Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 5 chapitres

Publiée: 03-01-19

Mise à jour: 10-12-22

 

Commentaires: 21 reviews

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HumourRomance

 

Résumé: Kaori et Ryo se retrouvent prisonniers d'un rêve commun. La lune ne semble pas encline à les laisser retrouver le monde réel. Qu'attend-elle pour les libérer? Peut-être qu'ils se libèrent eux-mêmes.

 

Disclaimer: Les personnages de "Un rêve pour deux" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Un rêve pour deux

 

Chapitre 5 :: L'éveil...

Publiée: 10-12-22 - Mise à jour: 10-12-22

Commentaires: Bonjour, Ah je voulais finir cette fic avec un dernier chapitre mais il m'en restera encore un après celui-là. Voilà de quoi patienter. J'ai bien aimé l'écrire, ça change de mon registre habituel. Je suis conscient de ne pas être très productif en ce moment. J'espère que vous vous replongerez avec plaisir dans cette histoire plutôt légère mais pas que... Merci pour vos commentaires encourageants, bonne lecture et à bientôt. Pat

 


Chapitre: 1 2 3 4 5


 

 

 

 

CHAPITRE 5 : L’éveil…
 

 

 

 

 

Lorsqu’il ouvrit les yeux ce matin-là, une violente migraine enserrait son crane dans un étau douloureux.  

 

Une grimace. Oui, une grimace déforma ses traits dès qu’il comprit, dès qu’il prit conscience du lieu où il était et que les contours de son rêve dérangeant se dessinaient progressivement dans son esprit. Il avait fait quoi ?  

 

Ses yeux résolument clos se froncèrent d’horreur.  

 

Il avait baisé Kaori !  

 

Ah ! que c’était dur de grimacer plus encore, ses traits avaient la texture du carton-pâte.  

 

Il avait fait l’amour avec Kaori… c’était une blague ? Elle s’était noyée dans les orgasmes qu’il avait initiés et elle l’avait gratifié d’un orgasme non moins dévastateur. Putain, il avait joui de son cerbère, c’était un cauchemar ! Il refusa obstinément d’ouvrir les yeux, comme s’il craignait que la plus atroce vérité lui sautât à la gueule : sa partenaire lovée dans ses draps, enamourée comme jamais, pâmée devant ses talents érotiques. Comment Diable allait-il se débarrasser d’elle ?  

 

Après de longues minutes d’hésitation, guettant dans l’effroi la moindre respiration étrangère à ses côtés, il lança un bras éclaireur dans la crainte absolue de toucher le corps honni.  

 

Rien.  

 

Sa main voyagea sous la couette et tâta tout ce qu’elle y rencontra.  

 

Rien.  

 

Bon sang de bonsoir, il était seul au fond de son lit, recroquevillé. Son lit glacé.  

 

Et merde !  

 

Une vague de nausées accabla son estomac tandis qu’il se releva brusquement, les sens en alerte, les yeux bien ouverts cette fois-ci.  

 

Il était seul et abandonné dans sa chambre. Perdu dans son grand lit.  

 

Et merde… c’était qu’un rêve !  

 

Kaori vaquait visiblement à ses occupations quotidiennes au rez-de-chaussée ; des bruits de vaisselle, des odeurs de cuisine, quelques grognements animaux aussi investissaient la quiétude de son repaire et nourrissaient son malaise. Mais qu’est-ce qu’il s’était passé exactement ?  

 

Il tenta de recouvrer ses esprits, se frictionna le cuir chevelu et investigua avec soin tous les souvenirs que la Lune avait disséminés dans son cerveau de détraqué sexuel. Il y avait l’odeur de sa peau, divine, le velouté de son sexe, inoubliable, la profondeur de son souffle, enivrant, fascinant. Et ses cris… ses cris l’avaient comblé ! Il porta les doigts à ses narines et inspira longuement. Il se huma attentivement. Le tonnerre gronda en lui tel un fleuve furieux tandis que ses sens reconnaissaient les fragrances intimes interdites.  

 

Et merde ! C’était pas un rêve !  

 

Il tomba à la renverse, les bras en croix, condamné…  

 

Après qu’il eut fini de s’habiller – très mal, évidemment – et après qu’il eut livré une bataille perdue d’avance contre les réminiscences voluptueuses qui débordaient son self-control, il consentit à descendre dans la cuisine pour rejoindre sa partenaire ; non sans appréhension. Tous les détails, plus ou moins scabreux, s’étaient imbriqués comme dans un tangram pour former le rêve le plus flippant qu’il était possible d’imaginer. Et se retrouver face à son dragon désormais fantasme était source d’un stress inédit qu’il lui faudrait dompter, à défaut de le vaincre.  

 

La descente des escaliers fut interminable, son cœur battait la chamade, ses jambes tremblaient, ses mains s’étaient couvertes d’une fine pellicule de sueur et dans sa bouche un goût de fer dominait.  

 

C’est un truc de dingue Kaori, mais oublions tout !  

 

Nier serait vain. Contrairement à son habitude, il ne saurait dissimuler son émotion ; recroiser son regard séducteur, subir son sourire lubrique ou ses attitudes de femme fatale auraient certainement raison de ses redoutables capacités de résistance. Bon sang, voilà qu’il qualifiait maintenant sa partenaire de femme fatale, il était complètement tapé ! Et pour couronner le tout, il y avait fort à parier que la rouquine devait être complètement chamboulée à l’heure qu’il était. Elle avait vu le loup ; et pas n’importe lequel, le plus fougueux, le plus impétueux, le plus majestueux. C’était sa première fois. Il avait été sa première fois ! Les rêves de Kaori étaient désormais exaucés, ses fantasmes les plus fous s’étaient réalisés et, le pire du pire puissance un million, perdus dans les méandres d’un complot du cosmos, ils avaient évoqué des sentiments ! Lui-même avait reconnu tomber amoureux d’elle. Mais quelle mouche l’avait donc piqué ?  

 

Merde.  

 

Tout était perdu ?  

 

À aucun moment, le nettoyeur ne doutât de la réalité du moment partagé, ni de l’orchestration machiavélique de l’astre nocturne. Il fut au contraire immédiatement convaincu de la matérialité de la chose.  

 

La chose… Merde, merde ! Ils avaient fait la chose… Comment avait-il pu ?  

 

Pourtant, au fur et à mesure qu’il descendait les escaliers et que le bougonnement de sa partenaire parvenait à ses oreilles attentives, il prit conscience de l’ambiance relativement habituelle dans laquelle elle semblait évoluer. Elle ronchonnait et râlait, certainement contre lui d’ailleurs. Pourtant, baignée des souvenirs embarrassants de leur rêve commun, Kaori aurait dû se trouver dans un état de stress abyssal et appréhender bien plus que lui leurs retrouvailles du matin. Certaines paroles lui revinrent tout à coup en mémoire, aussi précisément que si elles venaient d’être prononcées.  

 

Elle ne se souvenait jamais de ses rêves. Lui-même avait réclamé qu’elle ne se souvînt de rien, il avait supplié la Lune d’ailleurs, Kaori s’y était même engagée.  

 

Elle ne se souvenait de rien !  

 

Et merde !  

 

Lorsqu’il se positionna dans l’embrasure de la porte de la cuisine, qu’il la surprit de dos, affairée sur son plan de travail, œuvrant méticuleusement à la préparation d’un mets certainement délicieux, il redouta le demi-tour qu’elle entama. Le temps suspendit son vol, son ventre se contracta monstrueusement, il figea ses traits dans un souci d’impénétrabilité et porta son attention sur ceux de celle qui ne saurait rien cacher de son trouble si d’aventure elle se souvenait effectivement.  

 

La rouquine offrit une mine perplexe à son partenaire mutique.  

 

Dépité, il était dépité. Elle ne se souvenait de rien !  

 

« Salut ! » maugréa-t-elle sans entrain.  

 

Il analysa minutieusement les nuances chocolat des yeux noisette, tentant d’y lire un trouble, une tristesse, un tracas, un truc quoi. Mais rien. Rien de rien.  

 

« Ça va ? s’enquit-il sans laisser filtrer la moindre émotion.  

— Ben, répondit-elle avec une légère intonation de colère, on peut pas vraiment dire ça. Ryô, pendant que tu feignassais au lit, la banque a appelé. »  

 

Elle était plantée devant lui, la mine furibonde, les mains sur les hanches dans une attitude belliqueuse et s’apprêtait visiblement à lui passer un savon pour il ne savait quelle obscure raison. Raison dont il se fichait éperdument, il devait le reconnaître. La réalité était que son cerbère ne se souvenait pas avoir fauté avec lui, lui l’étalon de Shinjuku, durant les nombreuses heures de son sommeil. Elle ignorait donc le plaisir dont ils s’étaient rassasiés, elle ignorait donc tout de ses capacités sulfureuses, elle ignorait donc comme ils s’étaient rapprochés tous les deux, jusqu’à fusionner merveilleusement.  

 

Et merde, lui se souvenait de tout !  

 

« Et ? » rebondit-il mollement en s’avançant dans la cuisine et en la bousculant vertement.  

 

Elle grogna. Lui, suivit d’un regard en coin sa réaction lorsque leurs corps se heurtèrent, espérant il ne savait trop quoi.  

 

« On est en méga débit, le wifi à côté de ton train de vie, c’est du pipi de chat, persiffla-t-elle d’un ton furieux.  

— Qu’est-ce que j’y peux, bredouilla-t-il, j’ai de gros besoins.  

— De gros besoins, tu n’imagines pas si bien dire. La banquière, à qui visiblement tu as fait du gringue et promis un rencard sans l’honorer, s’est fait un plaisir de me détailler nos dépenses. Bon sang Ryô, comment fais-tu pour dépenser autant d’argent dans les bars et les peep-shows ? »  

 

Ryô écarquilla les yeux comme des soucoupes. Mais ouiiiii, la banquière ! Il se souvenait de tout maintenant, le coup de fil de la semaine passée, la voix douce et charmante de leur nouvelle conseillère, le grand jeu qu’il lui avait sorti, il avait réussi à l’embobiner. Du grand art ! Il avait même réussi à décrocher un rendez-vous.  

 

« Elle nous menace d’interdiction bancaire, tu te rends compte ? fulmina la rouquine, les sourcils indignés. Pourquoi tu n’y es pas allé à ce fichu rendez-vous ? »  

 

Le nettoyeur hoqueta de surprise. Était-elle en train de le pousser dans les bras de leur banquière pour les sauver de la banqueroute ?  

 

« J’y suis allé, se plaignit-il les larmes aux yeux, mais quand je l’ai aperçue de loin, j’ai fait demi-tour. Elle est ultra moche Kaori chérie, son physique n’est pas à la hauteur de sa voix, crois-moi. Déception amoureuse, déconvenue sentimentale, désappointement charnel, appelle ça comme tu veux ! Cette fille est d’une laideur monstrueuse. »  

 

Kaori se massa vigoureusement les globes oculaires pour faire redescendre sa pression sanguine. En temps normal, elle l’aurait atomisé, les dépenses découvertes étaient impardonnables, il rinçait les bunnies à chaque soirée de débauche passée avec l’américain libidineux. De plus, il profitait de la moindre occasion pour tenter sa chance, il ratissait large et elle ne savait plus comment gérer les passions soudaines qu’il déclarait à chaque nouvelle rencontre. Déception amoureuse, déconvenue sentimentale, désappointement charnel, elle savait très bien de quoi il retournait en fait, c’était son quotidien.  

 

Oui, en temps habituel elle l’aurait atomisé sous une massue vengeresse et éperdue, cependant l’urgence de la situation nécessitait qu’elle conservât son flegme légendaire.  

 

« Tu vas rappeler cette femme et lui proposer un autre rendez-vous que tu honoreras cette fois-ci.  

— Quoi ? s’offusqua le brun postillonnant. Tu me sacrifies sur l’autel de nos finances ? Je ne t’aurais jamais cru aussi corruptible, tu me déçois Kaori. Je te réponds simplement NON. NON, mon corps n’est pas un instrument que tu peux utiliser à ta guise, encore moins un appât ou un moyen de payer nos dettes, j’ai une âme, j’ai un cœur, j’ai une conscience, moi. Bref, pour simplifier, ne compte pas sur moi pour pas me taper un laidron. »  

 

Elle rattrapa le fuyard par le colbac et le planta devant elle, puis le saisit par les épaules et le secoua brutalement comme pour le délester de ses idées débiles et de sa mauvaise foi.  

 

« Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, triple buse ! Bien sûr que tu ne vas pas coucher avec elle, je ne te laisserai jamais faire, mais tu vas quand même l’inviter au restaurant…  

— Avec quels sous ? l’interrompit-il, sagace, le doigt levé.  

— Ça je verrai, laisse-moi finir ! Tu vas l’inviter au restaurant et te révéler l’homme le plus délicat qu’il soit, un vrai gentleman. Elle ne te plaît pas, c’est déjà ça, tu devrais être capable de te tenir du coup et t’as intérêt à te montrer sous ton meilleur jour. Il n’y a pas pire blessure que l’égo piétiné et en n’allant pas au rendez-vous que tu as toi-même fixé, tu as blessé cette jeune-femme, tu l’as humiliée.  

— Jeune femme, jeune femme, maugréa-t-il dans sa moustache, tu ne l’as pas vue !  

— Rattrape ta bévue Ryô, sois comme elle aimerait que tu sois. Charmant et tourmenté. »  

 

Le nettoyeur regardait sa partenaire partir dans son délire. Il n’y avait plus trace de leurs ébats nocturnes, elle était et restait la même que la veille au coucher, complètement fada. Elle ne se souvenait pas de leurs baisers, ni de leurs caresses, ni des mots qui avaient sonné comme des serments. Elle s’était donnée à lui pourtant. Oui elle s’était abandonnée à lui de la plus délicieuse manière et là, là, elle voulait le donner à une autre.  

 

Kaori, si tu savais comme j’ai eu envie de toi pendant que tu dormais.  

 

« Tourmenté ? rebondit-il, étonné qu’on lui collât ce qualificatif.  

— Mouais, essaie de paraître profond pour une fois ; profond et sensible, il te faudra simultanément panser son cœur et endormir sa conscience professionnelle. Plaide notre cause, demande à ce qu’on nous octroie du temps pour combler notre déficit, on va redoubler d’efforts, multiplier les missions, diminuer nos dépenses.  

— Ça ne marchera jamais, elle va tomber inexorablement amoureuse de moi, tu le sais bien je suis irrésistible.  

— Mouais, y a des risques, consentit la nettoyeuse, bouche pincée. C’est justement sur ce point que tu vas devoir la jouer fine.  

— Je comprends pas.  

— La banquière m’a eu au téléphone Ryô. Ça change tout !  

— Mmh… ah bon ?  

— Oui, elle me connaît, elle sait que j’existe, clama-t-elle sûre de son fait, les yeux pétillants. Et je lui ai sorti le grand jeu de la femme complètement hystérique. Tu n’as qu’à lui expliquer que toi et moi nous sommes ensemble. »  

 

Il étouffa un juron de surprise qui attira le regard noir de sa partenaire.  

 

« Zéro remarque, le prévint-elle en pointant un doigt hostile vers lui. Dis-lui que depuis qu’elle m’a fait la liste de tes dépenses dépravées je menace de te quitter, je te fais vivre un véritable enfer, je suis d’une jalousie maladive.  

— Rien que ça ? ironisa-t-il malgré lui. Un rôle de composition, quoi !  

— Exactement ! Et précise-lui que les dettes, c’est toi qui les as contractées, que tu vas t’en acquitter comme tu le dois, que tu arrêtes toutes tes conneries, que tu tiens à moi, que tu mourrais si je te quittais. Enfin, tu lui fais le grand cinéma du mec amoureux fou… »  

 

Kaori s’enflammait, ses joues s’étaient couvertes d’une jolie couleur cerise, les pupilles de ses yeux étaient dilatées, elle exultait. Ryô contemplait l’effet indéniable du récit ridicule qu’elle lui servait, elle vibrait comme la corde d’un violon sous les doigts experts du musicien. Elle débordait d’inspiration romantique, se perdait dans d’innombrables méandres plus farfelus les uns que les autres. Quel joli tableau elle lui offrait, naïf et innocent !  

 

« Pas possible ! se satisfit-il d’opposer enfin en croisant les bras sur sa poitrine.  

— Comment ça, pas possible ?  

— Redescends de ton cocotier, elle ne me croira jamais !  

— Ben si, si tu y mets un peu de conviction. Mon plan est remarquable, reconnais-le. Y a pas d’faille !  

— Il y a bien une faille et c’est la faille de San Andreas ! Voyons Kaori, si je te résume… je dois me rendre à un rencard avec une femme qui connaît mes vices, mes addictions au jeu et aux femmes faciles, je dois me montrer charmeur, séduisant, profond, sensible et, dans le même temps, arguer d’une incompatibilité amoureuse avec elle du fait de mon histoire d’amour avec toi et de ma résolution de nouvelle fidélité. Et je te rappelle que c’est moi qui lui ai donné ce rendez-vous non honoré, quand je l’ai fait j’ai démontré zéro culpabilité vis-à-vis de toi, toi avec qui je suis censé vivre… quelque chose. Ça colle difficilement.  

— Hum…, marmonna une Kaori songeuse, tout en se caressant le menton, c’est vrai que ça semble un peu tiré par les cheveux !  

— Ah oui, juste un peu, tu as raison, se moqua-t-il doucement.  

— Cependant, tu n’imagines pas comme les femmes sont naïves Ryô. Tu as l’expérience, tu sauras trouver les mots qu’elle souhaite entendre.  

— Bien sûr que je saurais, ricana-t-il avec prétention, mais il y a un autre problème auquel tu n’as pas pensé et qui, lui, est insoluble et qui fait qu’elle ne me croira jamais.  

— Comment ça ? réagit vivement sa partenaire. Et lequel, tu peux m’éclairer ?  

— Je ne peux pas faire croire à une moche que je suis avec une plus moche qu’elle ! foudroya-t-il sans clémence »  

 

Il y eut un instant hors du temps, des regards qui s’entrechoquent, des gorges qui se nouent. En un battement de cil, la neige conquit les joues récemment échauffées, le blizzard chassa le soleil dans la voix. C’est qu’il était si prompt à la ramener en hiver, c’était même l’un de ses plus détestables talents. Elle eut la faiblesse de déglutir, d’afficher sa vexation. Elle dégaina sans réfléchir. Une massue vint désintégrer la mâchoire dans un silence lourd de sens.  

 

Non, il ne restait plus rien du rapprochement de la nuit.  

 

Après l’avoir écrabouillé une centaine de fois avec toute la force que la rage décuplait dans son cœur de femme une nouvelle fois bafouée, elle lui releva sa face déchiquetée pour mieux le fusiller du regard.  

 

« Écoute-moi bien Saeba, tu n’as pas le choix. Tu vas rappeler notre banquière, tu vas lui proposer un autre rendez-vous, tu vas l’inviter au restaurant, tu vas lui dire ce qu’elle veut entendre. Tu vas nous sauver de la banqueroute.  

— Zamais, s’obstina-t-il entre ses dents cassées. »  

 

Elle resserra l’étreinte autour de son cou et plongea ses yeux courroucés dans ceux gonflés et à-demi fermés par les tuméfactions.  

 

« Tu n’as pas le choix, répéta-t-elle. J’ai aussi prévu d’aller moi-même monnayer avec Saeko tous les coups qu’elle te doit, je saurais la convaincre d’échanger ces pseudo-promesses en monnaie sonnante et trébuchante.  

— T’as pas l’droit, t’oserais pas !  

— Ha ha, imbécile, sais-tu seulement où elle est ta liste de coups ?  

— Oh…, pleurnicha-t-il, réalisant que son dragon lui avait subtilisé l’un de ses trésors les plus inestimables. Que tu es vilaine !  

— Oui, je suis vilaine ! lui accorda-t-elle en le secouant tant et si bien que ses os disloqués cliquetèrent. Et tu n’as encore rien vu ! Tous ces coups ne suffiront pas à éponger tes dettes. J’ai déjà mis en vente sur leboncoin ta collection de Lui et de playboy ainsi que celle des dessous vulgaires écœurants que tu as amassés durant tes années de nuisance.  

— Mes précieux… geignit-il.  

— Confisqués aujourd’hui, vendus demain, annonça-t-elle d’un air démoniaque effrayant.  

— Mes cassettes vidéo, osa-t-il la boule au ventre, mon cinéma d’auteur ? »  

 

Bon sang de bon soir, elle n’avait pas pensé aux films porno ! Son sourcil droit tiqua légèrement, signe de nervosité mal maîtrisée.  

 

« Je t’accorde un sursis pour tes cassettes, trouva-t-elle à répondre, feignant la magnanimité, je ne suis pas un monstre. Si tu cèdes sur tout, je te les laisse.  

— Sur… tout ?  

— Nous prendrons désormais tous les clients qui se présentent. Même les hommes !  

— Noooonn, refusa-t-il tout net. C’est contraire à mes principes.  

— T’as pas de principe, aboya-t-elle en le secouant de nouveau comme un prunier. Tu nous mets dans une merde noire Ryô, c’est à toi de nous sortir de ce mauvais pas, nous n’avons pas les moyens de faire la fine bouche.  

— Et si je refuse ? tenta-t-il d’avancer. »  

 

Elle darda sur lui des prunelles ardentes et déterminées.  

 

« Je te l’ai dit, je te quitte. »  

 

Il déglutit.  

 

Il obtempérerait sur tout.  

 

oOo
 

 

 

Dans son lit, Ryô marmonnait et geignait comme un chiot, il remuait, se retournait, mordait sa couette, gigotait sans cesse dans tous les sens. Les dernières paroles échangées le matin même engraissait toujours sa colère. Comment avait-elle osé ?  

 

Je te quitte… je te quitte… Non mais pour qui se prenait-elle ? Elle se croyait indispensable, ou quoi ? une sorte d’ingrédient magique dans sa vie ?  

 

De un, ils n’étaient pas ensemble et… ils ne le seraient jamais ! Il n’y avait pas plus monstrueuse évocation que celle-là d’ailleurs, rien ne paraissait plus répugnant à l’étalon de Shinjuku. Se taper tous les travestis de Ni-Chome*, se faire moine ou embaucher comme gogo-danseur dans une maison de retraite étaient mille fois plus engageant qu’être estampillé « p’tit copain de Kaori ».  

 

Kaori… tu sais la moche folledingue qui a squatté l’un de tes rêves les plus mal inspirés.  

 

Était-ce pour cela qu’elle avait pris la grosse tête, qu’elle déployait ses supers pouvoirs J’te quitte, j’te quitte… ?  

 

De deux, si elle mettait effectivement ses menaces à exécution, qu’est-ce qu’elle croyait ? qu’il ne s’en remettrait pas ? qu’il implorerait son pardon ? qu’il la supplierait de reprendre fissa sa place auprès de lui ? Que nenni pov’folle !!! Viva la fiesta ! la liberté retrouvée ! les jolies pépées enamourées ! le sexe facile et débridé ! Héhéhé… Y avait-il seulement une chance pour que cette promesse soit tenue ? Fallait être lucide, Kaori, c’était le caillou dans sa chaussure, caillou qui, quand on retire, retourne, secoue, farfouille ladite chaussure, reste introuvable. Pourtant, ce satané caillou est toujours là quand on se rechausse. Putain d’chaussure ! Oui, cette menace était une lueur d’espoir dans la nuit noire de son traumatisme d’homme harcelé et opprimé.  

 

De trois, …  

 

Ben merde, y avait pas de trois…  

 

Il allait céder sur tout…  

 

Il était à peine dix-neuf heures quatorze quand il avait regagné sa chambre, arguant d’une fatigue inaccoutumée, lassé des griefs incessants dont elle le harassait, de ses revendications de femme vénale et compliquée qui grignotaient son énergie comme un rongeur nuisible grignote la montagne de fruits secs et savoureux dénichée dans un placard. Voilà le discours qu’il lui avait tenu et qu’elle avait accueilli avec circonspection et, somme toute, un relatif sang-froid. Il avait espéré une nouvelle crise, une sorte de reset de leur relation. Elle l’atomisait, perdait tout contrôle et c’était de nouveau lui qui menait le jeu, elle qui s’admonestait d’être si faible devant tant de crétinerie… mais rien… cette fois-ci, rien… juste un haussement de sourcil, à peine un frémissement sur ses lèvres. Était-elle véritablement atteinte par cette histoire de banquière ?  

 

De là à être dans son lit à dix-neuf heures, il y avait quand même un monde !  

 

La réalité était qu’il angoissait terriblement à l’idée de s’endormir et d’être ainsi la proie facile d’une Lune sadique. Ryô avait en effet une certitude sortie de nulle part : cette nuit, il allait retrouver Kaori dans son rêve. Et cette perspective était effroyable. Enfin, à ce sujet il faisait preuve de la plus mauvaise foi possible. Appréhendait-il ce rêve, l’espérait-il ? La frontière entre ces deux réalités était ténue ; elles n’étaient d’ailleurs pas incompatibles, bien au contraire. Et le pauvre nettoyeur ne parvenait pas à faire le tri de toutes les émotions contradictoires qui l’oppressaient depuis le réveil.  

 

Avant de gagner sa couche, il resta longuement devant sa fenêtre à contempler l’astre nocturne qui baignait tout le quartier de ses pâles rayons. Le disque opalescent n’était plus parfaitement plein et rond, une légère déformation sur son côté droit indiquait qu’il décroissait. Nuit après nuit il allait s’amenuiser, jusqu’à disparaître. Avant de renaître. Ce manège millénaire était immuable et Ryô n’était pas privilégié, il n’était qu’un spectateur parmi des milliards d’autres. Il était tout autant impuissant et subissait l’emprise invisible et pourtant bien réelle de la reine opaline. Un sentiment étrange de malaise mêlé d’amertume gagna sa poitrine. Cette nuit verrait-elle le miracle se reproduire comme il en avait l’intime conviction, ou cette conviction n’était-elle que le reflet de son farouche désir ? Il grimaça. Farouche désir, crainte absolue, déni monumental. Rien n’était défini clairement. Il ferma les yeux et souffla de contrariété. Ce qu’il savait pour sûr, c’est qu’il allait se coucher avec les poules. Absolument impensable.  

 

Lorsqu’il s’éveilla le lendemain matin, de violentes nausées lui retournaient les tripes à lui faire rendre le dîner qu’il avait pourtant jeûné. Rien de rien. Absolument rien sinon une nuit calme et reposante, une nuit pisse-mémère. Une nuit sans rêve et sans frisson. Une nuit de frustration. Il grogna dans la chaleur de sa couette, jura sous le coup de la déception. C’était quoi encore ce sale coup de la Lune ?  

Il descendit simplement vêtu de son caleçon, retrouva une Kaori visiblement toujours remontée concernant leurs finances, toute son attitude n’était que rétivité, refus opiniâtre de communiquer autrement que par monosyllabes agressives. Sa partenaire ne lui offrit d’ailleurs qu’un regard empli de reproches et de menaces, des iris expressifs mais pas le moins du monde troublés par sa presque nudité. À croire qu’il ne lui faisait plus aucun effet.  

 

C’était une catastrophe. Une vraie catastrophe !  

 

Les jours passèrent, pendant lesquels Ryô œuvra à la reconquête du territoire perdu. Toutes les conditions furent acceptées, bon gré mal gré. La banquière fut invitée à dîner, elle fut finement séduite et convaincue. Un délai inespéré fut accordé pour renflouer les comptes sans que la moindre compensation ne soit exigée. Il dut aussi batailler pour dévier toute tentative de rapprochement buccal, pour esquiver les mains baladeuses, pour feindre l’incompréhension des lourds sous-entendus et, finalement, pour laisser espérer sans promettre. Kaori, serveuse pour l’occasion, suivait avec une attention toute particulière le déroulement du rencard. Une aura meurtrière accompagnait tous les plats qu’elle claquait sans délicatesse aucune sur la table avec un manque flagrant de professionnalisme. À plusieurs reprises, elle attira d’ailleurs le regard suspicieux de leur conseillère ainsi que la mine contrite de son partenaire, navré de la piètre compagnie qu’elle lui avait imposée.  

 

La mission fut un succès ; comme toutes les suivantes. Femmes et hommes indifféremment clients, furent protégés comme il se doit, des mystères furent levés, des vérités dévoilées, des cœurs meurtris furent rassénérés, des yakuzas neutralisés. City Hunter n’avait jamais été aussi performant, aussi craint, n’avait incarné avec tant de vérité l’héroïsme loué depuis de nombreuses années.  

 

Le rachat des coups âprement négociés auprès de Saeko avait été autrement plus ardu, l’inspectrice se montrant plutôt réticente à couper le lien détraqué noué autour de tractations qu’elle savait si bien manipuler. Mais Kaori avait plus d’un tour dans son sac. Elle présenta la démission de City Hunter pour la prochaine mission et menaça d’être aux abonnés absents à chaque nouvelle sollicitation de la belle inspectrice. Tout d’abord incrédule, Saeko s’était penchée pour entrapercevoir la mine du grand pervers tokyoïte, sagement assis à côté de sa partenaire. Le regard de chien battu qu’il lui offrit convainquit la belle brune qu’il y avait péril en la demeure. Elle racheta rubis sur l’ongle tous les coups qu’elle avait consentis à son grand ami depuis des années. Plutôt pantoise, Kaori eut le triomphe modeste, étrangla la joie démesurée nouée dans sa gorge et qui ne demandait qu’à s’épandre en jappements et sauts convulsifs peu élégants. Au lieu de cela, elle demeura stoïque et encaissa le chèque ; seuls les sursauts de son sourcil laissèrent deviner l’émotion considérable qui n’était pas loin de l’étourdir. Il faut dire qu’elle n’espérait pas tant de succès. Elle surjouait et craignait d’aller trop loin, certes, mais une nouvelle confiance en elle guidait ses pas, l’enhardissait chaque jour un peu plus. Il était grisant de gagner en influence dans sa relation à son partenaire, le rapport de force s’équilibrait, voire s’inversait, et la rouquine goûtait ses victoires avec délectation.  

 

Bien que collaborant malgré lui, le nettoyeur eut beaucoup de mal et mit beaucoup de temps à se remettre de son chagrin. Il pleura à chaudes larmes des nuits entières. Adossée contre le mur, derrière la porte de sa chambre, Kaori assistait, atterrée, aux manifestations sonores de la peine de Ryô. Elle en fut étrangement ébranlée, elle n’était pas certaine que le grand Saeba était en feinte, des accents de sincérité traversaient ses pleurs et sa présence à quelques mètres de lui, l’espionnant, l’indifférait complètement. Fallait-il y voir l’aveu d’un cœur blessé ? Non, il ne jouait pas, renoncer à ses coups chimères avec la belle inspectrice était un sacrifice véritablement douloureux. Et tandis qu’il geignait comme un enfant malheureux dans son lit, déversant des litres et des litres de larmes salées, la jeune femme se pétrifiait d’horreur, le souffle coupé, l’estomac retourné.  

 

Ryô et Saeko. Tout n’était pas qu’esbrouffe.  

 

Les semaines qui suivirent les enfermèrent dans un quotidien difficile : peu de missions, peu d’adrénaline, une Kaori plus taciturne que jamais, un Ryô inconsolable. Pourtant, l’interprétation du chagrin affiché par le nettoyeur n’était pas juste. Il ne s’agissait pas uniquement des coups perdus auprès de Saeko. Peut-être même se fichait-il complètement du sacrifice que croyait deviner sa partenaire. La raison la concernait de bien plus près, elle était le sujet même de l’affliction qui l’accablait. La constatation sans appel de l’amnésie de son dragon avait plongé l’éternel séducteur dans une désolation sans issue. Il était comme toujours incroyablement égoïste, d’une mauvaise foi absolue. Dans une croyance démesurée en ses remarquables capacités, il avait exigé l’effacement pur et simple de leur rêve commun de la mémoire de Kaori, s’était cru en mesure d’encaisser les souvenirs charnels et émotionnels avec facilité. Pire, il avait redouté qu’elle se souvienne, qu’alors la situation devienne ingérable pour eux, qu’ils en viennent à batifoler dans la vraie vie ou qu’ils soient obligés de se séparer pour cause d’incompatibilité de l’orientation qu’ils souhaitaient donner à leur histoire. Pauvre, pauvre idiot ! La réalité était bien différente, sa faiblesse était indéniable et chaque soir, il espérait de toutes ses forces qu’ils se retrouvent dans l’un de ces rêves fous, qu’on leur octroie le droit de s’aimer encore. Encore sans enjeu. Que la nuit, il soit la proie des désirs d’une Kaori à la limite de la lubricité mais que le jour, le soleil aspire les souvenirs de sa belle, qu’elle réincarne l’image lisse et asexuée si rassurante pour lui. Oh oui, qu’elle devienne sa belle de nuit.  

 

Hélas, les nuits succédaient aux nuits dans une monotonie désespérante… la Nouvelle Lune, la pleine Lune. Et rien… Rien…  

 

Chaque jour, le dilemme se faisait plus incisif et, bientôt, le nettoyeur en fut convaincu, il devait faire un choix. Il en allait purement et simplement de sa santé mentale. Soit il avouait tout à sa partenaire, il racontait son rêve, s’engageait dans des détails… se mettait en danger. Soit il renonçait définitivement, faisait preuve de résilience et gommait de son cerveau contaminé les souvenirs obsédants. Il s’était déjà renseigné sur quelques marabouts de Shinjuku qui lui proposaient, contre rétribution non négligeable, d’effacer le film. Il n’était pourtant pas encore prêt à ce sacrifice, avait pleine conscience du caractère infiniment précieux des moments inscrits en lui.  

 

 

oOo
 

 

 

Quelques deux mois après les évènements, il était prévu que le couple de justiciers retrouve l’ensemble de leurs amis au Cat’s pour une soirée très privée. Les tenanciers, Miki et Umi, s’étaient lancés dans de grands travaux et inauguraient le nouveau concept de leur établissement.  

 

Plus lounge, plus raffiné, plus tamisé…  

 

Ryô avait beaucoup moqué son vieil ami en apprenant la nouvelle. Nul doute que l’idée saugrenue venait de la maîtresse des lieux, l’ambiance recherchée ne collait pas trop avec la personnalité explosive des deux mercenaires, surtout celle très mastodonte d’Umibozu.  

 

Le jour de la soirée arriva et chacun prit la décision de célébrer l’occasion en se montrant parfaitement apprêté, le smoking était de rigueur pour les hommes, les femmes apparaitraient parées de leurs plus beaux atours ; robes de soirée, bijoux, coiffure, maquillage… tout devait être parfait.  

 

Lorsque Kaori revint en trombe dans l’appartement de City Hunter, vers les dix-huit heures, elle portait une housse à vêtement sur le bras. Elle débarrassa ses clés rapidement sur la commode, pénétra le salon et déposa sa précieuse marchandise sur le dossier du canapé. Son partenaire ne prit pas la peine de la saluer, ni même de se retourner pour croiser son regard. Il resta planté devant la fenêtre à contempler le vide, et d’aucuns auraient pu croire que, aspiré par des rêves insondables, il n’avait pas entendu le retour de sa partenaire. Mais Kaori connaissait l’énergumène et savait bien qu’il n’en était rien. Comme d’habitude, son vachard d’équipier l’ignorait pour la mettre en rage. Grinçant des dents et cédant à la fureur facile, elle l’invectiva, les poings sur les hanches, le postillon virevoltant :  

 

« Mufle absolu, ça te passerait pas par la tête de me considérer un minimum… Un bonjour, comment tu vas, ça t’arracherait la langue ? un regard, un sourire, un truc qui se fait entre gens qui partagent leur toit et leur boulot, c’est trop te demander ? Non mais je rêve ! » gronda-t-elle en proie à une colère qui sortait d’on ne sait où.  

 

Tant et si bien que le malotru se retourna vivement vers le molosse qui aboyait dans son dos et offrit l’incompréhension de sa tronche d’ahuri. Il détailla le spécimen de femme qui squattait son cœur désormais, un modèle unique que ne lui jalouserait jamais aucun collectionneur du sexe soi-disant faible, ou beau, cela dépend des théories. Elle était et restait égale à tout ce qu’elle était avant. Avant le déluge, avant le marasme, avant l’Erreur, appelons ça comme on veut… Kaori n’avait pas varié d’un pouce, un concentré de violence qui démarrait au quart de tour.  

 

« T’as raison, donne-moi une leçon de bienséance. » persiffla-t-il.  

 

Bien décidée à ce que la bave venimeuse de son crapaud de partenaire ne l’atteigne pas, Kaori décida d’ignorer superbement celui à qui elle reprochait de l’ignorer. L’arroseur arrosé en quelque sorte. Il n’en fallut pas plus pour piquer la curiosité du beau brun qui s’approcha de la housse en tissu précautionneusement placée sur le canapé.  

 

« Tu t’habilles comment ce soir ? susurra-t-il en tentant d’accéder à la fermeture.  

— Pas touche, gronda la jeune femme en coupant l’élan du curieux d’une tapette sur la main.  

— Allez, steuplé, steuplé, montre-moi comme tu vas te faire belle, tenta-t-il la flatterie.  

— Depuis quand ça t’intéresse comment je m’habille ?  

— C’est à mon bras que tu vas arriver Kaori chérie, l’effet de notre couple sur l’assemblée, ça m’intéresse au plus haut point. »  

 

Songeuse, la rouquine suspecta celui qui lui faisait des courbettes de tenter d’endormir sa méfiance. Il avait fait mouche le fûté ! Quoi de plus déstabilisant pour l’amoureuse transie que la perspective de sortir « en couple » avec lui ? Et que ce soit lui-même qui crée le trouble en évoquant ladite relation de couple ?  

 

Ryô trépignait d’impatience, il voulait voir, il voulait voir.  

 

« Okay, consentit-elle, en faisant glisser lentement la fermeture. De toute façon, tu en aurais eu la primeur alors on n’est pas à une heure près. »  

 

Le museau de fouine du nettoyeur accompagna la main gracieuse qui dévoilait la tenue élue pour la soirée.  

 

« Un smoking ? s’écria-t-il avec stupeur, tremblement et déception en apercevant ladite tenue. C’est une mauvaise blague ? Tu vas t’habiller en mec ?  

— T’es con ou t’es con ? fulmina-t-elle au bord de la crise de nerf, ses doigts refermant la housse d’un geste sec. C’est un costume de femme. On peut être très féminine et même sexy avec un tailleur pantalon. C’est quoi encore ces clichés sexistes ? »  

 

Mais Ryô n’écoutait déjà plus, il sanglotait à grosses larmes, se mordant les doigts. Avec une Kaori aussi peu émoustillante il allait sauter sur tout ce qui bouge et se manger une tonne de massues, c’était couru d’avance.  

 

« Jusqu’à preuve du contraire, on n’a rien inventé de plus efficace qu’une robe pour être à la fois sexy et féminine, bafouilla-t-il entre deux hoquets de larmes. Quand on va arriver, on va nous prendre pour deux frères, j’aurais l’air de quoi, moi, hein ?  

— Deux frères ? Dans tes rêves ! rétorqua-t-elle sans tenter d’endiguer le fiel qui la débordait. D’un père et son fils, tu veux dire.  

— Oh, s’étrangla-t-il en battant l’air de ses bras. Tu es trop dure avec toi…  

— Ryô, ça fait vingt ans qu’on ne te donne plus vingt ans.  

— Vipère ! cracha-t-il en croisant les bras et en tournant le dos comme un enfant vexé. J’aurais dû accepter la proposition de Reika, tiens ! »  

 

À peine eut-il prononcé les dernières paroles qu’il les regretta. Évidemment, il se mangea sa première massue de la soirée, une explosion en bonne et due forme de sa mandibule.  

 

« C’est quoi encore ce sous-entendu ? s’enquit la rouquine, quant à elle au bord de l’implosion.  

— Mais pourquoi tu demandes pas avant de taper ? pleurnicha le brun en se massant le menton. C’est pas logique…  

— Je suis ma logique, éclaira-t-elle un corbeau sur l’épaule, l’intonation explicative. Et puis reconnais mettre à mal ma patience.  

— Ta patience ? répéta-t-il pour tenter de discerner de quoi il était véritablement question.  

— Ne noie pas le poisson ! se remobilisa Kaori en saisissant Ryô par le colbac et en présentant sa face d’innocent chérubin à son regard scrutateur, pénétrant et sagace. C’est quoi encore cette histoire avec Reika. Qu’est-ce que tu as manigancé ? »  

 

Le brun fut aussitôt gagné par l’angoisse. C’est que sa Kaori chérie était effrayante lorsqu’elle le fixait ainsi.  

 

« J’ai rien manigancé du tout ! se défendit-il. J’ai juste refusé d’accompagner Reika pour t’accompagner toi. »  

 

Du lard ou du cochon ? Voilà l’expression que reflétait le visage de Kaori… C’était un joli camaïeu d’incrédulité et de suspicion, mais aussi de ravissement, de trouble et de saisissement. Avait-il vraiment fait ce choix ou n’était-ce qu’un subterfuge pour se soustraire à sa colère ? Il avait l’air sincère pourtant ! Sous le coup de l’émotion, elle lâcha prise et lui de reprendre superbe. Le nettoyeur se releva dans une grâce inégalable, bomba légèrement le torse, s’ébroua comme l’étalon qu’il était pour magnifier le jais de sa chevelure, darda ses prunelles acier insondables dans les iris impressionnés et accrocha le plus enjôleur des sourires à la commissure de ses lèvres.  

 

« Allez, va te faire jolie, je me prépare de mon côté. » prononça-t-il d’une voix suave, accompagnant la chaleur de son verbe d’une caresse aérienne sur la mâchoire de Kaori.  

 

La rouquine lutta pour ne pas virer pivoine, ni mordre à sang sa lèvre inférieure. Elle demeura coite, le regard éperdu, la gorge sèche. Les doigts qui glissèrent dans son cou puis empoignèrent sa chevelure dans un geste à la sensualité insupportable achevèrent de la rendre muette. Recouvrerait-elle seulement l’usage de la parole ?  

 

Pétrifiée, elle assista à la fin de l’étrange échange, le regard de Ryô qui chavira sur ses lèvres, l’ombre d’une grimace qui fronça ses sourcils et ombragea ses traits, le temps qui se déplia entre eux deux, qui s’enroula autour de leurs corps et provoqua un début d’asphyxie, les doigts qui flanchèrent, enfin, dans la soie de ses cheveux.  

 

Un renoncement à défaut de capitulation.  

 

À peine avait-il fait volte-face pour se diriger vers les escaliers qu’il céda à la solennité de l’instant, à un certain découragement. Elle et lui, ça ne marchait que dans les rêves. Dans la lumière de la réalité, les montagnes à gravir s’avéraient infranchissables ; il fallait faire preuve de lucidité, malgré un certain désir, une attirance manifeste, ils n’étaient simplement pas compatibles.  

 

À vingt heures tapantes, elle le rejoignit dans le salon. Depuis quelques minutes, le spectacle de la rue offrait un décor à sa mélancolie, il voguait comme un naufragé au travers des lumières nocturnes, confrontait la violence de sa solitude à la frénésie du trafic routier. La bataille intérieure, nouée, sourde mais non moins tempêtueuse trouvait résonnance dans le manège incessant de la vie tokyoïte, dans les files ininterrompues de voitures, dans le défilé monotone des passants. L’ensemble s’accordait pour former un orchestre qui jouait au diapason, confortant le nettoyeur dans son choix. Ryô lui-même avait actionné le couperet, il allait oublier la nuit de toutes ses obsessions, gommer de son corps les souvenirs que la Kaori de ses rêves avait gravés si profondément. Il s’en savait capable, il en avait la force et le courage. Il lui fallait juste acter la décision. Cette soirée signait donc la fin du beau rêve, il en garderait une douloureuse nostalgie, peut-être, parfois…, mais il n’en nourrirait aucun regret.  

 

Kaori descendait les escaliers. Le nettoyeur distingua avec son acuité hors du commun le claquement caractéristique des hauts talons sur les marches, la caresse de la main sur la rambarde, le froissement du tissu sur ses jambes. Il suivit très précisément la progression de sa partenaire. Inutile de se retourner pour se confronter à la réalité, l’imagination était bien plus tentante. Nu descendant les escaliers. Kaori simplement vêtue de sa nudité, escarpins aux pieds, dans une démarche éminemment érotique, quittant l’Olympe de son premier étage pour le rejoindre dans les limbes infernaux, s’offrir à la luxure, s’adonner avec lui à une nuit de débauche.  

 

Quelle torture que s’imaginer destinataire d’une telle offrande !  

 

Ryô déglutit et serra le poing de rage dans la poche de son smoking. À aucun moment, il ne prêta attention à la fébrilité de son dragon, à l’émoi provoqué chez elle par la simple apparition de sa carrure dans le paysage, il était bien trop chahuté par ses propres fantasmes. Fantasmes qui vivaient là leurs dernières heures.  

 

Enfin il se tourna vers elle, posa sur le visage aimé une expression neutre et incolore. Habitué à être sous contrôle permanent, il demeura impassible tandis que Kaori s’approchait dangereusement, dans un mouvement gracieux et aérien malgré la hauteur de ses talons. Étonnamment assurée, constellée de mille feux – depuis quand savait-elle se mettre en valeur avec les artifices féminins par excellence que sont le maquillage et la coiffure ? –, le smoking fluide et élégant seyant à sa silhouette sylphide, elle jeta à son partenaire une œillade interrogatrice.  

 

Curieuse, piquée, acide et légèrement perverse, elle guetta la moindre réaction. Réaction qui ne vint pas… du moins, pas comme elle l’espérait.  

 

« Je comprends mieux, lança-t-il sans la moindre émotion et sans quitter du regard les deux noisettes voilées de parme.  

— Tu n’aimes pas ? abandonna Kaori dans un soupir déçu. »  

 

Ryô réprima le sourire que la naïveté de sa remarque avait fait naître. Ainsi, elle s’était attendue à une autre réaction de sa part. Aurait-elle aimé qu’il lui saute dessus ?  

 

« Je n’ai pas dit ça, ton déguisement est très réussi ! » la rassura-t-il sur le ton de la plaisanterie.  

 

Des éclairs zébrèrent les prunelles vexées et des trépignements de rage firent claquer les talons sur le sol. Cependant, Kaori maîtrisa les bouffées de violence qui ne demandaient qu’à se matérialiser dans ses mains.  

 

« Dis ce que tu veux, dis ce que tu penses, je ne flancherais pas ! Je n’emmène aucune massue ce soir, j’ai bien l’intention de profiter de mes amis sans me soucier de tes sarcasmes ou de tes frasques. Amuse-toi autant qu’il te plaira, et laisse-moi m’amuser aussi ! »  

 

S’il ne connaissait pas les accès de colère ou au contraire de désespérance de sa partenaire, il se serait volontiers inquiété, mais régulièrement elle lui laissait croire qu’il n’avait plus le monopole de ses pensées, qu’il quittait son cœur, qu’elle effaçait ses sentiments. Jamais ça ne durait, elle l’aimait toujours de cet amour poisseux qu’il raillait, dont il ne voulait pas, qui ne l’excitait pas. Pourquoi tout cela avait-il volé en éclats ? Pour un caprice de Lune ?  

 

Elle afficha un air supérieur délicieux et le snoba en coulant sur lui un regard désintéressé. Ce soir, elle voulait se la jouer madone inaccessible, femme fatale et empruntait certaines mimiques à ces caricatures de femmes. Sur la perfection de sa bouille, que Ryô qualifia d’angélique, ses pantomimes apparaissaient comme jeu d’actrice. Cependant, se glisser pour quelques heures dans le rôle de celui qui résiste, ou qui capitule, c’était plus que tentant.  

 

Supplice de Tantale, oui !  

 

Ryô ne se déroba pourtant pas. Alors que Kaori se détournait de lui dans une attitude arrogante, il noua les bras autour de sa taille et la contraignit à se coller contre lui. Leurs chaleurs se rencontrèrent et, au travers des étoffes, les épidermes se couvrirent de frissons mouvants.  

 

« Ne me crois pas indifférent à ta beauté, susurra-t-il contre son oreille, tandis que son œil connaisseur admirait la finesse de son grain de peau.  

— Tu me trouves belle ? s’enquit-elle ingénument, le regard écarquillé de plaisir. Alors pourquoi tu n’as pas réagi ?  

— Kaori, se moqua-t-il gentiment, osant un sourire, me connais-tu si mal ? Tu devrais analyser bien plus finement mon absence de réaction. C’est justement ça qui est le plus révélateur de mon trouble !  

— Tu es trop compliqué à cerner, confia-t-elle. »  

 

Les yeux intimement mêlés à ceux qui squattaient ses fantasmes, le nettoyeur perçut l’angoisse de la situation. Le risque. La… responsabilité.  

 

« Tu as un terrible argument, avança-t-il malgré tout, ses doigts osant sombrer dans le vertige et dévaler lentement la profondeur du décolleté. Elle est incroyable cette veste. »  

 

Bien sûr qu’il perçut le sursaut, une certaine appréhension, tant dans l’affolement des iris braqués sur lui que dans la pétrification du corps qu’il maintenait toujours autoritairement contre lui. Imaginait-elle comme elle provoquait le diable en choisissant pareille tenue ?  

 

« Qu’as-tu mis là-dessous ? questionna-t-il précisément, accompagnant le geste à la parole.  

— Tu n’oserais pas ? prévint-elle en s’étranglant d’émotion mais sans paraître vouloir interrompre la caresse. »  

 

Les sensations provoquées par le glissement des doigts sur son épiderme sensible étaient comparables à une brûlure, une brûlure suave et contagieuse qui embrasa bientôt son corps tout entier. Ses poumons luttèrent contre le gémissement qui souhaitait fendre sa gorge. Retenir son souffle, retenir son souffle, retenir son souffle.  

 

Ryô, quant à lui, s’enivrait de la vision pré-apocalyptique, ses doigts conquistadors effleurant la peau interdite, piqués de curiosité. Y avait-il une étoffe sous le pli de sa veste de smoking ?  

 

Plongerait-il ?  

 

Bien sûr que non, il renonça aux abords de la lisière des limites… les doigts dévorés de fourmis affamées.  

 

« Tu as vu l’heure ? Il se fait tard, allons-y ! » souffla-t-il le froid.  

 

Et chacun de s’emmurer dans sa frustration, d’opposer un sourire contraint et de circonscrire l’incendie violent qui gourmandait son désir.  

 

Pauvres d’eux.  

 

Dans les escaliers qui les menaient au sous-sol, tandis que la tentation courait toujours dans les veines, Ryô remarqua la couleur rouge des semelles des escarpins qui fuyaient devant lui.  

 

« Très jolies aussi tes chaussures, complimenta-t-il. Je ne me souviens pas te les avoir déjà vus porter.  

— Elles sont superbes, je sais, c’est une petite folie, confia la nettoyeuse en se retournant tout sourire. »  

 

Il grimaça et le naturel refit surface.  

 

« Une folie ? De quel genre de folie tu parles ? piaffa-t-il.  

— Des louboutins ! Une marque de luxe française! annonça-t-elle sans frémir. C’est quoi le problème ?  

— Putain Kao, je croyais que nos finances étaient catastrophiques.  

— Elles le sont pour toi, tu as dépensé le budget qui t’est alloué pour les dix prochaines années avec ton train de vie dispendieux. Mais moi, j’ai fini de me serrer la ceinture, je vais profiter un peu du fruit de mon travail.  

— Non mais…, interjeta-t-il bêtement, incapable de formuler une requête. »  

 

Les babines retroussées, les yeux larmoyants et la démarche d’enfant contrarié offraient un spectacle désopilant à la jeune femme qui avait revêtu pour la soirée une grâce céleste. Le couple était, lors de la descente des escaliers de leur immeuble, très mal assorti. La Lune ne prêtait pas mêmes ornements, apprêts et parements aux deux membres de City Hunter.  

 

« Apprends la modestie, à devenir économe et on en reparlera ! vilipenda la rouquine fort en verve en ce début de soirée. Tu vois de quoi je parle ? De la simplicité, de la retenue… de la pudeur.  

— Non mais je rêve ! s’esclaffa-t-il en crachotant de vexation. Tu es mal placée pour me faire la leçon, combien as-tu dépensé pour tes fringues de marque ?  

— Quelques centaines de milliers de yens, avoua-t-elle penaude, réalisant un peu tard sa trop grande promptitude à vouloir moucher son partenaire. »  

 

Légèrement déstabilisée et culpabilisée, Kaori perdit en morgue et sa démarche s’en ressentie jusqu’à presque s’immobiliser dans les escaliers. N’était-elle pas en train de succomber à une stupide surenchère ? Le brun vainqueur en profita pour la doubler dans une factice attitude de contrition. Il jeta néanmoins un regard noir en coin lorsqu’il la dépassa, harponnant au passage les noisettes parés de parme qui avaient perdu de leur assurance.  

 

L’échange visuel aspira âme et émotions des deux protagonistes, comme un trou noir aspire toute matière passant à proximité. Il est de ces moments de pure communion, imprévisibles et bouleversants, où nos résistances sont simplement anéanties ; l’intellect est encagé, le cœur mis à genou. Comment, après toutes ces années partagées, l’habitude de la présence de l’autre, pouvaient-ils encore succomber à l’affolement amoureux ? Certainement que la Lune usait insidieusement de son pouvoir invisible ! Maîtresse des fluides et du magnétisme, elle répandait dans les corps sans défense ses tentacules vénéneuses.  

 

Le poison de l’Amour, surgie, impromptue, l’idée terrifiante dans le cortex masculin déjà bien malmené par la soirée.  

 

Il déglutit, étouffa son trouble sous des tonnes de mauvaise foi, frangea son front d’un profond sentiment de déception. Incompris, il était incompris. Puis s’éloigna dans le dédale du parking souterrain, le pas accablé d’une solitude qu’il mettait admirablement en scène.  

 

« T’en fais pas un peu trop ? » demanda la jeune femme qui avait rattrapé l’allure dépitée, réalisant les talents de son partenaire pour la comédie dramatique.  

— C’est que je laisse libre cours à ma sensibilité, justifia Ryô en offrant ses larmes de crocodile en contemplation. J’ai fait tout ce que tu m’as demandé pour rattraper le coup auprès de la banque, j’ai cédé à toutes tes exigences et on dirait que tu ne me pardonnes pas. »  

 

La tirade était surprenante. Derrière les jérémiades habituelles et particulièrement expressives, Kaori devina un fond de vérité, un grief clairement reproché. Elle demeura mutique quelques instants avant de fuir le regard de son partenaire pour se concentrer sur le sol en ciment du parking, sur les dessins que le temps avait esquissé en nuances graphites. Taches d’huile et poussières s’alliaient et créaient de fascinants motifs.  

 

Déambulant dans l’univers réconfortant du sous-sol de son immeuble, ses talons claquant sur les mondes dessinés dont elle se surprit à connaître les moindres arabesques – comme quoi l’environnement crayonne des paysages dans notre subconscient – Kaori sombra dans une réflexion malaisante. Elle ne pouvait nier qu’elle avait changé d’attitude depuis plusieurs semaines. Les tensions entre les deux membres du célèbre duo touchaient au paroxysme. Ryô avait raison sur toute la ligne : il avait accepté toutes ses mises en demeure, devenait presque raisonnable, il faisait beaucoup d’efforts et Elle ne lui pardonnait pas. Qu’avait-elle d’ailleurs à lui pardonner ? Plaie d’argent n’est pas mortelle, disait l’adage et elle partageait le point de vue. Elle se contrefichait de leur trésorerie comme de sa première massue. Ce qui la faisait monter dans les tours, c’était la raison de leur banqueroute, les excès de Ryô qui se roulait dans la fange de la luxure avec d’autres femmes, son inconséquence, son incapacité à lui reconnaître quelque attrait, leur relation qui s’engluait dans un statuquo insupportable. Effectivement, elle ne lui pardonnait pas cette situation et elle enfreignait les règles implicites établies depuis le début de leur partenariat, en particulier ses vœux de sobriété, d’humilité, de simplicité. Elle devenait susceptible, exigeante, dépensière, empiétait dangereusement sur un territoire qui ne lui appartenait pas. Ryô était ainsi, elle était toute différente !  

 

« Tu as raison. » bafouilla-t-elle.  

 

Le souffle du nettoyeur s’évanouit tandis qu’il ne quittait pas du regard le minois de son obsession.  

 

« Tu as fait beaucoup d’efforts et je ne les reconnais pas à leur juste valeur, concéda-t-elle en le considérant à nouveau. Je n’ai pas vraiment grand-chose à te pardonner mais je suis très irritable ces derniers temps. Et puis il y a du passif ! Disons que tu paies pour toutes les saloperies dont tu t’es rendu coupable avec moi ces dernières années ! »  

 

Ses lèvres se fendirent d’un sourire à la fois sadique et cruel. Elle ne baissait pas la garde, la bourrique !  

 

« De toute façon, tu te bornes à considérer que ce que je fais de mal, gémit-il, rien de ce que je fais de bien. Tu dépenses en un jour ce que l’on a gagné en un mois et je devrais la boucler sous prétexte que je me suis rendu coupable de bien pire, c’est ça ?  

— Exactement, coupa-t-elle court, tu as tout compris, je te félicite. »  

 

 

Rayonnante.  

 

Le regard rieur et satisfait qu’elle souligna d’un haussement de sourcil eut le don de clouer le bec de celui qui ne le bouclait jamais. Une bouffée ardente naquit dans sa glotte tandis qu’il ne parvenait pas à s’arracher de l’enchanteresse vision : sa partenaire escrimant contre lui et vainquant par K.O.  

 

Dans un mouvement calculé pour être des plus ébranlants qui soient, le brun captura sa partenaire en enroulant un bras possessif autour de son cou avant de la projeter vivement contre son épaule. Voilà qu’il avait désormais envie de la toucher à tout bout de champ, de marquer son corps comme annexion du sien. Purement, simplement.  

 

« Tu as bien le droit de te faire plaisir, murmura-t-il à l’oreille émue et incrédule, j’ai tout aussi bien compris que tu avais besoin de te faire belle avec cette tenue. Et bravo, c’est une réussite absolue, tu es sublime. Sublime et terriblement perturbante avec cette veste qui suggère que tu es nue dessous. Il est renversant ton décolleté. »  

 

Elle faillit trébucher, il la maintint fermement mais goûta au plaisir de la voir troublée par son aveu et par son souffle dans son cou.  

 

Bordel, ne pouvait-elle se souvenir comme leurs frontières s’étaient brouillées cette nuit-là, comme il avait joui d’un pouvoir sans limite, qu’il en avait usé sans vergogne, dans un plaisir frisant l’indécence ? Il est un droit quasi-divin qu’on lui avait octroyé. La Lune, certainement, n’avait pas réalisé la folie de son entremise. Tel un lion récemment libéré qui venait de goûter à la gorge d’une gazelle pour la première fois, un instinct sauvage s’était éveillé et résonnait dans ses veines dans un tumulte rugissant. Kaori devenait proie et excitait son désir le plus primaire. C’était également irrésistible et répulsif.  

 

Résister, renoncer, fuir…  

 

« Et puis pour te faire belle, il y avait du boulot, désamorça-t-il, presque malgré lui. Ça coûte un changement aussi radical, on ne fait pas d’un âne un cheval de course sans investir lourdement. Moi, vois-tu, beau au naturel, je ressors un vieux smoking, une chemise immaculée et mon charme ravageur fait le reste. »  

 

L’éclat de son sourire railleur éblouit la rouquine. Un instant, il crut que sa dernière seconde avait sonné. Pareille comparaison ne resterait pas impunie, Kaori allait sûrement l’atomiser avec une méga-massue. Mais… que nenni…  

 

« Tu as raison une fois encore, prononça-t-elle d’une voix douce sans quitter le giron du bras amoureux qui l’enlaçait. Un rien te rend époustouflant et ce soir ne déroge pas à la règle. Inutile de mentir, je suis sensible à ton charme ravageur d’étalon sauvage, tout autant que tu es insensible à mon charme d’ânesse. Mais tu sais, je me suis fait une raison… »  

 

Elle pinça les lèvres, haussa les épaules et échappa à l’étreinte pour monter en voiture, abandonnant un Ryô médusé et pour le moins inquiet. Tout bien considéré, ce n’était pas lui qui lâchait l’affaire, qui appuyait sur le bouton reset, c’était Kaori. Lui voulait jouer encore, la heurter encore, la manipuler toujours, la garder par devers lui et puis plein d’autres trucs louches et osés qu’il refusait de verbaliser mais, telle une anguille, elle glissait entre ses doigts, elle reconquérait sa liberté. Elle s’émancipait. C’était apocalyptique !  

 

Merde.  

 

 

 

 

 

 

 

 

*Ni-Chome : quartier gay de Shinjuku  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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