais il allait se montrer magnanime avec elle, en lui offrant une dernière chance.  

 

Bien conscient des conséquences de ce qu’il s’apprêtait à risquer, il se brûlerait une dernière fois pour elle. Après cette ultime tentative, il tirerait d’une manière définitive un trait sur Okuni. Il la raturerait de traits épais noirs, à en lacérer les fibres du chapitre ! Ce personnage lui appartiendrait ou disparaîtrait comme Ryo Saeba. Il brûlerait le papier, le crayon qui avait permis de la dessiner dans cette fanfiction.  

 

Flap
 

Flap
 

Flap
 

 

Son chant l’extirpa de ses pensées incandescentes et destructrices. La pluie l’apaisa. Elle semblait avoir pris le relais du métronome de son cœur et du temps dans le Mizu Shobai.  

 

***
 

Y
 

Depuis combien de temps était-il là, atone, les yeux rivés à cet horrible tableau qu’elle avait accroché avec fierté une journée d’automne ? Il ne saurait le dire. À l’époque, il s’était résigné à tolérer la présence de cette pumpkin yellow dans son salon. Par amour, très certainement.  

 

C’était incroyable, tous les détails qu’il remarquait aujourd’hui, confirmant sa répulsion envers cette œuvre, mais aussi tous ces éléments qu’elle appréciait. Cela résumait assez bien la dichotomie de leur relation.  

 

En temps normal, lorsqu’il entreprenait une analyse artistique, cela signifiait que le glas de leurs disputes avait retenti. Invité à dormir sur le canapé ou à attendre que l’orage ne se dissipe, il se retrouvait exactement à cette place, à compter le nombre de points qu’il avait fallu à Yayoi Kusama* pour dessiner cette citrouille. Avec le temps, peut-être serait-elle devenue une amie silencieuse, complice de ces moments inconfortables dans la vie d’un couple ?  

 

 

« Qu’est ce qu’elle est moche » décréta-t-il malgré tout, en laissant son regard couler une nouvelle fois sur la courbe de ce cucurbitacée criblé de points noirs.  

 

L’effet psychédélique était accentué par ce jaune hideux qui donnait mal aux yeux. Il avait beau faire des efforts d’introspection, la même conclusion s’imposait à lui : il s’agissait de l’œuvre d’une personne démente.  

 

Il détestait le manque de réalisme dans le trait. Il était tellement grossier ! Comment Kazué avait-elle pu succomber à son charme? Certes, il n’était pas un professionnel dans le monde de l’art, mais, tout de même, cette œuvre manquait de délicatesse ! Quelle faute de goût.  

 

C’était d’ailleurs à cette réflexion qu’il avait prononcé à haute voix, avec conviction, qu’elle lui avait rétorqué d’un ton mordant qu’elle l’avait également choisi… Lui.  

 

Comment Kazué avait-elle pu le comparer à ce tableau ? Cela l’avait vexé sans vraiment comprendre son emportement, la dispute était partie de plus belle jusque très tard dans la soirée. Mick sourit à ce souvenir, tant cela lui semblait bien puéril aujourd’hui. Peut-être aurait-il dû être plus conciliant sur ce détail insignifiant. Après tout, il ne s’agissait que d’un tableau. Un simple tableau. Oh, il était loin de ne pas savoir que derrière ce tableau se dissimulait une toute autre envie de la part de cette entêtée : l’emmener de gré ou de force sur l’île Naoshima (直島)** afin d’en contempler la sculpture. Rien que ça ! Pourtant, il le lui avait promis malgré cet amour non partagé pour cette courge.  

 

Ils ne s’y étaient jamais rendus. Ils n’y iraient jamais. Son cœur se serra.  

 

L’essentiel demeurait ailleurs aujourd’hui. Aujourd’hui… Oui, aujourd’hui…  

 

D’ailleurs quel jour était-ce ? Mercredi ? Il avait un doute, ce devait être jeudi car le jeudi était un jour assez chargé puisqu’elle était de garde à la clinique du Doc. Tout demeurait silencieux. Dans leurs débuts de vie commune, il préparait de délicates attentions pour lorsqu’elle franchissait la porte d’entrée, après une longue journée de travail. Tout était prêt afin qu’elle puisse se détendre et savourer pleinement leur soirée en amoureux. Heureux de cette euphorie qui s’emparait de lui lorsqu’il comptait les minutes avant son retour, il se sentait transformé. Elle l’avait transformé. De même qu’il était touché lorsqu’elle lui rendait la pareille, au moment où il s’y attendait le moins, elle le surprenait.  

 

Ses éclats de rire parvinrent à ses oreilles comme un lointain écho. Sa voix lui fit l’effet d’une lame de couteau. Plus jamais il ne l’entendrait. Un constat glacial qui lui déchira l’âme.  

 

Depuis combien de temps n’avait-il plus mis du cœur à l’ouvrage pour l’accueillir ? se demanda-t-il pour se ressaisir et persévérer dans son analyse. Un long moment, déjà… Cela devait se compter en mois. Certainement. La culpabilité vint le secouer. Il regrettait. Il aurait dû persévérer dans ses efforts et savourer chaque instant. Saisir chaque nouveau jour comme un cadeau. Tout s’était dilué d’une manière insidieuse sans qu’il remarque qu’ils sombraient ensemble, en silence, mais rattachés par leur quotidien qui les liait encore. Leur quotidien. Et l’amour, dans tout cela ? Un violent et douloureux tremblement de son cœur lui avertit qu’il s’approchait trop près du précipice. Il devait vite reculer de l’abîme.  

 

Pourtant, le devait-il ? Elle le méritait, non ? De la franchise, de la sincérité aussi. Il l’avait été. Il pouvait le jurer par tous les kami réunis, mais il s’agissait de la stricte vérité. Il avait été sincère. Il l’aimait. Une certitude.  

 

Peut-être était-il seulement trop fatigué pour être cohérent?  

 

Peut-être devrait-il leur laisser du temps pour améliorer leur vie de couple ?  

 

Cela irait mieux en faisant des efforts… Des efforts, mais pour quoi ? se demanda-t-il en se rendant compte qu’il s’était égaré dans le tumulte de la rivière de ses pensées. Il n’y avait plus d’efforts à faire. Tout était fini. Pourtant, il hésitait encore à l’affirmer car tout ceci était peut-être un leurre ou un cauchemar. Il n’osait pas se retourner et lire le chapitre quatorze. Une nouvelle secousse encore plus douloureuse retentit comme un dernier rappel avant la rupture de la digue.  

 

 

Non, en fin de compte, il devait sûrement être dimanche, se reprit-il sans transition pour vite stopper l’interlude du déluge silencieux, car il percevait un certain calme ambiant dans leur immeuble. Il n’y avait que le dimanche où une certaine sérénité régnait dans leur quartier. Ces questionnements stupides, fixés sur des détails temporels allaient le rendre fou.  

 

Il avait cette envie de se lever, et de tout gommer, et d’appuyer sur le bouton « supprimer la fanfiction ». La colère, la rage l’animaient mais il semblait pétrifié. Il avait froid. Son sang s’était glacé dans ses veines. Peut-être qu’il était lui-même décédé ? Son cœur s’était peut-être arrêté depuis cette horrible soirée ?  

 

Peut-être était-il devenu un Yokai ?  

 

– Mick, tu m’écoutes ? insista Kaori qui s’était accroupie pour avoir son visage en face du sien et capter son entière attention.  

 

Surpris par cette voix mais aussi ce visage familier, il réalisa enfin la présence de la nettoyeuse ici, chez eux, face à lui.  

 

– Kaori… Que fais-tu là ? articula-t-il avec difficulté tant ses pensées se bousculaient qu’il ne parvînt à se remettre dans la fanfiction.  

Le silence l’avait envahi. Un silence si épais qu’il avait cru être devenu sourd, car le seul son qu’il parvenait à entendre était un bourdonnement sec, aigu, rebondissant à l’intérieur de son crâne.  

Il n’avait pas remarqué sa présence ou peut-être l’avait-il oubliée tant il se noyait dans ses réflexions artistiques, tout lui semblait confus, les courbes et les lignes se brouillaient, comme le fusain qu’on dispersait avec le doigt pour donner un aspect vaporeux mais suffisant pour marquer le mouvement de l’eau. Des points semblaient cribler le dessin. Comme Yayoi Kusama, peut-être était-il victime de self obliteration ?  

 

Son regard s’accrocha à celui de la nettoyeuse pour y trouver des réponses, mais surtout la réalité à laquelle il devait se rattacher de toutes ses forces pour ne pas sombrer dans la rivière de la folie. Où était-il à cet instant ? Dans quelle fanfiction ? Un lecteur pouvait-il le lui remémorer. L’Américain secoua la tête tant ces questions s’abattaient sur lui comme une violente averse.  

 

Kaori se releva, les yeux fixés sur l’Américain, puis se retourna pour prendre le verre d’eau qu’elle lui avait déposé mais auquel il n’avait toujours pas touché. Elle le lui tendit une nouvelle fois avec l’espoir qu’il le boive. Il répondit d’une manière négative de la tête.  

 

Elle le détailla du regard avec insistance mais surtout avec beaucoup d’inquiétude. Il ne s’était pas changé, ses cheveux étaient en bataille, ses cernes dessinées avec un crayon 2H trahissaient sa dangereuse léthargie et son absence de sommeil. Il n’avait pas pleuré. Son visage semblait s’être figé dans le papier. Il s’agissait de la première fois qu’elle le voyait dans cet état. Elle aurait aimé ne jamais voir ce dessin-là. Jamais.  

 

Elle-même n’osait croiser le regard d’un miroir depuis le déchirement de leur décor. Depuis sa réapparition dans ce chapitre, elle n’avait plus l’impression de vivre, ni même de respirer. Seul son instinct de survie, l’aiguillonnait, mais surtout, sa principale préoccupation entre ces pages demeurait Mick ; rien d’autre. La fanfiction, l’intrigue, Ryo, Eiji, tout semblait s’être figé, dans son cœur et dans son esprit, pour ne se concentrer uniquement que sur Sa mission.  

Elle déglutit en sentant les larmes jaillir, mais elle se força à ne pas les laisser s’échapper, pas ici, pas maintenant. Mick n’avait pas besoin de ses larmes.  

 

Elle soupira.  

 

– Mick, il faut te préparer, débuta-t-elle avec difficulté, mais elle s’aperçut aussitôt que Mick était une nouvelle fois perdu dans les méandres d’écrits passés.  

 

– Elle adore ce tableau, tu sais, murmura-t-il en plissant les yeux comme s’il tentait de décrypter un message codé à travers la peinture.  

 

La nettoyeuse ne savait pas ce qui lui étreignait le cœur. Cet aveu fait dans la douleur ou le fait d’utiliser encore le présent ?  

 

– Il est très beau, se contenta-t-elle de dire, vraiment pas à son aise dans ce genre de moment.  

Ni présent, ni parti, Mick semblait pris entre deux écrits.  

 

– Toi aussi, tu l’aimes ? C’est marrant, ça… ajouta-t-il en se levant. Il soupira puis se dirigea vers la fenêtre.  

Il rajouta :  

– Moi, je l'ai jamais aimé.  

 

[...]
 

 

Un blanc, une case vide entre les dessins fan-fictionnels face à cette affirmation.  

 

– C’est à quelle heure ? demanda l’Américain, rattrapé par une once de lucidité.  

 

Interloquée par sa question, Kaori ne laissa rien paraître car cela faisait au moins trois fois qu’il la lui avait posée.  

 

Les parents de Kazué avaient surgi dans l’histoire pour prendre les commandes et s’occuper des démarches afin de dire Sayonara à leur fille. Discrets, jamais vus, jamais dessinés, ils faisaient désormais partie d’une manière ou d’une autre de l’intrigue, dans ce nouveau décor démuni de l’une des leurs. Cela était en partie un soulagement qu’ils prennent les choses en main. C’était un fait. Pourtant, elle demeurait inquiète quant à la place de l’Américain dans tout cela.  

 

 

– Il faut y être pour quatorze heures, cela est beaucoup plus correct ; les parents de Kazue t’attendent, Mick, expliqua-t-elle en insistant bien sur le fait qu’il était attendu bien que cela ne semblât pas être totalement vrai.  

 

Non. Ils ne l’attendaient pas. Bien au contraire, son absence semblait les soulager et leur évitait de devoir donner des explications inutiles aux convives des funérailles. Vivre avec un Américain au passé douteux n’était pas des plus appréciés. La nettoyeuse n’avait pas relevé, juste constaté ces données, néanmoins, elle estimait que Mick devait garder sa place dans cette histoire, dans leur histoire. Un jour, peut-être, les regretterait-il aussi, cette absence et cette indécision, cet effacement. Le réveil serait difficile. Elle voulait accentuer sa présence par touches ici et là. Par respect. Par honneur. Américain ou pas, ancien nettoyeur, il restait malgré tout le compagnon de Kazue. Elle l’avait aimé.  

 

– Entendu. Je serai prêt. Laisse-moi seul, maintenant, veux-tu, demanda Mick d’une voix impassible.  

 

Après quelques instants d’hésitation, mais aussi de soulagement face à la volonté de l’Américain de s’y rendre, Kaori se retira de l’encadré pour laisser en gros plan, le large dos du nettoyeur américain qui se tenait face à la fenêtre. Une image fréquente mais dont la teneur était ici différente.  

 

– Je suis là, Mick, bredouilla-t-elle, pestant contre elle-même de se trouver aussi malhabile.  

Des banalités d’usage qu’elle débitait tout en ne sachant pas comment l’aider en fin de compte.  

– Je viens te chercher dans une heure.  

 

 

Il hocha de la tête en guise de réponse.  

 

À peine sortie de l’immeuble de Mick, Kaori sentit une rafale de vent accompagnée de pluie s’abattre sur son visage crispé.  

 

Mizu (水)
 

 

L’eau….
 

 

Peut-être allait-elle permettre d’adoucir un peu cette tension incandescente qui s’était emparée de Shinjuku depuis que la nouvelle avait parcouru tout le pays : Kabukicho avait brûlé.  

 

Happée par la fraîcheur des gouttelettes d’eau, elle huma le pétrichor qui eut pour effet d’apaiser le foyer ardent qui s’était logé dans son cœur et son esprit.  

 

Jusqu’à présent, elle avait eu la sensation d’être devenue juste un personnage secondaire fait de papier-vitrail… Fin, semi-transparent. Cette impression était renforcée lorsqu’elle était face à l’Américain tant il paraissait absent, hors du temps. Elle ne savait pas comment se comporter avec lui car elle souhaitait par-dessus tout qu’il réagisse. Un signe. Une émotion, peu importe ! Certains pouvaient être surpris, cette impassibilité, mais pour elle, ce calme était un fait anormal, inquiétant.  

 

Tourmentée, fatiguée par toutes ces pensées, ce fut d’un pas las que la nettoyeuse se dirigea vers l’immeuble aux briques rouges de l’animé, les yeux rivés à lui tant elle ne souhaitait pas regarder du côté où l’on avait retrouvé Kazue. Elle ne voulait pas.  

 

Elle traça un pont invisible à franchir comme si une rivière invisible la séparait de chez elle. Aussi marchait-elle avec précaution, car elle avait la sensation qu’une obscurité menaçait de l’encercler et ne demandait qu’à l’engloutir. C’était dur d’affronter cette dure réalité. La mort.  

 

L’eau ruisselait sur elle comme ses souvenirs qui rejaillissaient avec force. Cette nuit repassait en boucle dans son esprit, sans qu’elle ne parvienne à dire stop. Elle se revoyait arriver en trombe aux abords de leur immeuble. La nettoyeuse avait cru défaillir en apercevant une voiture de police garée en face de chez eux. La lumière bleuâtre du gyrophare de police se réfléchissait sur les murs, donnant une ambiance irréelle à ce lieu mythique. Une familière voiture rouge avait également attiré son attention : Saeko était là. Immobile, un agent à sa droite, les yeux dans le vide même si elle semblait écouter en hochant de la tête. C’était elle qui lui avait annoncé l’horrible nouvelle. Kazue avait été abattue. D’une voix froide, et maîtrisée, elle avait pu lui informer qu’elle avait recommandé à Ryo et Mick de ne pas être dans les pattes des inspecteurs. Ils restaient des nettoyeurs. Aussi, ils s’étaient volatilisés au Cat’s juste l’espace de quelques heures, le temps que des personnages secondaires nettoient, gomment le terrible événement. Avant de la laisser les rejoindre, Saeko s’était rapprochée de la jeune nettoyeuse et l’avait regardée avec insistance, comme si elle souhaitait lui dire quelque chose sans y parvenir. Elle avait dû se résoudre à laisser le lieutenant Nagomi.  

 

Assommée par la nouvelle, Kaori s’était dirigée tel un automate vers le célèbre café.  

 

Elle avait dû affronter la petite clochette qui en temps ordinaire annonçait avec joie la venue d’un nouveau client. Il était plus de trois heures du matin, lorsqu’elle avait franchi la porte de l’établissement. Ses yeux brûlaient tant elle avait pleuré sur le chemin qui lui avait paru interminable.  

 

Elle avait dû faire face à une vision cauchemardesque : un café détruit.  

 

Mais, surtout, elle avait dû braver le regard de Ryo.  

 

Elle se revoyait face au nettoyeur, au beau milieu du Cat’s dévasté.  

 

À cet instant, elle n’avait eu qu’une envie : fuir de la fanfiction. Ici, dans ce décor teinté de noir et de gris, c’était dur, beaucoup trop dur. Trop humide, trop sombre, voire trop réel.  

Pourtant, elle devait affronter elle aussi cette réalité-là. Les bras de Miki était venus l’enlacer avec force dès qu’elle avait franchi la porte. Mais les yeux de la nettoyeuse étaient aimantés à ceux de Ryo.  

 

Le son semblait être coupé. Stoïque, mal à l’aise, elle ne percevait que la présence de Ryo qui s’approchait d’elle. Sa large main était venue se poser contre sa nuque pour la rapprocher de lui… Avec brusquerie, il l’avait serrée contre lui, à lui faire mal. C’était brutal voire animal. Rien de tendre, mais vital.  

Il avait eu peur pour elle. Elle avait eu peur pour lui. City hunter s’était retrouvé au Cat’s dévasté. Elle avait pu profiter l’espace de quelque secondes de la chaleur de son corps, car malgré toutes les données, il demeurait son oxygène dans ces braises qui les encerclaient.  

 

Toutefois, de l’eau glacée semblait s’être infiltrée entre leurs deux corps. La froideur prit la place de la chaleur en l’espace d’une fraction de seconde.  

 

Une esquisse de ce qui les attendait. Les yeux de Ryo s’étaient métamorphosés, rien ne transparaissait, seules ses lèvres avaient frémi. Un peu. Une lueur singulière dansait désormais dans ses yeux. Elle le connaissait suffisamment pour comprendre. Il savait. Comme elle le redoutait, bien qu’avertie, Eiji lui avait tout dit.  

 

Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, Mick s’était rapproché d’eux, le regard éteint.  

– Mick, avait-elle murmuré, une chape de plomb abattue sur elle à la vue de son ami, son Shin’yuu.  

 

Lançant un coup d’œil à son acolyte, Ryo se ravisa aussitôt. Ce n’était certainement pas le moment de faire une esclandre. Kazue était morte. Sans vraiment comprendre la portée de sa venue, Mick repartit s’asseoir pour finir son verre de gin au comptoir du Cat’s aux fenêtres brisées. Il semblait attendre.  

 

Cette vision apocalyptique semblait pourtant réaliste : le Cat’s était devenu leur deuxième maison à tous. Aujourd’hui, un membre manquait. Cela devait arriver, ils ne vivaient que d’apparence une vie ordinaire, mais leurs pieds demeuraient enracinés dans le Mizu Shobai.  

 

Déboussolée par l’attitude de Mick, elle redirigea son attention sur son partenaire qui lui aussi avait paru surpris. Les paroles ne venaient pas dans de telles circonstances, pourtant, elle savait que, tôt ou tard, elle devrait lui parler ou du moins tenter de s’expliquer sur certains faits. Elle se sentait coupable, malhonnête. Son rendez-vous avec Eiji lui restait coincé au creux du cœur et revenait de manière lancinante devant ses yeux.  

 

Elle pouvait ressentir toute la lourdeur qu’elle avait éprouvée lorsqu’Eiji lui avait annoncé sans l’ombre d’une émotion qu’il serait honnête avec Ryo… si on ne le tuait pas avant, avait-il ajouté avec amusement. Comment pouvait-il s’amuser avec la mort de cette façon ? L’angoisse l’avait envahie.  

 

« Ne dites rien je vous en prie, je… Je préfère endosser la responsabilité et m’expliquer auprès de Ryo » s’était-elle écriée en se mettant face à lui tout en oubliant sa gêne.  

 

Surpris, il l’avait détaillée du regard avec une telle insistance, la naissance d’un sourire était venue en contraste avec sa froideur apparente.  

 

– Je préfère ne pas vous répondre plutôt que de mentir, Mademoiselle Makimura. Pourtant… Le Mizu Shobai est sans pitié, il ne faut faire confiance à personne, ici. Ryo ne vous a pas appris ? avait-il lancé en s’emparant d’une cigarette. La donne a changé… Je me rends compte que j’ai mal agi, moi aussi, car je pensais maîtriser le jeu… Je me pensais protégé. Mais il n’en est rien, ajouta-t-il en appuyant sur son briquet.  

 

Hypnotisé par la flamme qui dansait, il la regarda un moment, puis il annonça :  

 

– Ryo est condamné… Oh pas forcément comme vous l’imaginez mais on va l’effacer.  

 

– L’effacer ? insista Kaori, les yeux rivés sur cet homme dont le seul souci à cet instant semblait être la flamme de son briquet.  

 

Il prit son temps pour répondre, il enflamma la cigarette, puis il la mit en bouche avant de ranger soigneusement son briquet dans la poche intérieure de sa veste noire.  

 

– Il sera englouti par son décor qui va s’effondrer. La pègre est en mutation, sous la pression des États-Unis.  

 

Il stoppa comme s’il méditait chacun des mots qu’il prononçait.  

 

– Je pense que Watanabe a mal joué son coup. Il pensait vraiment élargir son territoire en forgeant des alliances pour se protéger des nouvelles mesures, en brouillant les pistes. Et puis il voit les choses en grand… Mais la conquête d’un territoire est dépassée.  

 

– Votre oyabun s’est allié avec celui de la famille Sumiyoshi-Rengo ?  

 

– Oui, mais je pense que c’était un piège dont Watanabe n’a pas mesuré l'étendue. Je ne le pense pas bête au point d’avoir fait confiance… Peut-être se pensait-il plus intelligent, justement, mais aujourd’hui, j’ai un doute. Je n’ai encore jamais rencontré Shigeo Nishiguchi… Mais lui, de toute évidence, avait un tout autre plan dans la tête, finit-il en souriant.  

 

– Je ne comprends pas tout, avoua la nettoyeuse.  

 

– Moi non plus, mais ce soir, je serai fixé… Je ne peux pas en dire plus. Je reste un yakuza, qui a trahi, certes, mais un yakuza quand même. Mais…  

 

Il semblait s’être perdu dans ses pensées, laissant ses paroles en suspens.  

 

– Quelle que soit l’issue de cette soirée, croyez moi, je n’ai jamais voulu vous manipuler. Prenez vos précautions, le décor a changé, les acteurs aussi.... Je serais embêté qu’il vous arrive quelque chose.  

 

– Quelle gentillesse de votre part, je dois donc selon vos dires, me méfier également de vos dires qui me paraissent toujours énigmatiques.  

 

– Vous me plaisez Kaori… Vous me plaisez vraiment… Là, dit-il en joignant à la parole le geste de tapoter son cœur.  

 

Prise de court par ce qui semblait être une déclaration d’amour, Kaori ne savait pas vraiment comment réagir.  

 

– Il serait temps que vous choisissiez votre camp ! se contenta-t-elle de lui répondre pour vite évacuer cette gêne qui la submergeait.  

 

Accentuant son sourire en la voyant rougir, il inclina un peu la tête sur le côté, puis se permit d’effleurer du bout de l’index son visage en le laissant glisser comme une goutte d’eau le long de sa joue.  

 

– Je suis certain que dans une autre fanfiction, j’aurais eu toute mes chances… Mais ici, je ne suis qu’un voyou… Un yakuza.  

 

 

La nettoyeuse tressaillit. Ces paroles semblaient sonner comme des Adieux.  

 

– Je serai honnête avec votre partenaire, j’ai hâte de le rencontrer… J’ai longuement réfléchi à tout cela mais je pense… Je pense que se battre pour quelque chose de juste n’est pas un crime, n’est-ce pas ? Alors je me battrai, je serai à ses côtés d’une manière ou d’une autre, mais je dois d’abord vérifier certaines choses, conclut-il en s’éloignant d’elle, comme si une rivière s’était creusée entre eux.  

 

Elle avait eu cette sensation indescriptible de ne pas être dans le bon endroit ou même le bon univers en se retrouvant dans un rôle qui ne lui ressemblait pas. L’honnêteté avait toujours été mise en avant lorsqu’il fallait la décrire, mais aujourd’hui son portrait semblait flouté aux yeux des lecteurs. Certainement.  

 

 

Pourtant, le soir du drame, après son entrevue avec Eiji et son horrible dispute avec Ryo, elle s’était réfugiée chez Eriko en tentant de semer l’indic de Ryo. Cela en était assez.  

 

Durant une promenade qu’Eriko lui avait proposée pour se calmer, elle s’était confiée à son amie, lui racontant tout depuis ce fameux chapitre dans lequel Eiji était venu lui parler ici, dans ce même parc. Elle avait raconté la fanfiction d’une traite, pour se soulager d’abord, mais aussi, surtout, pour trouver du courage, car la suite s’annonçait difficile. Elle n’avait même pas osé regarder son amie dans les yeux tant elle avait honte de son comportement. Les cachotteries ne lui ressemblaient pas. Ce n’était pas elle. Elle n’avait pas été surprise lorsque l’incompréhension, l’étonnement mais aussi l’inquiétude s’étaient peints sur son visage d’Eriko. Toutefois, elle avait écouté attentivement, hochant parfois de la tête mais ne faisant aucun commentaire.  

 

Après quelques instants de réflexion, elle lui avait simplement conseillé de vite mettre les choses au clair avec Ryo. Peu importait ce qu’Eiji lui dirait, elle devait mettre les choses à plat avec son partenaire. Elle avait commis une erreur professionnelle en agissant comme elle l’avait fait. Malgré que Ryo l'ait écartée, elle demeurait sa partenaire.  

 

Ils étaient Shiti Hinta.  

 

Bien qu’elle admît que la styliste ne disait que la stricte vérité, Kaori l’avait mal pris sur le coup et s’était perdue dans ses paroles pour se défouler. C’est vrai. Sur le moment, Eriko s’était défendue de cette réaction malvenue… Avant de reprendre contenance et de lui recommander de plus belle de se réconcilier avec Ryo au plus vite et d’en finir avec leurs non-dits.  

 

Mais Eriko avait malgré tout pris son parti contre l’attitude de Ryo vis-à -vis de la tenancière du Kabuki. Il devrait être franc et dire ce qui en était réellement.  

 

– Peu importe l’issue Kaori, tu dois affronter la réalité, mais surtout reprendre la situation en main. Fuir ne servira à rien.  

 

Entendre parler de cette femme sans visage avait ravivé, dans un frisson, la douleur en elle ; Kaori imaginait déjà le pire.  

 

Malgré les tensions que cette conversation avait provoquées, Kaori s’était sentie mieux, plus légère et avait même perçu une fissure vers la lumière. Mais plusieurs sentiments la bridaient dans sa bonne volonté.  

 

La colère
 

 

Flap
 

 

Elle n’oubliait pas la colère sourde, froide, qui tonnait en elle depuis leur dispute des plus immondes. Comment pouvait-il encore la regarder droit dans les yeux alors qu’il s’était montré des plus abjects avec elle. Comment ? Une autre femme s’était immiscée dans son cœur qu’il veuille ou non l’accepter. La nettoyeuse en avait bien conscience. Cela pouvait arriver.  

 

Elle se sentait malgré tout trahie et salie. La colère monta d’un cran, il avait tout gâché ! Désormais, lorsqu’il aurait les yeux dans le vague, elle suspecterait que ses pensées soient pour cette femme. Cela lui était déjà arrivé de nombreuses fois, mais à l’époque elle n’avait pas identifié cette absence de présence dans certaines séquences. Un frisson.  

 

Un lâche.  

 

Comment vivre avec le doute? Trop douloureux.  

 

La tristesse
 

 

Flap
 

 

La tristesse se diluait en elle à l’idée qu’elle avait peut-être été trop patiente ou trop naïve… Elle ne saurait le dire. Cette sensation qu’il avait brisé leur complicité la tenaillait au point d’en souffrir. Elle lui en voulait terriblement, elle le haïssait par moments de l’avoir humiliée et d’avoir brisé le lien. Lancinant.  

 

Un égoïste.  

 

Comment troquer ses ressentiments pour un peu plus de gaieté ?  

 

Le regret
 

Flap
 

 

Bien entendu, elle n'avait pas eu le comportement le plus exemplaire en dissimulant ses conversations avec Eiji. Elle aurait dû se montrer comme elle avait toujours été, claire, limpide comme de l’eau. Elle le reconnaissait. Mais la colère l’avait poussée à se dissimuler. Et lui ? Combien de faits lui avait-il effacé pour ne pas voir la réalité ?  

 

Un mensonge en avait amené un autre. Un mécanisme malsain.  

 

Elle regrettait d’avoir fait cavalier seul.  

 

Une menteuse.  

 

 

Flap flap flap
 

 

La réalité la rappelait, mais elle avait du mal à s’extirper de ses réflexions.  

 

Sans s’en rendre compte, elle était arrivée chez elle. L’eau coulait le long de la porte. Déviant légèrement la tête, elle s’aperçut que leur décor était détrempé, il pleuvait à torrent. L’humidité la fit frissonner et la pressa de rentrer. Mais avant, elle se détourna un peu plus pour observer la rue malgré tout. Elle avait du mal à y croire, à le réaliser et, pourtant, c’était bel et bien la réalité. Kazue avait été abattue.  

Pourquoi elle ?... Le crayon de ses pensées cessa d’écrire, une aura s’était fait sentir. Encore un peu, elle était persuadée d’avoir aperçu une ombre méphistophélique se faufiler derrière elle. Après quelques hésitations, elle franchit l’entrée avec détermination.  

 

 

Bien décidée à reprendre elle aussi la main sur cette fanfiction qui lui échappait et qui l’avait quelque peu évincée du schéma habituel.  

 

Fait anormal, il semblait qu’il n’était pas dans sa chambre ou la salle de tir où elle était pourtant persuadée qu’elle le trouverait. Elle tendit l’oreille afin d’être certaine de ne pas s’être trompée, mais elle perçut bien du bruit provenant de la cuisine. Désappointée par ce changement d’habitude, elle se décida à le rejoindre, bien qu’elle n’eût aucunement l’énergie d’entrer dans une discussion décisive. Lorsqu’elle franchit la porte de la cuisine, elle le trouva assis à la table, un verre d’eau en main, les yeux rivés dessus.  

 

Cela fut quelques secondes, tout au plus, mais ce fut suffisant pour la perturber. Le nettoyeur leva les yeux dans sa direction, sans bouger, sans faillir et la détailla sans filtre. Son regard était noir, si noir qu’elle pouvait s’y noyer et, malgré tout, elle ne parvenait pas à s’en détacher. Il était là, à la regarder sans parler. Quelle aura… Celle d’un héros de manga.  

 

Puis il décida de briser la glace.  

 

– Konichowa, murmura-t-il en reprenant l’analyse du verre d’eau qui semblait le captiver.  

 

Quelque peu rassurée par cette introduction, elle avança afin de le rejoindre à la table, bien qu’elle ne sût pas encore exactement ce qu’elle allait lui dire.  

 

– Comment va Mick ? demanda d’une manière brusque le nettoyeur.  

 

– Je pense… Je pense qu’il n ‘a toujours pas vraiment réalisé, déclara Kaori tout en prenant place sur la chaise en face du nettoyeur. Son comportement m’inquiète.  

 

– Il n’y a pas qu’une manière de réagir à l’annonce d’un décès, Kaori. Certains pleurent, d’autres non, ils intériorisent mais cela ne veut pas dire qu’ils ne réagissent pas.  

 

La nettoyeuse hocha de la tête sans savoir comment se comporter.  

 

– Il ne faut pas tarder, osa-t-elle lui adresser. On doit partir dans une heure, tout au plut.  

 

Il hocha la tête tout en prenant une gorgée d’eau. Il reposa le verre. Il attendait.  

 

Bien décidée à faire quelque chose plutôt que rester immobile, elle se releva. Elle était nerveuse. Le calme, le silence de Ryo, surtout, la rendaient nerveuse.  

 

– Tu veux du thé ? demanda-t-elle à son tour.  

 

Stupéfait, il releva la tête et la dévisagea pour y détecter un message. Aussi surpris l’un comme l’autre de cette étrange atmosphère qui avait envahi la cuisine, ils avaient la sensation de partir dans une autre fanfiction. Pourtant, ils étaient bien là, dans ce décor de noir et de gris, celui de Yakuza. Les mondes parallèles semblaient capricieux.  

 

 

 

En guise de réponse, il hocha la tête. Il semblait limiter au maximum ses paroles. Cela ne soignait en rien la nettoyeuse de sa nervosité.  

 

Ses mains tremblaient, le claquement de la théière, tout démontrait son agitation, pourtant elle mettait tout ce qu’il lui restait de force pour rester maîtresse d'elle-même. Mais la fatigue lui tombait dessus sans ménagement. Interdite, elle osa tourner la tête en direction du nettoyeur qui, lui, n’avait pas bougé. Puis, elle s’installa et lui présenta un shawan de thé.  

 

Le nettoyeur évaluait la situation, car il avait tant de choses à lui dire, surtout à lui demander, des questions qui lui faisaient mal qui ne demandaient qu’à sortir comme des projectiles. Quand et combien de fois avait-elle vu Eiji ? Pourquoi le lui avoir caché ? Pourquoi lui avoir menti ? Pourquoi l’avoir trahi en allant se confier à un autre ?…  

Toutes ces questions ressemblaient à des gouttelettes d’eau qui s’abattaient sans ménagement sur lui.  

 

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
 

 

Une cascade de pourquoi qui s’abattait sur lui.  

 

 

 

Durant les dernières heures qui s’étaient écoulées, il essayait de se concentrer sur cette hémorragie qui ne voulait pas s’arrêter. Les disputes, les échauffourées au Kabukicho s’étaient multipliées au fil des heures car les yakuzas avaient perdu une bonne partie de leur shinogi en l’espace d’une seule nuit.  

 

Bien entendu, il songea à Eiji qui l’avait attiré à cette soirée, mais aussi aux Han-gure qui les avaient attaqués. De nouveaux malfrats qu’il devait désormais prendre en compte dans leur univers.  

 

– Ryo...  

 

La tête inclinée sur le côté, Ryo l’observait. Impossible de décrypter ses émotions, car un ensemble de sentiments semblait s’être dilué en lui. De la colère, de la déception, de l’inquiétude mais aussi… de la peur.  

 

Osant le regarder avec la même intensité que lui, Kaori tentait de lui parler en silence. Elle l’aimait. Un constat simple mais si complexe pour eux. Ils s'aimaient, se blessaient, mais ils étaient encore là malgré les années. Le temps défilait pour se transformer en années. Un jour ou l’autre, ils allaient être séparés comme l’étaient aujourd’hui Mick et Kazue ; il s’agissait d’une vérité immuable, loin des contes de fées, peut-être trop ancrée dans la réalité. Pourtant, elle avait envie de croire que rien ne serait fini : c’était si fort et intense, comment cela pouvait-il se terminer ainsi ?  

 

Il y avait tant de chose à écrire, à expliquer entre eux pour pouvoir tourner la page de la fanfiction afin d’en commencer une autre dans laquelle le duo City Hunter reprendrait l’histoire en main côte à côte, comme toujours, dans une lumière étincelante avec laquelle le maître Hojo reprendrait les commandes. Le seul, l’unique à pouvoir imposer le vrai tempo.  

 

 

Pourtant, ici, les paroles ne venaient pas. Le son des lettres semblait emprisonné dans les pages car la douleur d’avoir perdu une amie était là. Ancrée dans leur cœur. Les mots aussi ne semblaient pas vouloir s’écrire, s’accrocher au papier. Ils semblaient être emportés par les courants de la rivière d’une partie de Hanafuda.  

 

– Je regrette, Ryo, chuchota-elle, tête baissée, en observant son thé vert.  

 

À cette confidence, Ryo secoua légèrement la tête, car il n’était pas vraiment disposé à parler avec elle. Il avait mal. Malgré tous les défauts qu’il avait, il avait toujours plus ou moins réussi à communiquer avec Kaori. La colère était tempérée car un drap blanc venait la camoufler. Ce drap qu’il avait eu tant de mal à relever. La honte s’était infiltrée en lui avec le soulagement de découvrir le visage de Kazué. Pour les lecteurs aussi. Triste, mais réaliste. Le soubresaut de sa lèvre trahissait son émoi. Un détail, infime, mais qu’il avait remarqué au fil du temps.  

 

Ryo n’ayant toujours rien répondu lorsqu’ils eurent fini leur thé, Kaori s’apprêtait à ranger, à la manière d’un robot.  

 

En percevant sa nervosité, mais aussi sa tristesse, il aurait aimé la prendre contre lui, juste un peu, le temps de recharger son cœur. L’aurait-il fait dans le manga ou l’animé ? Et ici ? Était-il un hologramme changeant selon les humeurs de l’auteur ?  

 

– Je n’aurais pas dû te cacher certaines choses, Ryo… Je suis désolée, insista-t-elle pour briser ce silence trop lourd à supporter.  

 

 

Le nettoyeur se leva pour évacuer une nouvelle fois la voix de Kaori qui fondait sur lui comme une averse.  

 

Le regret… À quoi bon servirait-il dans ces moments si ce n’était à souffrir davantage pour rien ? Ce n’était pas le moment de se perdre en sentimentalité. Pourtant lui aussi regrettait de nombreux faits, mais sa raison l’obligeait à faire taire son cœur. Pour le moment.  

 

Un flou, un silence… un sanglot. Une perle d’eau salée qui vient abîmer leur décor vint comme un signal pour autoriser juste un paragraphe de tendresse dans le calme de la tempête qui se déroulait sous les yeux des lecteurs. Des Humains de papier qui se retrouvaient le temps d’une séquence. Ainsi, Kaori se retrouva une nouvelle fois, entre ses bras. Elle pleurait. Il la regarda avec de la douceur… Beaucoup de douceur. Pourtant, les démons de la colère n’étaient pas loin, mais ici, dans ce paragraphe, il leur interdisait l’accès tant il était heureux de la voir face à lui, de la voir respirer…Vivre. Sa raison l’empêchait d’imaginer qu’on ait pu la lui voler. Ce drap blanc dansait devant ses yeux, l’empêchant de penser à toutes ces questions sur Eiji. Vivre sans elle, cela était-il possible ? Il se sentit démuni à l’idée du pire, mais il devait rester lucide, cela pouvait arriver puisqu’il accepté qu’elle reste avec lui, en plein milieu du Mizu shobai.  

 

Un univers loin de ce que Hideyuki souhaitait pour sa sœur. Une certitude. Voilà aussi une des raisons pour lesquelles il la maintenait à une distance raisonnable de lui et, malgré l’attente des lecteurs, se refusait à se laisser aller à ses sentiments. La réalité était ainsi faite.  

 

Il leva les yeux vers le plafond à la recherche d’une fissure où s’engouffrer, par laquelle échapper à la tentation de se laisser aller.  

Il la laissa pleurer tout son saoul, il était là. Pas besoin de mot dans ces moments là, ils étaient de trop. Les banalités d’usage paraissaient être des jurons, des insultes.  

Juste une présence, une chaleur bienveillante. Les longues phrases n’étaient pas nécessaires.  

 

 

Bien conscients qu’ils vivaient un tournant dans leur aventure, ils devaient restait solidement attachés.  

 

_nous devons être présents pour Mick dans ce chapitre, nforma Ryo, Il faut se serrer les coudes Kaori, quoi qu’il arrive.  

 

Au prénom de son ami, Kaori se dégagea de l’étreinte de son partenaire pour montrer toute sa volonté à aider Mick. Son cœur frissonna de rage et de tristesse pour lui. Déterminée, elle l’accompagnerait dans ce long processus, peu importeraient les variations, elle resterait près de lui jusqu’au bout. Il avait tant fait pour elle, combien de fois était-il venu pour la consoler, l’aider à surmonter son manque de confiance pour aller de l’avant. Aujourd’hui, c’était son tour.  

 

 

Alors qu’il allait répondre, ils furent interrompus par la sonnette qui leur avertit que leur tête à tête était terminé pour le moment. Il s’agissait juste d’une question de temps. Bientôt, ils devraient dire, tout dire, prendre des décisions en conséquences des aveux, mais pour le moment, il fallait laisser l’âme de Kazué partir. Du moins, c’était le Gishikino, le cérémonial qui l’exigeait. Par respect, par coutume, par tradition, peu importe le mot, la mort remettait les gens à leur place.  

 

 

 

Flap Flap flap
 

 

Son clapotis l’interpelait mais son rythme régulier lui permettait de se concentrer sur le mouvement de Mizu… Elle l’apaisait. Il lançait de temps en temps un regard à l’extérieur pour regarder cette fontaine de pierre aux apparences de métronome. Malgré son impassibilité, sa colère s’amplifiait au fil des heures qui coulaient vers le final funèbre auquel il ne voulait pas assister. Pourtant, il suivait le courant, qui le chahutait, le malmenait mais le poussait à suivre le chemin imposé. Par amour, certainement. Les poings serrés, il fulminait sans rien laisser paraître aux hôtes qui l’entouraient. Malgré son absence, il souhaitait marquer sa présence.  

 

Comment avait-elle osé lui faire vivre une telle cérémonie ?  

 

Mick n’avait jamais été très friand des traditions en général, mais les japonaises avaient toujours eu le chic de le laisser pantois. Celles auxquelles il assistait aujourd’hui dépassaient tout ce qu’il avait pu connaître. Il les haïssait.  

 

Ses yeux se rivaient de temps en temps sur elle ; mais jamais bien longtemps, pour ne pas apercevoir ce qu’il ne voulait pas voir. Aussi se permettait-il seulement de regarder par moments le portrait de Kazué qui trônait plus bas. Jamais il ne relevait les yeux plus haut. Jamais. Il ne voulait pas voir, il préférait rester dans le noir.  

 

Les bâtonnets d’encens dressés de chaque côté de son portrait dégageaient une odeur entêtante qu’il n’oublierait jamais. Il en détesta l’odeur. Il détesta l’encens aussi. La fragrance accentuait son mal de crâne et l’empêchait de bien respirer, il était déjà bien assez gêné par cet étau qui lui enserrait la poitrine depuis le début de la matinée.  

 

La seule consolation qu’il trouva dans ces katanas de charbon était leur fonction : la fumée. Elle enveloppait avec douceur son visage figé sur le papier à tout jamais…  

Sur ce portrait, son visage était serein, un sourire discret mais présent. La juste mesure… Comme le comportement de tous les convives qu’ils ne connaissaient pas. Bien sûr qu’il avait remarqué que tous ses amis étaient là, à ses côtés, à leur manière. Le regard appuyé de Ryo. Le regard abattu du doc le rendit encore plus nerveux, alors il s'effaça de son champ de vision.  

 

 

Ses yeux étaient un métronome qui se balançait entre les convives et le portrait. Sans la relever, il avait bien compris l’attitude Kaori qui, quant à elle, restait près de lui. Malgré le fardeau, elle lui avait apporté une petite goutte de réconfort.  

 

Aujourd’hui, à cet instant, à cette ligne, un seul mot venait à son esprit. Dépossédé.  

 

Voilà le mot, il se sentait dépossédé de sa vie avec Kazue. Certes, les parents semblaient avoir fait preuve d’un comportement respectueux voire bienveillant envers lui, mais il s’agissait seulement et uniquement d’indifférence.  

 

L’Américain ne semblait être qu’un simple figurant, un personnage secondaire dans l’histoire alors qu’il avait été la personne la plus intime pour leur fille. Le constat était flagrant : il ne faisait pas partie des leurs.  

 

Il demeurait un étranger dans cette cérémonie. Une donnée jamais vraiment abordée mais qui faisait partie des zones sombres du Japon : l’intégration et le racisme.  

 

Un sourire, de la politesse, on lui en avait offert à foison, mais l’intégrer comme l’un des leurs. Jamais. Heureusement qu’il avait créé son cercle d’amis, certes tous aussi atypiques que lui, mais peut-être bien était-ce cela qui constituait leurs liens si forts dans cette société uniforme.  

 

Un coup de poignard venait de temps en temps lui rappeler qu’il était vivant. Toute cette mise en scène lui était intolérable tant elle le faisait souffrir. Pourquoi se faire autant de mal alors que le final restait le même ? Il comptait les heures avant d’être délivré de cet affreux Gishikino qu’elle lui faisait vivre. Il était prêt à exploser. Il voulait hurler son prénom afin que Kazue arrête cette horrible mascarade qui était trop de mauvais goût.  

 

Flap flap flap
 

 

Mick se retrouva cette fois-ci assis sur une chaise, une autre pièce, un autre endroit, comment était-il arrivé là ? Il ne saurait l’expliquer, mais il y était. Le temps s’était écoulé sans qu’il n’en saisisse la mesure. Il paraissait avoir tourné quelques pages d’un livre pour se retrouver ici sans s’en rendre compte. D’ailleurs, le temps existait-il encore ?  

 

 

Son cœur cognait si fort qu’un bourdonnement affreux lui parvenait aux oreilles. Terrible mélodie qu’il voulait vite oublier, effacer.  

 

La main chaude de Kaori logée dans la sienne le rassurait bien qu’il l’ignorât, il regardait droit devant lui quelques secondes, puis s’enfuyait au loin en écoutant le chant de la pluie.  

 

Ils étaient là, parés de leur air solennel, des copies conformes.  

Comment pouvaient-ils faire une chose pareille ici ? C’était monstrueux. Jamais il n’avait été prévenu d’une tradition aussi macabre. Il pouvait relire les tente-cinq volumes, revoir l’animé, tout avait été effacé pour ne pas heurter les lecteurs. La réalité gommée par quelques images banales tout au plus.  

 

– C’est bientôt fini, Mick, me susurres-tu eu creux de l’oreille… en accentuant la pression de ta main sur la mienne.  

 

Pourquoi dis-tu cela, bientôt fini ? me demandai-je en te dévisageant bien malgré moi avec courroux, pour ensuite affronter de nouveau cette réalité sordide.  

Mais, Kaori… c’est déjà fini dans mon cœur depuis cette affreuse nuit. Je veux partir, je veux m’enfuir loin d’ici. Ce qui me retient, c’est elle, c’est nous, c’est ce qu’on est en train de me voler sous les yeux, de me la prendre avec toutes ces simagrées d’usage pour la laisser s’envoler au delà des nuages. Même pas… son âme poussiéreuse restera prisonnière dans de la céramique. Voir ces gens se courber pour récupérer avec des baguettes japonaises ce qui reste de toi et le déposer avec application dans ce canope me donne la nausée.  

 

Ce qui reste de nous, de tout ce qu’on construit avec amour, le voir partir en fumée me rend fou. Impensable, insupportable pour l’Occidental que je suis. Pourtant je me tais. Par respect ou par lâcheté. Un haut-le-cœur me saisit de nouveau lorsque je vois ta mère prendre le canope comme on prendrait un nouveau-né entre ses bras, toujours avec retenue, aucune expression de tristesse. Ce putain de self-control que j’admirais chez eux me paraît aujourd’hui abominable.  

 

Un hurlement intérieur me déchire les entrailles, mon cœur se fige, je n’arrive pas à hurler ni même à bouger, car je suis tétanisé. Elle va le garder. Je ferme les yeux. Mais il est trop tard. Ces images resteront gravés sur mes rétines jusqu’à la fin de ma vie.  

 

Je n’ai plus ma place ici, dans cette Gishikino si dure à écrire. Je reste pour toi, pour nous, mais je te hais ; sache-le, je te déteste de nous infliger cela en me laissant seul ici. Mais je t’aime alors je me tais. La colère gronde. L’amour m’inonde. Comme le feu et l’eau qui se fondent dans un même combat. Je resterai là, droit, et impassible, je resterai jusqu’au bout pour t’accompagner. Je ne leur offrirai pas ce plaisir de souffrir.  

 

Un courant d’air s’invite dans cette masse de fumée parfumée dissimulant l’horrible vérité. Sa fraîcheur me fait du bien. Un peu. Je te sens près de moi, Kaori, inquiète, mal à l’aise. Je t’entends parler mais je ne comprends pas vraiment ce que tu souhaites me dire. J’aimerais te répondre mais je n’en ai pas la force, car je ne saurais pas quoi te dire, si ce n’est que, désormais, je déteste ce pays, Kaori.  

 

 

 

 

 

 

Flap flap flap
 

 

 

 

 

Ce fut le bruit tonitruant de la cafetière mais aussi des gouttelettes de café qui tombaient qui la firent sursauter. Elle somnolait. Encore. Elle avait à peine dormi une heure ou deux, tout au plus, tant les tracas l’avaient tenue éveillée toute la nuit. Son métier l’avait amenée à côtoyer la mort de très près, elle en avait même perdu Hideyuki. Malgré les années, le même frisson persistait. Aujourd’hui, elle l’avait également ressenti en observant Mick Angel. Dire sayonara à son partenaire de vie était une des choses les plus atroces qu’il puisse arriver avec celle de perdre son enfant. Certainement.  

Elle avait aperçu avec tristesse cet éclat particulier dans son regard, incrusté à tout jamais dans ses yeux bleus azur. Il était lui aussi désormais marqué par ce sceau. Ce crime la remuait de l’intérieur, réveillant ses propres douleurs. La colère, aussi.  

 

La contrariété de son père s’était abattue sur elle sans ménagement, mais elle avait accepté, car elle estimait que cela était justifié. Elle avait échoué à maintenir l’ordre.  

 

L’affaire lui glissait entre les mains comme l’eau entre ses doigts. Elle avait dû affronter ses questions aiguisées comme des lames de Katana qu’elle redoutait car elle avait dû gommer certains éléments pour protéger Ryo.  

 

Un certain déshonneur flottait sur la fille de procureur qu’elle était, car les derniers événements rendaient flagrant son échec. Les médias commençaient à en parler avec plus d'insistance que ce qui se passait ailleurs au Pays du Soleil Levant.  

 

Elle soupira.  

 

Son regard se dirigea vers le téléphone qui restait muet. Elle attendait des nouvelles. Saeko s’empara d’un papier et d’un crayon. Sourcillant à ce qu’elle s’apprêtait à faire, elles se résuma mentalement l’intrigue. Pourtant, tout avait commencé d’une manière des plus ordinaires pour une fanfiction. Elle réfléchit, puis elle écrivit :  

 

Fusillade du Cat’s  

– – Agressions de Goshi Murata  

– – Mort de Jimin-Jang, gérant un bar sur Kabukicho et indic de Ryo  

– – Saccage du Kabuki, agression d’Okuni.  

 

Les trois personnes susmentionnées côtoyaient Ryo, de près ou de loin.  

 

Elle continua d’écrire :  

 

– – Prise à partie de Ryo et Mick lors d’une soirée de jeux clandestine.  

 

Ce dernier fait la contrariait, déjà parce que les nettoyeurs ne l’avaient pas avertie de cette soirée. Mais aussi, il était clair qu’on voulait maintenant passer au stade supérieur de cette avalanche de violence qui allait crescendo : on s’en prenait directement aux nettoyeurs.  

 

Pourquoi s’en prendre à Ryo ? Un règlement de compte à cause d’une ancienne histoire ? Il était souvent en lien avec les Yakuzas. Hideyuki s’était lancé dans une croisade après avoir quitté la police en voyant l’inefficacité du système judiciaire contre la pègre qui gérait l’univers de Mizu Shobai. Qu’en penserait-il aujourd’hui ?  

 

– – Watanabe introuvable. (** mort du bras droit à Osaka)  

 

Incroyable. Personne ne savait où il était. Malgré les indics infiltrés chez les Yakuzas, sa propre famille ne savait pas. La panique était palpable. L’oyabun disparu, son nouveau wakagashira en la personne d’Eiji aussi. La rumeur disait que l’alliance entre les familles Yamaguchi-gumi et Sumiyoshi-rengō avait mal tourné. Pourquoi une telle alliance ? Les lois antigang en seraient à l’origine. Incohérent en y réfléchissant. Un fait manquait. Shigeo Nishiguchi.  

 

Aucun chapitre, ni même paragraphe, ne parlait de cet oyabun jusqu’alors demeuré dans l’ombre. Qui dirigeait qui dans cette histoire, se demanda-t-elle.  

 

– – Eiji Personnage problématique  

 

Elle barra personnage problématique, car il n’était pas problématique, car elle n’en était pas si certaine.  

 

Quelque chose n’allait pas dans tout cela. Tout avait démarré dès son apparition dans le chapitre un, lorsqu’il avait empêché une attaque qui était menée contre Cat’s ou Kaori. On ne savait toujours pas qui avait été vraiment visé. Eiji aussi semblait avoir été effacé. Aucune trace. Peut-être se cachait-il en raison des représailles qui planaient désormais sur lui.  

 

Saeko sourcilla. D’après les dires de Ryo, Eiji était maintenant sur la liste de personnages à éliminer. Les trahisons au sein des Yakuzas n’étaient pas rares. En outre, il était tout à fait possible qu’Eiji décide de changer de camps. Pour quelles raisons ?  

 

 

– – Risque d’embrasement à travers le pays  

 

– – Regroupement de Yakuzas sur Osaka et sur les USA  

 

Bien que son rôle fût d’y faire appliquer l’autorité, ce décor était le sien à elle aussi. Le voir à l’agonie lui était pénible. Il demeurait le vivier de trafiquants en tout genre, elle savait tout cela et ne le légitimait aucunement, mais elle ne pouvait pas être insensible. Mizu shobai du Kabukicho semblait sens dessus-dessous depuis l’arrivée de ce Yakuza. Cela pouvait sembler étrange, mais la présence des Yakuza régulait par attouche la criminalité au Japon. C’, c’était un système vicieux, mais ici, toutes les règles semblaient avoir été gommées.  

 

– – Han-gure  

 

C’était bien cet élément qui la tracassait aussi. Qui étaient-ils ? Elle n’avait jamais entendu parler des Han-Gure. Quel drôle de nom pour désigner des voyous.  

Différents des Yakuzas, ils ne semblaient pas être appréciés par ces derniers, d’après le peu d'informations qu’elle avait pu obtenir ici et là.  

 

 

– – Assassinat de Kazue  

 

Était-elle véritablement visée ? Peut-être qu’ils s’étaient trompé de cible et que c’était Kaori qui était visée. Dès le lendemain du drame, les autorités avaient mis en place sur Tokyo un plan d’urgence car il ne fallait pas que cela s’étende à travers le pays. De plus, le véritable problème résidait ici. Du moins elle le pensait, mais elle n’en n'était plus réellement certaine. Elle soupira une nouvelle fois tant l’angoisse était pesante. Elle se laissa aller à ses pensées tout en griffonnant ici et là des dessins pour faire descendre la tension et se débarrasser de cette sensation de vivre un mauvais rêve. Elle laissa son crayon glisser sur le papier pour dessiner.  

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Saeko hésitait à écrire de peur qu’on ne la lise ou que les lecteurs soient offusqués. Sans se l’avouer, elle fondait un espoir sur une personne, qui n’était pas Ryo, cette fois-ci, car il était embarqué lui aussi dans les flots de cette fanfiction. Sa priorité à lui, demeurait aujourd'hui de sortir lui aussi l’eau. L’âge des histoires où il était le seul maître du jeu paraissait révolu. Tout semblait être en mouvement, les bases, les habitudes, les décors semblaient chahutés par un fort courant.  

 

 

 

Il s’agissait de… Elle écrivit malgré elle :  

 

Okubo Toshimishi  

 

 

Elle avait osé. Peut-être n’allait-il pas pouvoir les aider, mais elle demeurait persuadée qu’il pouvait apporter une aide non négligeable vu sa situation géographique et qu’il était le seul personnage à avoir la tête hors de l’eau, hors du décor habituel, qui pourrait aider ce héros de manga, Ryo Saeba.  

 

Le téléphone sonna.  

 

Un sourire apparut sur le visage de Saeko en entendant la voix d’Okubo Toshimishi qui lui annonça qu’il avait une piste sérieuse.  

 

 

 

 

 

Flap flap flap
 

 

C’était bien. On ne voyait rien.  

 

Les gouttelettes d’eau se mêlaient à ses larmes pour les emporter avec elles loin d’ici. Le chant de mizu couvrait également les longs sanglots qu’elle avait du mal à dissimuler.  

La vapeur d’eau qui l’enveloppait l’apaisait. L’eau était chaude, voire bouillante, et lui martyrisait la peau. Volonté de gommer, de nettoyer tant elle se sentait souillée. Cette peau qu’en temps ordinaire elle cajolait avec soin lui paraissait aujourd’hui immonde.  

Son cœur lui aussi semblait étrange, car il paraissait avoir été effacé. À la place, un vide béant s’était creusé. Elle ne supportait pas cette sensation.  

 

Cette distorsion entre l’être et le paraître se diluait avec de l’eau. Comme dans un dessin fait à l’aquarelle, elle faisait apparaître des couleurs pastels. Mais, derrière ces couleurs douces, se dissimulait tout un dégradé qu’elle avait du mal à accepter. Depuis ce matin, elle avait froid. Un froid mordant s’était installé en elle. Mauvais présage. Malgré tout, n’étant pas d’une nature inactive, Okuni s’était décidée à prendre des décisions pour reprendre la main sur sa vie qui s'effritait au fil des chapitres. Le moral paraissait capricieux, mais elle ne lui offrit pas l’opportunité de la guider dans ses choix.  

 

La nuit avait été courte ; incapable de trouver le sommeil ; ces derniers jours tournaient en boucle dans son esprit. Son agression, Daisuke et sa promesse d’une vie meilleure à Osaka. Il lui vendait du rêve…  

 

La venue de Ryo. Ce point-là la dérangeait un peu plus que les autres. Pourquoi était-il venu ? Il aurait bien fait de ne pas venir la voir à l’hôpital, il n’aurait même pas dû la raccompagner ici. Jamais elle n’aurait dû lui dévoiler l’adresse de son refuge. Une fissure. Le nettoyeur aurait dû l'ignorer et se concentrer uniquement sur la fanfiction, il aurait dû au contraire l’éloigner du scripte de cette histoire qui ne l’épargnait pas.  

 

 

Aux yeux du milieu, elle demeurait une mama-san, une femme gérant d’autres femmes aux services des plaisirs des hommes. Une putain. Qui ne valait plus grand-chose Sur ce point, Daisuke avait raison. Rien de bien extraordinaire en soi que de constater qu’elle connaissait mieux que quiconque la nature humaine dans son aspect les plus sombres et les plus pernicieux au vu des demandes des plus insolites qu’elle dut y faire face.  

 

Le vice, la misère humaine semblaient sans fond.  

Aujourd’hui, elle pouvait disparaître et démarrer une nouvelle vie, sous une fausse identité. Mais sa conscience ne serait pas plus tranquille si elle appliquait cette décision.  

 

Si elle arrêtait, elle mettrait également ces jeunes femmes qui travaillaient pour elle à la rue, les laissant tomber sous le joug de maisons bien moins humaines.  

Son cœur se serra, car elle leur avait fait une promesse : celle de se sortir ensemble ce milieu nauséabond. Loin d’en tirer une quelconque fierté, Okuni contribuait seulement à mettre un coup à Mizu Sobai qu’elle haïssait… Loin, très loin de ce marasme lumineux et du folklore pour touristes ignorant la réalité du Kabukicho.  

 

Malgré toutes les épreuves, elle se relèverait. Une certitude. D’une manière ou d’une autre, elle ne laisserait certainement pas la noirceur la gagner. Du moins, pas totalement, car elle en était déjà pas mal imbibée. Sa rage de vivre était bien plus forte : si le bonheur ne venait pas à elle, elle irait le chercher. Elle se l’était juré.  

 

Ce n’était ni le feu, ni l’eau, d’ailleurs, qui la stopperaient. Elle allait toucher du bout des doigts sa liberté et partirait loin… Loin, très loin d’ici pour ne plus se retourner sur ce passé qu’elle classerait dans un dossier comme le reste de sa vie.  

 

Elle ne le brûlerait pas, ne le cacherait pas vraiment, mais elle ne le mettrait jamais en avant, dans son présent. Décidée à utiliser le carnet d’adresses qu’elle avait pu se faire, elle avait une dernière carte de hanafuda à jouer : demander un prêt pour donner un nouveau visage au Kabuki. Loin de se voiler la face, elle savait avec certitude qu’elle allait s’aventurer vers d’autres problèmes ; elle n’avait malgré tout pas trop le choix. Elle voulait s’en sortir.  

 

Les banques étaient frileuses et allaient certainement refuser sa demande, vu les origines douteuses et le maigre apport de fonds qu’elle déposait au compte-goutte. La plupart de ses fonds étaient en liquide, cachés. Considérée aux yeux des banques comme étant un shinogi, un larcin de Yakuza, au vu de son ancienne relation, elle avait dû redoubler d'ingéniosité. Certes, elle ne connaissait pas un grand nom proche de la mafia qui pourrait faire plier une de ces banques qui fermaient les yeux pour les chefs de gangs et plus encore les oyabun, mais elle était bien décidée à réussir.  

 

C’est dans ce flot de pensées qu’elle se dirigea vers la gare, mais elle stoppa sa marche en ressentant une présence. Son cœur se mit à vibrer. Pas besoin de le « voir », elle le reconnaissait parmi des milliers. Après la surprise vint la peur. Elle accéléra le pas, pour se fondre dans la foule, les indics de Ryo étaient là, se dit-elle pour se rassurer, mais son instinct de survie lui ordonnait d’accélérer et de fuir loin d’ici, de sortir des encadrés pour repartir dans l’ombre de sa vie.  

 

 

flap flap flap
 

 

La litanie de Mizu semblait l’appeler. Il détourna son regard vers la fenêtre et constata que des gouttes d’eau s’abattaient sur la vitre. Le métronome du temps semblait avoir encore changé de rythme, des blancs, des séquences, des lieux différents sans qu’il ne réalise vraiment les changements. Sans vraiment le décider, le mode automatique s’était enclenché. Cela permettait de ne rien ressentir, juste d’agir.  

 

Mick se retrouva une nouvelle fois devant le Pumpkin Yellow, chez lui.  

 

Pourquoi l’observait-il encore et toujours avec une telle insistance ? Avoir une réponse? Il réfléchissait sans vraiment parvenir à savoir ce qui se passait en lui. Une chose était certaine, Kaori était là, près de lui, encore une fois.  

 

Relevant les yeux à ce constat, il la dévisagea une nouvelle fois, mais ici sans l’ombre d’une trace de colère, bien au contraire avec de la douceur et de la reconnaissance. Elle était là à la soutenir.  

 

– Arigato, lui adressa-t-il en s’adressant véritablement à elle.  

 

Alors qu’elle s’apprêtait à lui répondre, il enchaîna dans un murmure :  

– Peux-tu me faire un thé, s’il te plaît ?  

Étonnée de sa prise de parole, la nettoyeuse le considéra, inquiète devant son attitude étrangement calme.  

 

– Du thé ? répéta-t-elle afin d’être certaine d’avoir bien compris.  

 

– Oui, Kaori, comme celui que tu avais préparé dans le passé… La poudre, rajouta-t-il de façon décousue, à moitié dans le présent, à moitié dans le passé.  

 

Interloquée par cette requête si particulière, elle avait l’impression d’être partie dans un autre univers teinté de vert dont les ombres étaient prêtes encore et toujours à surgir dans leur décor pourtant teinté de la noirceur de Yakuza.  

 

– Une mousse de Jade, tu veux dire ? demanda-t-elle pour être sûre d’avoir saisi sa requête.  

 

– Oui... Une mousse de Jade, confirma l’Américain.  

 

– Donne moi dix minutes, répondit-elle en se relevant précipitamment afin d’aller récupérer tout ce dont avait besoin pour le lui préparer.  

 

Heureuse de le voir enfin interagir, elle se sortit en trombe de chez lui.  

 

~G~
 

 

Il s’agissait là peut-être d'un aparté inutile dans cette intrigue mais, pourtant, l’Américain avait envie de goûter une dernière fois à cette boisson sacrée. Il souhaitait par-dessus tout palper cette atmosphère traditionnelle qu’il avait appris à aimer dans son incompréhension mais qu’aujourd’hui il détestait.  

Aussi, que Sugar accepte encore une fois de laisser Kaori mener une cérémonie du thé improvisée, mais cette fois-ci uniquement pour sa personne, procurait un peu de chaleur à son cœur meurtri d’avoir toujours été le troisième dans ses intrigues. Pas aujourd’hui. Mais il voulait surtout se convaincre qu’en buvant ce thé, cela lui permettrait d’aller de l’avant dans cette histoire, pour trouver sa nouvelle place dans ce papier carbonisé. Une pensée totalement irrationnelle, et pourtant, il acceptait. Et puis, il voulait s’assurer que ce que l’auteur racontait était exact quant à la magie du thé vert.  

 

~G~
 

 

Ses songes l’emmenèrent à cette soirée sous le signe des Hanafuda en compagnie d’Eiji, à la rivière de cartes devant laquelle le nettoyeur était resté médusé, sans broncher. Mick comprit à cet instant pourquoi il avait été si sensible à ce cours d’eau. Il partit à des milliers de kilomètres d’ici. Pendant de très longues minutes, Mick resta stoïque.  

 

– Quand j’étais gosse, je partais à la chasse tout les week-ends avec mon père, déclara-t-il de but en blanc, brisant ainsi le silence sacré d’une cérémonie du thé.  

 

Étonnée par cette confidence sans préambule, Kaori se rapprocha de lui.  

 

– J’attendais toujours cela avec impatience, ajouta-t-il plongé dans ses souvenirs.  

 

– On avait un chalet, j'adorais ces moments passés avec mon père, je le suivais avec bonheur, raconta-t-il les yeux rivés sur son bol. Pas loin de la maison, il y avait une magnifique rivière où j’escomptais à chaque fois prendre la plus grosse truite.  

Un rire discret s’échappa de sa gorge contractée.  

 

Ses yeux se firent plus lumineux ; enfin une émotion transparaissait sur son visage, constata la nettoyeuse.  

 

– J’ai toujours préféré la pêche à la chasse, mais comme je ne voulais pas décevoir mon père, je n’ai jamais rechigné à le suivre dans la forêt en quête de gibier. Mais j’adorais cette rivière, elle me faisait rêver quand j’étais gosse.  

 

La nettoyeuse qui écoutait attentivement eut du mal à retenir son émotion.  

 

 

– Je vais partir, Kaori, annonça Mick d’un ton décidé en buvant sa dernière gorgée de thé.  

 

– Partir ? Mais où cela ? s'écria-t-elle sous le coup de la stupeur tant la transition avec ce qu’il venait de confier était brutal.  

 

– Je vais rentrer chez moi, annonça-t-il d’un ton tranquille.  

 

– Mais qu’est-ce que tu racontes, Mick ! C'est ici, chez toi ! s’exclama Kaori, décontenancée.  

Paniquée, elle s’était relevée pour lui faire face en refoulant ses larmes.  

 

– Non… Tu sais bien que non… Je suis un gaijin, ici, confia-t-il en se levant à son tour.  

 

Les sanglots de Kaori le perturbaient, car ils pouvaient faire fléchir sa résolution. Alors, il passa sa main dans ses cheveux d’acajou, peiné de la voir aussi triste.  

 

– Tu ne dois pas prendre en considération l’attitude parents de Kazue… C’est faux, ce que tu racontes… Et nous ?... Et Moi ? protesta la nettoyeuse en relevant la tête.  

 

 

Il secoua la sienne, pour se défaire des doutes qui s'infiltraient en lui comme des gouttes d’eau. Il devait partir de la fanfiction. Bien décidée à le faire changer d’avis, elle ajouta en serrant les poings pour contenir sa colère :  

 

– Et pis tu ne peux pas partir comme ça, il faut trouver cet assassin, Mick !  

 

Ne souhaitant pas fléchir, il se retourna pour ne plus la voir. Après quelques instants de silence, il lui lança d’une voix atone :  

 

– Je n’abandonne pas Kazue. Jamais. Mais, j’y ai bien réfléchi. Il faut que je prenne du recul, Kaori.  

 

Bien sûr, il pensait à cet être qui avait osé lui ôter la vie. Leur vie. Il serait retrouvé. Une certitude. Accaparé par ses pensées l’Américain ne disait plus un mot.  

Kaori était accrochée à ses paroles. Il lui dit dans un souffle :  

 

– Je reviendrai… Plus tard… Malgré tout ce qui s'est passé, quoi qu’on en dise, Ryo reste l’oya de cette fanfiction. J’ai confiance en lui, affirma-t-il d’une voix assurée.  

 

La réalité avait rattrapé la fanfiction dans ce chapitre. Le décor s’était totalement modifié. Il n’était pas un personnage de papier mais un être de chair et de sentiments. Il pourrait tout retourner, lacérer toutes les pages de l’histoire pour retrouver l’enflure qui avait fait tout cela, il voulait aussi remettre la main sur ce Yakuza, lui faire payer d’une manière ou d’une autre, sans réellement savoir dans quel camp il était. Il s’en fichait. S’il écoutait sa colère, il voulait seulement se venger.  

 

Mais la raison l’emportait. Il se laisserait porter par l’eau de la rivière, pour s’en aller loin de l’univers nocturne gouverné par les yakuzas.  

 

« Le commerce de l’eau »
 

 

 

Sous cette appellation bien poétique se cachait la réalité bien sombre des Yakuzas, parée de cette dualité propre au Japon. Bien qu’il soit un ancien nettoyeur, naviguant dans le monde des malfrats depuis de nombreuses années, il était désormais marqué par cet univers complexe:  

 

Le Mizu Shobai
 

 

 

 

Y
 

 

*« Ma vie est un pois perdu parmi des millions d’autres pois. » a déclaré Yayoi Kusama  

 

Artiste contemporaine japonaise avant-gardiste, peintre, sculptrice et écrivaine. Elle utilise souvent des pois et des couleurs sur ses œuvres.  

 

Ps : Une belle coïncidence….pour les personnes habitant sur Paris et ses environs, vous pouvez voir actuellement une immense statut à son effigie . Elle se situe sur la rue du Pont Neuf, entre le siège de la Maison Louis Vuitton et la Samaritaine. Impossible de la manquer, très impressionnant.  

 

 

** Hélas la sculpture de la citrouille a été détruite par le passage d’un typhon en 2021  

 

 

 


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