Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated G - Prosa

 

Autore: patatra

Status: Completa

Serie: City Hunter

 

Total: 1 capitolo

Pubblicato: 10-09-23

Ultimo aggiornamento: 10-09-23

 

Commenti: 7 reviews

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GeneralRomance

 

Riassunto: Un voyage iniatique au coeur de la légende...

 

Disclaimer: Les personnages de "S'aimer comme des arbres" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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Since it's impossible to check who's reading those fanfictions in the HTML format, the fanfictions NC-17 are only available in php version.

 

 

   Fanfiction :: Happy birthday City Hunter! S'aimer comme des arbres

 

Capitolo 1 :: S'aimer comme des arbres

Pubblicato: 10-09-23 - Ultimo aggiornamento: 10-09-23

Commenti: Bonjour à tous, voici ma proposition pour le défi de Mana, sur le thème "première fois", avec un peu des autres thèmes de çi, de là. Un grand merci à toi, Mana, qui as su soulever l'adhésion. C'est une belle réussite que ce défi. J'ai vu qu'il me restait pas mal de textes à lire, vous êtes prolifiques. Bravo! Pour ma part, je renonce à peaufiner davantage ma proposition sinon je ne publierai jamais. J'espère que cette lecture vous plaira. A bientôt! Pat.

 


Capitolo: 1


 

 

S’AIMER COMME DES ARBRES
 

 

 

 

La pole danseuse tournoyait autour de la barre dans une figure dont nos trois héros ignoraient le nom mais dont aucun d’eux ne douta de la difficulté, ni de l’esthétisme. L’élégante danseuse retoucha terre dans une grâce peu commune ; ce qui extirpa un sourire béat, un regard enfiévré ou une grimace jalouse selon le degré de réceptivité dudit héros à la vénusté de la nymphette. La joliesse de son visage n’avait rien à envier à la fermeté de son corps, galbé comme une antilope springbox, élancé et fuselé comme la carlingue d’un avion à réaction.  

 

Oui, cette fille était une bombe…  

 

Une bombe atomique pour Mick et Ryô. Une bombe à retardement pour Kaori.  

 

Cette dernière avisa le reste de la salle, une dizaine d’autres pole danseuses s’exerçaient dans un ballet aussi élégant qu’athlétique.  

 

Que des bombes ! Un champ de mines !  

 

La rousse obliqua vers sa gauche et découvrit l’américain en pleine métamorphose animale, en chien bloodhound pour être précis ; une usine à bave. Les babines pendues, la langue haletante, la poitrine sursautant, Mick Angel perdait de sa superbe en inondant de salive ses mocassins J.M. Weston hors de prix, un fleuve de sécrétion visqueuse et repoussante. La grimace de Kaori s’élargit tandis qu’elle constata l’effet avilissant qu’une blonde, certes particulièrement bien faite de sa personne, pouvait avoir sur son ami. Elle massa vigoureusement ses tempes avant de se retourner vers son partenaire. Il était à parier que l’autre obsédé ne devait pas être dans un meilleur état. Ryô et Mick partageaient la même obsession des belles filles, ils avaient les mêmes goûts, les mêmes travers… et les mêmes réactions. Surprise ! Le brun restait fidèlement à ses côtés et ne s’était pas précipité sur la pin-up sexy, comme on aurait pu s’y attendre. Il arborait tout de même un faciès pervers, ses doigts nerveux jouaient devant ses yeux larmoyants, puis trouvaient refuge dans sa bouche affamée. Oui, il se mordait violemment les doigts et baragouinait des mots insensés.  

 

Se retenir, se retenir, se retenir…  

 

Interloquée par une telle maîtrise de soi peu conventionnelle chez le nettoyeur, Kaori plissa des yeux, suspectant elle ne savait trop quelle stratégie. Visiblement, en tout cas, il semblait craindre de sa part une correction telle qu’elle le dissuadait de céder à ses vices. Un sourire satisfait et reconnaissant traversa le bouille féminine tandis qu’un vacarme dans son dos l’avertit que l’autre andouille venait de succomber à ses bas-instincts. En une fraction de seconde, la brute dégaina une massue géante qui cueillit en vol celui qui se prenait pour une libellule virevoltant vers une proie appétissante. Le blond se scratcha inélégamment en jurant, avant de s’écraser sur le sol comme une jolie bouse. Bientôt, la rouquine vint admirer son œuvre, l’œil maléfique et le rire sadique. Elle toisa l’américain qui virait mélancolique :  

 

« Pourquoi tant de haine ? se plaignit-il.  

— Je te rappelle que tu es marié ! accusa-t-elle d’un index tendu.  

— Hein ? Quoi ? Meuh non ! s’indigna le spécimen mâle en reprenant forme humaine. C’est quoi encore cette histoire. N’écoutez pas chère délicieuse demoiselle… »  

 

D’un geste prompt et séducteur, il venait de saisir la main de la pole danseuse de ses rêves et la portait à ses lèvres gourmandes. Rougissante et visiblement non indifférente aux charmes étrangers, la jeune femme accepta bien volontiers la marque d’affection dont on couvrait avec largesse le dos de sa main.  

 

« Arrête ça immédiatement ! vitupéra la furie en arrachant la bouche impudente qui persévérait dans ses baisers inconvenants.  

— Voyons Kaori d’amour, rétorqua l’ancien nettoyeur en récupérant sa bouche, je ne fais que rassurer cette talentueuse danseuse sur mes intentions. Ne vous méprenez pas, danseuse de mes rêves, je ne suis engagé d’aucune façon, sinon par la décharge d’ocytocine produite par votre incroyable performance lorsque nous sommes entrés et qui m’a inéluctablement enchaîné à vos cuisses fuselées enroulées autour de cette barre. Je suis désormais votre dévoué, je m’occupe de votre protection ! »  

 

Kaori resta coite une fraction de seconde avant de se reprendre bien vite devant la mine soudain songeuse de la déesse de la barre.  

 

« Oui, nous sommes gardes du corps et nous avons été engagés par votre directeur pour assurer votre protection, éclaira-t-elle.  

— Protection ? Cela a-t-il à voir avec les menaces reçues au centre culturel ?  

— Oui mon étoile céleste, mais ne craignez rien, Mick Angel vous est personnellement attribué. Vous voilà hors de tout danger avec le meilleur nettoyeur du monde, se gargarisa le paon vaniteux.  

— Oh, je vois…, ajouta la demoiselle ravie. Et vous êtes marié, oui ou non ?  

— Non, évidemment que non ! rétorqua le blond, quelque peu penaud, en présentant sa senestre. Regardez, pas d’alliance !  

— C’est tout comme, grommela la nettoyeuse, agacée par l’aplomb et le déni de son ami.  

— Non ! Ce n’est pas tout comme.  

Quand on aime, on ne regarde pas ailleurs ! postillonna la rousse, pleine de verve.  

— Tu sais pas de quoi tu parles, asséna le blond récalcitrant.  

— Oh… »  

 

Désemparée, elle fit volte-face pour embrasser Ryô du regard. Il affichait un air compréhensif mais sceptique qui la désespéra un peu plus. Lui, visiblement, n’y croyait pas.  

 

Sentant la moutarde envahir ses narines et largement mortifiée par la dernière estocade, Kaori tenta de reprendre le contrôle de ses émotions. Pour être tout à fait honnête, son meilleur ami méritait d’être dézingué par une massue maousse pour l’affront qu’il faisait subir à sa chère et tendre en draguant à tout va, mais aussi et surtout pour son insubordination. Qu’il tienne tête de la sorte était inhabituel. Non, d’habitude, il filait droit dès lors qu’on lui lisait ses droits après interpellation. Sa réaction du jour était… bizarre, pour le moins bizarre, et avait de quoi traumatiser une Kaori qui pressentait comme ladite réaction était annonciatrice d’un séisme imminent.  

 

Se croyant investie d’une mission cupidonesque, elle se la joua redresseuse de torts, combattit pour sauver l’honneur de son amie Kazue. L’amour, espérait-elle, triomphait de toutes les incartades, soient-elles uniquement rhétoriques ou synonymes de jeu de séduction. Habité d’un bagout d’apparat, Angel, quant à lui, courtisait et emballait grave, tout en escrimant talentueusement avec la nettoyeuse pour la tenir éloignée du coup d’enfer finement débusqué ; il resta sourd aux arguments de loyauté, de fidélité, de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas.  

 

La jeune femme faisait chou blanc : toutes ses tentatives pour ramener l’américain à la raison se soldait en un cuisant échec. La blonde danseuse, plus que réceptive, proposa elle-même un rendez-vous pour convenir des modalités de sa protection et la nettoyeuse manqua de s’étrangler. Pire, elle envisagea de passer sous sa massue la sculpturale créature. Bon sang, être aussi fébrile ne lui ressemblait pas !  

 

Mais… soudain, la sanguine se pétrifia. Fallait-il qu’elle soit stupide ?  

 

Si d’aventure Mick ou Ryô avaient eu accès à cette réflexion, ils se seraient volontiers gaussés. Cependant, Kaori elle-même, leur aurait donné raison. Dans une grimace inquiétante, elle entama une rotation.  

 

En s’attachant à dompter le pur-sang indien, elle en avait oublié la fourberie de son Diable de Tokyo attitré – nouvelle espèce endémique du Japon qui ne comptait, heureusement, qu’un unique spécimen en la personne de Ryô Saeba et qui n’était pas sans rappeler son cousin de Tasmanie. Qu’il était fûté, le saligaud ! L’attention détournée par une noble cause, la nettoyeuse laissait ainsi champ libre au Diable libidineux au milieu de nymphes toutes plus affriolantes les unes que les autres.  

 

Mais alors qu’elle s’apprêtait à se transformer en volcan et à déverser dans le gymnase des litres de fiel en fusion pour corriger le pervers numéro un, elle tomba sur un Ryô particulièrement calme qui jaquetait avec, semble-t-il, maîtrise de soi et affabilité avec une pole danseuse que Kaori qualifia illico d’inoffensive. Elle se mordit les lèvres de honte, l’âge mûr de la dame était une raison plus que convaincante de sa faible capacité d’attraction sur son partenaire. Mais pourquoi Ryô avait-il jeté son dévolu sur cette danseuse en particulier ? C’était louche.  

 

Illico presto Kaori abandonna le blond à sa cible pour se rapprocher de celui qui paraissait sacrément sérieux et captivé par sa conversation avec l’ancêtre.  

 

« Vous me confirmez donc que je peux installer une barre comme celle-ci dans mon salon ? put-on entendre.  

— Assurément, rien de plus facile.  

— Oh là là, Kaori chérie, je t’offre une barre de pole dance pour ton anniversaire ! annonça le nettoyeur avec emphase en se tournant vers sa partenaire.  

— Et qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? tiqua la concernée et zieutant la danseuse pour déceler une quelconque supercherie. »  

 

Cependant la suspecte était bien celle qu’elle paraissait. Des rides profondes creusaient ses joues et juraient en comparaison de son corps aux courbes affolantes.  

 

Y avait pas à tergiverser, la pole danse ça entretient !  

 

« Tu pourrais t’entraîner pour m’offrir un spectacle envoûtant lorsque je rentre de mission. T’as vu comme c’était hyper sexy ?  

— Tu ne me crois pas capable de le faire, avoue ! cracha Kaori après avoir attrapé le Diable par le colbac pour mieux le fusiller du regard. Tu as envie de te foutre de ma gueule, c’est ça ? Je ne suis pas assez féminine, pas assez souple pour devenir pole danseuse ?  

— Bah non…  

— Comment ça, bah non ? Je suis capable de tout, Saeba ! hurla-t-elle en déglinguant son partenaire sans trop savoir pourquoi, juste parce qu’il avait le don de l’horripiler. Et je lis en toi comme dans un livre ouvert, inutile de nier que tu fomentes un plan diabolique pour te débarrasser de moi et flirter avec toutes ces filles en tenue légère. Tu sais quoi ? Tu m’fatigues à toujours manigancer pour t’envoyer en l’air avec tout ce qui bouge. Ton mokkori me sort par les trous de nez ! »  

 

La vieille dame assistait à la scène en battant des cils. C’était quoi cette énergumène brutale et grossière ? Pour sûr, non, elle ne pouvait pas prétendre à devenir pole danseuse.  

 

« Mais j’ai pas dit ça ! C’est justement le contraire que je voulais dire, tenta de se défendre le brun contrit et étonné de la réaction épidermique de la championne du monde de la massue.  

— Franchement, vous m’agacez tous les deux ! annonça-t-elle la sentence en se retournant vers le blond couard qui se gardait bien d’intervenir. J’me casse d’ici, je préfère travailler avec les acteurs, moi ; de l’intellect me fera le plus grand bien, j’ai besoin de délicatesse et de créativité. Direction la salle de théâtre. Je vous laisse finaliser vos petites affaires libidineuses avec ces… »  

 

Lorsqu’elle prit conscience des paires d’yeux courroucés et agressifs braqués sur elle, Kaori ravala sa salive et prit conscience de sa verve malvenue. Les danseuses puissantes et racées se métamorphosaient en une horde de louves aux yeux luminescents et menaçants ; il lui sembla même discerner leur grondement sourd en ce lieu voué à vénérer la féminité.  

 

Gloups.  

 

Elle ne se fit pas prier et fila fissa dans la salle suivante. Décidément, cette mission au centre culturel tournait déjà à la catastrophe. Ah, elle l’avait pressenti ! Quoi de plus étonnant que Ryô acceptant une mission pour un homme – le directeur du centre – et Mick se joignant à eux dans une allégresse louche. Apprendre qu’en ce lieu de culture, l’activité de pole dance était proposée avait éclairé sa lanterne ! Les pervers allaient s’en donner à cœur joie et elle allait vivre un vrai cauchemar.  

 

Cela ne faisait que quelques secondes que la nettoyeuse venait de quitter la pièce qu’un américain hilare, vint enrouler un bras autour des épaules du japonais décontenancé par les moments qu’il venait de traverser.  

 

« Top drôle ! clama le blond. Mon pauvre Ryô, tu t’es tellement décrédibilisé aux yeux de Kaori depuis des lustres qu’elle ne pense pas que tu puisses être sincère avec elle. Le mieux serait d’user de mots sonnants et concrets pour lui dévoiler que tu es enfin prêt à entamer une relation avec elle.  

— Va te faire foutre Angel ! pesta le nettoyeur en se débarrassant de l’accolade amicale. Je fais comme je peux. Et ça ne te regarde pas ! Applique plutôt tes propres conseils et confie à ta meilleure amie que ton couple est en perdition. Au cas où tu n’en aurais pas conscience, ça perturbe Kaori. »  

 

Devenu étrangement calme et sérieux, Mick se rembrunit tout en opinant du chef.  

 

oOo
 

 

Ryô s’adossa contre le chambranle de la porte et contempla Kaori, assise en tailleur devant la bibliothèque qu’elle avait installée dans leur salon quelques semaines auparavant. Certes, cette dernière paraissait bien vide encore, uniquement garnie des livres que Kaori avait récupérés ou glanés de ci de là – qu’elle n’avait pas tous lus d’ailleurs – mais, indéniablement, l’atmosphère de leur appartement s’en trouvait modifiée. Plus apaisante, plus cosy, plus… normale. Le brun contrôla la moue qui souhaitait investir ses lèvres. Kaori affichait-elle un désir inconscient ? Celui d’échapper au monde violent et âpre dans lequel ils évoluaient tous les deux depuis de nombreuses années et y insuffler une forme d’apaisement par le biais de la littérature ; plus que de l’apaisement même, de la culture, du cérébral. Certainement devait-il lui paraître bien sot ; lui et son ignorance, son désintérêt de l’intellect, sa rétivité presque, ses carences éducationnelles…  

 

La rouquine caressa avec émotion les reliures usées, feuilleta et parcourut rapidement quelques lignes, les traits traversés par la curiosité, l’attention happée par une action, un dialogue, les sourcils mouvant trahissant la sensibilité de son cœur au contact des histoires foisonnantes. En scrutant attentivement les expressions de son dragon, le nettoyeur s’amusa à reconstituer les lignes qu’elle effleurait du bout des yeux et auxquelles elle renonçait difficilement. Ryô devina ses intentions, s’approprier les différents récits, faire ses choix, tester, programmer ses prochaines lectures. Bien qu’il refusât de l’admettre, Kaori lui échappait ; un univers dans lequel il avait toujours cru ne pas avoir sa place attirait celle qui comptait au-delà de tout. Jamais Kaori ne le reconnaîtrait mais des désirs nouveaux émergeaient en elle. Combattre pour la justice illégale avait perdu de sa saveur ou tout du moins ne la satisfaisait plus suffisamment. L’altruisme a ses limites, des rêves inédits et foncièrement égoïstes se faisaient jour et revêtaient une certaine urgence.  

 

« Crois-tu que je pourrais y placer mes revues pornos ? » brisa-t-il malgré lui la concentration placide de sa partenaire.  

 

Quelle connerie ! s’admonesta-t-il lorsqu’il distingua le reproche dans les prunelles noisette de sa moitié.  

 

À quoi cela rimait-il de rompre son moment de plaisir, d’éclater sa jolie bulle par la stupidité d’une remarque à l’ineptie inégalable ?  

 

« Dois-je répondre à ta question ? » répondit-elle en renonçant à sortir une massue.  

 

D’un bond, elle retrouva la position debout et rangea minutieusement les ouvrages qu’elle avait grignotés et qui avait éveillé sa faim de lecture.  

 

« Ça s’est bien passé au théâtre ? changea-t-il de sujet, légèrement honteux.  

— En fait, il n’y avait personne, ils étaient tous en répétition au Kabuki-Za pour la représentation de ce soir. J’ai acheté une place d’ailleurs, je vais aller voir la pièce et j’en profiterai pour faire connaissance avec la troupe.  

— Donc tu sors ce soir ? rebondit-il sur l’information capitale.  

— Pas toi ? ricana-t-elle avec sarcasme. Vous n’avez pas réussi à convaincre ces jolies filles de vous octroyer un rendez-vous ? »  

 

Bien que forçant son intonation, la fébrilité de la jeune femme était palpable et réjouit le nettoyeur. Il était friand de ces indices qui laissaient deviner comme il était toujours au centre de ses préoccupations.  

 

« Je n’ai même pas essayé, daigna-t-il lever le voile.  

— Angel n’a, semble-t-il, pas la même volonté que toi, soupira Kaori en s’éloignant vers la fenêtre qui laissait entrevoir l’appartement de leurs amis. »  

 

Depuis quelques semaines, le couple mixte n’apparaissait pas au mieux de sa forme. Il n’était pas question de légèreté, des disputes ou des reproches habituels, non c’était une sensation diffuse et angoissante pour la nettoyeuse. Kazue et Mick s’éloignaient l’un de l’autre, leurs yeux se croisaient rarement, les sourires s’échangeaient mais la sincérité manquait, les mains restaient atones et ne chantaient plus les louanges d’un désir auquel elle n’avait pas accès mais dont elle connaissait la prégnance chez eux. Avant, leur complicité intime s’étalait aux yeux de tous. Aujourd’hui, nul ne pouvait ignorer la distance qui les éloignait et grandissait inexorablement.  

 

Évoluer dans la vie auprès de couples amis ne rend pas pour autant lisibles les sentiments mis en jeu. On croit cerner, connaître, on conjecture avec la certitude du démonstrateur mais, dans la réalité, seule la superficialité est décryptable, ce qui veut bien s’afficher, la partie émergée de l’iceberg. Il reste, et c’est heureux, une dimension qui n’appartient qu’aux deux intéressés, sans parler de ce qui est encore plus impénétrable et sombre : la conscience propre à chacun et à laquelle même l’être adoré n’accède pas. Ce territoire parallèle à l’Univers et qui, comme celui-là, est à la fois fini et infini, ne se dévoile quasiment jamais. On y déambule, hagard, cherchant un sens, un message, un chemin à suivre. Dans cette obscurité intérieure, la relation à l’autre – l’autre, notre amour – admet des contours changeants, suggère des émotions parfois antagonistes et possède sa vie propre. Oui, l’amour que l’on voue à un être possède une vie propre dans notre conscience. Cela sous-entend-il qu’il est condamné à la mort ? Ce qui est finit-il toujours par disparaître ? l’immuabilité du plus noble des sentiments, ce graal que tous recherchent en clamant son existence sans jamais en apporter la preuve, n’est-il qu’un concept abstrait et idéal qui se heurte à la réalité terrestre ?  

 

« À quoi tu penses ? » questionna Ryô qui s’était porté à la hauteur de sa partenaire.  

 

D’un quart de tour, cette dernière se retrouva face au brun de ses rêves, si près qu’elle pouvait le toucher juste en tendant les doigts.  

 

« À Kazue et à Mick, reconnut-elle d’un air désolé. Mick m’énerve ; si tu savais comme il m’énerve.  

— Et pourquoi il t’énerve ?  

— Parce qu’il n’est pas loyal ! Quand on est amoureux, on ne papillonne pas comme il le fait. »  

 

Était-ce là une Vérité ? Dans la proposition, trop de de paramètres… De plus, à n’en pas douter – et Ryô n’était pas dupe – la réflexion l’englobait également. Kaori nourrissait à son égard de lourds griefs, dont celui de jouer l’autruche depuis leur baiser au travers d’une vitre sur le bateau de Kaibara. Ses griefs transparaissaient par moments, aux détours de remarques qu’elle lançait comme autant de bouteilles à la mer, et que lui ne parvenait à saisir, ou dans le déchaînement de violences à la massue, art devenu martial et dans lequel elle avait acquis le grade ultime : ceinture rouge dixième dan.  

 

Apaiser les craintes de sa partenaire était pourtant dans les intentions du nettoyeur ; seulement il se débattait déjà dans le tri de ses sentiments et il était si inexpérimenté en ce qui concerne le sujet qu’il se vautrait minablement dès lors qu’il tentait une approche ou qu’il voulait montrer avec une certaine délicatesse ou une certaine mesure.  

 

« Je pense que c’est plus compliqué que ça, osa-t-il en déposant un regard d’encre sur celle qui lui donnait des palpitations.  

— Et j’peux pas comprendre ? aboya-t-elle, fidèle à ses travers. »  

 

D’un geste qui se voulut tendre, il caressa le front si prompt à s’encolérer et traça quelques signes dont elle ne comprit rien. Cependant, l’astuce faisait mouche et la rouquine ne pouvait plus moufter. Ses pieds trépignèrent tandis qu’elle constatait le pouvoir phénoménal qu’une caresse anodine avait sur elle. Lorsque leurs regards se trouvèrent, un malaise les étreignit et, brutalement, le nettoyeur retira sa main.  

 

« Depuis toujours Mick saute sur tout c’qui bouge, c’est un jeu, se lança-t-il dans une explication bancale.  

— Entre nous, c’est un jeu qui n’amuse que lui ! C’est trop facile de justifier le comportement anormal et irrespectueux d’un homme en couple par le simple argument : c’est un jeu. »  

 

Ryô avala sa salive, le terrain était risqué.  

 

« Les femmes ne sont pas des bouts de viande qu’on peut poursuivre lourdement d’assiduités tout en tentant de les tâter comme une vulgaire marchandise. De plus, une femme ne se réduit pas à son apparence physique, à son sex-appeal. C’est faire offense à la gent féminine tout entière que de se comporter de la sorte ! » asséna la rouquine avec conviction et presque militantisme.  

 

Quelques sueurs froides se frayèrent un chemin entre les puissantes omoplates. Lui renvoyer en pleine gueule ses vices en les noyant dans un contexte féministe était une nouveauté chez Kaori.  

 

« Crois-moi, ce n’est pas notre volonté. »  

 

Il avait dit « notre », il s’incluait donc dans l’affaire ; un sourire satisfait étira la commissure des lèvres de Kaori révélant ainsi son plaisir à mater du mâle Alpha.  

 

« La volonté de ne pas faire mal, c’est une chose, mais faire quand même mal, c’en est une autre. Et là, je n’ai parlé que des femmes courtisées… Kazue subit quotidiennement des affronts insupportables. »  

 

Ryô expira bruyamment et se retourna vers la fenêtre de son meilleur ami. Aucune lumière n’était allumée dans l’appartement, le couple était absent.  

 

« Il faudrait que tu apprennes à mieux voir les sentiments qui t’entourent, Kaori. »  

 

Gloups.  

 

Un grondement sourd dans la caboche féminine causa un vertige difficilement réprimable et, tandis qu’elle tanguait, une main puissante et secours vint se refermer sur son bras, lui offrant un soutien bienvenu. Impassible, sans même dévier le regard vers elle, Ryô précisa sa pensée.  

 

« Le terme amour n’est pas forcément celui que j’accolerais à Mick et Kazue. Je ne suis pas un grand spécialiste de la question, je te l’accorde, mais depuis le départ leur couple n’est qu’un trompe-l’œil.  

— Quoi ? mais pourquoi tu dis ça ? balbutia Kaori.  

— Mick a entamé leur relation comme on entame une période de deuil, en quelque sorte, persévéra le nettoyeur dans son explication tout en posant des yeux explicites sur sa partenaire.  

— Tu parles de ses mains ? questionna-t-elle ingénument. »  

 

Un sourire crispé et désenchanté traversa les lèvres brunes.  

 

« On peut dire ça, répondit-il vaguement. Et disons que les circonstances actuelles lui ont ôté le peu d’espoir qu’il lui restait…  

— De retrouver sa sensibilité ? Il t’en a parlé, il a fait de nouveaux examens ? se précipita la nettoyeuse, la voix inquiète.  

— Non, pas que je sache. C’est pas ça Kaori. Je pense juste que le deuil touche à sa fin et qu’Angel recouvre la vue. La vérité est qu’il n’aime pas Kazue »  

 

Des yeux ronds d’émotion accueillirent la dernière phrase.  

 

« Ce n’est pas ce qui peut justifier sa manière d’agir complètement irrespectueuse de la femme qui partage sa vie. Kazue partage sa vie !  

— Je crois que Mick et Kazue ont choisi le chemin de la rupture, énonça Ryô, et cela ne nous regarde pas. Ne sois pas attristée et pardonne à ton ami les frasques qui n’illustrent rien d’autre que son désarroi. »  

 

Aréactive, Kaori fixait, songeuse, le visage aimé qui déversait la triste nouvelle sans ressentir la moindre émotion. Du moins en apparence. Cependant, rien ne la surprenait vraiment dans ce qui était abordé ; en son for intérieur elle avait déjà acté la séparation.  

 

« Ça t’arrange bien, hein, que Kazue soit bientôt de nouveau sur le marché ? » osa-t-elle sans conscience de l’horreur de ses propos, une nouvelle jalousie se déchaînant dans ses tripes.  

 

Le sourire idiot et heureux qu’on lui opposa l’étrangla de stress, les souvenirs de l’arrivée de Kazue dans leur groupe d’amis affluèrent et jetèrent le trouble sur ses pommettes, ses mains battirent l’air de détresse. C’était quoi cette asphyxie insupportable ?  

 

« Hé, calme-toi ! ordonna le brun en l’empoignant autoritairement par les épaules. Si Kazue m’avait intéressé un tant soit peu, jamais Mick n’aurait eu la moindre chance.  

— Espèce de prétentieux ! persiffla la nettoyeuse en assénant un coup de poing au plexus de l’outrecuidant qui perdit de sa superbe dans l’instant et relâcha son étreinte. J’te surveille de très près, je ne te fais aucune confiance. »  

 

À genoux devant elle, sanglotant devant tant de haine, l’étalon de Shinjuku n’en mena pas large devant le doigt pointé sur lui. La rouquine décida alors qu’il était temps de disparaître ; aussi, dans la dignité la plus absolue, le nez pointé vers le ciel, les yeux clos, les lèvres méprisantes, elle quitta la pièce dans une attitude royale.  

 

« Attends, put-il prononcer avant qu’elle ne se volatilisât. Je peux t’accompagner au théâtre ce soir ? C’est quoi la pièce ? »  

 

oOo
 

 

C’est en ronchonnant que le Grand Ryô Saeba prit place dans son fauteuil, aux côtés d’une Kaori en joie.  

 

« Tu aurais pu faire un effort vestimentaire, lui fit-elle remarquer en lorgnant sa tenue habituelle, jean noir et tee-shirt rouge.  

— C’est la tenue suis prêt à m’sauver, on va se faire chier je l’sens.  

— Je ne t’ai pas forcé à m’accompagner, contrôla-t-elle surprenamment sa férocité.  

— Tu as refusé toutes mes autres propositions. Pour une fois que je voulais t’inviter au restaurant, grommela-t-il de mauvaise foi.  

— Fais un effort et ne gâche pas ma soirée ! grogna-t-elle tout en ouvrant son sac à main pour lui laisser admirer la collection de mini-massues qu’elle avait apportée.  

— Impressionnant, reconnut le brun en écarquillant ses mirettes. Bon, rappelle-moi le titre de la pièce…  

La légende de Yoriho et de Sakura, s’étrangla-t-elle d’émotion. »  

 

La mine sceptique, le brun fouilla sa mémoire.  

 

« C’est une vraie légende ? Je ne connais pas…  

— Normal, t’es inculte ! »  

 

Un froid blizzard souffla dans la salle surchauffée où les spectateurs prenaient place. Le ressentit-elle ? Lorsqu’elle posa sur lui un regard curieux en coin, elle appréhenda ce qu’elle allait découvrir. Mais fidèle à son impassibilité habituelle, le nettoyeur soutint le regard coupable de ses iris onyx et froids, avant de se retourner vers la scène.  

 

« C’est une très ancienne légende japonaise, poursuivit Kaori en se mordant les lèvres. Tu as déjà dû en entendre parler. Elle prend place dans le Japon antique, lors des guerres de clan. Elle raconte l’histoire d’amour de Yoriho et de Sakura.  

— Une histoire d’amour, je m’en serais douté, rétorqua le brun avec ironie. Quand je disais qu’on allait se faire chier. »  

 

Réalisant qu’elle avait vexé son partenaire et consciente de la susceptibilité de ce dernier sur le sujet, Kaori décida de ne pas surenchérir. L’idée était qu’ils passent ensemble une bonne soirée, pas qu’ils se chamaillent à tout bout de champ comme ils en avaient l’habitude.  

 

« Normal que je ne connaisse pas cette légende japonaise, réarma un Ryô vindicatif, je ne suis pas japonais. »  

 

La jeune femme laissa passer quelques secondes avant de réagir à la dernière réplique. Pour elle ne savait quelle obscure raison, celle-ci la contrariait et elle devinait que son partenaire était au moins aussi contrarié qu’elle.  

 

« Pourquoi tu dis ça ? Ryô, tu es aussi japonais que moi, tu es né au Japon.  

— Je ne me sens pas japonais, rétorqua-t-il en dardant sur elle ses prunelles sombres. Rien à foutre de ces légendes ancestrales, des coutumes insipides. J’ai été élevé dans la jungle. Ce n’est pas du saké qui coule dans mes veines, mais de la poudre. »  

 

Autour d’eux, une certaine effervescence, l’obscurité se répandait, la pièce n’allait pas tarder à commencer. Les esprits s’échauffaient et nos héros n’échappaient pas à l’électricité ambiante. Kaori se mordit les lèvres pour museler son envie de hurler : Bien sûr que si, Ryô Saeba était japonais, il était même un héros japonais, sa quintessence à l’état pur, le roi de Shinjuku, une légende vivante.  

 

« Regarde-moi, persévéra-t-il dans son idée. Je suis tactile, obsédé, démonstratif, feignant, goinfre, scatophile ; aucun japonais n’est comme ça !  

— Tu exagères Ryô. Être japonais, c’est être né au Japon, un point c’est tout.  

— Je ne suis pas d’accord !  

— Chut, imposa-t-on derrière eux. »  

 

La pièce commençait, le rideau se leva et les projecteurs s’allumèrent.  

 

Une main timide atterrit sur les genoux du héros et vint se blottir contre sa poigne dans une attitude contrite et désolée. Le brun se tourna vers sa partenaire qui guettait sa réaction.  

 

« Pardon. » murmura-t-elle si bas qu’il dut lire sur ses lèvres.  

 

En guise de réponse, un sourire ; et ses doigts se saisirent du cadeau, emprisonnant sous sa main protectrice celle qu’on lui abandonnait. Bientôt, tous deux se concentrèrent sur l’histoire narrée et le jeu subtil des acteurs.  

 

Il y a de cela des centaines d’années, les seigneurs féodaux se livraient de terribles batailles qui mettaient le Japon à feu et à sang. D’innombrables combattants perdaient la vie dans ces guerres interminables. À peine l’une d’elle se terminait-elle, que dix nouvelles se déclaraient ; tant et si bien que, dans tout le pays, régnaient le chaos et la désolation. La population exsangue et abattue de tristesse de voir ses fils tomber dans un rythme effréné, perdait l’espoir d’une paix durable. Déambulant au milieu des ruines, ses pleurs envahissaient les airs et s’élevaient en mugissements plaintifs déchirants.  

 

« C’est pas du Manzai* ! » railla un Ryô limite hilare, s’attirant les foudres d’un regard courroucé.  

 

Il y avait pourtant, aux confins du pays, un endroit miraculeusement épargné. Une forêt dense et joyeuse, aux arbres touffus dont les feuilles luxuriantes luisaient de mille lumières sous les effets du soleil. Des fleurs multicolores s’épanouissaient et exhalaient un parfum délicieux dont les fragrances délicates consolaient les peines des habitants alentours. Aucune armée n’osait pénétrer l’endroit enchanteur et profaner tant de beautés. Il était donc un monde encore préservé tandis que les batailles faisaient rage dans le reste de l’archipel…  

 

« En avant Oui-Oui, Oui-Oui, avec tes beaux amis, pouêt pouêt pouêt… » entonna le nettoyeur, alimentant la colère de sa compagnie.  

 

Cependant, malgré sa position privilégiée au centre de cette forêt, un arbre restait décharné, biscornu, recroquevillé sur son tronc tordu. Jamais il ne fleurissait, jamais une feuille d’un vert tendre ne naissait sur son écorce brune et sèche. Ainsi, il donnait l’impression d’être mort ; les animaux ne l’approchaient pas, l’herbe refusait de pousser autour de lui. Tous l’abandonnaient au triste sort qui le guettait.  

 

Un jour pourtant…  

L’aspect de vieillard d’un arbre si jeune émut une fée qui vivait dans ces bois. Elle s’en approcha et en caressa la carapace.  

 

« Oh, arbre malheureux, quelle tristesse de te voir succomber ainsi ! Que puis-je faire pour toi ? »  

 

Évidemment, aucun son ne vint troubler le monologue de la fée.  

 

« Ben oui, un arbre ça parle pas, énonça un Ryô pas peu fier de sa lapalissade, trépignant de bêtise. Mais zieute la fée, elle est trop trop mignonne. Si elle peut rien faire pour lui, elle peut faire un truc pour moi. J’ai comme une raideur dans…  

— La ferme ! grinça Kaori tout en tordant méchamment les doigts qui n’avaient pas libéré sa main. Tu ne respectes vraiment rien, c’est un instant des plus dramatiques, un tournant de la légende donc tu la boucles et tu écoutes, compris ?  

— Aïeuuu, mais t’es méchante.  

— Chuuuuut, les agressa-ton dans leur dos. »  

 

Contrits, ils se renfoncèrent dans leurs sièges.  

 

« Il est temps pour toi de t’ouvrir à la beauté du monde, arbre malheureux. À cette fin, je vais créer pour toi un enchantement. Tu pourras à volonté te transformer en homme et arpenter le territoire qu’il te plaira de découvrir. Tu auras ainsi l’occasion de goûter aux émotions et aux sentiments humains, tu connaîtras la joie et tu t’ouvriras à la vie. » prononça la jolie fée dans une intonation emphatique, joignant les gestes à la parole.  

 

Tandis que les spectateurs retenaient leurs souffles, l’arbre frémit et s’ouvrit dans un vacarme sinistre. En sortit un homme nu. Le sourire aux commissures des lèvres, le nettoyeur jeta un œil à sa voisine. Cramoisie mais subjuguée par la naissance de l’homme, cette dernière pulsait au rythme de la musique envoûtante qui contorsionnait le corps masculin.  

 

« Mais cette chance que je t’offre a un revers, précisa tristement la fée. Si au bout de vingt années, tu n’as rien trouvé de merveilleux dans ce monde, rien qui ne te redonne vigueur et force de fleurir, tu mourras.  

— C’est un délai bien trop long, répondit l’arbre incarné. Entends les batailles au loin, écoute les râles de ceux qui trépassent ; mes narines neuves s’encrassent déjà des fumées exhalées par les armes. Pourquoi me condamner à être humain alors qu’ils sont ce que j’abhorre le plus ? Ils ne répandent que mort et désolation.  

— Vingt années, tu as vingt années pour changer d’avis, arbre. »  

 

L’arbre se vêtit. L’arbre déambula. Il rencontra des hommes, des femmes, il marcha sur les champs de bataille, il consola des veuves, secourut des orphelins. Comme il l’avait prédit, l’humanité ne fit que conforter l’exécration qu’elle lui inspirait. Rien ne le détourna de sa certitude. Las et sombrant dans le désespoir le plus noir, il se réfugia de plus en plus souvent dans son écorce froide et inféconde. Les années passèrent trop lentement à son goût. Le plus souvent, il était sous sa forme végétale, échappant ainsi à la médiocrité humaine.  

 

Désormais silencieux et concentrés, les deux nettoyeurs suivaient les scènes qui se succédaient avec beaucoup d’attention. Bien qu’elle connût les détails de la légende, Kaori s’en était affranchie, l’histoire s’était évaporée de sa mémoire. Redevenue vierge, celle-ci découvrait avec une ferveur enfantine la beauté solaire de la légende de Yoriho et Sakura. Ryô, quant à lui, s’élevait dans le cosmos, tout en s’enracinant dans une tradition nippone. Et il y prenait plaisir ! L’idée le fit sourire ; au final, il n’était que contradictions.  

 

Cette histoire lui donnait à réfléchir, il n’y avait pas que les côtés esthétique et culturel qui le happaient, des détails résonnaient étrangement avec sa propre destinée. Il était à parier que sa rouquine voisine en venait à avoir les mêmes considérations que lui. Peut-être fallait-il y voir une aubaine pour un rapprochement, l’occasion recherchée ? Cette légende serait peut-être l’occasion de tomber le masque. Quelques scénarii osés se mirent en branle dans son esprit en parallèle de la pièce. Heureusement que son dragon ne pouvait pas lire dans ses pensées !  

 

Un jour pourtant,  

tandis qu’il était sous sa forme d’arbre, il fut tiré de sa torpeur par une voix mélodieuse. Une jeune fille passait non loin de lui et chantonnait. Intrigué, comme cueilli, l’arbre observa celle qui troublait de bien belle manière son sommeil. Radieuse et enjouée, inconsciente d’être dévisagée, la jouvencelle huma quelques fleurs puis s’éloigna. Aussitôt, l’arbre s’incarna et la suivit.  

 

La rencontre fut belle, tout simplement. Nullement impressionnée d’être abordée par un homme inconnu, la jeune fille se montra aimable et accepta d’être raccompagnée. Sur le chemin de sa maison, la conversation s’enflamma et les deux cœurs se livrèrent, conspuant d’une même voix la brutalité du monde. Tous deux exécraient la guerre et le malheur. Tous deux encensaient la vie, le bonheur et la simplicité.  

 

« Quel est votre nom ? questionna la jeunette d’un air ingénu.  

— Yoriho, se laissa-t-il gagner par l’inspiration.  

— Je m’appelle Sakura, souffla-t-elle avant de disparaître dans sa maison. »  

 

« Ça y est, ils se sont rencontrés, murmura la nettoyeuse à son partenaire d’une voix étranglée.  

— Ah ouais ? j’avais pas vu ! »  

 

Cependant, Ryô n’était pas goguenard et se saisit de la main qu’on lui avait confisquée quelques minutes plus tôt, ce qui désintégra son dernier sarcasme aux yeux de la furie et attira illico presto son généreux pardon.  

Les doigts écartèrent ceux de Kaori afin de mieux s’y enchevêtrer. Bien sûr, elle piqua un fard et se mit à clignoter au milieu de la salle tout en contemplant leurs mains scellées.  

 

« J’aime bien te sentir vibrer dans ma main. » ajouta Ryô d’une voix à peine audible.  

 

Gloups.  

 

Kaori ne dit rien, ne fit rien, elle abandonna sa main à son partenaire, se recala dans son siège et concentra toute son attention sur l’action. Mais bientôt, elle se désola de la moiteur qui gagnait sa paume, dans laquelle, d’ailleurs, son cœur semblait s’être localisé. Pourquoi son voyou de partenaire s’amusait-il à la déstabiliser comme ça ? Jouer n’était pas son fort à elle, ne le savait-il pas ? Voilà qu’elle n’existait plus que dans ses doigts entremêlés à ceux de l’homme dont elle était gravement amoureuse.  

 

Yoriho et Sakura devinrent amis. Chaque jour, ils se retrouvaient pour discuter, pour échanger. Une réflexion profonde sur le monde se mit en place. Un dialogue intelligent, réaliste et objectif mais qui ne renonçait pas à l’espoir, s’installa entre les deux héros. À ce moment, la légende se para de philosophie ; sagesse et raison furent convoquées.  

 

Le regard de Yoriho, le ballet de ses mains, son souffle toujours plus court trahirent aux yeux spectateurs l’inclination naissante de l’arbre pour la frêle et non moins fougueuse jeune fille. Une tension enfla, une crainte aussi, celle de ne pas être aimé en retour…  

 

« Je vous aime Sakura ! clama-t-il à l’assistance tout entière. Je ne suis qu’un arbre, un pauvre arbre voué à disparaître très bientôt. Les vingt années se sont écoulées et mon sort en est jeté puisque je ne sais pas fleurir. Entendez, je vous prie, les dernières paroles d’un cœur sincère qui vous aime d’un amour si grand que l’univers tout entier ne peut le contenir. Il me faut aujourd’hui vous dire adieu, mais je ne peux m’y résoudre sans vous avouer les sentiments coupables qui m’étreignent. Je vous aime Sakura. Adieu. »  

 

La jeune fille resta mutique, les yeux ronds, les mains froides. Persuadé de n’être pas aimé en retour, Yoriho déserta la scène dans une douleur palpable.  

 

Le silence accueillit le baisser de rideau.  

 

Cependant, la scène suivante ragaillardit les yeux émotionnés.  

 

Sakura avait retrouvé Yoriho et enlaçait son tronc. Des mots d’amour, tantôt duveteux, tantôt enfiévrés, perlaient de ses lèvres. Oui, elle l’aimait aussi. Non, elle ne voulait pas qu’il meure. Elle voulait vivre avec lui. Pour toujours.  

 

Un regard fugace entre les deux nettoyeurs vint ponctuer le récit.  

 

La fée réapparut à cet instant dans son habit de lumière. Elle contempla la scène qui se jouait devant tous.  

 

« Quel tableau merveilleux, Sakura ! C’est bien ton nom, n’est-ce pas ?  

— Oui, sanglota la jeune fille. Je ne veux pas qu’il meure !  

— Sais-tu ce que signifie « Yoriho » ? questionna la fée. C’est Espoir… Il ne faut jamais perdre espoir.  

— Je ne veux pas qu’il meure, s’entêta Sakura une nouvelle fois, couvrant l’écorce de baisers tumultueux.  

— Il ne mourra pas, la rassura la fée divine en caressant la chevelure rose. Il a trouvé ce qu’il était venu chercher parmi les hommes, il est sauvé. Cependant, un choix doit être fait, et il t’échoit complètement. Souhaites-tu rester femme, Sakura, ou devenir arbre, comme Yoriho ? »  

 

Un silence pesant traversa la salle de spectacle.  

 

Sakura prit le temps d’observer ce qui l’entourait, elle écouta, fébrile, elle regarda, attentive. Des bruits de bataille, des râles de mourants se firent alors entendre, des lueurs d’incendies enluminèrent les planches, crevant l’obscurité.  

 

« Je veux être un arbre, moi aussi. Je veux être auprès de Yoriho pour l’éternité. »  

 

Alors un nouvel enchantement se réalisa. Une fumée épaisse envahit la scène, puis un éclair et le tonnerre strièrent le ciel, mugirent. Il fallut de longues minutes pour que les artifices se dissipent et pouvoir discerner à nouveau l’action. L’arbre Yoriho était recouvert d’une floraison rose et parfumée. La vision était enchanteresse. Sakura n’était pas devenue un arbre, elle avait fusionné avec son amour, elle et lui formaient le plus bel arbre que n’a jamais porté le pays du Soleil Levant.  

 

« À jamais réunis, Yoriho et Sakura annoncent le renouveau du printemps ; l’espoir d’un monde meilleur. Chaque année depuis cet instant, leur amour s’épanouit et parfume les champs du Japon. Vous, moi, nous tous, nous nous y retrouvons et nous fêtons l’Hanami. »  

 

La fée reprit souffle, envahie par l’émotion.  

 

« Yoriho, l’Espoir, Sakura, la Fleur de cerisier, puissiez-vous inspirer les amoureux du monde entier ! »  

 

 

oOo
 

 

Le silence s’était installé dans l’habitacle de la voiture. Ils avaient quitté l’ambiance tamisée, presque feutrée, de la salle de spectacle pour les couloirs inondés de lumière artificielle du théâtre, pour finalement se retrouver dans la nuit noire et glacée avant de s’engouffrer dans la mini pour regagner leurs pénates. Ses traversées successives s’étaient apparentées à des bains anesthésiants. Les rétines, tantôt saturées de photons agressifs, tantôt cernées d’obscurité, presqu’étouffées, avaient fini par jeter les gants et se désintéressaient désormais du décor. Inutile de résister à la torpeur qui voulait investir, l’histoire narrée nécessitait introspection et le monde extérieur n’était qu’un empêcheur de penser en rond. Les esprits ne parvenaient pas à faire le tri des émotions, des sensations, des réflexions. Aussi le trajet qui les ramenait chez eux fut accueilli comme une trêve bienvenue, un trait d’union entre deux mondes qui, apparemment, n’avaient rien en commun : la légende de Yoriho et de Sakura d’un côté, le monde de City Hunter de l’autre.  

 

Kaori et Ryô sombrèrent donc avec pesanteur dans l’océan de leur intériorité durant tout le temps que dura le retour et le voyage ressembla à une plongée en apnée.  

 

« T’as aimé ? osa Kaori d’une petite voix tandis qu’ils se délestaient de leurs vestes.  

— Oui, c’était pas mal, répondit le brun d’une voix métallique.  

— Tu t’es fait chier ? ne parvint-elle à juguler une certaine agressivité provoquée par le manque d’engouement contrariant de son partenaire.  

— Non.  

— Tu en penses quoi alors de cette légende ? ne désarma-t-elle pas.  

— Ben – il se tourna vers elle – c’est une jolie histoire mais je trouve la fin un peu triste. C’est dommage qu’ils ne se soient pas envoyés en l’air. »  

 

Et voilà qu’il riait stupidement avec la bouche grande ouverte qu’on pouvait lui compter les chicots. Kaori souffla comme un buffle tout en levant les yeux au ciel.  

 

« Pas deux sous de sensibilité, pesta-t-elle. Bien sûr que si, ils se sont envoyés en l’air !  

— Pardon ? eut-il envie de se moquer.  

— Les fleurs qui ornent désormais ses branches, c’est l’allégorie d’un baiser, c’est la manière qu’ils ont de faire l’amour, ça représente la fusion des deux héros ; mais pour comprendre faut réfléchir avec les neurones qu’on a dans la tête, pas avec le mokkori qu’on a dans le calebar. »  

 

Gloups.  

 

La rouquine venait de s’évaporer dans le salon, l’abandonnant dans l’entrée comme le sombre idiot qu’il était. Malgré l’attaque éclair cuisante pour son ego, il reprit ses esprits en un quart de seconde et suivit à la trace le cœur qu’il convoitait.  

 

« Effectivement, nous avons assisté à un baiser allégorique. » consentit-il à reconnaître, attirant le regard surpris de le voir poursuivre une conversation qu’il ne goûtait habituellement pas.  

 

Dans l’immensité silencieuse du salon, ils se faisaient face. Pourquoi, bon sang, éprouvait-elle ce malaise étrange ?  

 

« Mais un baiser allégorique c’est plutôt frustrant, non ? persévéra-t-il.  

— Frustrant pour qui ? Pour les spectateurs ou pour les concernés ?  

— Pour tout le monde. »  

 

Un sourire délicieux accueillit sa remarque et il s’engagea plus avant dans la situation dangereuse. N’avait-il pas décidé que cette soirée était la dernière ?  

 

« C’est comme un baiser au travers d’une vitre. » prononça-t-il alors dans un souffle troublé qui affichait comme le sujet lui était complexe.  

 

À cet instant précis, les souvenirs s’invitèrent dans les cils de Kaori… une tempête les entraîna dans une danse tourbillonnante, la tourmente les força à se baisser. Oui, ils s’étaient embrassés de manière allégorique tout autant que les héros de la légende. Oui, affronter le regard sombre et perturbant de Ryô alors qu’il évoquait pour la première fois leur rapprochement métaphorique était dérangeant, à la limite du supportable. Impossible de mettre son cœur en sourdine, impossible de réguler le débit de son sang ; celui-ci fusait dans ses veines à l’en étourdir.  

 

« N’y a-t-il pas un peu de nous dans cette légende ? questionna Ryô d’une voix grave.  

— Je ne sais pas, baragouina-t-elle sans relever les yeux. »  

 

Bien sûr que si, elle savait ! Elle n’avait même pensé qu’à ça depuis le début de la représentation. Yoriho / Ryô, tous deux prisonniers d’un monde où règne la violence, tous deux condamnés à l’affronter, à en mourir même. Les sentiments de l’un et de l’autre bâillonnés par une fatalité qui les dépasse.  

 

« Yoriho et moi évoluons aux antipodes l’un de l’autre, s’engagea le nettoyeur, conscient du cours des pensées de celle qui lui refusait le moindre regard. Je me vautre dans la violence là où lui la subit, je ne suis rien de moins que l’un de ces hommes à l’origine de son mal. Et si son rôle est rédempteur dans l’histoire, le mien est incendiaire.  

— Non, réagit vivement la nettoyeuse en relevant les yeux pour la première fois. »  

 

Ce regard, il le kidnappa, ses doigts agrippèrent le menton et coulèrent amoureusement vers le cou. Bien que gagnée par la gêne, Kaori accepta l’audace de la caresse.  

 

« Non Ryô, tu affrontes la même malédiction que Yoriho. Tu déambules dans un monde qui te chavire, qui aspire ton énergie et qui musèle ton cœur. Tu luttes en cherchant à répandre le bien là où lui endure et souffre à la manière d’un Messie. Tu agis différemment, certes, mais tu ne fais pas le mal ; ne crois jamais ça.  

— Plus depuis que je t’ai rencontrée, balbutia-t-il, les doigts chargés d’émotion.  

— Des gens merveilleux, tu en as rencontrés beaucoup, souhaita-t-elle tempérer. Tous nos amis, toutes nos clientes, ce sont eux qui ont ouvert ton cœur, je ne suis pas la seule responsable.  

— Ne confonds pas tout, corrigea le nettoyeur en désaccord avec ce qui venait d’être énoncé et sous-entendu. Yoriho aussi a rencontré des veuves, des orphelins, des hommes bons, tous ceux qu’il a secourus, mais rien de cela n’a changé son cœur. Rien ne l’a fait fleurir. Comme lui, sans même en avoir conscience, j’étais à la recherche de la beauté du monde. »  

 

Et tu l’as trouvée ?  

 

La question lui brûlait les lèvres. Pour autant, ceinte d’une terreur dont elle ne cernait pas l’origine, Kaori tut sa remarque. Sans desserrer son étreinte sur la mâchoire captive, Ryô secoua la tête d’incrédulité. Il ne l’aurait pas cru si effarouchée par la main qu’il lui tendait.  

 

Danger, danger ! hurlait une voix dans la conscience féminine. Un gyrophare tournoyait au-dessus de sa tête et paralysait sa réflexion ou plutôt l’entraînait en territoire conflictuel.  

 

« Toi, tu es ma Sakura. » déclama Ryô, stupéfait de sa témérité.  

 

Ben oui, je suis ta Sakura !  

 

C’était si facile d’interjeter ça. Facile, mais pas dénué de vérité. La platitude de leur relation amoureuse sauta alors aux yeux de l’éternelle rejetée, une vague de désespoir ressurgit des frustrations et humiliations subies, accumulées. Ces insatisfactions et déceptions tapissaient les parois de son estomac et remontaient par flots acides.  

 

Le regard noisette vira chagrin ; les sourcils s’arquèrent colère ; les lèvres tremblèrent violence. Sujet à l’incompréhension et à une peur soudaine, Ryô ne tenta pas de contenir la déferlante qui n’allait pas manquer de s’abattre sur lui, sa main s’effaça donc du menton hargneux comme pour se protéger des crocs acérés.  

 

« Non mais tu crois que je ne le sais pas ! tempêta-t-elle en battant l’air de ses poings rageux. Ce baiser au travers de la vitre il est toujours au travers de ma gorge si tu veux savoir ! Tu m’as manipulée de la pire des façons ce jour-là ! Tout ça pour me faire quitter le bateau, pour me mettre à l’abri. Et vas-y que j’aurais dû vivre le restant de mes jours sans toi, avec un doute ignoble quant aux sentiments que tu éprouvais véritablement. Oui Ryô Saeba, je sais que je suis ta Sakura, je sais que nous nous aimons comme des arbres ! je sais que notre baiser fut allégorique et que c’est ainsi que tu vois les choses, que tu veux les choses. Alors inutile de mettre les formes ce soir pour me faire comprendre ce que je sais déjà. On s’aime comme des arbres ! »  

 

Essoufflée, échevelée, le minois agressif, les babines retroussées, elle toisa son partenaire avec hauteur, voire inaccessibilité.  

 

Elle était folle, elle ne comprenait rien ; strictement rien. En proie à un vif désir d’éclat de rire, Ryô usa toutefois de toutes ses capacités pour étouffer dans l’œuf le réflexe qui n’aurait attiré que les foudres d’une massue vengeresse.  

 

« Sérieusement Kaori, c’est toi qui me conseilles de faire appel à mes neurones ? Puis-je à mon tour t’enjoindre à entendre ce que j’ai à dire et pas seulement écouter ?  

— Hein ? disjoncta-t-elle avec un air ahuri. »  

 

Immobile au milieu du salon, le nettoyeur ne répondit rien, se satisfit de déposer un regard d’encre insondable sur celle qui avait stoppé sa farandole hystérique autour du canapé. Elle se mordit les lèvres, accablée par un sentiment de ridicule intenable.  

 

« À la place de Sakura, persévéra-t-il, je n’aurais jamais accepté de devenir un arbre. »  

 

La furie étrécit les yeux, tenta de lire plus précisément les insinuations du beau brun qui semblait vouloir communiquer autrement que dans leurs habituelles joutes.  

 

« Et pourquoi cela ? demanda-t-elle éclaircissement.  

— Parce qu’elle était en droit de revendiquer… autre chose.  

— Autre chose comme quoi ?  

— Je ne sais pas, céda-t-il à la lâcheté facile. Mais autre chose que de l’inanimé, de l’inexpressif, du froid…  

— Ah oui, je vois, moqua-t-elle son partenaire. Tu ne comprends pas qu’elle ait renoncé à la chair, c’est ça ?  

— En quelque sorte... Sakura s’est sacrifiée pour Yoriho et ce côté de la légende – profondément patriarcal, concède-le, toi si prompte à brailler contre ça – est occulté par ce que l’on encensait tout à l’heure : l’allégorie, le symbole.  

— Ben c’est toi qui parles de sacrifice, tout le monde n’a pas forcément la même vision. Ce peut être aussi une belle manière de se sublimer, non ?  

— Se sublimer ? abandonner son monde pour celui de l’autre ?  

— Son monde était pourri.  

— Et pourquoi n’est-ce pas Yoriho qui abandonne son monde ?  

— Le symbole…, interjeta-t-elle avec flamme. C’est toi qui l’as dit et tu as raison ! Le sacrifice de Sakura se justifie par ce qu’il symbolise. Se faisant ainsi, Yoriho et elle s’offraient l’immuable, l’éternité, une temporalité différente, supérieure à celle rythmant le genre humain. Ils échappaient à l’éphémère, au médiocre, à ce qui a une fin. Et ils offraient la beauté de l’Hanami à toute l’humanité, ils suscitaient enthousiasme, plaisir, bonheur… paix ?  

— Cela en vaut-il seulement la peine ? Kaori, doit-on tout sacrifier à l’intérêt général ?  

— Je le crois, prononça-t-elle avec la solennité dictée par son propre choix. C’est en tout cas également le choix qui fut nôtre, je me trompe ? »  

 

Ryô soupira de dépit et détourna le regard. Bien sûr que cette conversation ne tournait qu’autour d’eux depuis le début. Eux, City Hunter.  

 

« Je ne suis pas un arbre ! » annonça-t-il en se postant derrière la fenêtre.  

 

Le rire cristallin qu’elle lui servit contrasta avec les grognements animaux dont elle le gratifiait si souvent. Voilà qui avait de quoi décontenancer et qui, pourtant, nourrissait son désir d’elle. Un truc de dingue. D’un œil qui frise, il l’envisagea fugacement, par-dessous, juste pour contempler le museau fendu par l’éclat de son sourire. Y avait-il tableau plus émouvant que ce cadeau dont elle n’avait pas conscience ?  

 

« Je sais que tu n’es pas un arbre… et je ne suis pas un arbre non plus. » confia-t-elle en joie tout en le rejoignant.  

 

Parvenue près de lui, elle posa sa joue contre son bras et observa le spectacle de la rue.  

 

« S’aimer comme des arbres, ça ne veut pas dire être des arbres, compléta la jeune femme.  

— Je ne suis pas philosophe, je comprends rien, tu avais oublié ?  

— Ppfff, souffla-t-elle de désaccord. C’est nul. »  

 

Le visage désormais complètement tourné vers elle, Ryô réfléchit intensément. Pourquoi était-ce si compliqué de s’épancher sincèrement ? Était-il un arbre finalement ? incapable de verbaliser en usant de mots sonnants et explicites.  

 

« Tes cheveux ne ressemblent pas à des feuilles, ironisa-t-il en fouillant dans la chevelure flamboyante avec sa main libre.  

— Ben non, ce sont des fleurs ! renchérit-elle en mêlant sa main à l’affaire. Je suis Sakura voyons !  

— C’est vrai, tu as un côté fleur que je ne peux pas nier, abonda le brun. »  

 

D’une oreille à l’autre, elle lui décocha un sourire éblouissant.  

 

« Je veux entendre tout ce que tu as à me dire, confia-t-elle sérieusement après quelques secondes d’introspection. Je crois même avoir déjà entendu un peu. Je suis désespérante de stupidité parfois, non ?  

— Je ne suis pas le plus habile avec les mots, s’excusa le brun d’une voix voilée. Mais tu peux aussi manquer de perspicacité… parfois. »  

 

Il sembla que la gravité, cette force invisible s’exerçant sur tout corps à la surface de la Terre, gagna quelques newtons dans l’appartement de City Hunter. Rester debout et maître de ses membres releva du miracle.  

 

« Si j’osais, entama la rouquine sans dévisser son regard des billes onyx de son amoureux, je revendiquerais plus, cette autre chose que tu suggères. Je réclamerais un baiser. »  

 

Pour la première fois, Ryô perdit le souffle. Sa fébrilité s’étala sur son faciès habituellement impénétrable, une lumière vive dansa sur son front, son corps durcit, devint marbre inaltérable.  

 

« Un baiser gratuit, sans danger qui guette, détailla Kaori, rouge aux joues, trémolos dans la gorge. Un baiser sans vitre, sans fard ni grimage. Pas pour manipuler, pas pour convaincre ou ramener à la raison. Un baiser sans autre enjeu que celui qu’on veut bien lui accorder.  

— Un baiser pour dire oui, résuma celui qui refusait d’être celui qui ne prend pas de risque.  

— Oui, un baiser pour dire oui. Un premier baiser, un vrai de vrai.  

— Pas un baiser d’arbre alors, ironisa le brun. »  

 

Kaori sentit une douce chaleur griffer ses joues, laissa une neuve effronterie guider ses mains.  

 

« Non, je renonce à réclamer un baiser, corrigea-t-elle en se jetant dans les bras qui venaient de s’ouvrir, je te vole un baiser. »  

 

À peine atterrissait-elle contre le torse solide, projetée par le feu d’un désir nouveau, qu’elle était enlacée vigoureusement. Sans tenter d’intellectualiser ou de laisser la peur du ridicule s’exprimer, elle vint sceller ses lèvres à celles qui avaient peuplé ses fantasmes les plus licencieux.  

 

Ils s’embrassaient, c’était tellement facile, si naturel. L’angoisse, au final, n’était pas au rendez-vous, elle s’était carapatée dès lors que le baiser s’était formé au creux des bouches. Un baiser ce n’est rien ; si peu, et tout à la fois. Un baiser qui rit, qui parle, qui mord, qui respire. Tendre quand il murmure les mots secrets. Osé lorsque le sirocco enflamme les langues. Violent quand l’appétit mute en voracité.  

 

Respire, respire.  

 

Mais Ryô ne l’entendait pas ainsi. L’étalon était lâché, il crevait de faim. Voilà qu’il se métamorphosait en jument de Diomède ; carnivore dénué de charité. Ses mains, lourdes et fiévreuses, voyageaient brutalement, pressaient le corps interdit, exprimaient sans retenue la démesure de ses envies. Envie d’elle. Un serpent de feu incendiait son ventre, susurrait sa nécessité de serrer. Alors il serrait, compressait, puissamment. La plaquait contre lui. Goûtait à ses courbes au travers des étoffes.  

 

D’une vigoureuse envolée, il l’arracha du sol. Un éclat de rire. Puis des baisers. Encore et encore. Les escaliers grimpés quatre à quatre. Une chambre visitée. Un tourbillon. Un chemisier ôté à la hâte. Des caresses conquérantes. Respectueuses. Souffles erratiques, perdus, retrouvés, puis reperdus. Le corps lourd de Ryô sur elle. Si lourd, si mouvant. Ses doigts, sa bouche, son impétuosité. La tête qui tourne, les esprits qui s’envolent. Ouragan. Violence et excès. La jupe, la culotte. Avait-il arraché ? Non mais…  

 

Désolé.  

 

Une gêne, deux protestations, trois objections… non… si… OUI !  

 

Des mots. Chuchotés. Désordonnés. Rassurants, percutants.  

 

Un corps d’homme sur moi. Encore. Encore. Chaud, écartelant, pénétrant. Mon ventre se serre, se veut chaleureux, acteur ; s’assujettit. J’aime tes yeux qui me dévisagent, tes épaules qui m’écrasent, tes dents qui déchirent ma gorge. Et le rythme de tes hanches. Tout d’abord caravelle, le voilà carrousel. Bientôt inconstant, fantasque puis rageur. Nos gorges se colorent. Tes gémissements, mes soupirs, presque clameurs. Puis ton orgasme. Cette sensation merveilleuse qui m’emplit. Tu m’aimes. Je le sais, je le vois. Tu m’aimes !  

 

oOo
 

 

Tendrement lovée contre son épaule, elle tapotait d’un air rêveur le muscle pectoral qu’elle avait sous le nez et en éprouvait la souplesse et la fermeté ; c’était sacrément jubilatoire d’avoir le droit de faire ça et, intérieurement, son ego gonfla comme un ballon de baudruche. La main gauche calée sous sa nuque, le bras droit servant d’oreiller à la tête échevelée, le nettoyeur abandonnait son corps aux fantaisies de sa partenaire, tout en se permettant quelques caresses sur sa hanche couverte d’un drap.  

 

« Je peux te toucher partout où je veux maintenant, on est d’accord ? » verbalisa-t-elle le dernier doute qui freinait encore sa hardiesse.  

 

Un regard à l’espièglerie paillarde lui apporta la réponse souhaitée. Alors elle rit bêtement, crânement, puis enfonça sa main sous les draps pour tâter du Ryô Saeba.  

 

« Non mais tu es vraiment obsédée ! jura le brun tandis qu’on l’entreprenait sans ménagement.  

— C’est un truc de dingue, confia-t-elle en zieutant sous les draps l’objet fascinant hyper-réactif. Ça démarre au quart de tour.  

— Je suis une formule 1 pas une vieille cariole ! s’exclama-t-il, pédant. Et puis tu es terriblement inspirante. »  

 

Joignant le geste à la parole, il abaissa le drap pour faire apparaître les seins de sa muse rousse. Aussitôt, dans un rougissement pudibond, elle remonta sur elle le fin tissu, provoquant la réaction hilare de son partenaire.  

 

« T’es impayable Kaori ! rugit-il sous le feu du désir ressuscité. Tu m’excites à résister comme ça, tu sais ? »  

 

Il fit voler le drap et roula sur elle pour l’immobiliser. Se relevant sur ses avant-bras pour prendre de la hauteur, il contempla le regard flou où combattaient luxure et inexpérience.  

 

« J’ai rêvé mille fois de ce moment. »  

 

L’émotion surgit au milieu du ring et mit d’accord luxure et inexpérience par K.O.  

 

« Je t’ai rêvée mille fois, Kaori, précisa Ryô. Je t’ai rêvée tendre et chaste, presque prude ; je te découvre vicieuse et polissonne, presque cochonne.  

— C’est pas vrai ! répliqua une furibonde piquée au vif dans un honneur dont elle ne sut exactement quelle place il occupait, tout en gesticulant comme une anguille.  

— Hé ! ne te rebelle pas, femme ! persévéra-t-il dans la provocation en usant de son corps pour empêcher la sédition de sa prisonnière. Je ne vais pas mentir ça m’excite de te sentir te tortiller sous moi, seulement je veux te parler alors arrête ! »  

 

Désespérée d’être parfaitement maîtrisée dans une facilité humiliante, elle céda à la requête en affichant une moue renfrognée.  

 

« Kaori, je suis sérieux. Écoute-moi !  

— Quoi ? aboya-t-elle.  

— Tu te vexes pour rien… Je t’aime pudique mais plus encore coquine et friponne. Tu es au lit comme dans la vraie vie ; tu es multifacette.  

— Mouais, rattrape-toi, tu as raison. »  

 

Et voilà qu’il se fendait d’un rire tonitruant et qu’il tressautait sur elle.  

 

Qu’elle ne change jamais !  

 

« Entends ce que j’ai à te dire, s’il-te-plaît, c’est important, finit-il pas demander après s’être calmé.  

— Très bien, résigna-t-elle sa colère d’un coup de massue psychique. Je t’écoute. »  

 

Une grande inspiration lui fit comprendre que la prochaine annonce était d’importance capitale.  

 

« Quittons City Hunter ! balança le nettoyeur sans demi-mesure.  

— Quoi ? blêmit la jeune femme. Qu’est-ce que tu racontes ?  

— Terminons cette mission, puis arrêtons d’être nettoyeurs, déménageons, quittons Tokyo… »  

 

L’instant était grave et Kaori en eut immédiatement pleine conscience, le verbe était solennel. Sa langue habituellement preste et percutante ne trouvait rien à objecter. Elle était sonnée.  

 

« Tu n’es pas sérieux, Ryô ?  

— Je ne l’ai jamais été autant !  

— Ryô, l’appela-t-elle pour le ramener à la raison, tu es City Hunter, ta place est ici, à Tokyo, au milieu de nos amis, à mater du yakuza.  

— Non, je ne suis pas d’accord, persévéra-t-il avec force. City Hunter, c’est moi ET toi, et ma place est auprès de toi. Simplement auprès de toi.  

— C’est ma place à moi qui est auprès de toi, pas l’inverse. »  

 

Le souffle qu’il lâcha, sa chevelure qui s’émut et s’ébroua, montrèrent comme il ne partageait pas l’avis déclaré. Il relâcha son emprise et s’assit aux côtés de sa partenaire.  

 

« Je le vois bien Kaori, notre vie te pèse.  

— Non, pas vrai, tenta-t-elle de nier en s’asseyant également. »  

 

Un doigt autoritaire sur ses lèvres la fit taire.  

 

« C’est normal ! Ça fait trop longtemps que tu es entrée dans un monde qui n’est pas le tien. Ce monde est dangereux, violent, usant ; il devrait d’ailleurs n’être le monde de personne. On peut à la rigueur le traverser, on ne peut pas s’y installer durablement.  

— Mon monde c’est toi ! se rassura-t-elle avec émotion, ceinte d’une crainte monstrueuse.  

— Je te vois afficher des aspirations dont tu n’as même pas conscience, Kaori, renchérit le brun en caressant le menton qui frémissait. Lire, aller au théâtre, te cultiver, enrichir tes relations, pouvoir te poser et profiter du temps qui passe... voilà ce que tu désires. Sans parler de tout ce que tu caches au fond de ton cœur. Tu veux une vie normale. »  

 

La rouquine se tut, la mine grave et plombée. Allait-elle tout perdre le jour-même où elle avait cru tout gagner ? Pour autant, ce que Ryô avançait ne la surprenait pas vraiment. Cette lassitude de leur vie trépidante s’étalait dans son cœur comme une mer d’huile depuis de longs mois déjà et, bien qu’elle se refusât à l’admettre, ses attentes prenaient de nouvelles formes. La normalité ?  

 

« C’est moi qui quitte mon monde pour venir dans le tien, annonça Ryô sans sourciller.  

— Non, non, je refuse ce sacrifice, interjeta-t-elle en se jetant à son cou et en le serrant fort. Je suis Sakura, c’est moi qui te rejoins dans ton monde, pas l’inverse ! Je refuse de te voir malheureux, de te voir renoncer à ce que tu aimes, à ce que tu es.  

— Je ne serai pas malheureux, rit-il en la gardant dans ses bras pour la réconforter.  

— Tu t’ennuierais !  

— Kaori, tu plaisantes ? Tu imagines tous les efforts qu’il me faudra faire pour apprendre à vivre dans ton monde ? trouver un job – et le garder –, apprendre tout ce que j’ignore encore, ces satanées légendes, et puis les bonnes manières aussi, que tu n’aies pas honte de moi ; devenir un amoureux fidèle qui assure grave, te faire l’amour cinq fois par jour. Laisse-moi te dire que je n’aurai pas le temps de m’ennuyer ! »  

 

Des larmes glissèrent sur ses omoplates, signe qu’il faisait mouche. Sa Kaori arrivait au bout de son aventure en terres obscures, la lumière l’attirait. Trop longtemps ils avaient été déraisonnables ; trop longtemps il avait fait preuve d’égoïsme.  

 

« Nos amis ? s’enquit-elle en sanglotant.  

— On leur rendra visite. Et eux aussi pourront débarquer et nous envahir. On ne part pas sur la Lune non plus !  

— Tes aventures ?  

— J’ai déjà tout vécu, j’ai racheté mes fautes, je suis au clair avec ma conscience ; je n’ai plus rien à écrire sur City Hunter, Sugar. »  

 

Tout en se séparant de l’épaule confortable, elle lui jeta un regard inquisiteur, souhaitant sonder ses pensées secrètes. Cependant, le sourire sincère, la mine sereine que Ryô affichait donnaient crédit à son discours.  

 

« Cinq fois par jour ? t’es un p’tit joueur on dirait ! » caqueta-t-elle avec jubilation.  

 

Tous deux fondirent l’un sur l’autre en riant bruyamment, s’enlaçant et s’embrassant à perdre souffle. Ils scellaient implicitement un nouveau pacte, celui d’emprunter d’autres sentiers, d’écrire en terres vierges et inexplorées. Le chemin était long et semé d’embûches, des tentations risquaient de se présenter et, par faiblesse, peut-être qu’ils pourraient faillir. Mais l’essentiel était acté, la page se tournait, le livre se refermait. Le mot fin, lentement, se dessinait, à la manière d’un épilogue.  

 

Puis le légendaire Ryô Saeba roula sur le côté, s’exposant dans sa virilité, bras levés au-dessus de sa tête.  

 

« Fais-moi l’amour maintenant ! » invita-t-il avec malice.  

 

Gênée mais flattée – ben oui, toutes les femmes du monde en rêveraient, non ? – Kaori quitta son drap pour s’asseoir sur le ventre tendu et palpitant.  

 

 

 

 

 

Fin
 

 

 

 

 

 

 

Manzaï : type théâtral s’apparentant à la comédie.  

 

 

 

 


Capitolo: 1


 

 

 

 

 

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