Capitolo 3 :: Lumière et jardin

Pubblicato: 07-02-24 - Ultimo aggiornamento: 07-02-24

Commenti: Bonjour tout le monde !
Voici le chapitre 3 où Kaori va retrouver Ryo… Enfin… retrouver… ce n’est pas vraiment le bon mot… (héhéhé)
Le petit groupe tente aussi de se remettre de ses émotions, tout en cherchant une solution pour aider Ryo du mieux possible.

Bonne lecture ^^

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Chapitre 3 : Lumière et jardin  

Accompagnée du Doc et de Mick, Kaori arriva dans sa chambre : Ryo était en train de dormir paisiblement, allongé sur le dos, la tête enrubannée dans un gros bandage, le visage tourné vers la fenêtre ouverte. Il semblait si paisible. Kaori sourit, heureuse de le retrouver. Elle s'avança lentement vers le fauteuil près du lit. À peine assise, elle ne put s'empêcher de saisir sa main pour l'emprisonner délicatement entre les siennes, les coudes reposant sur le bord du lit. Tant pis s'il trouvait ça bizarre à son réveil, il fallait qu'elle le touche, qu'elle sente sa chaleur afin de se rassurer et de confirmer qu'il était bel et bien vivant.  

Au bout d'un moment, Ryo gémit et tenta de bouger la tête. Ses paupières frémirent doucement, puis il ouvrit rapidement les yeux, battit des cils, ébloui par la lumière. Kaori soupira de soulagement et serra sa main involontairement, tout en la portant à ses lèvres. Ryo se tourna alors vers elle et elle frémit en redécouvrant enfin les iris noirs de ses yeux.  

Enfin ! Ses yeux ! Il était vivant ! Vivant !  

Son coeur s'emballa brusquement et elle sentit sa gorge se nouer d'émotions contradictoires, à la fois soulagée, anxieuse et tellement heureuse de le retrouver. Lui, semblait un peu perdu mais il finit par sourire aussi. Ce fut un sourire chaud, doux, presque un sourire d'enfant.  

— Alors, ça y est, je suis mort, c'est ça ? demanda-t-il, enroué.  

Quel bonheur d'entendre à nouveau sa voix ! Un soupçon d'espoir naquit en elle quand elle reconnut le ton ironique de Ryo.  

— Bah non ! Tu vois bien qu'non, idiot ! répliqua-t-elle.  

— Ah bon ? Vous êtes sûre ? s'inquiéta-t-il.  

Cette simple question fit éclater l'espoir de Kaori comme une bulle de savon. Vous, il avait dit vous. Il l'avait vouvoyée. Alors c'était bien vrai. Il l'avait oubliée... complètement oubliée.  

Sa gorge se serra mais elle tenta de ne pas laisser paraître sa peine quand elle répondit :  

— Oui, j'en suis sûre. Aussi sûre que je tiens ta main dans la mienne.  

Elle affirma un peu sa prise mais de nouvelles larmes glissèrent sur ses joues sans qu'elle n'ait pu les retenir.  

— Ahhh, c'est que ... Non, non, non, pourquoi est-ce que vous pleurez ?  

— Pardon, c'est ... l'émotion. Excuse-moi. Je ...  

— Alors si vous pleurez, c'est que vous êtes vivante et réelle ?  

— Heu, oui, balbutia Kaori en essuyant ses larmes du revers de sa main libre.  

— Enfin, je veux dire... Vous êtes humaine, n'est-ce pas ?  

— Ryo, si c'est une de tes blagues débiles pour me traiter de monstre ou de sorcière, arrête tout de suite, ce n'est vraim...  

— Non, non, non... C'est que…  

Il baissa les yeux pour observer leurs doigts qui s’entrelaçaient :  

— Vous allez me prendre pour un dingue...  

— Dis toujours.  

— J'ai cru que vous étiez un ange. Vous êtes tellement jolie...  

Kaori eut un petit hoquet de surprise et regarda tour à tour Mick et le Doc, interloquée ; pour lui, Ryo, faire ce genre de compliments n'était clairement pas dans ses habitudes. Son amnésie n'était donc vraiment pas une blague.  

— Pardon mais je ne me rappelle pas de vous. Le Docteur m'a expliqué que j'ai perdu la mémoire.  

Il s'éclaircit la gorge et prit une voix beaucoup plus assurée pour ajouter :  

— Pitié, dites-moi que vous n'êtes ni mon ex-femme, ni ma sœur... Je serais trop déçu de ne pas pouvoir tenter ma chance avec vous !  

Kaori faillit en tomber à la renverse -ou en pleurer ou un peu des deux... Elle rit, gênée d'une approche aussi directe à son encontre. Cet homme-là ne se comportait guère comme Ryo et pourtant...  

— À peine réveillé et tu dragues déjà tout ce qui bouge ! s'exclama Mick en s'approchant du lit.  

— Mick ! le reprit le Doc. Tout doux, s'il-vous plaît !  

— Oh, veuillez m'excuser, Mick... Je ne voulais pas être grossier. Elle est votre petite amie ? s'enquit Ryo d'un air contrit tout en désignant Kaori du menton.  

— Ah, non, non, non ! se défendit avec véhémence la jeune femme. Oh, vous n'allez pas commencer tous les deux ! Et puis, Mick je te signale que je ne suis pas « tout ce qui bouge » !  

Elle se tourna à nouveau vers Ryo pour ajouter d'une voix hésitante :  

— Non, Ryo, je ne suis pas la petite amie de Mick... Ni ton ex-femme, ni ta sœur, d'ailleurs... Je suis... C'est un peu difficile à expliquer. Je suis ta colocataire et ton associée. On travaille ensemble...  

— Ah, alors, j'ai encore mes chances ? Ou... Dites-moi si j'ai déjà tenté quelque chose ? On sort ensemble au moins ?  

— Non, fut forcée d'admettre Kaori gênée.  

— Ah... Bizarre…  

Difficile de définir leur relation. Où en étaient-ils d'ailleurs ? Ils étaient simplement rentrés chez eux en marchant côte à côte ! Quelle blague ! Alors, oui, ils s'étaient dit certaines choses mais cela restait des mots. Il ne s'était rien passé de vraiment “concret”. Elle secoua la tête. Non, elle ne pouvait pas lui dire ça, surtout pas devant Mick et le Doc !  

Ryo réfléchit, les sourcils froncés tout en se tapotant le bout du nez avant de lui demander à voix basse :  

— Vous êtes... Vous voyez,… vous… vous êtes attirée par les femmes ?  

Kaori bondit sur ses jambes en s'écriant, tout en le menaçant d'un index agressif :  

— Nan mais ça va paaaaaas ! Tu as de la chance d'avoir la tête déjà amochée, Saeba Ryo, sans ça, je te balançais une...  

Elle s'interrompit en réalisant que Ryo venait de se recroqueviller dans le fond de son lit et l'observait d'un petit air craintif. Elle se reprit, lissant son pyjama d'hôpital, toussota avant de se rasseoir :  

— Pardon mais on n'a pas idée de balancer des trucs pareils, quand même, s'excusa-t-elle les yeux baissés. Non, je ne suis pas attirée par les femmes...  

Ryo hésita quelques secondes avant de se redresser. Cette fois, ce fut lui qui attrapa sa main :  

— Kaori, c'est ça ? Je suis navré si je vous ai heurtée. J'essaie juste de comprendre. Je crois que je m'y prends très mal et j'enchaîne connerie sur connerie.  

Il essaya de se gratter la tête, geste qui avait toujours trahi un certain malaise chez lui mais il n'y parvenait pas à cause des bandages.  

— Merde... Et comment je fais pour me gratt... grommela-t-il tout en se tortillant dans le lit tout en palpant ses pansements.  

Ce faisant, il croisa le regard de Mick. Il suspendit soudain ses paroles et ses yeux s'agrandirent d'effroi. Il s'écria :  

— Ne me dites pas que je suis ... ? OH NOOON, ne me dites pas que je suis avec le blondinet !!!! Piiiiiiiiitié, pas ça !  

Ryo, joignit les mains au-dessus de sa tête, à genoux sur le lit, ses yeux déversant des flots de larmes.  

— Bon, bah, au moins, tu as conservé l'essentiel ! maugréa Kaori les bras croisés, ton et œil réprobateurs. L'esprit toujours aussi mal tourné !  

Quelques instants plus tard, ils prirent congés de Ryo, le Doc ayant fermement rappelé plusieurs fois que le patient devait se reposer. Ce dernier avait bien tenté d'argumenter :  

— J’veux pas me reposer, moi ! J’suis pas fatigué !  

Mais, le Doc avait répliqué d'un ton sans appel :  

— C'est ça, Baby Face, c'est ça... Tu as perdu beaucoup de sang, tu es resté inconscient pendant plus de cinq heures, tu as été transfusé, tu dois te reposer. Et nous aussi.  

Le vieil homme avait ensuite entraîné Mick et Kaori dans son jardin, Falcon ayant préféré retourner auprès de sa femme, contrainte, elle aussi, au repos forcé.  

— Un peu de soleil nous fera du bien. À mes vieux os, surtout …  

On était en plein mois de mai et l'air, très doux pour la saison, avoisinait les vingt-deux degrés en ce début d'après-midi. Kazue vint les rejoindre et ils marchèrent tous les quatre en silence, cernés par le chant des oiseaux, chacun reprenant ses esprits, jusqu'à ce que Kaori demande :  

— À votre avis, quand pourra-t-il rentrer à la maison ?  

— Pas avant demain, si ce n'est plus, répondit la jeune doctoresse. Nous devons vérifier régulièrement sa tension et s'assurer qu'il n'a pas besoin d'une transfusion supplémentaire pendant encore quelques heures, tu comprends.  

— Ah ...  

— Ça ira ?  

— Oui, oui ...  

— À moins que tu ne préfères qu'on le garde ici plus longtemps ?  

— Ah ... Je …  

Le Doc s'éclaircit la gorge :  

— Je pense aussi qu'il serait stérile de le garder plus longtemps que nécessaire à la Clinique. L'esprit a besoin d'interactions sociales et environnementales. Dès qu'il sera sur pieds, il pourra retourner chez vous. Retrouver rapidement un environnement familier et interagir avec cet environnement ne peut être que bénéfique, ça stimulera peut-être ses autres mémoires. C'est un coup à jouer.  

— Ses autres mémoires ? s'enquit Kaori.  

— Je pense surtout à celle du corps. On l'appelle la mémoire procédurale et la sienne n'est pas endommagée donc, il sait encore conduire, faire du vélo... s'il a su un jour, j'ai du mal à m'imaginer Ryo sur une bicyclette, pas vous ? Hum, bref... Il se rappelle comment nager, manger, lire, écrire... ce genre de choses. Ça devrait être aussi le cas pour ses activités professionnelles, si vous voyez ce que je veux dire : se battre, tirer et entretenir un arme ... mais avec son manque d'agressivité, ça risque d'être compliqué.  

Kazue se pencha vers son mentor :  

— Vous voulez utiliser la mémoire procédurale pour réactiver progressivement l'épisodique par le biais de la long terme ?  

Le vieil homme hocha la tête, éminemment satisfait d'avoir été compris par son assistante... qui était bien la seule, d'ailleurs, les deux autres les dévisageant avec des yeux de merlans frits recuits.  

— Il faudrait y aller en douceur par contre, affirma Kazue, indifférente aux regards interrogateurs de Kaori et Mick.  

— Ah oui, oui, et par un canal sensoriel quelconque, ça serait plus indiqué.  

— Exactement.  

— Heuuu, pardon mais, vous pourriez nous expliquer ? demanda Mick circonspect. Parce que là, nous, on n'a absolument rien compris.  

— On va stimuler la mémoire de Ryo en lui faisant faire ce qu'il a le plus l'habitude de faire.  

— Ce qu'il a le plus l'habitude de faire ? Se battre ? s'étonna Mick. Mais vous avez dit qu'avec son manque d'a...  

— Non, non, non, Mick. Je ne pensais pas à ça, le coupa le Doc en souriant avant de se tourner vers Kaori. Que fait-il la plupart du temps ?  

Kaori le regarda, abasourdie :  

— La plupart du temps ?  

— Oui, quelle est son activité favorite ?  

— Heuu ... glandouiller sur le canapé ?  

— Mais nooon, pas ça. Une autre activité qui le motive trèèès fortement ... Qui le pousse à se lever ... et à aller se promener... Qu'est-ce qui le met de bonne humeur en sécrétant des endorphines à très haute dose ? glissa le Doc d'un air secret.  

Il lança ensuite un clin d’œil coquin à Kaori qui la fit immédiatement réagir :  

— Quoi ? Ah non mais ça va pas la tête ?!? Et vous comptez faire ça comment ? Le traîner à tous les spectacles de strip-tease du Kabuki-Cho ? Et je suppose que vous vous portez volontaire pour encadrer la sortie thérapeutique, c'est ça ?  

— Non, ça serait trop dangereux. On ne sait pas qui vous pouvez croiser là-bas. Je pense à quelque chose de plus... “concret”... qu'un strip-tease.  

Kaori en battit des cils, abasourdie :  

— Comment ça de plus “concret” ?  

— Bah... déshabillage et... plus... si affinités... répondit le vieil homme, soudain ragaillardi.  

Devant son regard guilleret, les trois jeunes gens ouvraient des yeux comme des soucoupes. Kaori était pantoise et effarée. Kazue, elle, était outrée. Elle répliqua sèchement, les bras fermement croisés sur sa blouse blanche, le regard assassin :  

— Je sais bien qu'il ne pensait qu'avec son mokkori mais de là à tirer ce genre de conclusions ! Avec tout le respect que je vous dois, vous ne pensez pas que vous poussez le bouchon un peu trop loin cette fois ?  

Même Mick en était stupéfait :  

— Et où est-ce qu'on trouverait une âme charitable pour se coltiner, if I can say like that, cette tâche si ingrate... Parce que bon, il est pas si beau qu'ça, le Ryo. Donc, il nous faudrait payer quelqu'un ? Une professionnelle ? J'en connais bien une ou deux mais pas sûr qu'elles acceptent un travail aussi répugnant...  

— Mick ! s'indigna Kazue en lui collant une tape à l'arrière du crâne.  

— Outch !  

— Mais non, mais non, je pensais à quelqu'un de plus ... disons... de plus proche de lui, susurra le Doc en se tournant vers Kaori.  

Il la dévisageait derrière ses petites lunettes rondes, sourire gaillard et grivois aux lèvres. Le jeune femme explosa alors, les joues cramoisies de gêne —ou de rage, impossible à définir— et Mick dut la retenir pour qu'elle ne l'assomme pas :  

—Oh ! Sale pervers ! Non mais vous êtes complètement malade ! Hors de question que je stimule ... cet aspect de sa personnalité ! Comptez pas sur moi !  

— Ne t'énerve pas... ne t'énerve pas... Très bien, très bien. Comme tout le monde est opposé à cette idée, je la retire.  

— Bien, acquiesça Kaori en renonçant à se débattre. C'est bon Mick, tu peux me lâcher.  

Ceci fut fait car Mick obtempéra mais non sans un sourire espiègle aux lèvres.  

— C'est dommage cependant, je trouve que l'idée avait un charme érotique certain. Retrouver la mémoire ainsi… rêva le Doc, les yeux dans le vague.  

Kaori se pencha brusquement vers lui, menaçante :  

— Ça suffit...  

— C'est bon, je ne dis plus rien ! Gardons ça comme une sorte de dernier recours... parce que c'était quand même une de ses habitudes, fantasmer sur les jolies femmes... Mais je ne pense pas qu'on sera obligés d'en arriver là, bredouilla le Doc, perdant peu à peu de sa superbe devant le regard hostile et redoutable de Kaori.  

Soudain, Kazue les interrompit, un doigt en l'air, les yeux perdus dans le vague en direction de la pointe de ses chaussures :  

— Attendez un peu... Sauf si... je me demande... Enfin, non. À moins que... Ça dépend de... Mais ce n'est pas sûr…  

— Kazue ? À quoi penses-tu ? demanda le Doc en se tournant vers elle.  

Il savait bien que, quand sa jeune et jolie assistante hésitait ainsi, c'était qu'elle avait quelque chose en tête.  

— Je pensais juste ... Votre idée de se baser sur la mémoire corporelle n'est pas si mauvaise.  

— Ah voilà ! s'exclama le Doc. J'ai enfin du soutien !  

Soudain ragaillardi, il se frottait les mains d'impatience. Kazue leva les yeux au ciel :  

— Nooon Doc, je ne pensais pas à ça mais plutôt à un moyen, moins... graveleux, répliqua-t-elle avant de se tourner vers Kaori. Je partage l'avis du Doc quand il dit qu'un environnement familier peut lui faire du bien mais je pense surtout qu'il faudrait lui “réapprendre” qui il est. En douceur. En remontant peu à peu en arrière.  

— Comment ça ? s'étonna Kaori.  

— Il faut lui faire refaire connaissance avec lui-même, lui raconter son passé. Peut-être qu'on trouvera ainsi ce qui coince, quel est l'évènement responsable du trauma qui bloque sa mémoire.  

— Alors il faudra faire que de la parlotte pendant des jours et des jours, soupira Kaori.  

— Un peu... mais pas que... Peut-être pourrions-nous... Non, pas ça... Plutôt...  

— Que suggères-tu ? L'hypnose ? demanda le médecin redevenu parfaitement sérieux.  

— Non, je ne suis pas assez formée sur la question.  

— Miki s'y connait, elle. Elle pourrait nous aider, intervint Kaori.  

— Non, à mon avis, l'hypnose serait trop intrusive et dirigiste, répliqua Kazue. Je pensais plus à la méditation. Un moyen de faire le vide et de laisser son esprit diriger lui-même sa guérison... mais qu'on guiderait en douceur vers le point qui fait le plus mal.  

— Le point qui fait le plus mal ? s'enquit Mick.  

Attentif et concentré, il fixait sa fiancée de son regard bleu azur chargé de fierté :  

— Pourquoi le point qui fait le plus mal ?  

— Je ne suis sûre de rien. C'est juste une supposition mais je pense que pour causer ce genre de réaction amnésique, le moment qu'il refuse de se rappeler doit être particulièrement douloureux, lui répondit-elle.  

— Ça doit être la mort de Kaibara, affirma Kaori. Je suis sûre que ça l'a plus affecté qu'il ne le prétend. En plus, il n'a jamais voulu en parler vraiment. Et ça fait plus de quatre mois maintenant.  

— Je ne sais pas, Kaori, je ne sais pas, soupira le Doc d'une voix triste. Dans le passé de Ryo, on a l'embarras du choix pour les évènements douloureux, si tu veux mon avis…  

La jeune femme baissa la tête, le regard soudain chargé de larmes. La laissant à sa pudeur, le vieux médecin ne releva pas et poursuivit son explication :  

— S'il retrouve la mémoire, il va devoir tout réintégrer et ça ne sera pas simple. Et quand je dis tout, c'est tout. Tout lui reviendra d'un coup. Cela veut dire qu'il va tout ressentir à nouveau car la mémoire est indissociable des émotions ... Ça lui fera un sacré choc. Et le fait de lui avoir raconté toutes ces choses avant peut vraiment l'aider à surmonter ce tsunami. Au moins, il ne sera pas persuadé qu'il est un homme comme les autres avant de se prendre son passé dans la figure.  

Il commença à faire quelques pas vers le plan d'eau où nageaient paisiblement ses précieuses carpes Koï ; les autres lui emboîtèrent le pas alors qu'il poursuivait, songeur :  

— Résumons... L'idée de Kazue, ça serait qu'il sache d'abord qui il est aujourd'hui et maintenant. Pour cela, Kaori pourra lui raconter le passé qu'ils ont en commun en commençant par le plus récent pour remonter petit à petit. Les autres pourraient la relayer au fur et à mesure. Kazue, Saeko, Mick ... Il est évident que Falcon et moi fermerons la marche, si je puis dire... Oui, c'est un plan d'action assez logique... avec, en parallèle, les séances de méditation, à intervalles réguliers, pour nous guider... En espérant qu'un détail éveillera quelque chose chez lui... mais impossible de savoir ce qui créera ce déclic...  

Il soupira puis se tourna vers eux :  

— Il va falloir vous armer de patience, mes enfants.  

Un moment de silence se posa dans le jardin, même les oiseaux semblaient avoir suspendu leurs mélodies. Seule une petite brise fraîche faisait danser délicatement les branches des cerisiers et chanter les feuilles bruissantes des bambous, un peu plus loin.  

— Si. Vous avez dit SI, il retrouve la mémoire, releva Mick, rompant ainsi le doux équilibre. Ça veut dire que ce n'est pas sûr. Il y a une éventualité qu'il reste comme ça, sans aucun souvenir ? Une sorte de page blanche ?  

— C'est possible, oui. D'abord, il se peut qu'il n'y arrive pas, que le choc ait causé trop de dégâts. Ensuite, il se peut aussi qu'il ne veuille pas. Sans sa volonté, nous ne pourrons rien faire. Et je me dis que n'importe qui aurait envie d'oublier un passé comme le sien. Perdre ses parents, errer dans la jungle, devenir un enfant soldat, être shooté à l'Angel Dust, se sevrer, s'exiler aux États-Unis, surmonter la mort de Makimura, tuer celui qu'il considérait comme son père... Il doit être sûr de vouloir redevenir cet homme-là après tout. Une raison de plus de lui expliquer qui il est, je suppose. Ensuite, n'oubliez pas que ça sera à lui de choisir.  

Mick serra les poings, maugréant un juron dans sa langue maternelle et fit quelques pas vers la mare aux carpes, tournant le dos à ses acolytes, la pointe de ses chaussures en cuir effleurant presque l'eau.  

— Oh quelle merde... souffla Kaori.  

Elle s'agrippa au bras de Kazue, les jambes soudain flageolantes. Le Doc se tourna vers elles et posa sa petite main ridée sur celle de Kaori :  

— Ne t'inquiète pas, il a la chance de vous avoir, vous tous : vous, ses amis, sa famille et toi, sa partenaire. Ça sera douloureux pour lui, certes, mais se sentir entouré lui permettra de passer ce cap. Baby Face est un dur à cuir... Certains diraient même que c'est de la mauvaise herbe.  

Le Doc voulut ajouter quelque chose mais se ravisa. Comme la jeune femme restait muette, les dents serrées et fixait les graviers du petit chemin, il se tourna vers son assistante avec qui il échangea un regard entendu. Il repartit ensuite à petits pas mesurés vers sa demeure :  

— Je vous laisse avec Kazue pour la suite. Je serai dans mon bureau si vous avez besoin de moi. Moi, il me faut un peu de repos. C'est que je ne suis plus tout jeune...  

Les deux jeunes femmes le regardèrent s'éloigner en silence puis Kazue annonça à Kaori :  

— Je pense que c'est toi qui devrais diriger les séances de méditation.  

— Moi ? Mais comment ? Je ...  

— Confiance et respect. Voilà ce qui vous lie, Ryo et toi. Et peut-être même plus encore. C'est tout ce dont nous avons besoin pour mener à bien ce protocole expérimental. En plus, c'est toi qui le connais le mieux et c'est en toi qu'il a le plus confiance. Je te propose de t'expliquer les rudiments des techniques de méditation pour que tu puisses le guider et qu'il trouve ses points de repères par lui-même. Comme ça, d'ici trois ou quatre jours, vous pourrez commencer.  

Kaori la dévisagea, hésitante, intimidée par l'importance de la mission qui lui incombait, ne sachant pas trop quoi en penser :  

— Je ne risque pas de le braquer ? Je veux dire ... Je pourrais faire une fausse manip ...  

— Tu es assez instinctive pour ne pas aller trop loin, si tu sens que les choses deviennent trop difficiles pour lui, laisse couler, il reviendra de lui-même. Tu ne peux pas causer de traumatisme, la méditation est différente de l'hypnose car le sujet garde seul la maîtrise de son esprit. C'est lui qui te guidera si tu poses les bonnes questions.  

Kaori resta silencieuse, tout en hochant la tête, hagarde.  

— Ça va aller ? demanda Kazue, inquiète.  

— Oui, oui... c'est juste que…  

En levant les yeux au ciel, Kaori chassa d’un soupir les sanglots prisonniers de sa gorge :  

— C'est juste que ça fait beaucoup à encaisser d'un coup. J'ai besoin ... J'ai besoin de...  

Kazue hocha la tête :  

— Je comprends. Prends ton temps. C'est un bon endroit ici pour retrouver ses esprits, reprendre le contrôle. Quand tu seras prête, on ira présenter notre plan d'action à Ryo.  

En guise de réponse, Kaori hocha la tête, les lèvres pincées, le regard fuyant. Kazue jeta un œil à son fiancé mais Mick s'était accroupi face à la mare et jouait avec une tige de jonc sèche. Il observait fixement les carpes koï affleurer la surface pour révéler leurs couleurs vives et bigarrées dans un ballet aléatoire et hypnotisant.  

Même s'il lui tournait le dos, la doctoresse savait bien qu'il serrait les mâchoires pour retenir sa colère. Et sa tristesse ? Certainement. Ryo avait été comme un frère pour lui et l'idée de le voir s'effacer de cette façon devait être un énorme coup dur pour Mick.  

— Je vous laisse. Je vais fouiller dans la bibliothèque du Doc pour préparer tout ce dont nous aurons besoin, conclut Kazue avant de se diriger vers la clinique, faisant légèrement crisser les cailloux sous ses chaussures et laissant le silence derrière elle.  

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