Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 5 chapitres

Publiée: 03-01-19

Mise à jour: 10-12-22

 

Commentaires: 21 reviews

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HumourRomance

 

Résumé: Kaori et Ryo se retrouvent prisonniers d'un rêve commun. La lune ne semble pas encline à les laisser retrouver le monde réel. Qu'attend-elle pour les libérer? Peut-être qu'ils se libèrent eux-mêmes.

 

Disclaimer: Les personnages de "Un rêve pour deux" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

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   Fanfiction :: Un rêve pour deux

 

Chapitre 3 :: Rencontres

Publiée: 23-07-19 - Mise à jour: 23-07-19

Commentaires: Bonjour à tous, Il m'aura fallu du temps pour venir à bout de ce chapitre. Je voulais une fic drôle et légère et je me retrouve avec un chapitre grave, avec quelques touches de couleurs quand même. M'enfin, au vu de mes dernières semaines, il semble normal que je sois d'humeur moins guillerette. Du coup, j'ai développé beaucoup et je repousse au prochain chapitre ce que je voulais intégrer à celui-ci. C'est pas très grave mais ça veut dire que je vais devoir passer à 5 chapitres cette petite fiction récréative... Le prochain risque fort d'être drôle mais aussi compliqué à écrire. Je confesse ne pas savoir encore quelle teinte lui donner. J'y réfléchirai. En tout cas, merci beaucoup pour vos commentaires pour le moins réfléchis et pertinents qui, soyez-en certains, me stimulent dans le travail d'écriture. Ouais, je sais, suis pourtant pas bien rapide! Allez, je livre mon bébé, j'espère que cette lecture vous plaira! @ bientôt.

 


Chapitre: 1 2 3 4 5


 

RENCONTRES
 

 

 

Kaori bougonnait devant la télévision. Elle tentait d’allumer l’engin réfractaire. Aucune des touches de la télécommande n’insufflait le moindre signe de vie à l’appareil habituellement prompt à déverser son flot d’imbécilités. Ryo, quant à lui, restait étrangement mutique, il tournait le dos à sa partenaire et semblait complètement absorbé par le spectacle de la voute céleste, derrière la fenêtre. Il fixait la Lune avec concentration, avait engagé avec elle une conversation muette mais bel et bien enfiévrée dans sa caboche de nettoyeur. Oui, il suppliait, implorait, il la priait presque de mettre fin à cette séance de torture. Devoir ainsi endurer la présence de sa tortionnaire du jour, alors même que la nuit était son seul refuge, reflétait bien le manque d’empathie de l’hôte nocturne. Quelle cruauté !  

Ryo était bien conscient de son manque total d’honnêteté, mais comment admettre le trouble immense dont il était désormais le siège, maintenant que le dessein de la Lune était tout aussi clair que l’astre lui-même ? Un soupir désespéré, abandonné par la folle dingue qui partageait sa vie, le sortit de son dialogue intérieur.  

 

— Il y a franchement rien qui tourne rond cette nuit ! pesta-t-elle tout en abandonnant sa tentative d’allumer la télé.  

 

Elle lança un regard à son coéquipier. Le nettoyeur avait tourné la tête vers elle et l’observait en silence, aussi impassible que d’ordinaire avec, peut-être, l’esquisse de sourire en moins. La rencontre des deux paires d’yeux induisit un certain malaise chez Kaori. Elle se mordit les lèvres tandis que l’air sauvage et ombrageux de l’étalon faisait trembler son ventre. Elle frissonna de la tête aux pieds. Quel était donc ce regard inédit qu’il portait sur elle ? Mesurait-il l’ébranlement dérangeant qu’il déclenchait en la zieutant ainsi ?  

La morsure sensuelle des dents blanches sur l’ourlet de sa lèvre n’avait pas échappé à Ryo. Il dut lutter pour ne pas se laisser envahir par les mille idées érotiques qu’une telle image pouvait faire éclore en lui avec une facilité déconcertante… Sauf qu’habituellement, lorsqu’il s’agissait de son ange, cette facilité n’existait pas.  

 

— Tu as faim ? demanda-t-elle, inconsciente du double sens de ses paroles. Je vais nous préparer quelque chose.  

 

Il ne répondit pas alors qu’elle s’échappait dans la cuisine, trop heureux qu’elle lui laissât un peu de répit, le temps de reprendre possession de son self-control.  

 

Arrivée dans son antre, la nettoyeuse se laissa choir sur une chaise. Elle tenta de calmer son souffle, obligea ses mains à chasser le tremblement qui les avait envahies. C’était quoi ce trouble ? Tout semblait limpide maintenant. La Lune voulait qu’ils se rapprochent, faisait naître en elle des désirs dérangeants et irréalisables. « Putain de bordel de merde, s’admonesta-t-elle avec élégance, c’est moi qui génère tout ça, c’est sûr ! Je suis assez détraquée pour que mes frustrations me fichent des idées salaces dans la tête ! Mais pourquoi me regarde-t-il comme ça ? Je dois être en train de rêver là. Je dois être en train de rêver que je vais décrocher la lune oui !»  

Elle se précipita sur le réfrigérateur et en extirpa un chou kalé qu’elle entreprit bientôt de préparer... Quelle idée ! Alors que ses mains œuvraient avec expertise, l’esprit de Kaori tentait d’échapper à l’angoisse nouvelle : qu’ils se rapprochent vraiment, qu’il l’embrasse vraiment, qu’il la touche vraiment, … vraiment…  

 

— Aaahhh, c’est flippant !  

 

Oui, Kaori était terrorisée et son corps lui faisait passer le message très clairement. Ses jambes flagellaient, ses genoux s’entrechoquaient au même rythme que ses dents et son nez… son nez ne cessait de renifler dans un réflexe aussi absurde que gênant.  

Hors de question ! , en vint-elle à conclure après deux instants de réflexion. C’était hors de question qu’elle devienne son coup numéro 47 de la nuit. Il avait dû s’envoyer en l’air avec elle ne savait trop combien de nanas depuis le début de la soirée, dont Saeko et Miki quand même, deux de ses meilleures amies. Il y avait bien une déviance débile dans les agissements de son coéquipier, il n’y avait pas à dire. Et là, faute de mieux certainement, sous l’influence dépravée de la Lune, il la considérait, AUSSI, comme une potentielle partenaire de débauche. Kaori stoppa net son ballet culinaire et prit un air des plus ahuris, fixant le vide avec désespoir. C’est que, fichtre fichtre, elle n’attendait quand même que ça dans la vraie vie, qu’il la voie enfin comme une jeune femme envisageable, qu’il pose enfin sur elle un regard intéressé, comme celui dont il venait de la gratifier. Elle ne rêvait même que de ça. Son rêve absolu. Qu’il prenne conscience de son charme irrésistible et qu’il lui voue un amour éternel ! Une déclaration émouvante, romantique à souhait, voire même sirupeuse ; des mots doux à n’en plus finir ; des caresses délicates et merveilleuses…  

La nettoyeuse laissa échapper un gémissement de dépit. Très objectivement, ses désirs-là ne pouvaient être assouvis dans la réalité ; c’était son graal à elle mais Ryo était à dix mille lieues de ces clichés en ce qui concerne les relations amoureuses. Seul le côté charnel trouvait grâce à ses yeux. Et employer le mot « charnel » paraissait trop sentimental encore. Les termes sexuel, libidinal, animal convenaient bien mieux.  

De plus, dans cet horrible cauchemar mal maîtrisé, Kaori ignorait quel était exactement le degré de conscience de Ryo. Celui-ci devait avoir fait mokkori à qui mieux mieux, avec de multiples partenaires. Il avait dû tester des combinaisons extravagantes. Il avait assurément pris du plaisir. Beaucoup de plaisir. Sa propre inexpérience l’empêchait d’ailleurs assurément d’imaginer toutes les dépravations dont il s’était rendu coupable cette nuit.  

Ses joues s’empourprèrent tandis qu’elle tentait de faire preuve d’inspiration. Oui, cette nuit, l’étalon de Shinjuku avait tenu dans ses bras les plus belles filles de Tokyo. Et Kaori devait se rendre à l’évidence : elle n’avait rien en commun avec ces nymphettes dévêtues. La Lune était clairement son alliée sur ce point et soufflait au nettoyeur des idées folles, impensables dans la réalité du jour. Mais comment était-il possible qu’il se mette à la voir de cette manière ? Peut-être apparaissait-elle aux yeux pourtant connaisseurs sous un autre aspect ? C’était une piste à explorer. La rouquine s’envisagea un instant, détailla les frusques qui la couvraient, jaugea sa dégaine. Pas de dentelle, pas de bijoux, aucune transparence. Elle se caressa les lèvres avec hésitation : pas de maquillage, aucun far ni trompe-l’œil.  

« Pffff, le même travelo que d’habitude. Il a dû être marabouté ! »  

Désabusée, elle ricana.  

 

— Je ne peux objectivement pas souffrir la comparaison. Surtout avec Saeko !  

 

Kaori stoppa son manège une milliseconde et plissa les yeux d’un air suspicieux.  

 

— Cette bourrique me met vraiment les nerfs en pelote.  

 

Le couteau se mit de nouveau à claquer dans un rythme infernal. La nettoyeuse s’obstinait dans son délire.  

 

— Je suis sûre qu’ils ont déjà fricoté ensemble. Il me la joue toujours à l’envers en ce qui concerne Saeko. Quant à elle, je ne peux pas m’y fier, elle m’entourloupe trop facilement. Ahhhhhhhhh ! Je les déteste tous les deux ! Je les déteste… je les déteste… je les déteste…  

 

Pourtant… Pourtant… Il l’avait quand même regardé avec dans les yeux une expression vraiment particulière, du jamais vu. Une expression qui l’avait terrorisée.  

Elle déglutit et un léger tremblement gagna ses mains. Encore. Elle déposa le couteau sur la table, posa ses paumes fraiches sur ses joues en feu. Une idée saugrenue faisait son chemin dans ses synapses. Et s’il avait envie d’elle malgré tout ? Malgré son manque d’atouts féminins, son manque de charme et de sensualité ? S’il voulait expérimenter avec elle, en rêve, ce qu’il s’octroyait avec d’autres dans ces mêmes rêves ? Ryo l’avait avoué et elle n’avait eu aucun doute : il n’avait jamais rêvé d’elle en situation érotique. Ça allait peut-être être sa première fois ! Kaori eut une suée soudaine. La Lune lui offrait-elle cette chance de vivre ce premier rêve érotique en live ? serait-elle privilégiée au point de pouvoir profiter ainsi de Ryo, à l’insu de la conscience du nettoyeur ?  

 

— Rhooo, ce serait pas bien, chuchota-t-elle…  

 

Elle réfléchit un instant, rattrapée par ses peurs intimes. Son inexpérience la desservirait à coup sûr. Elle serait même certainement élue « plus mauvais coup du monde » ou tout du moins de la nuit. Ce qui était quand même la misère absolue.  

 

— La honte, la honte, la honte !  

 

Le corps en flamme, perdue dans ces désirs nouveaux, Kaori reprit du service au couteau, trouvant dans la découpe dentelle de son chou un exutoire à sa détresse. C’était qu’elle avait quand même follement envie de profiter de la faiblesse de celui qui faisait battre son cœur de si irraisonnée manière. Quitte peut-être à se perdre un petit peu, à prendre des risques, à connaître la honte de sa vie…  

 

 

Dans le salon, le nettoyeur refusait obstinément de penser à Kaori. Il tentait de faire le vide dans son esprit et faisait abstraction des sons qui lui parvenaient de la cuisine : la danse saccadée du couteau, les grognements d’animaux de sa partenaire.  

Un coup à la porte d’entrée l’extirpa de sa concentration.  

 

— Quoi ? murmura-t-il. C’est quoi encore ça ?  

 

Le nettoyeur redouta un instant de voir apparaître une de ses conquêtes nocturnes. Mais la porte s’ouvrit et la stupeur s’installa sur la face habituellement impassible de Ryo Saeba. Une foule d’émotions le submergea sans qu’il ne puisse esquisser le moindre geste, l’air se liquéfia dans ses poumons, sa gorge se noua.  

 

— Salut…  

— Hide ? parvint-il à articuler.  

— Et oui vieux frère ! répondit l’ancien partenaire de City Hunter avec un large sourire.  

 

Fébrile comme jamais, Ryo chiffonna sa chevelure ébène. C’était un rêve… Se rappeler qu’il s’agissait d’un rêve… pas d’une hallucination. Mais cette sensation de pleine conscience qu’il ressentait et le visage avenant d’Hideyuki Makimura, si réel, lui donnèrent le tournis. Il jeta un regard inquiet à la cuisine.  

 

— Ne t’inquiète pas Ryo. Elle ne pourra pas me voir, c’est toi qui m’as fait venir.  

 

Le nettoyeur japonais se frotta longuement le visage puis avança en direction de son défunt partenaire. Il lui fallait vérifier la tangibilité de cette apparition inattendue. Arrivé à sa hauteur, il leva la main lentement, avec hésitation, puis la posa délicatement sur les joues blêmes mais étonnamment chaudes de l’homme au pardessus. Leurs yeux se rencontrèrent, les lèvres se plissèrent et deux francs sourires illuminèrent les faces complices. Une accolade virile vint rapidement sceller les retrouvailles.  

 

— Ah tu me manques ! avoua très vite Ryo.  

— J’espère bien vieille canaille…  

 

Dans un souci de contemplation du visage regretté, le nettoyeur s’éloigna de son ami. Les traits n’avaient pas varié d’un iota et ne reflétaient plus la souffrance extrême des derniers instants. Devant la mine soucieuse de son ancien coéquipier et souhaitant mettre fin aux tourments qu’il devinait, Hide reprit :  

 

— Pourquoi m’avoir fait venir ?  

— Ah, je suis dans un rêve… C’est dingue !  

— Hum ? agréable ce rêve ?  

— Forcément, puisque tu es là, avoua Ryo souhaitant noyer le poisson.  

— Flatteur !  

 

Le nettoyeur abandonna un sourire mi-figue mi-raisin. Il ignorait comment qualifier les heures qui ne s’écoulaient pas vraiment et qu’il partageait en tête à tête avec Kaori. Agréable ? Oui, la visite de Hide était plus qu’agréable.  

 

— Comment va ma sœur ? s’enquit l’ancien inspecteur.  

 

Le nettoyeur prit quelques secondes avant de répondre. Son visage était empreint de sérieux et une expression de grande sincérité l’éclairait.  

 

— Kaori va très bien ! lâcha-t-il avec délectation. Elle est une vraie tornade ; pleine de vie et puis…  

 

Il hésita.  

 

— Et puis ?  

— La meilleure partenaire du monde.  

 

Un sourire illumina la face de Makimura. Un sourire qui toucha le cœur de City Hunter car celui-ci s’était attendu à de vives remontrances de la part du frère de Kaori. N’aurait-il pas dû l’éloigner de cette vie trop dangereuse pour elle ?  

 

— Merci Ryo, abandonna Hideyuki, reconnaissant.  

— C’est moi qui dois te remercier. Elle est… un soleil.  

 

Les deux hommes se faisaient face dans le salon, ils se perdirent dans une contemplation réciproque, tout au bonheur de ce partage inespéré.  

 

— Tu sais très bien qu’il n’y a pas à me remercier, avança l’ancien partenaire de Saeba. Cette alchimie entre vous n’est pas de mon fait.  

— Alchimie ? Hé ! Ne crois pas que…  

— Je ne crois rien Ryo, rassure-toi. Je suis juste infiniment heureux et soulagé que tout aille bien pour vous deux. Sinon – il hésita – sais-tu pourquoi tu m’as fait venir ici cette nuit ? Dans ce rêve ?  

 

La question déstabilisa le nettoyeur. La réalité était qu’il cernait mal les raisons de la présence du frère de Kaori dans cet étrange rêve ? Le nettoyeur fit non de la tête, tout à son incompréhension.  

 

— As-tu quelque chose à me demander ?  

— Ben, non, je vois pas ce que j’aurais à te demander, répondit négligemment Ryo en se grattant la tête.  

— Je sais pas moi, l’autorisation de sortir avec ma petite sœur peut-être ? envisagea Hideyuki avec malice.  

— Qu… Quoi ? se défendit maladroitement Ryo, je n’ai absolument pas l’intention de sortir avec ta sœur ! Je veux…  

 

L’ancien policier attrapa son ami par le colbac et plongea ses petits yeux dans ceux de son vis-à-vis :  

 

— Par pitié, ne me dis pas ce que tu as l’intention de faire avec elle !  

 

Ryo repoussa son ancien partenaire pour se dégager et feignit un haut-le-cœur.  

 

— Arrête t’es malade ? tu me donnes la nausée…  

 

Hideyuki se mit à rire franchement. Oui, son rire cristallin et enfantin, que tout un chacun affectionnait, résonna dans les murs du salon. Il imprégna les tissus et les tentures, pénétra les sols et ravit les tympans nostalgiques de Ryo. Ce dernier restait figé, tout au bonheur d’entendre ce rire qui lui avait si cruellement manqué et qui, là, dans ce rêve finalement béni, l’emplissait d’un bonheur inattendu. Mais bientôt, ce rire s’évanouit et Hide se tourna vers son meilleur ami, les traits étonnamment apaisés, débarrassés de la liesse.  

 

— Tu n’as aucune autorisation à me demander pour aimer Kaori, Ryo. Tu peux l’aimer comme bon te semble.  

— Mais… je t’ai dit…  

 

Ryo voulait protester, argumenter, démentir mais il abandonna rapidement sous le poids du regard de celui qui lisait trop facilement en lui. Oui, le nettoyeur se tut. Il comprenait. Il comprenait maintenant la raison de la présence d’Hideyuki dans ce rêve : Kaori…  

Le visage de l’homme à l’imperméable s’éclaira soudainement, il esquissa un sourire qui trouva bientôt écho sur les lèvres du nettoyeur japonais numéro un.  

 

— Je vais m’en aller Ryo, abandonna-t-il en étreignant une dernière fois son ami.  

 

Le nettoyeur serra fort la maigre carrure, tenta de prendre tout ce qu’il était possible de prendre : une odeur, un souffle, une texture…  

 

Puis très vite, trop vite, le revenant tourna les talons et se dirigea vers la porte, laissant pantois le complice de toujours. Parvenu à la porte d’entrée, il se retourna et lança :  

 

— J’ai autre chose à te dire, vieux schnock.  

— Et quoi donc ?  

 

Maki se trouvait dans l’entrebâillement, il allait bientôt disparaître. Mais il poursuivit, goguenard :  

 

— Arrête de rêver de Saeko, veux-tu !!  

— Mm… Mais…  

— Et dis-lui d’être heureuse. Je veux qu’elle soit heureuse, prononça-t-il solennellement avant de s’évanouir dans les airs comme par magie.  

 

Hide avait disparu. Ses derniers mots avaient été pour la femme qu’il aimait.  

 

— Promis, murmura Ryo.  

— Quoi promis ? interrogea une voix courroucée derrière lui.  

 

Ryo fit volte-face et se retrouva nez à nez avec la rouquine échevelée qui pointait un doigt accusateur sur lui.  

 

— Tu as couché avec Saeko, avoue !  

— Qu… Quoi ?  

— Saeko et toi, éructa la nettoyeuse.  

— Hé tu vois bien qu’elle est pas là !  

— Je ne te parle pas de tes rêves de pervers, je te parle de la réalité ! Tu as déjà couché avec Saeko, pas vrai ?  

 

Kaori affichait un air un peu désespéré qui désarçonna l’étalon de Shinjuku ; de plus, les montagnes émotionnelles récentes avaient eu raison de sa répartie. Ryo ne savait quoi répondre, restait coupablement muet. Evidemment, il n’en fallait pas plus pour que Kaori en déduisît la réponse à sa question.  

 

— Alors… ?  

— Voyons Kao, se défendit maladroitement Ryo, Saeko était la femme de ton frère.  

— Me prends pas pour une conne ! prononça-t-elle d’une voix blanche. Ça fait si longtemps que vous vous connaissez, vous avez eu tant d’occasions alors qu’elle était célibataire et toi aussi. Et vous êtes si… compatibles.  

— Arrête de délirer ! Tu dis ça à cause du rêve que tu as interrompu, c’est ridicule.  

— Tu as couché avec Miki ? surrenchérit Kaori avec effervescence.  

— Hein ? Oh la, non !  

— Tu vois comme tu réponds quand il s’agit de Miki. Alors que pour Saeko, tu…  

 

Mais la nettoyeuse ne put poursuivre ses invectives, elle fut muselée par la poigne autoritaire de Ryo qui voulait mettre fin au plus vite à la crise de jalousie de sa partenaire. Quelle mouche l’avait donc piquée ? Il posa donc sa large main sur les lèvres pleines de fiel et de douleurs mêlés et, de l’autre, il attira contre lui la propriétaire desdites lèvres qui tentait de protester et de se dégager. Il s’imposa par la force et approcha son visage au plus près du démon courroucé. Les iris noisette, fâchés, communiquèrent leur désaccord mais Ryo n’en eut cure :  

 

— Kaori, expliqua-t-il, je n’ai pas plus couché avec Saeko qu’avec Miki ou Kazue ou Reika ou… toi. Non, je n’ai jamais couché avec une fille de notre entourage proche et je n’ai aucune intention de le faire un jour…  

 

La nettoyeuse, toujours bâillonnée, resta interdite. Il lui décocha un sourire complice et lumineux.  

 

— Quoi que, suggéra-t-il à moitié sérieux, les yeux gagnés par la gourmandise.  

 

Elle fronça les sourcils pour protester et râler. Elle n’était pas dupe, non mais !  

 

— Idiote, poursuivit-il presqu’hilare devant le manque complet de perspicacité de celle à qui, ce soir, il confessait tout de même beaucoup. Je vais aller calmer mes nerfs sous une douche glacée. Nous poursuivrons cette conversation à mon retour… lorsque tu auras recouvré ta santé mentale.  

 

Il la libéra promptement et l’abandonna dans le salon. Kaori baragouina quelques mauvaisetés à son endroit, s’adressant au dos qui maintenant s’éloignait d’elle. Le nettoyeur jeta un œil rapide à l’horloge. 2h10. Il ne fut pas surpris du changement d’heure, ils progressaient.  

 

 

***
 

 

 

 

Elle était assise en tailleur sur le canapé, un coussin sur les genoux, les yeux tristes perdus dans le vague. Pourquoi donc avait-elle abandonné son chou kalé pour ainsi agresser Ryo ? Pourquoi avait-elle perdu son légendaire sang-froid en imaginant cette histoire de cul entre Saeko et Ryo ? Pourquoi ça faisait si mal ? Et pourquoi donc ne parvenait-elle pas à le croire ? Elle devenait folle ! Folle de jalousie en l’imaginant vraiment avec l’inspectrice. Tout ça parce qu’il rêvait d’elle, parce qu’elle était la plus belle femme du monde aux yeux de Kaori et de tous les hommes de l’univers, parce qu’elle était plus mystérieuse que les cités d’or, plus inaccessible que l’Everest, plus sexy que Betty Boop. Et qu’en plus de tout cela elle savait minauder, tortiller son corps avec sensualité, parler avec douceur et pondération, manipuler les hommes – et les femmes aussi d’ailleurs – sans qu’aucun ne lui en tint rigueur. Kaori mordit avec rage son coussin. Pourquoi Diable fallait-il qu’elle soit tout son contraire ? pourquoi la colère déformait-elle son visage ? pourquoi jurait-elle toujours comme un charretier ? pourquoi n’avait-elle aucun goût pour s’habiller, aucune féminité ? pourquoi était-elle une vraie planche à pain ?  

« Ô rage, ô désespoir… »  

 

Mais un silence lourd et pesant vint assécher les larmes de la nettoyeuse comme par enchantement. Etrangement, tout doute la quitta sur le champ ; ces préoccupations superficielles étaient-elles seulement importantes ? Kaori était convaincue que OUI mais son cortex, ou bien peut-être était-ce la Lune, lui interdisait toute pensée négative, toute remise en question de son essence. Une aridité dérangeante l’envahit progressivement. Seule persistait une mélancolie douce, cotonneuse. Un mouvement dans les escaliers attira son attention. Elle fixa la petite forme qui peinait à descendre les marches. Le petit être parvenait enfin dans la lumière du salon : un petit garçon âgé de trois ans. Quatre ans peut-être. Kaori n’en fut pas surprise, étonnamment, et une étrange tristesse la gagna.  

 

Le garçonnet était en pyjama bleu et blanc, en éponge. Les cheveux bruns et soyeux, les joues rebondies de l’enfance, le sourire caché derrière une petite peluche beige, il s’avançait vers la nettoyeuse.  

 

— Bonsoir, lui dit-il timidement, j’arrive pas à faire dodo.  

— Bonsoir, prononça la jeune femme impressionnée tout en se penchant vers lui. Pourquoi n’arrives-tu pas à dormir ? Dis-moi…  

 

Le petit garçon plongea le nez dans sa peluche et avoua avec honte :  

 

— J’ai peur.  

— Oh, dit Kaori avec beaucoup de douceur, soupçonnant un cauchemar, tu as fait un rêve ?  

— Non, répondit le petit garçon brun. Demain je prends l’avion.  

 

La rouquine, qui avait déjà de forts soupçons sur l’identité de l’enfant, fut confortée dans sa première idée : il s’agissait de Ryo ! Le bruit de la douche lui parvenait pourtant avec force. Son partenaire s’y trouvait encore, il n’était assurément pas responsable de l’apparition du garçonnet. C’était bien elle qui avait convoqué le petit, elle en avait la certitude. Sa voix trembla quelque peu :  

 

— Tu as peur de l’avion ? ne sut-elle qu’interposer.  

— C’est la première fois, se défendit-il. Je serai avec papa et maman. Mais j’ai peur quand même. Enfin un petit peu.  

— Je comprends, avoua-t-elle. Mais tu seras courageux n’est-ce pas ? Tu m’as l’air d’un garçon très courageux !  

 

Ryo acquiesça.  

 

— Tu as peur de l’avion toi ?  

 

La nettoyeuse détaillait les petits traits fins et réguliers tendus vers elle. Elle reconnaissait avec bonheur des expressions que Ryo avait encore, le petit rictus et la fossette à la commissure gauche de ses lèvres, l’air frondeur, les sourcils mobiles. Oui, c’était bien lui, mais avec la fragilité de l’enfance, la vulnérabilité insupportable. A cet instant précis, les entrailles de Kaori se déchirèrent.  

 

— Un petit peu aussi, abandonna-t-elle à regret.  

 

Elle mourait d’envie de lui dire de ne pas prendre cet avion de malheur, de renoncer, de s’enfuir ; avec elle pourquoi pas ? Mais quelle réaction ridicule cela aurait été ! Elle était en plein rêve, elle faisait face à un tout petit enfant, presque un bébé encore. Elle ne pouvait pas provoquer ce moment de terreur chez lui, c’était au-dessus de ses forces. Elle ne pouvait que le rassurer et le laisser affronter seul son destin.  

Ryo lui offrit un sourire de dents de lait des plus craquants.  

 

— C’est lapinou, présenta-t-il à Kaori, tendant la peluche beige dont il appréciait visiblement sucer les oreilles.  

— Oh que tu es beau ! déclama-t-elle à l’intention du doudou tout en lui serrant la patte. Moi c’est Kaori, je suis enchantée.  

— Kaori ? répondit l’enfant. J’aime bien.  

 

Il la gratifia d’un nouveau sourire immense.  

 

— Tu es un ange ? lui demanda-t-il.  

— Quoi ? un ange ? rit-elle doucement.  

 

Elle avança une main timide, tremblante, et caressa les joues de l’enfant qui lui faisait face. Ses joues avaient cette texture si particulière, pleine, lisse, douce et charnue. La tiédeur de son épiderme vint se mêler à la caresse. Kaori s’en délecta, la vie pulsait contre ses doigts. Cette vie qu’elle savait inexorable, indomptable, sauvage. Cette vie qu’elle chérissait plus que tout au monde.  

 

— Je pense pas. Regarde, je n’ai pas d’aile, avoua-t-elle en montrant son dos.  

— Un ange, ça n’a pas d’aile, gronda-t-il de sa petite voix. Un ange, ça protège.  

— Oh, dans ce cas, je suis un ange oui, admit la nettoyeuse gaiement.  

— Mon ange à moi, ajouta-t-il autoritaire.  

— Evidemment…  

 

Le petit garçon vint alors poser un tendre baiser mouillé sur la joue de la nettoyeuse qui s’était légèrement baissée pour se laisser atteindre. Elle fut bouleversée et rendit l’attention. Avec infiniment de précaution.  

 

— Je vais au dodo alors. J’ai plus peur, confia-t-il reconnaissant.  

— Bonne nuit Ryo, murmura-t-elle.  

— Tu connais mon nom ?  

 

La rouquine acquiesça d’un sourire devant la surprise du petit brun. Ce dernier fit une pause étrange, qui dura, et darda sur elle un regard transperçant.  

 

— A bientôt, lâcha-t-il avant de remonter les escaliers, serrant dans ses bras son lapinou.  

— A bientôt, prononça lentement Kaori, comme pour elle-même.  

 

 

***
 

 

 

Lorsque le nettoyeur descendit les marches pour rejoindre sa partenaire au salon, il perçut immédiatement sa détresse. Kaori était recroquevillée sur le canapé, les jambes emprisonnées dans ses bras, le visage caché contre ses cuisses. On aurait dit une chrysalide. Bien qu’il ne pût contempler les traits de sa comparse, les tressautements de cette dernière ne laissèrent planer aucun doute sur son humeur : elle était triste. Ryo jeta de nouveau un œil à l’horloge : 2h15. Il tiqua. Visiblement, il s’était joué quelque chose ici pendant son absence, quelque chose de suffisamment important pour que plusieurs minutes s’écoulent. Vaniteux au possible, il supputa immédiatement une rixe féminine à son sujet, un combat dont il aurait été l’enjeu. Il eut presque honte de bomber le torse à l’évocation de cette possibilité. Kaori avait-elle gagné le 1er prix ? Serait-il son gros lot ? Mais, à bien y regarder, elle semblait réellement bouleversée et, du coup, il ne pouvait décemment pas donner crédit à un scénario sulfureux. Si tel avait été le cas, c’est une furie qu’il aurait en face de lui, pas cette jeune femme chagrinée.  

Hide ? Hide était-il apparu à sa sœur ? Le nettoyeur fit une moue dubitative. Si tel avait été le cas, certes Kaori serait affectée, mais elle serait en joie, toute au bonheur des retrouvailles.  

 

— Qu’est-ce qu’il y a ? abandonna-t-il avec une intonation soucieuse.  

 

Elle sursauta ; elle ne l’avait pas entendu descendre. De ses yeux experts, Ryo jaugea chaque geste de sa partenaire. Elle leva lentement le visage de son repaire chaud et moite, offrit la dévastation de son regard, ses mains desserrèrent quelque peu leur étreinte sur ses genoux, son menton tremblota légèrement.  

 

— Tu étais si jeune Ryo ! Tu n’étais encore qu’un bébé… lâcha-t-elle sans préambule.  

 

Le japonais fronça les sourcils et tenta d’analyser l’information pour le moins inattendue. Il restait sous le choc de ces iris embrumés tendus vers lui. Elle était ravagée de tristesse ; lui était sidéré.  

 

— De quoi parles-tu ?  

— Tu n’aurais jamais dû prendre cet avion ! expliqua-t-elle avec véhémence, reprenant un peu ses esprits mais encore habitée par sa rencontre avec le garçonnet. Tu n’aurais pas eu cette enfance si rude si quelqu’un avait empêché que tu prennes cet avion… Aucun enfant ne devrait traverser ce que tu as vécu.  

 

Kaori peinait à mettre en mots ses idées, sa voix s’enrouait, ses mains s’affolaient. Ryo, quant à lui, ne comprenait pas d’où sortaient ces nouvelles considérations. Il ne pouvait bien sûr imaginer que son double enfant était venu rendre visite à son ange et qu’il l’avait ainsi bouleversée.  

 

— Kaori, murmura-t-il en tentant un geste de réconfort, trop lointain pour être tangible mais la jeune femme vit clairement la main se tendre vers elle.  

— J’aimerais tellement avoir le pouvoir de gommer ton passé Ryo, confia-t-elle avec plus de calme.  

 

Ils se faisaient face à quelques mètres l’un de l’autre. Lui debout, sa chevelure luisant des vestiges de la douche, elle sur le canapé, enfin assise normalement.  

 

— T’empêcher de monter dans cet avion, t’offrir une vie heureuse et normale, persévéra la nettoyeuse d’une voix calme et assurée.  

— Nous sommes dans un rêve Sugar. J’ignore ce qui s’est passé pendant que je prenais ma douche mais s’il te plaît, n’oublie pas que nous sommes tous les deux dans un rêve ! Il n’y a rien de vrai dans ce que tu as pu voir ou imaginer.  

 

Ryo refusait obstinément de l’entendre ! Le sujet était visiblement très sensible pour son lui, Kaori ne pouvait que le reconnaître au vu de sa réaction et de sa position campée, à trois mètres d’elle. Mais il avait raison, ils étaient tous les deux prisonniers de ce rêve. Était-ce la Lune qui souhaitait aborder le sujet délicat de l’enfance du nettoyeur ou bien était-ce elle qui avait un problème à régler avec ça ?  

 

— Je suis tellement désolée Ryo ! Tellement désolée pour ce que tu as dû vivre alors que tu n’étais pas en mesure de te protéger.  

 

Le nettoyeur, toujours imperturbable et statue de sel, se contenta de darder sur Kaori un regard noir et indéchiffrable. Il n’avait pas le choix, elle devait en venir au but, se libérer peut-être ; et lui devait l’écouter, accepter de subir la vision de cauchemar : sa Kaori en peine, sa Kaori en chagrin véritable, sa Kaori bouleversée à cause de lui ; indirectement à cause de lui. Mais encore à cause de lui.  

 

— Oui j’aimerais que tu n’aies pas connu tous ces traumatismes. Ryo, tu aurais dû traverser les années de l’enfance à l’abri de l’amour de tes parents. Si j’étais un ange, si j’en avais le pouvoir, j’effacerais ton passé et ferais en sorte qu’aujourd’hui tu n’aies pas à mener cette vie de dingue ! Tu ne croiserais pas la mort à tous les coins de rue ! Non, aujourd’hui, je t’offrirais une vie heureuse, épanouie, auprès de ta femme et de tes enfants.  

 

Ryo n’avait pas quitté les yeux noisette, il avait suivi avec la plus grande concentration l’expression sincère et désolée de ces iris qu’il aimait vraiment à perdre la raison. Pourquoi Diable, cette nuit, n’avait-il qu’une envie : consoler ces yeux chagrins, consoler ce cœur fragile qui s’offrait à lui avec une innocence et une inconscience pures ? « Oh Kaori, ne vois-tu pas ce que tu me donnes ? ne peux-tu entendre l’implicite de tes propres paroles ? »  

Pourtant, vite, il fallait désamorcer la bombe, trouver une autre échappatoire que la seule envisageable pour le moment : lui sauter dessus.  

 

— Ah je vois ! déclama-t-il avec une emphase outrée, la face défigurée par la mauvaise foi ressuscitée, l’index explicatif levé. Tu es en train de me proposer le mariage et des mouflets ? Bien tenté ma Kaori ! Mais même dans un rêve, tu n’arriveras pas à m’avoir… Foi d’étalon… Tu n’as rien d’une alezane ma louloute. Une ponette, une ânesse tout au mieux… mais pas une alezane !  

 

La nettoyeuse se leva d’un bond, prête à mordre l’équidé vaniteux.  

 

— Sache que toi et moi ne sommes pas du même ordre, pauvre débile microcéphale ! Moi, je suis un canidé – elle claqua des dents pour illustrer ses paroles. Aucune compatibilité entre nos deux espèces et sache que je n’y prétends absolument pas.  

 

Ryo s’était attendu à un assaut violent et brutal comme elle en était coutumière. Il s’était projeté déglingué à coups de poing, à coups de pied, à coups de boule, faute de massues. Mais d’assaut, il n’en fut pas question. Kaori tourna les talons et se planta derrière la fenêtre. Lui, resta quelque peu penaud. L’air con pour dire simple…  

Il fit quelque pas pour se rapprocher d’elle ; il ne pouvait décidemment pas la laisser s’échapper mais stoppa à quelques pas. Jamais sans elle, jamais avec elle.  

 

— Je ne parlais pas de moi, murmura-t-elle à son reflet dans la fenêtre. Ryo, nous ne vivons ensemble, nous travaillons ensemble que parce que tu as traversé ces sordides années. Parce que le sort a voulu que tu deviennes City Hunter. Ce que je voudrais pour toi, c’est que tu aies échappé à tout ça, que tu aies construit un bonheur simple loin de tout ce qui nous lie aujourd’hui. Et ce bonheur simple n’aurait strictement rien à voir avec moi.  

 

Fidèle à sa nature expansive, le japonais n’ouvrit pas la bouche. Il se perdit dans la contemplation des épaules qu’elle lui opposait et qu’il savait aussi fragiles que solides. Kaori était d’une émotivité infernale, d’une empathie inégalable, capable de tout mettre en œuvre pour sauver un oisillon tombé du nid, mais elle avait aussi la force herculéenne de ceux que la vie a éprouvés, de ceux qui se battent avec la conviction d’agir pour le bien d’autrui, de ceux qui ont de l’amour à revendre d’une manière presque sacrificielle. Elle était l’épaule la plus confortable du monde ; celle sur laquelle il aimait à se reposer. Même s’il ne faisait cela que de manière très symbolique.  

 

— Retourne-toi !  

 

Le canidé s’y refusa.  

 

— Regarde-moi… s’il te plaît…  

 

Des yeux tristes firent enfin leur apparition. Ryo lui décocha un sourire. Il voulait à la fois la rassurer, il n’avait pas l’intention de la blesser une nouvelle fois, mais il se voulait également très sérieux. Tous deux s’octroyèrent quelques secondes de complicité visuelle, une petite bulle de plaisir, puis le grand brun prit enfin la parole :  

 

— Tu as beau détourner une rivière de son lit, la contraindre à prendre un autre chemin vers l’océan, elle n’obtempérera jamais. La rivière retourne toujours dans son lit ; elle n’a qu’un objectif, revenir dans son lit. C’est ainsi. Mon lit à moi Kaori, c’est d’être City Hunter. Peu importe quelque part les événements qui ont jalonné ma vie jusqu’à aujourd’hui. Ils auraient pu être différents, avion ou pas. Mais je suis aujourd’hui dans mon lit !  

 

Kaori écouta silencieusement, quasi religieusement, ses bras étendus le long du corps. Le message de Ryo était très clair et lui ôta un poids dont elle ne prit conscience que lorsqu’il s’envola. Un souffle nouveau pénétra ses poumons, profondément ; ses yeux clignèrent lentement ; ses lèvres s’étirèrent en un sourire éclatant et complice. Il trouva écho sur la bouche du nettoyeur. Ce dernier renchérit :  

 

— Et toi et moi Kaori, nous avons le même lit…  

 

Une certaine gêne s’installa immédiatement sur la face de la jeune femme. Ses joues rosirent et une chaleur incommodante l’envahit bientôt. Ryo, habitué aux effets qu’il produisait sur la gent féminine et aux réactions de celle-ci, fut ravi de constater qu’ENFIN elle captait l’une de ses tentatives d’approche. Seulement, il était dans l’incapacité de mettre en branle la machine de drague infernale qu’il était en mesure d’être lorsqu’un défi érotique de taille se présentait à lui. La tentation luciférienne qui se tenait devant lui, dans toute son innocence, parlait à bien plus qu’à son mokkori. Il en était d’ailleurs franchement déstabilisé. Bien que conscient de la complexité de la chose, il refusa de la considérer plus avant.  

 

— Si tu étais dans mon rêve Kaori, engagea-t-il courageusement, là maintenant, tu me demanderais de te faire l’amour…  

 

La vague la heurta de plein fouet. Elle chancela, usa de toutes ses forces pour ne pas paraître le moins du monde étonnée par la proposition. Faire l’amour ? Était-il fou ? Et son ventre… Son ventre se tordait d’une sensation nouvelle… Il semblait vouloir imposer sa loi, sa décision, son abdication. Déjà ? sans combattre ?  

Ryo guettait une réaction. Elle était si immobile face à lui. Si impassible, si illisible…  

 

— Si tu étais dans mon rêve Ryo, répondit-elle avec aplomb, là maintenant, tu me dirais que tu m’aimes ; tu me ferais une déclaration…  

 

Il ne put empêcher une légère moue de s’inviter sur ses lippes gourmandes. Ne lui avait-il pas fait moult déclarations depuis le début de ce rêve ? Pourquoi donc Kaori exigeait-elle des mots usuels et banals ? Ne pouvait-elle interpréter avec plus de clairvoyance tout ce qu’il lui avait confié ? Il s’était épanché comme jamais… Était-il envisageable qu’elle se refuse à lui malgré tout ?  

 

— Nos rêves sont-ils incompatibles ? osa-t-il.  

 

Elle l’observa attentivement, il semblait si grand, si fort, si indestructible. Il était furieusement beau, furieusement magnétique, furieusement sexy. Pour autant, cet homme était tout autant terrorisé par l’acceptation de ses sentiments qu’elle par la perspective d’un corps à corps. Elle eut envie de rire et de pleurer dans le même instant tant l’appréhension s’imposa en elle.  

 

— Non, avoua-t-elle d’une voix mal assurée qui afficha son trouble au regard de son partenaire. Ils ne sont pas incompatibles.  

 

Kaori prit son courage à deux mains et en tendit une légèrement tremblante en guise d’invitation à se rapprocher tangiblement d’elle.  

City Hunter fronça les sourcils et inclina légèrement la tête en signe de réflexion mais il ne quitta pas des yeux le visage inquiet de son ange. Lui-même était gagné par un nouveau doute. Quelles conséquences pour ses actes s’il s’avérait que ce n’était pas un simple rêve ? Et son cerveau, pas embrumé le moins du monde, lui hurlait que ce rêve n’en était pas un ! Qu’une force supérieure se jouait de lui ! D’eux ! Demain, au réveil, qu’adviendrait-il ? Quels souvenirs ? Ryo détourna la tête et lut l’heure sur l’horloge digitale. 2h26. La Lune semblait satisfaite, visiblement le temps s’écoulait à nouveau dans leur appartement. Il n’y avait pas d’obligation charnelle entre les deux membres du mythique duo. Non, aucune nécessité.  

La nettoyeuse prit évidemment conscience de l’hésitation de celui qui, au final, n’avait jamais cédé à la tentation. Elle se sentit ridicule. Là à attendre, la main tendue dans le vide. Un étourdissement la gagna. Le vertige de le perdre… Encore une fois… Elle lut clairement l’interrogation dans le regard métallique qu’il lui accorda de nouveau. Elle restait là, le bras offert. Et lui refusait de s’en saisir, de consentir à lui prendre ne serait-ce que la main…  

 

— Ryo, l’interpella-t-elle. Je te l’ai dit, je ne me souviens jamais de mes rêves ! Et s’il s’avérait pour une raison que je ne m’explique pas que je me souvienne de celui-là, je te promets que je ferais comme si je n’en avais aucun souvenir. Je te promets Ryo… Demain matin, il n’y en aura plus aucune trace…  

 

Il soupira. L’envie d’elle était de toute façon trop forte pour qu’il y résiste. Le cœur de Kaori se mit à battre la chamade. Quasi instantanément, de sa main gauche, Ryo lui saisit le poignet droit, celui qu’elle lui offrait, et consentit à faire les pas qui le séparait d’elle. La carrure masculine devenait imposante, presqu’effrayante, elle baissa les yeux. La main droite, virile et puissante, s’empara alors de sa joue, ses doigts vinrent caresser l’épiderme et imposer au visage féminin de se lever vers lui. Les yeux de la nettoyeuse durent alors quitter le refuge réconfortant du tee-shirt pour rencontrer leurs homologues masculins. Ryo ne trembla pas lorsque leurs iris se pénétrèrent, juste abandonna-t-il un souffle rauque trahissant le désir qu’elle lui inspirait. Mais Kaori, elle, apparut plus fébrile, la main chaude sur sa joue la guidant vers la bouche avide qui la guettait la jeta dans une sorte de panique. Mais cette panique n’eut pas le temps de s’exprimer, les yeux hypnotiques la happèrent, le bras gauche de son partenaire la retint prisonnière, lui maintenant la main dans le dos, et les lèvres se trouvèrent. Doucement. Respectueusement. Les souffles se mêlèrent avec langueur, les bouches se caressèrent, jouèrent avec pudeur. La jeune femme fut merveilleusement cueillie par cette délicatesse. Elle s’abandonna aux douces et chastes caresses buccales, y mêla ses sourires. Ryo libéra le bras gauche, enlaça la taille, embrassa ce sourire comblé à de multiples reprises puis s’empara de sa nuque, pénétra la chevelure de ses doigts conquérants, approfondit l’étreinte, approfondit leur baiser. Elle fut désarçonnée. Elle avait posé ses deux mains sur la poitrine confortable ; ces dernières s’étaient quelque peu crispées sur le tee-shirt lorsque le propriétaire dudit tee-shirt avait profané sa bouche avec sa langue. Ryo jouait. Sa langue réclamait à son homologue d’entrer en jeu avec elle ; elle l’invitait, avec douceur mais insistance, à répondre à son audace. La nettoyeuse manqua de s’étrangler, leurs souffles étaient si coordonnés, ses lèvres étaient si douces, si assurées ; elle avait entrouvert les yeux et ne put que constater que Ryo gardait les siens fermés, scellés. Mais comment répondre à la voracité de ses baisers ? A l’appétit dont il semblait dévoré ? Il venait de quitter ses lèvres et embrassait maintenant ses joues, son menton, son cou. Ses mains caressaient son dos. Il était partout… partout…  

 

— Hé, ne t’échappe pas ! lança-t-il tout à la frustration de la sentir glisser entre ses bras.  

 

 

 

 

 


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