Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Author: A. Dust

Beta-reader(s): Elane

Status: Completed

Series: City Hunter

 

Total: 1 chapter

Published: 25-03-24

Last update: 25-03-24

 

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DrameAction

 

Summary: Le jour où Ryo se fait droguer contre sa volonté par son père, sa vie en est bouleversée à jamais. Voici le récit du pire moment de son existence, de son pire cauchemar.

 

Disclaimer: Les personnages de "Prédateur" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Prédateur

 

Chapter 1 :: Prédateur

Published: 25-03-24 - Last update: 25-03-24

Comments:

“L’aiguille s’est enfoncée dans mon bras, la drogue circule dans mes veines. Je ne peux pas lutter contre ses effets. Je ne serai plus moi-même… Que vais-je devenir ?”


Attention : Certaines scènes de violence et de consommation de drogue sont de nature à heurter un public sensible.

Ça faisait un moment que je voulais écrire cette partie sombre et violente de l’histoire de City Hunter. On en aperçoit un bout dans "Ramène-moi", la fic que je suis en train de publier (spoiiiiiile) D’ailleurs, ce défi pourrait s’y intégrer, comme une parenthèse ou une sorte d’annexe. L'intitulé du défi du forum de fanfictions.fr m'a donné le coup de baguette magique pour trouver comment raconter cet épisode. "Mon animal-totem" ...

Elane, merci beaucoup d’avoir pré-lu cette histoire, d'avoir plongé avec moi ! Tes remarques ont été pertinentes, j’aime beaucoup la dernière version qui en découle !
Bonne lecture à toutes et tous !

 


Chapter: 1


 

 

 

 

 

 

"La folie  

N'est qu'un pont étroit  

Entre les rives que sont la raison et l'instinct  

(...)  

La trace est fraîche, et, sur le pont,  

Ta sueur et ton sang chaud s'égouttent.  

Je ne te vois pas,  

Je ne peux que te sentir, te flairer.  

[Tel] un félin qui meurt de faim,  

Je te sens à des lieues à la ronde.  

(...)  

Oh, ne vois-tu donc pas que le pont brûle ?  

Arrête de crier et ne te débats pas,  

Parce que, sinon le pont va s'effondrer."[1]  

 

***  

 

La sensation de piqûre au creux de mon coude s'estompe peu à peu et les deux hommes qui me tenaient fermement, relâchent précautionneusement leur emprise sur mes épaules et mes poignets. Je me sens vide. Je me sais perdu. C'est trop tard, la drogue circule dans mon organisme. M'enfuir ne me servirait à rien. Je n'ai d'autre choix que de subir. Je regarde celui que je considère comme mon père, Shin Kaïbara, me sourire. Ses yeux, habituellement froids et durs, brillent d'une joie nouvelle. Mes jambes flanchent soudain et je mets un genou à terre.  

 

Il exulte car il est sur le point de réaliser son plan le plus démoniaque, un projet qui va à l'encontre de toutes les règles des combattants, même pour nous, des mercenaires aguerris. Avide de sang et de victoire spectaculaire, il envisage depuis quelques semaines d'envoyer un guérillero sous Angel-dust, cette drogue qui rend fou et surpuissant, attaquer le camp de nos plus farouches ennemis, les membres de la Cinquième Section. Depuis le début, je m'y oppose. La drogue n'a pas sa place sur le champ de bataille. Et puis, la guerre touche à sa fin. Les forces révolutionnaires gagnent du terrain, bientôt les élections entérineront le conflit, ce qui veut dire que, nous pourrons quitter cette jungle amazonienne de merde, partir loin, découvrir le reste du monde dont j'ignore tout. Pourquoi sacrifier encore les nôtres ? Il y a eu assez de pertes !  

 

Mais mon père ne souffre pas qu'on remette en question son autorité et je viens de le réaliser amèrement : pour me punir de mon opposition ouverte, il m'a choisi, moi, comme désigné volontaire pour accomplir son dessein. C'est moi qui serai l'"Elu", moi qui vais devenir fou, moi qui vais en baver, moi qui vais endurer les pires douleurs. Et il disait m'aimer comme un fils... Comment cela est-il possible ?  

— Tu deviendras invincible, Saeba Ryo !  

 

Invincible... Il n'a que ce mot à la bouche depuis des semaines. Selon lui, chaque combattant rêve d'être invincible. Seulement, il y a un prix à payer pour ça ! Et ce prix, c'est la folie et la douleur. Je le sais, j'ai déjà vu les dégâts affreux causés par sa drogue. Et, c'est ce qui m'attend.  

 

Je ne veux pas. J'ai peur.  

Non, il n'y a rien à craindre.  

 

Mon corps décide à ma place. Ma vue se trouble, la lumière me déchire les yeux, le monde tangue, les bruits en provenance de la tente commune du camp deviennent assourdissants, les odeurs de cuisson du maïs, écœurantes. Je ferme les paupières le plus fort possible, plaque les mains sur mes oreilles mais rien ne change. Le rire de mon père résonne alors, tambourine dans mes tympans douloureux malgré la protection de mes paumes.  

— Sois redoutable, Ryo, sois sans pitié et élimine nos ennemis !  

Chasse !  

 

Cette voix... Est-ce bien de mon père ? Elle me semble soudain plus rauque, profonde, cassante.  

— Ryo ?  

 

Je dois réagir, mais les mots ne viennent pas.  

— Te rappelles-tu du plan ? Tu retournes au camp du bataillon de la cinquième section et tu les élimines, tous, sans exception. Ne laisse aucun survivant.  

 

Je me contente de hocher la tête, les yeux baissés.  

— Tu m'entends Ryo ?  

 

Toujours un genou à terre, je relève alors la tête. J’observe de nouveau mon père et je ne le reconnais pas tout de suite. C'est comme si je le voyais pour la première fois. Quelle impression étrange ! Je découvre les petites rides qui parsèment son visage, ses iris cernés de noir qui me fixent, le blanc de ses yeux irrigués de fins filaments rouges, une petite cicatrice au coin de la mâchoire, sa bouche recourbée...  

 

Les poils de mes bras se hérissent lorsque je sens son souffle chaud sur ma peau. Je perçois aussi son odeur qui forme une sorte d'aura colorée de rouge et d'orange autour de lui : transpiration, poudre, graisse de revolver, suie, sang séché...  

Sang !  

 

Mon cœur s'accélère, mon nez se dilate, je respire intensément. J'aime cette odeur. Elle me rassure, me réconforte. Je me relève et m'avance lentement vers mon père en respirant plus fort. J'en veux plus. Je veux sentir mieux, plus fort, tout près. Brusquement je renifle autre chose... c'est acidulé, musqué, vert sombre. Mon cœur s'emballe de plus belle.  

 

Je me retourne et dévisage les deux hommes qui me tenaient encore fermement il y a quelques minutes. Eux aussi, c'est comme si je les voyais pour la première fois. Je crois connaître leurs visages mais leurs noms m'échappent. Qu'importe qui ils sont ! Ce qui m'importe, c'est ce que je lis dans leurs regards : la crainte et la surprise alors qu’ils font quelques pas en arrière pour s’écarter de moi. Je me dirige vers eux. Ils reculent encore alors que le parfum vert et enivrant gagne en ampleur et fait battre mon cœur plus vite.  

 

Est-ce que je sentirais leur peur ? Aucune certitude mais l'idée me plait tant que je me rapproche d'eux. Ils sortent de la tente à reculons, sans me quitter du regard. J'ai envie de rire. Ils ont peur de moi ! Je me sens fort, mon mal-être s'efface. Mes jambes me paraissent soudain puissantes et souples. C'est comme si je ne pesais plus rien. J'ai conscience de tous mes muscles, toutes mes articulations, toutes les pulsations de mon cœur. Les anciennes douleurs ont toutes disparu. Je suis puissant. Je n'ai qu'une envie : utiliser ce corps, en tester les limites, courir.  

Chasser.  

 

Je sursaute presque.  

Qui a dit ça ?  

Moi. Viens !  

 

Je regarde autour de nous : Shin Kaïbara est seul avec moi dans cette tente. Mais ce n'est pas sa voix que j'ai entendue, ça, j'en suis sûr.  

— C'est l'heure Ryo. Le soleil se couche.  

Oui, dépêche-toi.  

 

Je secoue vivement la tête pour m'éclaircir les idées. Cette voix grave que j'entends n'est certainement qu'un effet de la drogue, rien de bien important.  

— Tu as une mission à accomplir, insiste Shin.  

 

Il s'approche et me tend alors son couteau de chasse, une grande lame recourbée que je sais aiguisée avec soin et qui reflète violemment les lumières des torches alentour. Je saisis l'arme, la soupèse avant de regarder à nouveau mon père qui me sourit, fier de sa création et de son plan machiavélique. Avant, je refusais de participer. Avant, je voulais mourir plutôt que de subir ça. Ça me faisait peur, ça m'avait mis en colère, ça m'avait déçu, blessé, mais plus maintenant. Maintenant, ce n'est plus important.  

 

Si, c'est important. Je ne veux pas faire ça ! Pas comme ça !  

Chasser, ça, c'est important !  

 

Oui ! Je vais chasser, je vais courir, je vais tuer et ça me plait. Ça me parait même une perspective assez agréable. Sans un mot, sans un dernier regard, je tourne les talons et, à peine la toile de la tente franchie, je ne peux m'empêcher de détaler. Ma foulée est souple, légère, rapide, puissante, sans que je fournisse le moindre effort. Je n'ai pas besoin de regarder autour de moi pour savoir où aller. Mon chemin se matérialise dans ma tête pendant que je suis les odeurs : hier, mon père et moi sommes venus ici en repérage et j'hume encore les traces de notre passage.  

 

Je cours en évitant facilement les obstacles. Je ris tellement c'est simple. Je saute par-dessus les racines, je garde mon équilibre sur les troncs glissants, je trouve appui sur branches basses pour en éviter souplement d'autres. Aucune liane, aucune feuille, aucune tige ne me heurte. J'accélère et franchis le torrent en une seule enjambée.  

 

Te voilà. Enfin.  

Qui est là ?  

Je me fige. C'est la même voix, grave, ample et fière que celle que j’ai entendue avant mais là, ce n'est certainement pas mon imagination. J'en suis persuadé et mon nez me le confirme. En aval du petit cours d'eau, je capte une un effluve suave, épicé et chaud que je discerne comme un nuage doré et brillant. Cette voix n'est donc pas un effet de la drogue, elle appartient à quelqu'un... ou à quelque chose. Je brandis mon arme devant moi et me tiens prêt au combat, en alerte, les pieds bien ancrés dans le sol. J'entends aussi un souffle rauque, profond et régulier qui se rapproche. Les feuilles frémissent devant moi et laissent apparaître une silhouette massive, sombre, menaçante.  

 

Viens-tu chasser ?  

Non, je ne veux pas.  

Pourtant, tu en as envie, je le sens.  

 

Sa fourrure noire, parée d'auréoles grises, miroite dans la lumière du crépuscule. Sa démarche souple et nonchalante révèle sa puissante musculature alors qu'il avance lentement dans ma direction, me fixant de ses paisibles yeux jaunes. Ses grosses pattes se posent sur le sol dans un silence absolu pendant que sa queue se balance derrière lui et lui confère une allure majestueuse. C'est la première fois que je rencontre un jaguar noir mais celui-ci a une carrure impressionnante, aucun doute. Tranquille, il tourne autour de moi et me toise avant de passer sa langue rose sur ses babines, révélant au passage ses longs crocs immaculés, acérés.  

 

Je sais pertinemment qu'un tel spécimen pourrait me tuer sans difficulté. J'ai grandi dans la jungle et, depuis tout gosse, on m'a rebattu les oreilles d'histoires sur ce féroce prédateur craint de tous. C'est un fauve redoutable qui s'attaque directement à la tête de ses proies. Il mord avec une puissance telle que ses canines transpercent les os du crâne et se plantent dans le cerveau de ses victimes qui succombent en quelques secondes. Je sais tout ça. Et pourtant, je reste parfaitement calme alors que la bête décrit un cercle autour de moi.  

 

Je ne te tuerai pas.  

 

Curieusement, je n'en doute pas. Je baisse ma lame alors qu'il s'assied face à moi, sans me quitter des yeux. Ses babines retroussées donnent l'impression qu'il me sourit.  

 

Soudain, je me sens mal. Je transpire, j'étouffe, j'ai la nausée et je tombe à genoux. Mes veines gonflent et charrient un liquide brûlant, puissant, électrique. Mon pouls s'accélère. Des frissons parcourent mon dos jusque dans le creux de ma nuque. Je ferme les yeux pour stopper mon vertige. Je suis à bout de souffle. La drogue afflue dans tout mon corps, je sens sa chaleur attractive dans mes veines, sa force destructrice dans mes muscles, son énergie malfaisante dans mon cœur.  

 

Non, je ne v...  

Cesse de résister. C'est bon de chasser, tu verras.  

 

J'entends soudain un autre battement de cœur que le mien. Un rythme différent, un peu plus rapide, euphorique... La symphonie qu'il joue est si irrésistible que j'ouvre les yeux. Ce son vient du jaguar qui me regarde toujours, allongé tel un sphinx obscur, immobile et dédaigneux, sa queue battant l'air régulièrement.  

 

C'est ça ! Rejoins-moi.  

Non...  

 

Je perçois alors d'autres pulsations, des à-coups venus de plus loin. Ça résonne, ça tinte, ça tambourine. C'est irrégulier. C'est partout, un grattement par ici, un choc par-là, des pulsations, d'autres rythmes... Ça bouge tout autour de moi : un singe hurleur dans l'arbre qui fait craquer une branche, un serpent qui fait glisser ses écailles de la terre humide à l'eau du ruisseau, un nuage de moustiques qui fait frémir l'air, une file de fourmis qui marchent au pas, un oiseau qui fait claquer ses plumes... j'entends tout. Ces sons, je peux en visualiser les variations, tel un ruisseau serpentant dans les méandres de la jungle.  

 

J'hume les odeurs aussi, comme autant de couleurs vives et brillantes alors que la jungle devient terne et insipide. Toutes les vibrations et les changements de souffle effleurent ma peau. C'est trop et en même temps, grisant... tellement grisant, exaltant, puissant ! Je me laisse couler dans ce torrent de sensations. C'est l'extase pure, la vie absolue qui bouillonne en moi.  

 

Tu es devenu ce que tu as toujours été au fond de toi, un Guerrier-Jaguar.  

N...  

 

L'odeur de mes vêtements me révulse soudain. Je retire alors frénétiquement mes chaussures et mes chaussettes, retrousse mon pantalon et arrache ma chemise. Les sensations déferlent d'un coup. Mes pieds s'enfoncent dans la terre humide de la rive mais sa fraîcheur ne m'atteint pas. Je sens les vibrations de la terre, le remous du ruisseau, l'attirance magnétique du nord comme de légers picotements dans les orteils, la moiteur de l'air sur ma peau. Pour camoufler ma trace olfactive, je plonge mes mains dans la boue et m'en couvre le visage et le torse. Je fais partie de la jungle, je suis un prédateur et je pars à la chasse.  

 

Le jaguar se redresse sur ses quatre pattes, me toise à nouveau avec ses yeux jaunes et brillants, et gronde, la gueule grande ouverte, dévoilant ses crocs démesurés. Son cri fait vibrer l'air autour de lui, les oiseaux s'envolent bruyamment, le singe qui officiait dans la canopée se sauve en poussant des cris rauques. Puis, c'est le silence. Le fauve fait nonchalamment volte-face et repart parmi les fougères et les ombres, majestueux, massif et ondoyant à la fois.  

 

Va, je te souhaite bonne chasse, frère guerrier.  

 

Je m'élance vers mon objectif sans plus attendre. Le soleil s'est couché mais j'y vois comme en plein jour. Je reprends ma course. Je me sens encore plus fort. Souple et silencieux, je progresse sans difficulté, me jouant des obstacles. Je cours droit devant moi, sans bruit. Je traque mes ennemis. Je suis devenu un prédateur dans la nuit. Soudain, je flaire mes proies. Ça empeste l'humain, le feu, le maïs et le manioc grillés, la poudre et l'essence aussi.  

 

J'arrive en vue du camp : sept tentes de toile, des hommes en treillis, trois feux de camp, quelques jeeps. Puisqu'il fait nuit maintenant, la cinquantaine de mercenaires s'est regroupée autour du feu principal. J'entends des voix graves, quelques bribes de conversations. Je reconnais les mots mais je ne me soucie pas de leur signification. Le langage des hommes n'a plus d'importance, je parle celui de la jungle et de la traque.  

 

Observe.  

 

Je rôde. Je parcours plusieurs fois le périmètre. Seulement trois sentinelles font le guet. Je me prépare. Je trouve un affût parfait. Camouflé par les herbes hautes et les fougères, je fais face au vent. J'attends. J'anticipe. Un des gardes approche. Il empeste le tabac et le feu de bois. Plus que quelques mètres... Je sens les vibrations de ses pieds quand ils touchent le sol. Je suis prêt.  

 

L'homme s'avance encore. Plus que quatre pas et il sera à ma portée.  

Trois pas.  

Deux.  

Un.  

 

Je m'élance et je lui tombe sur le dos sans qu'il ait le temps de faire quoique ce soit pour se défendre. Mon couteau, tel une canine acérée, s'enfonce dans sa gorge, sectionne sa trachée et sa carotide. Le sang jaillit et l'homme s'écroule sous moi dans un dernier borborygme.  

 

Je repars dans l'obscurité des fourrés pour attendre ma prochaine proie. Elle ne tarde pas. Je souris. Elle s'approche du cadavre encore chaud mais, avant qu'elle ne sonne l'alerte, j'attaque. Silencieux comme la nuit, je passe derrière elle, étouffe son cri d'une main pendant que ma lame s'enfonce entre ses côtes. Une fois. Deux fois. Trois fois. Le sang s'écoule sur mes doigts pendant que ma victime rend son dernier souffle. C'est chaud, doux, palpitant.... J'aime ça. Je lâche ensuite son corps sans vie qui s'affale au sol, telle une poupée de chiffon.  

 

Je retourne silencieusement me dissimuler dans la pénombre de la forêt. Je grimpe à un arbre et me tapis sur une branche, pour attendre, non sans impatience, que la fête commence. Le cœur battant, les yeux grand ouverts, j'hume les effluves environnantes. L'odeur du sang encore chaud excite tant mes papilles que j'en claque des dents et je salive. Pour me satisfaire, je lèche la lame couverte de ce liquide rouge qui me fait tant envie. C'est suave, tiède, un peu amer, ferreux. Je passe ma langue sur mes lèvres pour en récupérer la moindre goutte. Bientôt, j'en aurai plus. Bien plus.  

 

Patience.  

 

La troisième sentinelle arrive enfin et sonne l'alerte en découvrant les deux cadavres. Les soldats autour du feu se lèvent d'un bond. Certains se ruent dans ma direction d'un même mouvement, chargeant leurs armes dans leur course ; d'autres se répartissent les zones de surveillance, pensant être assaillis de toutes parts.  

 

Une dizaine d'hommes approche. J'ai appâté mes proies. Je souris dans le noir, fier, satisfait, confiant. Je reste parfaitement immobile, attendant le moment propice. Un mercenaire, puis deux, puis trois se risquent dans les hautes herbes et la canopée qu'ils balaient de leurs lampes torches. Un rai de lumière heurte mes yeux mais je ne suis pas ébloui. Mes pupilles s’adaptent en une fraction de seconde. Je bondis sur ces hommes et les achèvent aussi vite que les trois premiers.  

 

Avisés par le râle de suffocation de mes dernières victimes, de nouveaux volontaires se jettent en pâture entre mes griffes. Mon couteau déchire les chairs, mes poings s'enfoncent dans les entrailles chaudes et poisseuses, j'arrache les organes encore palpitants que j'y trouve. Je prends ce qui est à moi, je vole leur vie, les humilie, les soumets à ma soif de mort. Leur sang recouvre ma peau. Sa chaleur, sa douceur, son odeur attisent ma faim.  

 

Attaque !  

 

Mais peu à peu, une odeur encore plus puissante recouvre celle, métallique et sucrée de l'hémoglobine. Telle une pluie acide et pénétrante, la peur recouvre de sa fragrance tout ce qui m'entoure et galvanise ma puissance. Ils ont peur de moi... de moi ! Et moi, je les tue, je les éventre, je les éviscère, je me repais de leurs cris et de leur sang, de leurs derniers battements de cœur, de leurs supplications.  

 

Je suis le maître. Je suis leur maître ! Le peu de raison qu'il me restait s'évapore et je m'assujettis à la folie sans aucun remord. Plus rien d'autre ne compte que respirer le parfum du sang et de la peur, plus rien d'autre ne me fait envie, plus rien d'autre ne pourrait me satisfaire. Je ne veux plus que ça.  

 

Un coup de feu résonne, un éclair de lumière éclate dans la nuit et la déflagration me déchire les tympans. Mon cœur se serre pendant une seconde puis repart de plus belle, expulsant dans mes veines la force de déchaîner ma puissance. Je vois le trou laissé par la balle dans mon épaule mais ne ressens rien d'autre que de la rage. Je reprends le combat. Je leur ferai payer cet affront !  

 

Je mutile et je détruis tous ceux qui croisent mon chemin jusqu'à ce que je me heurte à un homme plus fort que les autres. Il pare mon coup et je ne parviens qu'à effleurer ses yeux de ma lame. Il grogne de douleur, cependant il ne flanche pas. Au contraire, il parvient même à saisir mon poignet qu'il serre ensuite solidement. Il y met une telle force qu'un de mes os se brise sur le coup. J'en lâche mon arme même si je ne perçois toujours aucune douleur. Je tente de me dégager, je cogne, je frappe, je mords mais rien ne le fait lâcher prise. Soudain, son poing libre heurte mes côtes de plein fouet. Une fois, deux fois, trois fois... Encore et encore. Il frappe, martèle mon abdomen, mon visage, mes yeux. Je crache du sang. Ma mâchoire cède. Je respire avec difficulté. Ma vision se voile de rouge. Je ne veux pas perdre... je ne veux pas !  

 

Si. Il faut que ça s'arrête ! Maintenant ! Je n'en peux plus !  

Tu es un guerrier-jaguar. Un prédateur. Ne laisse personne te maîtriser.  

 

Mon jaguar... C'est lui, dans ma tête. Sa rage efface ce fugace sursaut d'humanité. Galvanisé par le courage et l'orgueil que j'ai perçu dans le râle du fauve, je repousse mon assaillant de toutes mes forces et l'assomme de mon poing valide. Un coup, un seul. Je réalise que ce combattant était bien plus grand et bien plus fort que moi quand il s'écroule à mes pieds en faisant trembler le sol. Je regarde aux alentours. C'était le dernier... Je marche alors au milieu de mon charnier. J'ai vaincu. J'ai tué mes proies… toutes mes proies ! J'ai prouvé ma suprématie. Je reprends mon souffle, je ris.  

 

Les pieds dans la boue mêlée de terre et de sang, le corps couvert des odeurs de mes victimes, seul vivant parmi les morts, puissant au milieu des faibles, je serre mes poings et hurle dans le silence nocturne. Les oiseaux s'effraient et s'envolent dans un bruissement d'ailes et de plumes en criant partout qu'il y a un nouveau maître ici : moi ! Je fais partie de la jungle et je suis un prédateur !  

 

STOP !  

 

Soudain, mon corps me lâche alors que la drogue reflue dans mes veines. L'air brûle mes poumons à chaque respiration, griffant mes bronches, ma trachée, ma gorge. Saisis d'un spasme violent, mon estomac renvoie un mélange âcre et acide qui se déverse sur le sol, juste devant mes pieds. La force quitte mon corps brusquement et mes jambes plient. Mes genoux heurtent la boue dans un borborygme atroce et je m'écroule. Mes yeux se voilent. Les couleurs disparaissent. Je ne flaire plus rien d'autre que ma propre peur et je disparais dans ce parfum de terreur, aigre et froid.  

 

Je vais mourir. C'est enfin fini... Je suis libre.  

Non, réveille-toi !  

 

J'ouvre lentement un œil. Je réalise peu à peu que je suis dans une tente, allongé dans un lit de camp. Il doit faire nuit dehors car les seules lumières que je perçois sont celles des lampes tempêtes accrochées aux deux piliers centraux. J'entends des voix autour de moi, des râles aussi et des gémissements étouffés.  

 

On me touche la main et ce contact me fait l'effet d'une brûlure intense. Je tressaille. Un frisson réveille mon corps, tout mon corps. Je sens alors chaque parcelle de peau égratignée, chaque chair déchirée, chaque contusion, chaque os brisé. Mes jambes et mes bras sont lourds, tellement lourds que j'ai l'impression qu'ils vont s'enfoncer dans la toile du lit. Mon dos n'est que souffrance, mes côtes me font mal à chaque respiration, mon poignet droit me semble sur le point d'exploser, une pointe brûlante irradie dans mon épaule, mon œil gauche, celui qui est resté clos, pulse dans mes tempes jusqu'à l'arrière de mon crâne. Que m'est-il arrivé ?  

— Où sui...  

 

Je ne peux pas prononcer un mot de plus : j'ai la langue pâteuse et une douleur sourde se répand dans toute ma mâchoire. Brisée, sans aucun doute. Je gémis, le goût métallique et écœurant du sang investit ma bouche.  

— Ne bouge pas, Babyface, entends-je.  

 

La voix est douce, paisible et rassurante. Je la reconnais. C'est celle du Vieux Doc. Je distingue vaguement son visage et sa tignasse de cheveux gris. Je suis donc dans son dispensaire, loin de mon camp de base.  

— Tu as été drogué à l'Angel-dust, m'explique-t-il. C’est ce que révèlent tes analyses de sang. On t'a retrouvé à moitié mort dans le camp de la cinquième section.  

— Papa...  

— Shin Kaïbara est parti, Babyface. Il va aux USA avec une poignée d'hommes.  

 

J'en ai le souffle coupé. Mon père m'abandonne ! Pourquoi ? Que s'est-il passé ? Pourquoi suis-je blessé ? Je ne me rappelle de rien...  

J'ai oublié.  

Non, tu n'as pas oublié.  

 

Les souvenirs reviennent brutalement, des images, des odeurs, des sons, des sensations : le regard de mon père, la morsure de l'aiguille qui pénètre lentement dans le creux de mon coude, des yeux jaunes dans la nuit, des cris et des morts, la peur tout autour de moi, le bruit du corps du géant qui s'écroule dans la boue, la chaleur du sang sur ma peau, son goût suave sur ma langue...  

 

Non, non, non ! Dites-moi que ce n'est pas moi qui ai fait ça ! Pitié !  

 

Mon estomac se tord et j'ai juste le temps de tourner douloureusement la tête pour vomir un liquide brûlant, jaune et amer. J'ai froid. Partout. Mes os se glacent pendant que mon ventre s'embrase de douleur. Mes dents claquent et mon dos se couvre de sueur. Ma vue se brouille. J'ai mal jusqu'au plus profond de mon cœur.  

Je veux mourir !  

— C'est une crise de manque, mon grand, me murmure le Doc en posant une main fraîche sur mon front fiévreux. Avec cette saloperie d'Angel-dust, ça va être dur, très dur. Mais tu peux le faire, Babyface.  

 

Non, mon vieux. La seule chose que je peux encore faire, c'est crier... et je n'en ai même plus la force. Alors je grommèle dans un souffle inaudible :  

— Je veux mourir !  

 

Au même moment, plus loin, dans la jungle, à travers la toile de tente, j'entends un feulement sourd et grave qui résonne dans la vallée. Le cri d'un prédateur.  

Tu ne mourras pas. J'y veillerai.  

 

 

 

 

[1] "Der Wahnsinn  

Ist nur eine schmale Brücke,  

Die Ufer sind Vernunft und Trieb.  

(...)  

Die Spur ist frisch und auf die Brücke ,  

Tropft dein Schweiß, dein warmes Blut.  

Ich seh dich nicht,  

Ich riech dich nur, ich spüre dich.  

Ein Raubtier das vor Hunger schreit,  

Wittere ich dich meilenweit.  

(...)  

Oh siehst du nicht die Brücke brennt ?  

Hör auf zu schreien und wehre dich nicht,  

Weil sie sonst auseinander bricht.  

 

"Du rieschts so gut" Rammstein, album "Herzeleid" 1995, Paroliers : Till Lindemann, Richard Z. Kruspe, Doktor Christian Lorenz, Paul Landers, Christoph Doom Schneider, Oliver Riedel.  

 

 

 


Chapter: 1


 

 

 

 

 

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