Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Author: patatra

Status: Completed

Series: City Hunter

 

Total: 5 chapters

Published: 30-06-20

Last update: 04-01-22

 

Comments: 9 reviews

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Drame

 

Summary: Aux racines des amours plurielles, des attractions passionnées et voluptueuses, des déchirements douloureux… Personnages légèrement OOC. Pour un public averti.

 

Disclaimer: Les personnages de "Demain, dès l'aube" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Demain, dès l'aube

 

Chapter 5 :: BONUS: L'amour est cruel

Published: 04-01-22 - Last update: 04-01-22

Comments: Bonjour à tous, Hum hum... Je sais que cette fiction était terminée mais d'autres inspirations sont venues me titiller et je n'ai pas su y résister. Certainement est-ce l'histoire que les lecteurs aiment le moins, elle est très OOC et elle continue sur la même lancée, mais moi je l'aime bien. Ce chapitre 5 est un Bonus, je ne le considère pas comme un chapitre à part entière car je trouvais que le 4ème clôturait bien l'histoire mais j'avais tout de même envie d'investir une suite. Voilà donc un premier bonus. Il est possible, mais pas sûr, je ne m'engage pas, que d'autres suivent, j'ai en tête 2 autres bonus (dont un + de 18, héhé, on s'refait pas) et un épilogue (et ouais, je pourrais finir de manière moins ouverte). De plus, j'avais fermé la trappe des chapitres précédents et je ne suis pas certain d'avoir réussi à conserver la même verve, le même ton. J'y ai mis moins de références également. Vous y trouverez tout de même Murray Head, Musset et Georges Sand, Aragon et quelques autres. Voilà, j'espère que ça plaira à ceux qui lisaient cette histoire et qui s'y replongeront; et bienvenue bien sûr aux nouveaux qui se laisseraient tenter. C'est la période des voeux, j'en profite pour vous souhaiter une très belle année. A bientôt, Pat

 


Chapter: 1 2 3 4 5


 

 

 

 

 

BONUS : L’amour est cruel  

 

 

 

 

Mes jambes sont en coton, elles tremblent et peinent à me porter tandis que je descends les escaliers. Quelle nuit ! Bon sang, quelle nuit ! Des vagues brûlantes me lèchent toujours, échos du plaisir qui m’a été offert durant les longues heures où nous nous sommes aimés.  

 

Voilà donc qui tu es Ryô ! …  

 

Il m’a cueillie hier soir, à peine rentrée de ma journée avec Mick, dans ma chambre où je m’étais réfugiée. Sans l’ombre d’une hésitation, sans question, sans précaution, il est venu me cueillir. Il est vrai que j’avais promis mais… mais j’étais encore si emplie des lèvres d’un autre, encore rassasiée des caresses d’un autre ; la longue douche dont je sortais n’avait effacé que superficiellement les traces de l’amour dans lequel je m’étais roulée. Mon cœur restait sale et meurtri pour lui mais il n’en a eu cure. Ryô est simplement entré, il m’a souri, a passé un bras sous mes genoux, un autre autour de ma taille et m’a enlevée pour me mener dans son repaire. Sa chambre à lui.  

 

Dans sa chambre à lui, prisonnière volontaire, déjà conquise, je m’abandonnais à ses baisers, à ses caresses. Je cédais au désir – cela m’a semblé si facile – je miaulais comme une catin, j’ondulais sous ses mains. Et j’étais souveraine, jouissant d’une puissance absolue lorsque, son sexe en bouche, je l’acculais à la folie. J’usais de mes talents, de mon expérience pour mettre le feu en lui. Son ventre tremblait, sa voix vrillait tandis que je le plongeais au plus profond de ma gorge. Ses yeux incrédules m’observaient et je ne m’en excitais que davantage. Quelle sensation de dominer celui qui m’a toujours repoussée ! Jamais, ou si peu, Mick ne m’a visitée durant nos multiples envolées nocturnes. Quelle étrange capacité que celle que je me découvre et qui ne porte pas de nom : insensibilité, indifférence, aveuglement, égoïsme ; un peu tout ça, rien de tout ça, qui peut dire ? J’anesthésie mon cœur, je me complais dans le déni du mal que sciemment je distille. Seule ma satisfaction semble importante. Ma satisfaction… être en droit d’aimer deux hommes, en être aimée en retour.  

 

Les bruits de la douche me parviennent en sourdine, j’imagine le corps parfait de Ryô inondé et détendu, dégoulinant, nimbé de vapeur d’eau. Que j’aimerais me lover dans ses bras en ce moment d’intimité ! Un sourire comblé étire mes lèvres, mais vite mes dents en malmènent l’inférieure, la déchire. C’est que le désir vient de me mordre le sexe de réminiscences licencieuses. Mon sexe… Ma main, par réflexe, se pose sur mon pubis. Mon sexe a été dévoré, écartelé, sauvagement pénétré. Tant d’outrances dans nos ébats de la nuit. La pointe de mes seins est émoussée, la peau de mes fesses comme froissée. Tant de brutalités se sont déchaînées entre mes cuisses et sur tout mon corps. Quel plaisir des sens me fut offert sans que j’en sois choquée le moins du monde !  

 

Et puis les mots d’amours… murmurés, chuchotés, soupirés, presque chantés, chavirés dans l’océan de mes émotions. Je t’aime , n’a-t-il cessé de répéter, d’une voix douce et suave, éminemment mâle. Je réalise bien entendu comme tout ceci est inespéré de la part de mon partenaire, ce taiseux des sentiments, comme il a renié la pudeur qui ceint son cœur depuis toujours. Pour moi. Moi qui suis si indigne de tout ce qu’il m’offre, de ses promesses amoureuses. Je suis perdue, je ne sais plus qui je suis, qui j’aime, où est le chemin.  

 

Des coups contre la porte m’arrachent violemment à mes rêveries existentielles. Mon sang se glace, ne fait qu’un tour dans mon corps adultère. Qui donc cela peut-il être ?  

 

Bien sûr, l’éclair d’un instant, le visage américain traverse mes conjectures. Mick ? Non, c’est impossible ! Il est neuf heures à peine. Jamais dans la situation actuelle Mick ne débarquerait ici sans y être invité. Il attend comme nous l’avons convenu que je pointe le bout de mon nez chez lui. Certainement dort-il encore à l’heure qu’il est… Je me zieute rapidement, fébrile, je suis vêtue d’un bas de pyjama et d’un tee-shirt ; rien de suspicieux pour l’impromptu visiteur. Les coups redoublent, accentuant encore mon agacement. Saeko ? Bien sûr, il n’y a que Saeko pour nous importuner de la sorte. Certainement a-t-elle une nouvelle affaire à proposer ? Une mission dangereuse et mal payée, elle va m’entendre celle-là !  

 

C’est l’œil mauvais que j’ouvre la porte, prête à mordre s’il le faut.  

 

Mais la glace me transperce dès que je croise la mine furieuse de notre visiteur.  

 

« Mick… » balbutié-je tandis qu’il force le barrage de mon corps ; qu’il pénètre chez moi ; sans un regard, sans un mot, sans un sourire.  

 

« Je…, hésité-je en me retournant vers lui. Quelque chose ne va pas ? »  

 

Mon cœur tambourine désormais dans chaque partie de mon corps, le soumettant à une pression délirante, je lutte pour ne pas m’effondrer. Respirer, intellectualiser, manœuvrer. Mick et Ryô ne doivent pas se croiser. Gérer l’urgence de la situation. Mentir. Résister. Nier. Je nierai jusqu’à la mort.  

 

Mick vient de faire volte-face ; il me toise avec une animosité inédite. Ses yeux me semblent injectés de sang ; des cernes creusent ses paupières ; ses joues sont blêmes, un tic les fait tressauter. Une colère sourde émane de tout son corps et jusqu’à sa posture me paraît agressive ; je ne m’y trompe pas, l’indicible colère m’est destinée. Il est une tempête menaçante et destructrice qui me guette. D’un regard vertical et lent, le blond analyse ma silhouette, détaille avec dédain comme je suis affublée. Cette grimace qui tord sa bouche tord mes entrailles en simultanéité.  

 

Il sait ! Il ne fait aucun doute qu’il sait ! Ryô, qu’as-tu fait ? Tu n’as pas osé !  

 

« Où as-tu passé la nuit ? » interroge-t-il pourtant calmement lorsqu’il retrouve ma misérable face de mante religieuse.  

 

Alors ce n’est que ça ? Un vent libérateur souffle sur mon âme en feu. Suis-je idiote au point de m’accrocher désespérément à une si faible lueur d’espoir ?  

 

« Ici ! je me hâte de répondre, affichant une assurance feinte.  

— Bien sûr que tu as dormi ici ! rebondit-il avec hargne. Mais où ? »  

 

Il s’entête. L’incendie qui me consume s’aventure sur mes joues, les forces m’abandonnent, ma répartie s’évanouit, je tente par tous les moyens de contenir les tremblements qui ont investi mes mains. Je peine à soutenir le regard de glace dont les lueurs folles me terrifient. De quoi ai-je l’air ainsi apeurée ?  

 

Coupable ! Oui bien sûr que j’ai l’air coupable. Je suis coupable. Je dois plaider coupable !  

 

Mais pleutre un jour …  

 

« Dans ma chambre. » soufflé-je sans réflexion.  

 

Déception. J’assiste impuissante à l’effondrement de déception des prunelles cérulées qui m’ont accompagnée sur le chemin fabuleux de l’amour partagé. Un rictus moqueur et malheureux habille la bouche de mon amour américain tandis que ma réponse tinte dans le silence de l’appartement.  

 

Le silence… Depuis quand la douche a-t-elle cessé ?  

 

D’un bond, Mick est contre moi, il enserre mes joues d’une poigne de fer, les compresse et impose son regard désenchanté au mien, à quelques millimètres seulement.  

 

« Dans ta chambre ? répète-t-il incrédule. Menteuse ! Regarde-moi dans les yeux Kaori et ose prétendre à nouveau que tu as dormi dans ta chambre ! »  

 

Le chagrin m’investit. J’ai beau me débattre et tenter de maîtriser l’affolement de mon cœur je n’y parviens pas. Les larmes accostent mes yeux. Je reste sans voix, étrangement catatonique, le visage malmené par l’homme que j’aime. C’est une position que j’ai déjà connue. Avec Ryô. Oui, lui aussi m’a brutalisée de la sorte il y a peu, lorsqu’il connaissait une souffrance égale à celle que je contemple aujourd’hui. Mick est dévasté. Il est dévasté et je suis seule responsable. Ainsi j’aurais provoqué le naufrage de notre histoire.  

 

Gifle-moi ! Insulte-moi ! Crache ta hargne, couvre-moi de mépris ! Fais-moi mal, je t’en supplie Mick, fais-moi mal !  

 

Lorsqu’il constate mes pleurs silencieux et mon mutisme, Mick souffle de contrariété, raffermit sa prise.  

 

« Peux-tu imaginer l’enfer de ma nuit, Kaori ? Moi derrière ma fenêtre à voir brûler la lumière dans ta chambre. Elle y brûle encore à l’heure qu’il est. Bon sang, dis-moi où tu as passé la nuit… et avec qui ? »  

 

Mes yeux s’écarquillent, je fouille ma mémoire, … hier soir, Ryô qui me kidnappe, la lumière que nous n’éteignons pas. La lumière de ma chambre… Alors c’est un détail si anodin qui me trahit.  

 

« Lâche-la ! » scande la voix brutale de Ryô dans mon dos.  

 

Les yeux de Mick quittent l’expression désespérée de mon visage pour se planter quelque part derrière moi. Il n’a pas desserré son étreinte sur mes joues et je devine au soudain durcissement de ses traits que c’est sur mon partenaire qu’il porte dorénavant son attention.  

 

« Je me demandais quand tu allais débarquer. » prononce l’américain sans éclat avant de me regarder à nouveau.  

 

D’un mouvement ample mais non violent il me repousse, m’envoie valser loin de lui. J’échoue dans les bras qui m’accueillent et dans lesquels Mick m’a volontairement projetée. Nul ici ne peut ignorer la symbolique de la manœuvre, la muette réalité que l’acte révèle. Je hoquète de désapprobation et abandonne un râle de tristesse tout en m’écartant de Ryô avec précipitation.  

 

« Quel beau couple ! » se moque le blond avec sarcasme.  

 

La douleur suinte dans sa voix, tout comme dans son attitude titubante. Il tourne le dos hâtivement et ses mains nerveuses viennent se perdre dans le blé de sa chevelure. Je me précipite vers lui, ignorant celui que je quitte, ne lui accordant pas même un regard.  

 

« Je suis désolée, pardon Mick, imploré-je maladroitement, sans réfléchir. Parlons-en, ne crois pas que je ne t’aime pas, que je veuille rompre, que…  

— Tais-toi, m’intime-t-il en se défaisant de ma main posée sur son bras. Où as-tu passé la nuit ? »  

 

Je reste plantée bêtement devant lui, les yeux perdus dans son regard acier inflexible. Jamais Mick n’a été plus impénétrable pour moi qu’à cet instant. Ce sujet est-il si capital ? Où j’ai passé la nuit… Faut-il absolument que je confesse mes coupables occupations nocturnes ?  

 

« Tu as parfaitement deviné que Kaori a passé la nuit avec moi, dans ma chambre. »  

 

Ryô, je te hais ! Je sais que tu crois me venir en aide en assénant ainsi la vérité, en évitant qu’elle ne m’incombe mais la crudité de ton aveu est certainement insupportable à entendre.  

 

« Ta gueule Ryô ! C’est de sa bouche que je veux l’entendre. » réclame celui dont je veux croire qu’il est encore mon amoureux.  

 

À nouveau, une lame de larmes me monte aux yeux. Mick me fixe sans sourciller, indifférent au malaise que j’affiche. J’ai bien mérité tant d’implacabilité, je le reconnais.  

 

« J’ai passé la nuit avec Ryô, avoué-je d’un ton coupable.  

— Dans sa chambre ?  

— Oui.  

— RHAAA… hurle-t-il soudain à m’en glacer le sang. »  

 

Il s’est détourné de moi, tente de catalyser l’afflux de haine et de violence qui l’ensevelit. Je pressens un désastre, un drame.  

 

Pardon ! Pardon pour la trahison, pour la douleur.  

 

« Depuis quand ça dure ? revient-il vers moi en me dévisageant intensément. Depuis quand vous foutez-vous de ma gueule ?  

— C’était la première fois, répliqué-je sans réfléchir, m’enferrant dans des mensonges ineptes et ridicules.  

— Arrête tes conneries Kaori, me prévient-il d’une voix blanche. J’ai le droit de connaître la vérité.  

— C’était la seconde fois, murmuré-je. »  

 

Il lève le regard pour sonder l’homme dans mon dos. Il ne me croit pas.  

 

« Elle dit la vérité, c’était notre seconde fois.  

— Votre seconde fois ? répète Mick abasourdi. Votre seconde quoi ? Votre seconde baise ?  

— On ne baise pas, éclaire Ryô calmement, nous faisons l’amour. »  

 

Un cri m’échappe. Comme un tigre enragé, Mick vient de se ruer sur Ryô qui n’attendait que ça.  

 

« Comment as-tu osé ? » vocifère-t-il tandis que ses poings s’écrasent sur le visage de City Hunter.  

 

Ryô réplique mais retient visiblement ses coups ; il tente aussi tant bien que mal d’éviter ceux de Mick. Tout à sa rage, celui-ci en devient maladroit et s’expose plus que de raison. Je me glisse entre les deux fauves, m’érige en remparts, tends les bras pour les éloigner l’un de l’autre, baragouine des mots inintelligibles ; ma maîtrise du combat et le sordide sentiment de culpabilité qui palpite dans mes veines me font prendre des risques insensés ; mais hors de question que ces deux-là s’écharpent pour moi, hors de question qu’ils se blessent, que Mick soit blessé. Il n’y a qu’une fautive ici et c’est moi !  

 

« C’est moi la fautive Mick ! Je suis responsable de tout ce bordel. Ma lâcheté et mon inconséquence sont responsables de tout ce bordel ! S’il vous plaît, ne vous battez pas pour moi. Jamais… je vous en supplie, ne vous battez pas pour moi. »  

 

Je m’effondre à genoux entre mes deux amants et sanglote comme une fillette capricieuse. Quel pathétique spectacle je leur offre ! Moi, l’être le plus méprisable qui soit, j’invoque la paix là où j’ai semé la guerre.  

 

Cependant, mon manège a permis de mettre fin à leur altercation. C’est déjà ça !  

 

« Pourquoi ne pas m’avoir dit que tu en aimais un autre ? retentit la question tant redoutée.  

— Je n’en aime pas un autre, avoué-je en relevant mes yeux brouillés de larmes. Enfin, je veux dire que c’est compliqué. »  

 

L’incompréhension se peint sur le visage qui semble en proie à une fatigue intense et qui déchaîne la passion dans mon cœur depuis des mois.  

 

« J’ai initié notre rapprochement. » reprend Ryô en édulcorant largement les détails de notre première fois.  

 

Je considère le brun de mes obsessions pour la première fois depuis l’entrée fracassante de Mick. Nos regards s’enlacent. Comment ne pas détecter l’éclat du trouble amoureux dans l’onyx de ses yeux ? Il est un embrasement chatoyant que je n’avais jamais perçu avant. Et que dire de son comportement depuis que mon autre amour est avec nous ? Cette tempérance inespérée… Ryô n’œuvre depuis le début qu’à sauver ce qui peut encore l’être, il ne sombre pas dans la rage et la fureur, il maîtrise. Il veut me protéger. De Mick, de lui, de moi-même peut-être aussi.  

 

« C’est-à-dire ? intervient durement Mick, soucieux de mettre un terme à la complicité dont il est témoin.  

— Je savais pour vous deux, j’ai toujours su même si je ne voulais pas le croire. Je n’ignorais pas les sentiments de Kaori quand je l’ai amenée à… se rapprocher de moi.  

— Putain, comment tu as osé ? réitère Mick en plaquant Ryô contre le mur avec son avant-bras sur sa gorge. J’ai tout imaginé Ryô, que tu te déclares, que tu exploses de colère, que tu m’exploses la gueule. J’ai même rêvé que tu acceptes notre histoire sans sourciller, que tu la comprennes, que tu la cautionnes. Mais j’avais pas envisagé que tu me torpilles comme ça.  

— Et comment voulais-tu que j’agisse ? M’as-tu seulement laissé le choix Angel ?  

— Tu n’avais pas le droit, merde !  

— Tu plaisantes ? hurle Ryô en repoussant violemment son agresseur. »  

 

Mick trébuche mais ne choit pas, il retrouve l’équilibre et essuie le sang qui coule de ses narines explosées. Je faillis perdre connaissance, mes mains se sont rejointes sur mes lèvres pour les cadenasser et éviter que mes cris d’angoisse ne s’échappent et viennent un peu plus ajouter à la tension ambiante. Il suffirait de presque rien pour que tout ne dégénère en affrontement fratricide. Presque rien. Les deux nettoyeurs se défient du regard mais tous deux luttent pour conserver leur self-control.  

 

« Tu plaisantes ? répète Ryô. Doit-on parler de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas… my friend ?  

— Ne t’aventure pas sur ce terrain-là, tu ignores les détails de notre histoire ! Kaori était libre quand tout a commencé.  

— Mais toi tu ne l’étais pas ! ricane mon partenaire. Mais je ne parle pas de ça, ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Pour le reste, c’est l’affaire de ta conscience.  

— Ne te préoccupe pas de ma conscience, enfoiré ! Avec Kazue, j’ai agi du mieux que je pouvais et je fais tout, aujourd’hui encore, pour qu’elle aille bien. Quant à Kaori, elle était libre comme l’air et malheureuse comme les pierres quand on est tombé amoureux ! assène de nouveau l’américain.  

— Tombés amoureux ? pouffe de colère le brun dont les yeux s’assombrissent davantage et coulent sur moi une fraction de seconde. Est-ce que tu y crois vraiment ? Pauvre de toi Mick, tu me fais presque pitié ! Tu as profité de sa vulnérabilité, de mon immobilité aussi, c’est vrai, et là est ma plus grande erreur ! C’est ce putain sentiment de culpabilité qui m’a retenu toutes ces dernières semaines. J’ai fermé les yeux, j’ai fermé ma gueule. Mais toi… toi, tu n’étais pas sans avoir conscience de la folie de tes actes. Tu oses prétendre que Kaori était libre ? Es-tu si stupide Angel ou essaies-tu de te convaincre ? Effectivement, Kaori et moi n’étions pas amants. Je n’évoque pas ce qui existait entre nous, ce qui était tangible, j’évoque simplement ce qui est et que tu savais. L’impalpable, l’insaisissable et pourtant l’irréfutable. J’avais une confiance absolue en toi Mick. Tu pouvais la courtiser, la draguer, flirter avec elle, pourquoi pas. Mais tu n’avais pas le droit d’aller plus loin que ça. Je n’avais pas imaginé que tu oses aller plus loin que ça ! »  

 

Angel grimace et soutient le regard agressif de son complice de toujours. Je ne saisis pas tout ce qui est échangé et déjà évoqué la veille entre mon partenaire et moi, mais je comprends que je suis au centre de tout ce foutoir. Oui, moi épicentre du séisme qui explose nos vies, moi et ma relation à Ryô. Indéchiffrable relation ; même pour moi.  

 

« Il ne voulait pas que ça aille plus loin Ryô, tenté-je de défendre celui qui a tant résisté et qui se retrouve aujourd’hui injustement mis au pilori. Il m’a fallu batailler pour qu’enfin j’accède à tout ce que je convoitais. Je t’ai d’ailleurs déjà dit tout ça. Il faut que tu me croies. »  

 

Le visage dur et fermé de mon amoureux japonais se tourne vers moi. Je sais qu’il lui déplait que j’intervienne pour expliciter ce qui me lie à son rival, cet amour qui déflagre tout et qu’il refuse de considérer, cette nécessité douloureuse d’être à lui et qu’il soit à moi. Encore maintenant.  

 

Et tu ignores encore tellement sur Mick et moi, nos excès, notre incroyable compatibilité, comme je suis jalouse de cette ancienne qui posséda son cœur.  

 

« Tu te trompes Kaori, explique calmement mon partenaire. Mick n’est ni innocent, ni inexpérimenté. Il n’est pas non plus une bite sur pattes. »  

 

Il s’est de nouveau arraché à mon regard pour aviser cet ancien ami qui se tient devant lui tout en pointant son bras dans ma direction.  

 

« Tu n’ignorais rien des sentiments qu’elle éprouvait pour moi quand tu as abusé d’elle ! Tu devais en tenir compte. Kaori m’aime et tu savais que je l’aimais tout autant. »  

 

Non, ce n’est pas ainsi que ça s’est passé !  

 

Dans ma poitrine, c’est l’apocalypse, mon cœur s’emballe, mes poumons sont incapables d’assurer leur mission première, je suffoque et chancelle. Mick n’est pas le monstre d’égoïsme décrit. C’est moi ! Moi qui ai tout initié, moi qui ai tout enflammé, envenimé.  

 

« Mick m’a toujours respectée. » je précise inutilement, les souvenirs de mes premiers émois sexuels remontant en gerbes.  

 

Et c’est un étrange malaise que je diffuse avec cette remarque qui se voulait pourtant apaisante. Les sourcils blonds se contractent et les paupières viennent obturer les yeux où le ciel a élu domicile.  

 

« J’ai cru que je pouvais te détrôner, c’est vrai, avoue-t-il d’une voix d’outre-tombe, ignorant ma piètre intervention. Tu as raison Ryô, j’ai toujours su que Kaori était amoureuse de toi, je l’ai su dès notre première rencontre, tout comme j’avais conscience de la réciprocité de ses sentiments. Je ne me défendrais pas de cela.  

— Ne dis pas n’importe quoi Mick, avancé-je, nerveuse.  

— Non Kaori. Je n’ignorais pas cette étrangeté qui existe entre vous, d’un côté comme de l’autre. J’ai naïvement espéré que tes yeux ne déguisaient pas la réalité quand on s’est trouvé, quand tu m’as dit m’aimer.  

— Mes yeux n’ont rien déguisé du tout, je t’assure. Jamais !  

— Mais je n’ai jamais abusé de toi…, n’est-ce pas ? »  

 

Ses yeux inquiets me sondent et il me tend un sourire que je déteste. Un sourire de capitulation et de défaite.  

 

Jamais, jamais !  

 

Soudain, son corps se met en branle, il s’approche de moi et se plante de toute sa stature devant ma mine défaite et désolée. En arrière-plan, j’aperçois les orbes noirs et jaloux qui suivent avec une attention démesurée chacun des gestes du blond. Les doigts gantés se posent sur ma joue et gèlent toute pensée protestatoire ; un soubresaut de désapprobation dans le témoin de la scène me fait dévier le regard un instant vers lui, voir sa douleur, mais je reviens vite me noyer dans le chagrin que je devine.  

 

« Never even thought it could happen to me. Maybe I’ve been blind, only others can see. I’m in love. » s’épanche-t-il dans un murmure si doux qu’il en est presqu’inaudible.  

 

Ma main se referme sur sa dextre, je veux la retenir, lui communiquer ce que je ressens, mais ma tentative est vaine, Mick abandonne ma joue sans le moindre regret et c’est l’océan déchaîné de ses yeux qu’il pose à nouveau sur mon front coupable.  

 

« Peut-être que mon crime est grand mais le tien n’en est pas moins condamnable pour autant.  

— Je sais, soufflé-je.  

— Pourquoi Kaori ? interroge-t-il froidement. Était-il si difficile de lui résister quelques heures, quelques jours, le temps d’en finir proprement avec moi ? »  

 

L’orage gronde certainement dans sa caboche malgré le timbre atone qu’il emploie et je devine comme il n’envisage pas un instant l’amour que je continue de lui vouer.  

 

Je t’aime ! ai-je simplement envie de hurler, je n’ai jamais voulu en finir avec toi ! mais le regard noir qui assiste à notre face-à-face m’en dissuade. Quelle est donc cette terrible crainte que tu m’inspires Ryô ? cette petite voix qui m’enjoint à la prudence. M’aimes-tu suffisamment pour entendre ce que j’ai à dire à cet autre qui m’emplit tout autant que toi ? Il n’y a que des doutes qui m’assaillent et me bâillonnent. Sauras-tu rester raisonnable comme il ne te ressemble pas ? Raisonnable ? Y a-t-il seulement quelque chose de raisonnable dans l’horreur que je veux proposer à Mick et que tu as déjà acceptée ?  

 

« Ce n’est pas parce qu’elle ne répond pas qu’elle n’a rien à te dire, grince mon partenaire qui voit clair dans mon silence.  

— Et toi ? rebondit le blond avec amertume, se détournant de moi pour revenir face à son ennemi intime. Était-il si urgent de la mettre dans ton lit ?  

— J’ai cru devenir dingue de la savoir dans le tien ! éructe Ryô.  

— Alors tu sais ce que je ressens aujourd’hui ! »  

 

Les poings se crispent et les corps durcissent. Deux animaux en lutte pour le territoire que je représente s’affrontent ; je les contemple impuissante et conjure le sort. Diable, soutiens-moi ! Ce que je désire ardemment me paraît là une illusion insaisissable mais je vais combattre ; oui, combattre jusqu’à la mort s’il le faut pour emporter le consentement de celui que je ne veux pas perdre.  

 

« Alors c’est ainsi que vous voyez les choses ? » je les interroge d’une voix calme et résolue, attirant tous les regards sur mes pauvres épaules.  

 

C’est décidé, je jugule toutes les craintes qui explosent en moi, je joue franc-jeu, j’expose la vérité. La vérité toute nue. Laide et monstrueuse.  

 

« Je ne suis pas celle que vous croyez, la femme innocente victime de l’amour vicié des hommes que vous êtes.  

— Je ne te considère pas comme une femme innocente, m’interrompt Mick avec dureté.  

— Je sais, avoué-je d’un murmure. Je ne te parle pas de cette innocence-là, je sais que je t’ai trompé et déçu.  

— Au-delà de l’imaginable Kaori ! »  

 

La douleur qui se devine, tant dans l’expression torturée de son visage, l’arc dépité de son sourcil, que dans l’intonation morne de ses paroles, m’est un supplice insupportable. Il me faut pourtant poursuivre et lui faire plus mal encore. Les doutes se bousculent en moi en ce moment mais mon démon se trouve à mes côtés et m’insuffle courage. La chaleur qu’il exhale et son imposante stature, presque protectrice, me confortent dans ma détermination. Je peux compter sur la malignité de mon âme ; j’ai foi en ces sentiments odieux qui m’entraînent dans mon ignominieuse démarche. Oui, moi Kaori, je sais ce que je veux, j’assume ce que je veux, je vais exposer ce que je veux.  

 

« Ryô pense que tu as abusé ma vulnérabilité pour me faire céder mais toi et moi savons très bien que ça ne s’est pas passé comme ça.  

— Kaori, ton cœur est novice, intervient Ryô.  

— Non, je connais mon cœur. Cessez de croire l’un et l’autre que je suis incapable d’identifier les sentiments que j’éprouve pour chacun de vous. La fragilité que vous croyez déceler en moi et qui à vos yeux est une excuse à tous mes forfaits n’existe pas. Pas plus que ma soi-disant bonté d’âme. La femme altruiste, dévouée et bienveillante que vous voyez en moi serait-elle capable de vous faire souffrir tous les deux comme je le fais ? C’est un mirage auquel vous devez renoncer. Je ne suis pas fragile, je ne suis pas innocente. Je suis tout le contraire. »  

 

Les expressions se tendent. Mes deux amours m’observent, me scrutent, m’écoutent avec une attention accrue.  

 

« Oui Ryô, je t’aime depuis toujours, asséné-je sciemment, sans délicatesse aucune pour l’américain. Tu es mon obsession, tu es mon souffle, tu es mon essoufflement même. Tout est paradoxal et exacerbé entre nous ; je souhaiterais me libérer de toi mais j’en suis incapable. Il n’est pas de forteresse que j’érigerais qui saurait te résister et j’ai réalisé cette nuit comme tu recèles encore de mystères et de trésors que je brûle de découvrir.  

— Épargne-moi ça ! scande Mick tout à la colère qu’induit mon discours. »  

 

Je vois, dans un affolement sans nom, mon blond tourner les talons pour fuir ce que je lui impose et se diriger vers la sortie de mon appartement.  

 

« Non, Mick ! »  

 

Je m’élance et m’interpose. Moi vivante il ne quittera pas les lieux avant que j’en ai terminé.  

 

« Non, je ne t’épargnerai pas, je ne le veux pas, je ne le peux pas, mais je t’en prie, écoute tout ce que j’ai à dire.  

— Je ne suis pas venu pour t’entendre lui faire une déclaration d’amour, grogne-t-il en posant ses mains sur mes épaules pour m’obliger à libérer le passage.  

— Pourquoi es-tu venu, dis-le-moi ? m’enquis-je en résistant à la pression grandissante sur mes épaules. »  

 

La question le surprend et il suspend son élan d’évasion. Ses yeux me dévisagent et je lis une hésitation.  

 

Dis-moi que tu m’aimes, qu’il est impensable que l’on se quitte, que le Soleil en mourrait…  

 

« Es-tu si indifférente à ce que je ressens ?  

— Qu’est-ce que tu ressens ? Dis-moi Mick, qu’est-ce que tu ressens ? »  

 

Hélas, les lumières s’éteignent dans le cobalt de ses prunelles et c’est une nuit sans lune que je contemple. Il est mort le Soleil . Je suis désolée, si désolée ; une pluie froide s’abat sur moi et me transperce de toute part. Ne veut-il pas se battre pour moi ? La passion ne l’habite-t-elle plus, a-t-il déjà renoncé ou alors a-t-il si peu foi en l’amour qu’il m’inspire ?  

 

D’un mouvement brusque, Mick me plaque contre la porte et plante son regard aiguisé comme un katana dans ma face traîtresse. Il se penche alors à mon oreille et murmure les mots déflagrants :  

 

« Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure, répèterais-tu après moi ces mots que j’ai tressés et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent ?… Non, bien sûr que non Kaori, tu ne les répèterais pas ! Il n’y a pas d’amour heureux… »  

 

Les mains s’évanouissent autour de moi après que la tirade me laisse pétrifiée.  

 

Je n’ai ni la force, ni le pouvoir d’endiguer sa désertion. Jamais ô grand jamais mon corps n’a été plus lourd, jamais ô grand jamais un vertige ne me mit plus à terre. Je ne saurai pas aimer Mick comme il y aspire. Lui aime inconditionnellement, il aime sans demi-mesure, il aime sans nuance ni compromis. Il aime absolument. Et moi je veux lui proposer un pacte, un contrat, qu’il m’aime avec toujours la même ardeur, qu’il me désire et me vénère dans la même passion, qu’il me comble et me ravisse dans le même dévouement, pendant que moi je partagerais, je fragmenterais, je distribuerais. À l’un ma bouche, à l’autre ma main. Je servirais aux deux les mêmes mots amoureux, ils en seraient émoussés, y perdraient leurs couleurs, seraient vidés de leur sens ; mon corps deviendrait insipide aux babines exigeantes. Quant à mon cœur… mon cœur se fourvoierait dans une passion triste, feignant d’ignorer que c’est bien l’unicité de ladite passion qui en fait l’essence.  

 

La tête me tourne et je m’affale lourdement sur le sol. Mes yeux sont figés dans un écarquillement désespéré mais restent étrangement secs. Cependant, alors que la nuit grignote inexorablement mon âme, alors que la poignée de la porte cède à la main gantée, alors que Mick s’apprête à abandonner, qu’il s’enfuit dans un pas lourd et vaincu, c’est une autre main qui entrave le destin. Un bras inattendu vole à mon secours. Ryô vient simplement de claquer la porte à moitié ouverte au nez du déserteur, l’obligeant ainsi à rester dans l’appartement.  

 

« Écoute-la jusqu’au bout ! » ordonne-t-il d’une voix grave.  

 

Je relève les yeux vers eux. Ryô me lance un regard d’encouragement, même un sourire. J’y réponds timidement, reconnaissante. J’avoue être mal à l’aise lorsque je reporte mon attention sur Mick toujours planté devant la porte de l’appartement, prêt à s’enfuir à la moindre opportunité. Pourtant, lui aussi dévie le regard pour me considérer, moi, effondrée sur le sol.  

 

« Relève-toi. » dit-il froidement.  

 

J’obtempère pendant qu’il s’éloigne de Ryô et de moi. À quelques mètres, il fait volte-face et nous toise de toute sa splendeur. Un héros déchu et magnifique , voilà la pensée qui me traverse lorsque j’admire sa silhouette séduisante.  

 

« Quoi encore ? demande-t-il, agressif.  

— Je suis un monstre, entamé-je avec le courage d’une damnée non repentie. Un monstre d’égoïsme et je vais te faire la pire proposition qui soit Mick. »  

 

Il fronce les sourcils. Certainement n’imagine-t-il pas comme ma vilénie est sans limite ! Il ne pipe mot, attendant que je poursuive.  

 

« J’aime Ryô mais je ne t’aime pas moins. »  

 

Là, j’aperçois nettement la colère gagner son visage ; tout se crispe, tout grimace, tout s’insurge.  

 

« Inutile de me servir des flagorneries sirupeuses, je ne suis pas un mendiant de bons sentiments, assène-t-il, bien décidé à ne pas me faciliter la tâche.  

— Ne me quitte pas ! Mick, je t’en prie, ne me quitte pas ! »  

 

Un soupir profond dans mon dos attire le regard d’Angel. Je me retourne vers sa source et trouve mon partenaire adossé au mur de notre entrée, celui-là même contre lequel il m’a fait l’amour il y a deux nuits de cela. Ryô est un colosse indestructible, il n’est que puissance et feu, mais là il me paraît si vulnérable, le front sombre et soucieux tourné vers nous. Vers nous… vers Mick et moi. Il nous observe, nous étudie, nous analyse. Certainement prend-il conscience seulement maintenant des conséquences de mes choix et des siens. Va-t-il revenir sur sa décision ? Va-t-il intervenir, imposer, revendiquer ? Très vite, malgré mes doutes, je l’abandonne et reconsidère l’homme auquel s’adresse ma doléance. Il a toujours le regard posé sur son rival, lui aussi jauge la situation. A-t-il seulement conscience des tenants et aboutissants ? Ses yeux s’étrécissent et se reposent sur moi mais rien ne transparaît du cheminement de sa pensée.  

 

« Ryô ? questionne-t-il simplement dans un sursaut d’espoir.  

— Je l’aime, il m’est nécessaire, annoncé-je autant pour lui que pour le brun qui nous écoute.  

— Kaori, est-ce une plaisanterie ? s’indigne-t-il, effaré, en s’approchant dangereusement de moi. Utilise des mots clairs et expose précisément la proposition que tu es en train de me faire, je ne comprends rien.  

— Ce n’est pas simple. »  

 

Diable, aide-moi !  

 

« Voyons Angel, n’as-tu pas deviné ? »  

 

Mon partenaire entre en scène et se rapproche de nous. Les deux légendes urbaines se toisent et se mesurent. Bien sûr que Mick a deviné, il ne peut en être autrement. Il a deviné mais refuse encore d’admettre que je sois capable de tant d’ignominie.  

 

« Je vous aime tous les deux, je veux que vous soyez tous les deux mes amoureux. » énoncé-je sans fioriture, de ma voix la plus assurée, mon regard affichant ma détermination.  

 

Sidération.  

 

Le souffle a gelé dans sa trachée et ses yeux s’arrondissent, trahissant l’ébahissement que mon haïssable déclaration suscite.  

 

Après une période de stupeur dont il émerge difficilement et qui me paraît une éternité, il explose d’un rire terrifiant. Un rire incrédule et glacé qui me vrille le ventre. J’ai mal et je tremble. Il se détourne et se réfugie dans un coin de notre salon, pose ses deux mains contre le mur, cherche à reprendre ses esprits en secouant la tête comme pour chasser les idées incongrues qui y naissent.  

 

« Tu veux ?... Kaori, tu veux ? Non, laisse-moi te dire que tu ne veux pas , c’est du n’importe quoi ta proposition ! clarifie-t-il en me dévisageant furieusement. C’est pas comme ça que les choses se font, c’est pas ça aimer .  

— Je jure que je t’aime, continué-je, résolue à défendre jusqu’au bout ma proposition. Je sais que c’est infâme mais j’ose malgré tout car je ne vois pas d’autre solution.  

— Une autre solution ? Une solution pour qui ? Pour toi ? Ça ne me suffit pas ! Bon sang Kaori, c’est juste odieux, c’est juste inacceptable. Es-tu devenue folle ?  

— Je vous aime tous les deux, je ne veux pas choisir, je ne veux pas renoncer. »  

 

Il s’écroule à moitié sur le mur, chancelant. Les mots que j’envoie sont plus mortels que toutes les balles qu’il a essuyées jusqu’ici, j’en suis consciente.  

 

« Pour toi, moi j’ai choisi, moi j’ai renoncé. J’aurais été prêt à tous les sacrifices, gémit-il sans m’accorder un regard.  

— C’est certainement le plus infâme de tous que je te demande aujourd’hui. »  

 

Un sourire désenchanté étire ses lèvres tandis qu’il se retourne vers moi. Ma réplique aurait-elle fait mouche ? Quelle odieuse répartie suis-je en train d’oser ?  

 

« Je ne mérite pas que tu m’aimes encore mais… Mick, m’aimes-tu encore ? je m’enquiers en faisant un pas timide dans sa direction, persistant sur le chemin que je trace malgré tout.  

— Et toi, m’aimes-tu véritablement pour me proposer l’indicible ?  

Défions le monde et ses interdits, vertu ou licence, pardieu je m’en fous ! Entends ce que d’autres ont chanté avant moi !  

— Moi aussi je m’en fous Kaori, ce que pensent les autres, leurs jugements, ne crois pas qu’il s’agisse de ça. Il y a que mon cœur exige l’exclusivité.  

— Je sais, murmuré-je. Je sais Mick mais… m’aimes-tu encore ? Malgré l’horreur que tu découvres, malgré ma faute, ma trahison, mon indignité, mon âme abominable. Aimes-tu encore la femme que je suis, celle qui te fait face et qui te confesse son intime volition ? M’aimes-tu suffisamment pour accepter l’inacceptable ? Ton cœur ne veut pas, je sais, mais toi ? Toi mon amour, toi mon refuge, toi qui me connais mieux que quiconque, m’aimes-tu suffisamment pour affronter cette monstruosité avec moi ? avec moi…, avec nous, oui avec lui aussi. »  

 

Il est de longues secondes où il me contemple sans un mot, détaillant vraisemblablement tous les détours de ma frêle silhouette, souhaitant apprécier la sincérité de mon propos. Peut-être, y cherche-t-il les arguments qu’il me claquera à la figure, ces insultes que je mérite, la source de son désamour, que sais-je ?  

 

Le blond lance alors à Ryô, toujours posté dans l’entrée, un regard dont le sens m’échappe. Je n’ai accès qu’à l’un des protagonistes de l’échange et je devine dans mon dos l’expression figée de mon partenaire. Son aura soudain semble exploser. Le poids sur mes épaules est insupportable. Il est tant de douleurs que je répands, un chaos annoncé.  

 

Pardonnez-moi.  

 

Il me retrouve enfin, a simplement posé son regard aigue-marine sur mes joues blafardes. Et je vogue et me noie, les embruns me fouettent, les alizés m’emportent vers des territoires australs et sauvages.  

 

Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées,  

Bel ange aux yeux d'azur, aux paupières voilées,  

Amour, mon bien suprême, et que j'avais perdu !  

 

 

L’oxygène circule de nouveau dans mes poumons alors que j’entrevois sa possible adhésion.  

 

Il m’aime encore, il m’aime encore !  

 

« C’est quoi la finalité de ce que tu proposes ?  

— La finalité ? répété-je, hébétée et heureuse qu’il en vienne à me poser cette question.  

— La finalité c’est le choix, intervient Ryô qui est venu se poster derrière moi et qui enroule un bras autour de mes épaules, m’extrayant de l’univers marin qui m’avait capturée.  

— Ne la touche pas, sursaute le blond en quittant le mur refuge.  

— Un choix entre toi et moi, persévère le brun, sourd à la dernière injonction. »  

 

Mick nous scrute intensément. De quoi avons-nous l’air mon partenaire et moi en cet instant ? Je suis perdue dans ses bras, sa chaleur me courtise et fait flamber mes joues ; je devine comme l’image est douloureuse au témoin que je veux convaincre. Seulement, je ne peux pas repousser Ryô, j’ai tant à perdre avec lui aussi. Je désespère. Tout est calcul. Ménager l’un, encourager l’autre.  

 

« Combien de temps Kaori ? Oui, à combien de temps estimes-tu la nécessité de cette histoire ?  

— Je ne sais pas, avoué-je d’une petite voix. Je n’ai pas réellement pensé à cela.  

— Mais à quoi donc as-tu pensé ? gronde Mick en s’approchant du couple que je forme avec Ryô, la mine menaçante.  

— À pas grand-chose, pour être honnête…  

— Tu nous proposes un jeu bien dangereux.  

— Ce n’est pas un jeu ! interjette Ryô, aimantant le regard du blond sur lui.  

— Et toi, tu es d’accord ?  

— Je n’ai pas le choix, avoue-t-il de sa voix la plus douce contre mon oreille.  

— Bien sûr que si, tu as le choix Ryô ! Tu n’as qu’à exiger. Et ta petite partenaire enamourée te tombera complètement dans les bras, je serai balayé.  

— Non, c’est faux ! »  

 

J’ai jeté mon cri.  

 

Je sais Mick que tu crois que tout est perdu d’avance, que tu es l’outsider, que Ryô m’a déjà conquise, que l’histoire est écrite, dessinée, mais c’est faux !  

 

« Si j’étais aussi sûr que tu l’es, je n’hésiterais pas une seule seconde, explicite celui qui me serre toujours. Je perds Kaori si je fais ça. Ça me bousille mais je n’ai d’autre choix que de capituler sur ce point. Je vais la partager avec toi. Un temps seulement, je te rassure ! La partager et la conquérir pleinement. Tu as de l’avance sur moi, soyons honnêtes Mick. Tu as pu abattre tes cartes là où moi je viens seulement d’entrer en scène. Mais… mais toi et moi nous connaissons la destination finale, n’est-ce pas ?  

— Tais-toi ! j’implore en le dévisageant sévèrement. »  

 

Je hais le petit sourire narquois qui éclaire ses lèvres alors qu’il toise toujours Mick et me réduit au silence par une accolade plus serrée.  

 

« Quelle arrogance ! lance l’américain en mouvement vers nous. Si tu réfléchis bien pourtant, tu es dans la lumière depuis plus longtemps que moi Ryô. Tes belles certitudes sur l’amour que vous partagez tous les deux, son évidence, tout cela vole en éclats. C’est beaucoup de blabla en fait ; la réalité est toute autre et tu en es parfaitement conscient. La réalité c’est que Kaori ne renonce pas à moi. Et cela malgré toi, malgré ta déclaration, malgré la nuit que vous avez passée tous les deux. Oh Ryô, quelle déconvenue, je me trompe ? »  

 

Le bras s’est crispé autour de mon cou dans un sursaut propriétaire et les prunelles acier s’enflamment tandis qu’elles nous voient plus lovés encore l’un contre l’autre que l’instant d’avant.  

 

Ryô j’étouffe, j’aimerais m’enfuir, mais ton étreinte est si puissante que mon corps et le tien semblent fusionner.  

 

Qu’avais-je cru ? Que je serais maître ? Qu’ils m’aimeraient et me combleraient tous deux sans combattre, sans exiger ? Un temps seulement, voilà leur doléance. Un temps seulement… moi je rêvais d’éternité.  

 

Croyez-le, le véritable amour est éternel, infini, toujours semblable à lui-même ; il est égal et pur.  

 

Le nôtre sera tout sauf pur. Il ne sera pas éternel, il ne sera pas infini.  

 

« Et c’est quoi les règles ? » s’enquiert l’américain en posant les mains sur le bras enroulé autour de ma gorge pour lui faire lâcher prise.  

 

Ryô, coopérant, consent à me libérer mais reste dans mon dos, tout à la fois protecteur et menaçant.  

 

« J’ai les jours, tu as les nuits ? propose Mick avec agressivité en me regardant un quart de seconde.  

— Tu sais bien que Kaori et moi travaillons ensemble.  

— Ben voyons, vous travaillez ensemble, vous habitez ensemble, la belle affaire !  

— Stop ! j’interjette avant que ne s’envenime ce point particulier. Il faut me faire confiance, je saurais faire au mieux pour chacun de vous.  

— Te faire confiance ? raille le blond avec amertume en déviant enfin le regard vers moi.  

— Je ferai en sorte qu’aucun n’ait plus que l’autre. Je vous promets de veiller à une certaine… équité.  

— Une équité ? Putain, mais dans quoi on s’engage ? C’est un délire absolu ! rugit Mick hors de lui. »  

 

Quelle terrible crédulité m’a soufflé que l’on pouvait emprunter cette voie ? Il est tant de paramètres que je n’avais pas envisagés, à commencer par les personnalités orageuses des deux hommes que j’aime et puis toute l’organisation de notre vie à trois , ces détails qui n’en sont pas, les modalités concrètes et matérielles, le temps…  

 

« Et on fait l’amour à trois ? lance brutalement Mick, interrompant le fil de mes pensées. Après tout, on a déjà fait ça toi et moi, tu te souviens ? »  

 

Pétrifiée, je contemple les éclairs qui ont investi notre salon, la tension est à son comble. Mick défie du regard le brun dans mon dos. Je m’écarte pour regarder mon partenaire. La mâchoire contractée, les poings serrés, les orbes noirs, ce dernier est en lutte pour ne pas verser dans la violence mais ne fait rien, non plus, pour échapper à la bataille implicite, à la guerre déclarée. Quant à moi, je devine que ces deux-là ont déjà tant vécu avant moi, j’en suis bouleversée, vexée, irritée et je cède tout autant que mes deux amoureux à la bourrasque qui détruit tout.  

 

On va se faire mal, se déchirer.  

 

« Je pense qu’on est assez responsable pour agir dans le respect de Kaori, non ? On fera au mieux pour elle. » apaise alors Ryô, décidément plus sage que jamais.  

 

Mick accuse le choc de ces paroles et reporte son attention sur moi ; son front est blême et je devine une certaine culpabilité dans nos regards entrelacés.  

 

« Kaori, as-tu seulement conscience de la violence de la réalité à laquelle tu seras confrontée ?  

— Oui, bien sûr, m’empressé-je de répondre sans préméditer ce qui suit… »  

 

Il s’approche de moi, dépose doucement sa dextre gantée et froide contre ma joue, glisse dans ma nuque. Le souffle m’a quittée, je reste interdite, muette, docile. Ses doigts investissent ma chevelure, se crispent, me repoussent légèrement. Je ne résiste pas, fais un pas en arrière, butte contre le torse de Ryô toujours positionné dans mon dos. Mick suit mon mouvement, s’approche et me domine de toute sa stature. Il est si près qu’il est indisposant d’imaginer mon corps ainsi enserré entre les deux hommes que je convoite ardemment. Je déglutis alors que le visage américain se tend vers moi. Ma tête échoue sur l’épaule robuste.  

 

Est-ce ton cœur Ryô qui résonne si fort ? Je l’entends, il s’emballe et se cabre comme un cheval fou.  

 

« Laisse-moi faire ! » ordonne Mick au troisième protagoniste contre lequel il m’accule, conscient de le heurter en convoitant le baiser qu’il va venir cueillir.  

 

Ne fais pas ça ! Mick, ne fais pas ça !  

 

Mais il est trop tard…  

 

Ses lèvres ont capturé les miennes, qui ne se dérobent pas. Le contact est ferme, chaud, doux comme j’aime. Il s’approfondit. Mes yeux se sont fermés afin de mieux déguster. Je reconnais l’odeur singulière de ses baisers, le tourbillon de la vie qui me kidnappe. Je suis happée. Dévorée.  

 

Cependant, le moment d’éternité ne dure pas. Déjà une distance rugueuse et froide abrège notre baiser et le manque me fait rouvrir les paupières.  

 

Il est toujours là. Si près, si haut. Il m’observe, presqu’inquiet, les sourcils contractés d’émotion. J’aime les nuances de bleu qui décorent ses iris et que, Diable merci, il m’autorise encore à contempler. Elles sont miennes. Absolument miennes !  

 

Il est toujours là. Collé à moi, mur solide et confortable. Indestructible. Sa chaleur m’enveloppe, communique à mon corps via des émetteurs et récepteurs secrets, intimes, et que nous partageons. Oui, Ryô et moi brûlons d’un même feu. Un rien nous unit, un rien nous déflagre. Mais là et maintenant, il me soutient, ses bras me protègent, son cœur galope contre mes omoplates. Son cœur est mien. Il m’appartient et j’en ai la plus atroce des certitudes. Il m’aime !  

 

« Est-ce que tu m’aimes ? » questionne le blond.  

 

Mes sourcils sursautent d’adhésion et je me déteste d’être en capacité de quitter si aisément l’un pour retrouver l’autre.  

 

Oui, je t’aime !  

 

« Oh oui, je t’aime ! » réponds-je sans calcul ni mesure, sans précaution aucune pour celui qui, dans mon dos, encaisse ma réplique.  

 

Un sourire à peine esquissé vient troubler les lèvres américaines. Il sait lire la sincérité de mes mots, nul doute n’est permis à ce sujet, je vois un certain apaisement le gagner et j’en suis moi-même apaisée. Puis son regard s’arrache du mien pour se planter dans les yeux de Ryô, du moins je le suppose ; l’ambiance se fait lourde et électrique. D’une habile manœuvre, Mick m’arrache des bras protecteurs et me retourne vers mon partenaire, dans une désagréable mise en scène dont le dessein ne m’est pas complètement accessible. Poupée de chiffon, je me laisse mener docilement. Je comprends comme ces moments intenses que nous partageons tous les trois sont fondateurs de notre avenir. Néanmoins, retrouver les orbes noirs et profonds qui me bouleversent depuis toujours insuffle une panique cérébrale irrépressible. Des ombres effrayantes se devinent et je me soumets à l’étreinte de leurs mains tendues vers moi ; mains qui se concrétisent autour de ma taille.  

 

« Embrasse-la ! ordonne Mick d’une voix atone.  

— Non, protesté-je en me retournant vers lui. »  

 

Mais mon soulèvement est vite réprimé, j’ai à peine le temps d’apercevoir les yeux clairs instigateurs voilés et peinés, mes mains ne parviennent pas à repousser celui qui m’invite contre lui, ses doigts capturent ma joue gauche, m’obligent à obliquer vers sa bouche. Mes lèvres s’entrouvrent pour riposter, mon souffle s’échauffe, mes yeux s’écarquillent. En vain ! Me voilà de nouveau interceptée par un autre baiser, la paume qui possédait ma taille remonte le long de mon échine, me caresse et se réapproprie mes sensations.  

 

Ryô…  

 

Mes paupières sont closes, s’est incrustée dans mon cristallin la dernière image captée, le visage de Ryô tendu vers moi. Ses lèvres contre les miennes sont chaudes.  

 

« Voilà quelle est la réalité Kaori ! analyse Mick d’une voix ébranlée tandis que le baiser s’éternise. La réalité pour toi, la réalité pour moi. La réalité pour toi aussi Ryô ! »  

 

Nous nous séparons et j’ai mal. Nos yeux encore embrouillés se retrouvent, la culpabilité m’emplit. Pour l’un, pour l’autre.  

 

« Dis-lui que tu l’aimes ! » persévère Mick.  

 

À quoi ça sert de se faire mal ainsi ? Mes yeux se gorgent d’acide, je peine à contrôler les sanglots qui remontent par vague.  

 

« Ne pleure pas Kaori, me murmure Ryô avec compassion, effleurant la ligne de ma mâchoire pour adoucir le moment.  

— Je t’aime, prononcé-je sans parvenir à me départir d’une certaine candeur. »  

 

Il me sourit tendrement, goûte mon aveu sans masquer son plaisir.  

 

Un soupir de dépit éclot à nos côtés, nous dévions simultanément nos regards vers Mick. Le visage chiffonné d’affliction, celui-ci nous examine comme s’il souhaitait mesurer, évaluer, poser un pronostic peut-être. Je déteste la détresse qu’il ne parvient à farder et qui me saute à la gueule. Je déteste. Je me déteste !  

 

« Fais vite ! aboie-t-il maladroitement, reculant pour fuir, sans pour autant pouvoir s’arracher de la contemplation morbide du couple qui lui fait face – Ryô et moi.  

— Ne pars pas, pas tout de suite ! supplié-je en faisant un pas vers lui.  

— Fais vite Kaori… pour choisir… je ne supporterai pas ça longtemps.  

— Reste ! »  

 

Mais déjà il s’est esquivé, a claqué la porte et le bruit de ses pas dans les escaliers résonne jusque dans mon crâne. Ryô a saisi mon poignet, brisant mon élan – retenir celui que j’aime – me communique ainsi sa volonté de me garder auprès de lui, ne m’en laisse d’ailleurs pas le choix. Je me retourne vers lui, l’air éperdu certainement, lui confie mon désespoir.  

 

Mes traits se crispent, le chagrin m’investit et il n’est même pas envisageable de ne pas y céder.  

 

Alors j’ouvre les vannes, je pleure, je déverse ma peine en gros sanglots, ma gorge enfle et se tord, gémit pitoyablement. Des larmes dévalent mes joues en cascades tumultueuses. Je suis bientôt consolée, des bras me séquestrent, me serrent, une épaule accueille mon visage ravagé de pleurs. Pourquoi Diable Ryô m’étreint-il encore ? Pourquoi ne me repousse-t-il pas ? Tout au contraire, il n’est que tendresse et compassion. Je ne mérite pas. Je ne mérite pas !  

 

Mes pleurs redoublent. J’ai conscience de l’inintelligibilité des paroles que je déverse à l’envi, de l’ineptie des excuses que je balbutie lamentablement. Mes pensées ne sont pas plus limpides.  

 

« Aide-moi... Aide-moi ! j’implore en accrochant vigoureusement son tee-shirt.  

— Je sais que c’est douloureux, répond-il, compréhensif, en caressant mes cheveux.  

— Pourquoi Ryô ? »  

 

Il se tend. Je reste le nez contre son torse, humant son parfum, m’en réconfortant, mes yeux sont fermés et contractés, je peine à articuler clairement les mots tant le chaos règne en moi.  

 

« Pourquoi es-tu si indulgent ? Pourquoi ne me condamnes-tu pas ? Pourquoi acceptes-tu ce que j’impose ?  

— Pourquoi ai-je été si coopératif, c’est ça ? »  

 

Je me contente de hocher la tête.  

 

« Il y a une chose que j’ai réalisée ce matin, je ne l’ignorais pas mais je ne l’avais jamais expérimentée. »  

 

Je suis toute ouïe, pendue à ses lèvres même si je ne décolle pas de son tee-shirt.  

 

« L’amour est cruel. » se contente-t-il de déclamer.  

 

J’ai toute la peine du monde à ne pas hurler tandis que j’entends sa triste analyse, que j’en crois cerner les sources, ma médiocrité, ma faiblesse. Oui cette faiblesse qui me révulse et qui répand le malheur dans le cœur des hommes qui m’aiment ; les hommes qui m’aiment… et que j’aime. À croire que cet amour dont je les nourris est une malédiction !  

 

« Je suis désolée, bredouillé-je. Désolée d’être si inapte à te rendre heureux. »  

 

Il sourit tout en coulant une paume chaleureuse contre ma pommette honteuse.  

 

« Ne crois pas ça ; ne crois jamais ça Kaori. Je ne me suis jamais senti aussi vivant.  

— Mais…  

— Mais je ne connaissais pas cette douleur. Je n’ai jamais aimé Kaori. Jamais avant toi. C’est tout à la fois grisant, euphorisant, envahissant, et éprouvant, excessif, débordant. D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours promis de ne jamais mettre un genou à terre, que rien ni personne ne saurait m’atteindre. Alors, bien sûr je me suis attaché, j’ai eu des coups de cœur, des colères, j’ai été trahi, j’ai perdu des amis, des partenaires, j’ai été peiné ; immensément. Mais je n’ai jamais été véritablement atteint, je n’ai jamais mis un genou à terre. Jamais. »  

 

Je me suis éloignée de quelques centimètres pour mieux le dévisager. Et je suis, stupéfaite, les lignes d’émotions qui traversent son si séduisant minois.  

 

Merci Ryô. Merci de m’offrir cet accès à toi !  

 

« Jamais jusqu’à aujourd’hui, précise-t-il en pénétrant mes prunelles enflammées d’un regard perçant. Aujourd’hui, je découvre quel amoureux je suis. C’est un nouveau moi qui vient de naître. Ça va bien au-delà d’une facette de ma personnalité, c’est une révolution, une mutation. Je me voudrais fort et invincible, inébranlable, indocile. Et c’est un homme dépendant, soumis au diktat de son cœur qui s’ébauche dans les affres de l’amour ; un homme prêt à tous les sacrifices pour ton bonheur. La réalité est que je veux être près de toi quand tu t’éveilles le matin, je veux protéger ton sommeil, te coller chaque instant du jour. Je veux que tu sois toujours dans mon regard. »  

 

Une nuée de cygnes opalescents sillonne le ciel de ma conscience. Pourquoi ces oiseaux mythiques envahissent-ils mon cortex à cet instant fabuleux de sa confidence ? Je ne sais pas et peu m’importe, je me laisse envahir par le vol lourd, serein et captivant.  

 

« Tu es un amoureux fusionnel, résumé-je d’une voix étranglée par l’émotion.  

— Il faut croire, approuve-t-il en haussant légèrement les épaules. J’aurais jamais parié là-dessus.  

— Moi non plus, dois-je admettre avec un petit sourire. Je t’imaginais farouche défenseur de ton indépendance, ne versant ni dans la tendresse ni dans l’effusion. Serai-je seulement à la hauteur de tes attentes ?  

— Je tenterais de museler mes attentes… pour un temps. Et il te faudra aussi batailler, être dure, tranchante et résister à mes sollicitations car je serai insatiable et dévorant. »  

 

C’est une mise en garde, je ne m’y trompe pas. Ryô sera intraitable et exigeant, il n’hésitera pas à me heurter, à me confronter à ma lâcheté, comme il ne tolèrera aucune inertie, comme il soufflera sur les braises de nos cœurs.  

 

« Oh Ryô, tu mérites tellement, commenté-je en effleurant sa joue.  

— Je n’aurais jamais cru que tu l’aimais autant, murmure-t-il, nous ramenant à l’Absent.  

— Je t’avais dit pourtant, j’ose répondre.  

— Oui, tu m’as dit que c’est Mick que tu choisirais. »  

 

Je me sens penaude et idiote. Certainement que ma face se nimbe d’un voile ridicule car mon partenaire ne peut réprimer un gloussement moqueur et affiche un sourire resplendissant que je déteste.  

 

« Tu n’as pas réitéré ta menace aujourd’hui, cela me semble un heureux présage, persiste-t-il non sans un certain humour.  

— Non, arrête ! rouspété-je, lui sachant gré tout de même de cette légèreté bienvenue.  

— Jamais je ne désespèrerai, jamais je ne renoncerai, te voilà prévenue ! assène-t-il délibérément en chiffonnant mes cheveux.  

— Tu ne renonceras pas…, répété-je mollement. Mais Mick ? »  

 

Ryô ne pipe mot mais sa main quitte immédiatement ma chevelure et ses yeux parlent pour lui ; agressifs et plus sombres que jamais.  

 

J’ai peur, je ne peux le nier. J’ai peur que Mick déserte, abandonne, qu’il renonce à combattre, que les souffrances affrontées aujourd’hui aient raison de son amour pour moi. Qu’il ne m’aime plus, tout simplement !  

 

Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel et faire des serments qui ne se violent pas , telle est sa philosophie.  

 

« As-tu conscience de ce qu’il a essuyé aujourd’hui ? Le cataclysme dont je suis responsable, ne puis-je m’empêcher d’évoquer.  

— Oui, j’imagine, admet mon partenaire en affichant une moue dubitative, mais je n’en ai strictement rien à foutre. »  

 

Un frisson gagne mon échine. J’ai sous les yeux les vestiges de leur amitié, la mine agressive et indifférente de mon partenaire au malheur de son rival me conforte dans ma certitude. Il semble révolu le temps de la complicité, tout comme l’estime réciproque qui trouvait sa source dans les dangers combattus autant que dans les outrances, dans les délires obsédés, dans la confiance partagée. Ryô se laisse observer et ne cille pas ; ainsi il reconnaît et assume tout ce qui est sous-entendu. Nul besoin de verbaliser pour nous comprendre.  

 

Je soupire de déconvenue, mais ne persévère pas dans l’état des lieux de nos relations passées, l’urgence est ailleurs. Un homme s’est enfui d’ici il y a peu, le cœur en miettes. Il est temps d’aller le rejoindre, de le rassurer, de lui prouver que mes dispositions amoureuses envers lui n’ont pas varié.  

 

Je m’arrache de mon tête-à-tête et me dirige vers les escaliers.  

 

« Tu vas où ? s’inquiète-t-on dans mon dos.  

— Je vais prendre une douche rapide, annoncé-je sans me retourner, la force me manquant.  

— Et après ?  

— Après j’irai…  

— Kaori, souffle-t-on de contrariété.  

— Mais avant toute chose, je vais éteindre la lumière de ma chambre. »  

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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