Hojo Fan City

 

 

 

Data File

Rated G - Prose

 

Author: Baby-Face

Status: To be continued

Series: City Hunter

 

Total: 10 chapters

Published: 29-03-04

Last update: 09-07-04

 

Comments: 21 reviews

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GeneralGeneral

 

Summary: Coucou, pas de résumé pour l'instant, en fait ceci est le chapitre 10 d'une histoire depuis longtemps commencée sur le site de Julie "L'univers de City Hunter", si vous ne la connaissez pas ce n'est peut-être pas très intéressant de commencer directement par ce chap ^_~. Je n'ai pas les autres chapitres sous la main, alors excusez-moi si je ne mets que le chap 10 en ligne ici, mes chapitres se baladent un peu où ils veulent, et en tout cas ils ont déserté mon disque dur... sniff ;-))

 

Disclaimer: Les personnages de "Un couple sans histoire" sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo.

 

Tricks & Tips

What do the ratings mean?

 

- G: General Audience. All ages admitted. This signifies that the fanfiction rated contains nothing most parents will consider offensive for even their youngest children to ...

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   Fanfiction :: Un couple sans histoire

 

Chapter 10 :: Chapitre 10 : troisième tentative

Published: 09-07-04 - Last update: 09-07-04

 


Chapter: 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10


 

Le béton des marches trépidait imperceptiblement, à mesure que les pieds poursuivaient leur descente vive et nerveuse vers le sous-sol aménagé en garage. Le propriétaire de ces pieds pressés sifflotait gaiement, et quiconque l’aurait vu et entendu aurait à coup sûr pensé qu’il était dans un état semi-euphorique. Et ce n’aurait pas été tout à fait faux : Ryô songeait que, après la journée cataclysmo-apocalyptique qu’il avait vécu la veille, la nuit s’était passée beaucoup mieux que prévue. Pour tout dire, elle avait même surpassé tous ses espoirs : Kaori ne s’était pas enfuie, son immeuble n’avait pas été pris d’assaut au lance-roquettes, et Gozilla ne s’était toujours pas manifesté. Bref, que du bonheur (et il avait bien eu l’occasion d’en profiter, vu qu’il n’avait pas dormi). Le matin avait été à la hauteur de la nuit : elle n’était pas entrée dans sa chambre, mais Kaori avait frappé à sa porte pour le réveiller, et ils avaient pris leur petit déjeuner ensemble. Incroyable. Bien sûr, ils n’avaient pas échangé plus que les quelques mots exigés par la plus stricte des politesse, mais Ryô n’en demandait pas plus. Il était toujours vivant, Kaori n’avait pas l’air de le haïr totalement - le bonheur se trouve là où nous décidons de le chercher.  

Simplement, il aurait bien aimé comprendre un peu mieux le comportement de sa partenaire. Il avait l’impression que quelque chose lui échappait, qu’elle n’avait pas réagi comme il s’y serait attendu.  

Aussi, ce fut avec une ombre de perplexité sur le visage qu’il poussa doucement la porte miteuse qui menait au garage. Il l’entrebâilla, suffisamment pour pouvoir jeter un œil dans l’endroit où il avait remisé plusieurs voitures - dont sa Mini. Tout était calme, inchangé. L’air saturé de l’odeur des voitures était immobile, paisible.  

Se remettant à siffloter, il se dirigea vers le grand store métallique qui bloquait l’entrée du garage. L’Orangeraie était à un bon quart d’heure de Shinjuku ; s’il partait maintenant, il arriverait avec quelques minutes d’avance.  

Il allait atteindre le store quand un léger bruit de frottement se fit entendre, sur sa droite. Ryô se raidit immédiatement, sa main allant se poser sur la crosse de son python sans qu’il en eut vraiment conscience. Il resta immobile, fouillant du regard l’endroit d’où était venu le bruit. Plusieurs secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles il attendit vainement un indice quant à l’origine du son qu’il avait entendu. Il finit par se détendre. Les carrosseries luisaient tranquillement dans l’obscurité, l’air était vide de toute tension.  

Ryô reprit sa route vers le store, mais un nouveau bruit se fit entendre, derrière lui cette fois-ci. Ce n’était plus un frottement, mais le bruit d’un corps lourd galopant vers lui à toute vitesse. Le son des pas était étouffé au maximum mais les vibrations qu’ils provoquaient lui étaient on ne peut plus familières ; suffisamment en tout cas pour lui faire relâcher sa prise sur son revolver. Quelques secondes plus tard, et Ryô s’envolait vers le plafond, obtenant ainsi un point de vue imprenable, duquel point de vue il voyait Mick surgir de l’ombre et s’avancer vers lui, un sourire satisfait aux lèvres.  

- Eh bien, bonjour Ryô, comment ça va de bon matin ?  

L’interpellé toisa l’américain. Facile, quand on se trouve à près de trois mètres du sol.  

- ça va plutôt bien… C’est fou comme les choses peuvent perdre de leur importance dès qu’on les considère avec un peu de hauteur, ironisa-t-il. Bonjour Mick…  

Ryô se sentit pivoter dans les airs, et après une rotation d’environ cent quatre-vingts degrés se trouva face à un crâne luisant, une grosse paire de lunettes noires et une bouche qui souriait largement, dévoilant des dents blanches et alignées au cordeau (des années de brossage de dents réguliers matin midi et soir entre deux combats sanglants au cœur de la jungle équatorienne).  

- Quelle surprise, bonjour l’éléph…  

Ce dernier le lâcha, et Ryô tomba souplement au sol. Les deux autres nettoyeurs s’avancèrent jusqu’à ce qu’il soit pris en sandwich entre eux.  

- Dites, j’ai l’impression que vous m’en voulez…  

- …  

- Enfin, quoi, dites quelque chose ! Vous allez finir par me faire peur…  

Pour toute réponse, Mick et Falcon avancèrent encore d’un pas, et le fixèrent intensément. La tension monta, jusqu’à ce que Ryô prenne un ton lamentable et crie :  

- Au secours, à l’aide, à l’assassin, je suis agressé par deux handicapés, aidez-moi, ils vont me rouler dessus avec leur fauteuil roulant, me violer avec leurs béquilles, me…  

- Ah, tais-toi ! coupa Mick en le frappant sèchement sur le sommet du crâne. Cesse de faire le pitre, nous sommes venus te voir pour que tu nous expliques clairement pourquoi tu étais si préoccupé, hier. Quand tu es venu me voir - après avoir rendu Kazue à moitié folle de colère, mais passons - tu m'as dit que tu t'étais fait attaquer deux fois en quatre heures par un professionnel, et je me souviens m'être dit qu'habituellement il en fallait plus pour te mettre dans un tel état de tension. Il doit y avoir autre chose, non ?  

Les deux hommes se dévisagèrent un moment. Le visage du japonais avait pris une expression figée et impénétrable, masque que son ami connaissait bien et n’avait aucune difficulté à écarter. Ryô songeait que ce qui s’était passé la veille ne regardait que lui, il en avait l’intime conviction ; en outre, il n’aimait pas parler sans l’avoir lui-même décidé auparavant. D’un autre côté, ce n’était pas le genre de Mick et de l’éleph de venir quémander ainsi des renseignements, et ils avaient plutôt l’air de réclamer un dû… Pourquoi ?  

- Je suis désolé, j’ai un rendez-vous avec une cliente ce matin, et je suis déjà en retard… Peut-être que l’on pourrait se voir plus tard dans la journée, ou demain ? demanda-t-il, attentif à la réaction des deux autres.  

Mick resta impassible, mais, derrière lui, Ryô sentit une pointe de tension. L’éléphant perdait son calme, et ce n’était pourtant pas dans ses habitudes.  

Ryô se retourna pour faire face à celui qui était vêtu de son éternel pantalon noir et de sa non moins éternelle blanche et ample chemise dont les manches avaient été retroussées jusqu’aux coudes, laissant apercevoir des avants-bras fins comme des bûches. Son regard s’attacha à percer l’opacité des verres fumés de Falcon (ce qui n’avait qu’un intérêt relativement limité, mais bon…).  

- Plutôt que de m’agresser chez moi de bon matin, tu ferais mieux de me dire clairement ce qui ne va pas, dit Ryô, pour une fois sérieux. Je ne t’avais jamais vu aussi tendu ! On dirait que tu as avalé un…  

Il ravala ses mots, conscient de la disproportion entre un manche à balai et la taille du tronc qui lui faisait face.  

- … un madrier, acheva-t-il, content de lui.  

Falcon serra les poings. Tendu, en effet.  

- C’est très simple, riposta-t-il. Tu transformes souvent mon café en champ de bataille, et ça ne me dérange pas (tant que tu payes les réparations !), mais c’est la première fois que je me retrouve avec des mines installées chez moi !  

Ryô fronça les sourcils. Des mines ? Qui pouvait bien être suffisamment fou pour installer des mines chez l’éléphant ?  

- Miki s’est faite piéger, et il s’en ai fallu de peu qu’elle ne soit blessée !  

- Et tu étais là ?  

Falcon ne répondit pas, mais des taches rouges explicites apparurent sur ses joues, se chargeant de répondre à sa place. Quand il fut clair que ni elles ni leur propriétaire n’en diraient davantage, Mick prit le relais. A la fin de son histoire, Falcon s’était croisé les bras depuis longtemps tandis que Ryô se tenait accoudé au toit de sa Mini. La description que l’Américain avait fait des mines et du comportement de leur poseur ne lui avait pas laissé le moindre doute quant à l’identité de celui-ci. Machiavel… Dans le puits de sa mémoire, ce nom rebondissait de paroi en paroi pour y créer autant d’échos, qui résonnaient toujours plus intensément dans son esprit à mesure que les souvenirs affluaient.  

Ryô hocha lentement la tête. C’était une donnée nouvelle, qui venait compliquer dangereusement la situation - comme si elle n’était pas déjà suffisamment compliquée comme ça ! Pouvoir mettre un nom sur un des protagonistes jetait quelques clartés sur l’affaire, mais rendait ses contours encore plus flous : quel rapport pouvait-il bien y avoir entre Machiavel et le tir dont il avait été victime la veille ? Et puis, pour quelle raison avoir piégé le Cat’s eye ?  

Non pas que l’histoire des mines lui parut dénuée de sens. Au contraire, elle était parfaitement assortie avec tout ce qu’il savait de la personnalité de Machiavel et des motifs qui le faisaient agir. Ryô était à peu près sûr qu’il avait assisté à toute la scène et qu’il avait pris un plaisir extrême à voir Miki, l’éléphant et Mick devenir les acteurs involontaires du scénario qu’il avait lui-même créé…  

La voix de Falcon le tira de ses pensées.  

- Si tu m’avais dit dès le début ce qui te tracassait, j’aurais été sur mes gardes, et il n’aurait certainement pas réussi à faire son petit numéro jusqu’au bout ! Et Miki n’aurait couru aucun danger ! C’est quand même honteux de ta part de jouer à la carpe, alors que je t’ai déjà donné d’innombrables renseignements !! Han... han...  

L’éléphant avait brandi le poing pour donner plus de poids à ses paroles, et son visage s’était coloré d’un rouge soutenu. Mick quant à lui hochait la tête d’un air sérieux. Attaqué de toutes part, Ryô n’avait plus d’autre choix que se rendre ou défendre chèrement sa peau. Avec le courage habituel qu’on lui connaît, il opta pour la lutte périlleuse.  

- Même pas vrai ! cria-t-il à son tour.  

Le froncement de sourcils de l’éléphant s’accentua, mais n’empêcha pas Ryô de continuer (avec le courage habituel... Bref) :  

- Et je vais te dire pourquoi, fit-il de l’air de quelqu’un qui s’apprête à asséner un raisonnement irréfutable, son index s’agitant en l’air.  

- ...  

- Il y a deux raisons. (le doigt qui s’agitait seul en l’air se vit soudain ajouter un compagnon.) La première, c’est que je n’avais aucune raison de croire que ce qui m’était arrivé ne concernait pas uniquement que moi. Et même aujourd’hui, d’ailleurs, je ne vois pas de rapport, mais je dois avouer que la coïncidence est quand même un peu grosse... Quoiqu’il en soit, ça ne t’aurait servi à rien d’avoir ce genre de renseignement.  

- Huuh ! Ça, c’est ce que tu dis ! répliqua violemment l’éléphant, dont la teinte rougeaude ne s’était décidément pas arrangée. Peut-être que toi, tu ne vois pas de lien, mais que moi, je l’aurais vu !  

- Tu ne me fais pas confiance ?  

- Comment pourrais-je faire confiance à un homme dont l’unique ambition est de satisfaire sa moitié inférieure ?  

- Très juste, intervint Mick, avec un grand sourire.  

Les deux autres lui lancèrent un regard assassin.  

- Enfin bref, fit Ryô, la deuxième raison est encore plus évidente - Mick, arrête de faire semblant de pleurer, tu ne fais rire personne - : l’éléph, il faut commencer à voir les choses en face (oups, pardon :-p). Même si tu avais été au courant de ce qu’il tramait, tu n’aurais pas pu l’empêcher de faire ce qu’il voulait. Qu’il s’agisse de toi ou de Mick, d’ailleurs : que veux-tu que fasse contre un pro comme Machiavel un couple de para-nettoyeurs ? Ha, ha ha !  

Falcon et Mick s’empourprèrent brutalement. Être qualifié de paranettoyeur était déjà suffisamment humiliant, mais le rire exécrable que Ryô y ajouta fut la goutte qui fit déborder le vase de leur fierté. L’américain sauta sans prévenir sur le dos du japonais, qui encaissa le choc cans broncher. Ryô ne commença à se sentir incommodé que lorsque l’autre lui fit une clef au cou, l’étranglant au trois-quarts. Son visage prenait une coloration bleu sombre quand il palît brusquement : l’éléph venait à son tour de lui sauter dessus.  

- Waaah ! n’eut que le temps de crier le schtroumpf nettoyeur.  

L’intervention de Falcon abrégea rapidement la bagarre : une minute après, il restait seul debout sur la champ de bataille, bras croisés et expression impénétrable collée au visage. Ryô était à trois pattes sur le béton, en train de se masser le cou avec une main, quand l’angoisse qu’il essayait de repousser depuis un moment déjà lui étreignit le coeur. Si Machiavel était au japon... C’était un bras de fer mortel qui venait de s’engager entre lui et eux ; et, à tout moment quand il n’était pas là, Kaori risquait de...  

Mick était sur le dos, occupé à respirer bruyamment. Quand il sentit le regard de Ryô peser sur lui, il pencha la tête en arrière. Leurs yeux se rencontrèrent.  

- Comme je l’ai dit, j’ai un rendez-vous important ce matin, et Kaori ne m’y accompagne pas... Est-ce que tu pourrais... ?  

Mick fronça les sourcils, et changea de position, se mettant à genoux.  

- ça m’ennuie de te dire ça, hésita le nettoyeur aux cheveux blonds, mais j’ai aussi Kazue, je ne peux pas la laisser seule. Pour pouvoir les surveiller toutes les deux, il faudrait que je me mette au milieu de la rue ! C’est pas réalisable !  

- Je le sais bien, dit Ryô en se mettant à genoux à son tour. Mais le lit de la chambre d’amis a deux places : pourquoi ne viendrais-tu pas t’y installer quelque temps ? Jusqu’à ce qu’on renvoie Mac chez lui...  

Une lueur fugitive brilla dans le regard de l’américain.  

- De sorte que j’aurai les deux filles pour moi tout seul ? Hé hé hé... C’est tentant...  

- Le lit n’a que deux places, lui rappela Ryô sèchement. Alors ne te monte pas la tête !  

- Qu’il n’y ait que deux places ne me dérange pas vraiment, ça fait longtemps que j’ai envie d’essayer la position du sandwich... Je me souviens que le toit est assez haut, fantasma Mick à voix haute.  

Ryô se leva rapidement, grommelant quelque chose que l’autre compris comme étant à peu près “même pas dans tes rêves !”. Il monta dans sa Mini, et mit le moteur en marche, libérant du même coup dans l’atmosphère confinée du garage un peu plus d’hydrocarbures à moitié consumés. Il mit la tête à la portière :  

- Bref, je compte sur toi ! Surtout, arrange-toi pour que Kaori ne sorte pas de l'immeuble... Je ne veux pas qu'il lui arrive ce qui m'est arrivé hier, il y a dans la ville un sniper qui sait cacher sa tension ! Mais méfie-toi quand même, ajouta-t-il avec une grimace que Mick interpréta comme un sourire sadique, elle risque d'être d'une humeur assez imprévisible aujourd'hui ! Bonne chance !  

L'auto s'éloigna en pétaradant, plantant là un Falcon imperturbable et un Mick qui avait perdu pas mal de son entrain.  

- D'une humeur assez... Imprévisible ? gémit le nettoyeur aux mains gantées. Moi qui pensais que ça allait être une garde agréable... J'veux plus ! J'me suis fait avoir ! Holà, reviens, Ryô !!  

****  

Le réceptionniste de l'hôtel l'Orangeraie, impeccable dans son costume à boutons dorés, regarda nerveusement par dessus son épaulette gauche, en direction du bar. "Bar" n'était pas le terme qui convenait le mieux, "salon" était sans doute plus adapté : dans cette pièce du rez-de-chaussée, les banquettes de cuir pourpre étincelaient sous leur lustrage, les tables de merisier verni étaient généreusement espacées sous un plafond d'une hauteur plus que respectable. La hauteur du plafond avait sans doute été prévue pour ne pas faire obstacle à l'épanouissement de la fierté de l'endroit, un authentique oranger planté au beau milieu de la pièce. Pour le moment, l'arbre n'utilisait que parcimonieusement l'espace qui lui avait été accordé, et ses fruits étaient introuvables parmi le feuillage aux couleurs maladives, mais la raison en était peut-être à la teinte opaque des grandes baies vitrées qui séparaient les tables de la rue, spécialement étudiées pour servir de miroir aux passants, ce qui permettait ainsi aux clients du bar de se rincer l'œil du spectacle de la vie urbaine en toute tranquillité.  

Quoiqu'il en soit, ce n'était pas l'état de l'arbre qui rendait Alfredchan le réceptionniste aussi nerveux, non plus que ce qui pouvait se passer au dehors (il en avait vu d'autres, à forcer de rester debout à son poste six heures par jour, 5 jours dans la semaine : une fois, il avait même vu un obsédé accoster une trentaine de jeunes femmes dans la rue, les unes après les autres, à l'occasion d'un défilé en faveur des droits de la femme : malgré les rejets successifs, l'homme ne s'était pas découragé et avait tenté sa chance jusqu'à la dernière. Depuis ce jour, Alfredchan ne s'étonnait plus de rien). Le couple qui attirait son regard et celui de la vingtaine de personnes présentes dans le salon était aussi disparate qu'on pouvait l'imaginer : l'homme était brun, dans la force de l'âge, et portait un manteau gris qui avait sans doute été blanc autrefois, des mocassins qu'on avait du mal à imaginer aux pieds d'une personne de goût, et en fait n'était pas sans rappeler à Alfredchan l'individu qui avait accosté les femmes du défilé (mais ce n'était pas possible, la coïncidence aurait été trop forte). Quant à la femme... Sa beauté captivait l'attention autour d'elle, aussi bien celle des hommes (qui essayaient d'imprimer son image dans leur cerveau, convaincus qu'ils n'auraient jamais plus la chance de rencontrer un tel exemplaire de la gent féminine) que des femmes (qui balançaient entre jalousie et déprime, entre envie d'augmenter la fréquence de leurs visites à l'institut de beauté ou bien de ne plus jamais y retourner). Elle paraissait jeune, même si son visage aux traits fins et réguliers ne donnaient que peu d'indices sur son âge ; ses yeux étaient marron clair, ses cheveux un peu plus foncés ondulaient jusque sur ses épaules. Assise très droite sur sa banquette, elle portait un tailleur bleu pâle, dont la coupe élégante mettait en valeur des formes épanouies. Sur la table en face d'elle était posé une tasse, pleine d'un liquide qui était, selon toute probabilité, du café décaféiné. Quand elle parla, sa voix était précise et froide :  

- Vous avez près d'une demi-heure de retard... J'aurais pourtant pensé que la ponctualité était une qualité essentielle pour un homme qui fait un métier comme le votre... Eh bien ?  

Fasciné par le décolleté qui s'offrait à quelques centimètres de lui, Ryô ne répondit pas tout de suite. Ce qu'il voyait défiait la loi de la gravité : normalement, cela aurait dû tomber, et non pas tenir ainsi, presque à l'horizontale ! Le soutien-gorge, que l'on devinait à travers un petit haut de satin blanc, devait jouer son rôle, c'était évident, mais dans quelle proportion ?  

- Je me demande bien ce qui se passe quand on coupe la bretelle, murmura Ryô. Laisser tomber ou ne pas laisser tomber, là est la question...  

- Pardon ?  

Les inflexions mêlées du mépris et de l'étonnement perçaient dans la voix de la jeune femme, ce qui convainquit Ryô d'abandonner pour un temps ses réflexions physiques et métaphysiques.  

- Je disais, articula-t-il plus clairement, que j'ai été agressé ce matin par deux grands invalides de guerre, juste avant que je monte dans ma voiture... Je vous prie d'excuser mon retard, je suis vraiment impardonnable d'avoir fait attendre une si jolie femme !  

S'il avait espéré lui faire plaisir en la complimentant sur sa beauté, Ryô dut être déçu, car le visage de la jeune femme se ferma encore un peu plus.  

- Si ce genre d’agression peut vous mettre autant en retard, je me demande bien pourquoi je loue vos services...  

Ryô esquissa un sourire. Même si elle semblait aussi amicale qu’un bernard-l’ermite, la cliente était charmante, et c’était déjà ça. Après tout, elle aurait pu avoir deux bonnets en moins et un bec-de-lièvre, et il aurait quand même dû parler avec elle... (note de l’auteur : je viens de relire cette phrase, et elle est vraiment terrible, mesdemoiselles si vous avez un bec-de-lièvre et pas beaucoup de poitrine écrivez-moi, je me ferai un plaisir de correspondre avec vous.)  

- Pourquoi vous désirez louer mes services, vous voulez dire... Non ?  

La jeune femme haussa les épaules.  

- Pour accepter votre demande, quelque soit sa nature, j'ai besoin de plusieurs renseignements, poursuivit Ryô. Même si vous ne voyez pas l'intérêt de certaines questions, elles sont, pour moi, très importantes ; alors j'aimerais que vous me répondiez rapidement, sans trop réfléchir.  

Elle haussa les épaules.  

- S'il faut en passer par là !  

- Bien. Alors, pour commencer, vous vous appelez, de votre nom...  

- Asatani.  

- Et Megumi de votre prénom, c'est cela ?  

Elle acquiesça d'un bref hochement de tête.  

- Vous avez un petit ami ?  

Elle lui lança un regard soupçonneux, mais il resta imperturbable.  

- Je ne suis pas mariée, se contenta-t-elle de répondre.  

- Votre âge est ?  

- 28 ans.  

- Votre marque de sous-vêtements préférée ?  

-...  

Le regard de Megumi Asatani ne pouvait pas devenir plus froid qu'il n'était déjà ; aussi se contenta-t-il de se charger un peu en incrédulité et beaucoup en mépris.  

- Ha ha ha... Je suis désolé, c'était pour détendre l'atmosphère, s'excusa Ryô. J'ai l'impression que vous êtes un peu tendue depuis que nous sommes ensembles...  

Même si la jeune femme n'avait pas l'air véritablement tendue, songea-t-il. Elle semblait plutôt avoir posé un masque de froideur sur son visage, qui ne laissait rien filtrer de ses véritables sentiments. Et apparemment, il faudrait sans doute plus que des allusions à sa lingerie pour mettre sa cuirasse en défaut.  

- Vous parlez japonais à la perfection, mais ce n'est pas votre langue d'origine, n'est-ce pas ? demanda-t-il, changeant brutalement de sujet. La forme de votre visage n'est pas vraiment japonaise... Et aussi vos yeux, votre bouche... Et puis, croyez-en mes mains, le grain de votre peau est subtilement différent ! Mmmmh...  

La gifle retentit, sonore, laissant sur le visage de Ryô une empreinte caractéristique. Ce dernier retira à regret ses mains des cuisses divines qu'il avait deviné sous l'étoffe du tailleur, et détourna le regard de cet objet de tentation pour contempler des choses qui titillaient un peu moins sa libido. Le visage d'Alfredchan le réceptionniste, par exemple, dont le front aux veines saillantes disait assez son envie d'intervenir - mais une simple main gantée levée en l'air l'avait dissuadé de quitter son bureau.  

Ryô se rassit calmement et croisa les bras. Autour d'eux, quelques protestations indignées s'était élevées (notamment quand il avait sauté sur la table, certaine partie de son anatomie étroitement moulée par son pantalon), mais le brouhaha naissant n'avait pas tarder à s'éteindre au vu du sang-froid dont avait fait preuve la jeune femme pour le détacher de ses cuisses.  

- A l'avenir, faites-moi le plaisir de m'épargner ce genre de manifestation, dit Megumi Asatani d'une voix qui tremblait légèrement. On m'avait prévenu que vous perdiez à être connu, mais j'ignorais que c'était à ce point !  

Le nettoyeur l'examina attentivement. Sous l'adorable cascade de cheveux châtains qui retombaient sur ses épaules, le visage un instant auparavant uniformément pâle avait pris quelques couleurs - dont deux taches pourpres sur les pommettes. Cette rougeur, en plus de la fêlure qu'il avait perçue dans sa voix, contrastait avec la maîtrise et le calme qu'elle avait déployés pour le repousser et donnait l’impression qu’à l’intérieur de la jeune femme une personnalité enflammée était contenue à grand-peine. Avait-elle été si choquée que cela par les mains qui s'étaient posées sur ses genoux ? Bon, peut-être avait-il été un peu plus loin que les genoux, mais à peine - en tout cas pas jusqu'aux hanches.  

- Je suis désolé, vous êtes si belle que je n'ai pas pu m'empêcher... fit Ryô, dans une tentative un peu vaine pour justifier son comportement. Et j'ai une certaine tendance à joindre le geste à la parole, mais c'est inconscient !  

Les yeux noisettes le transperçèrent.  

- Je ne voix aucun intérêt à être protégé d'un pervers par un homme qui l'est encore plus ! lança-t-elle, mordante.  

- Ha ha ha... Vous avez raison, cela ne se reproduira pas. Vous voulez donc être protégée d'un pervers ? s'enquit Ryô, en faisant un effort honorable pour changer de sujet.  

- Vous le sauriez déjà si vous m'aviez laissé vous exposer ma demande, au lieu de me poser des questions soit-disant importantes. D'ailleurs, si vous n'avez rien d'autre à me demander, je pourrais peut-être entrer dans le vif du sujet, non ? demanda-t-elle d'une voix qui avait retrouvé toute sa froide assurance.  

Ryô lui sourit en retour.  

- Je vous écoute, dit-il.  

- Bien. Comme vous l'avez apparemment remarqué, je ne suis pas japonaise d'origine. J'habite à New York, et c'est la première fois que je viens au Japon.  

- La première fois aussi que vous faites appel à un nettoyeur ?  

Elle acquiesça d'un hochement de tête rapide.  

- J'y travaille comme...  

- ça fait pas mal de premières fois, tout ça, l'interrompit encore Ryô. J'espère que cela ne vous déstabilise pas trop !  

Il faillit rajouter que si elle avait d'autres premières fois à expérimenter, elle n'hésite pas à lui demander, mais le froncement de sourcil qu'elle lui décocha le démotiva.  

- J'y travaille comme courtier, dans une agence de courtage, naturellement. Pour simplifier, nous permettons la spéculation boursière en amplifiant le volume des échanges entre acheteurs et vendeurs, qu'il s'agisse de devises, de bananes, d'appartements...  

- De petites culottes ?  

Elle eut un sourire contraint.  

- D'absolument tout et n'importe quoi. Par amplifier, je veux dire que, si vous voulez acheter pour 1000 000 yen...  

Megumi Asatani s'interrompit, regarda ostensiblement les vêtements élimés de Ryô, et se reprit :  

- 100 yen de petites culottes, il vous suffit de nous donner 10 yen, et nous passons commande pour 100 yen en votre nom. Il y a spéculation dans le sens où vous pouvez acheter à une date ultérieure les petites culottes, à la valeur qu'elles ont au moment où vous passez commande : de sorte que, si un mois plus tard la lingerie a perdu 50% de sa valeur, vous serez quand même obligé de les acheter à 100% de leur ancienne valeur, et vous aurez été perdant... Par contre, si leur prix a monté entre-temps, c'est vous qui gagnerez... Vous aurez joué la hausse ; mais vous auriez aussi bien pu jouer la baisse, et vendre à terme au lieu d'acheter à terme... Vous avez compris ?  

Ryô resta imperturbable.  

- Vous savez, pour ce qui est du marché des petites culottes, je suis imbattable, alors...  

La jeune femme soupira.  

- De toute façon, que vous compreniez ou non n'a pas vraiment d'importance... Ce qu'il vous faut savoir, c'est que quelque soit le résultat de votre spéculation, vous devrez l'assumer, c'est-à-dire que même si vous ne donnez que 10% du montant total de la transaction à l'agence de courtage, au bout du compte c'est sur les 100% de cette valeur que sont calculés vos bénéfices, mais aussi vos pertes s'il y a lieu. Et le principal risque que nous courons, en tant que courtiers...  

- ...c'est de devoir assumer à la place du client s'il fuit ses responsabilités, n'est-ce pas ? acheva Ryô à sa place. C'est sûr que s'il ne mise que 10%, il peut très bien abandonner sa mise si les choses tournent mal...  

Megumi jeta un regard surpris au nettoyeur, et dans ses yeux la lueur de mépris vacilla légèrement.  

- C'est effectivement ça, reconnut-elle. Bien sûr, ce n'est pas légal d'abandonner sa mise, comme vous dites, et nous prenons des garanties pour que ça n'arrive pas, mais parfois il arrive qu'en dépit de toutes nos précautions nous nous fassions escroquer. Généralement, nos clients ne traitent pas directement avec nous, ils achètent ou vendent par l’intermédiaire de sociétés, qui sont elles-mêmes les propriétés d’autres sociétés, et ainsi de suite jusqu’à créer une jungle inextricable de sociétés-écrans. C’est ce qui nous est arrivés il y a un peu plus de deux ans : mon client avait spéculé sur le café, en vendant à terme 1000 tonnes de café à environ 2000 dollars la tonne, c’est-à-dire en s’engageant à acheter 100 tonnes de café deux mois plus tard, au cours qu’il aurait à ce moment-là, pour le revendre immédiatement au cours qu’il avait en passant la transaction. Malheureusement pour lui, un gel très important s’est abattu sur les hauts plateaux d’Afrique du sud producteurs de café peu avant la récolte ; de sorte que le prix du café a grimpé en flèche, et il aurait dû en être réduit à acheter son café 6 millions de dollars pour le revendre 2 millions (oui, je suis désolé, c’est plus trop du City Hunter, ça ressemble davantage à du Paul-Loup Sulitzer, mais essayez de tenir bon c’est presque fini ^_~). Mais il ne l’a pas fait, il a essayé de disparaître derrière l’anonymat des sociétés-écrans qu’il avait crées pour l’occasion.  

C’est fou comme cela ressemble à du Paul-Loup Sulitzer, songea Ryô, de toute façon beaucoup moins intéressé par l’histoire - si encore elle avait remplacé le mot “café” par “string” ! - que par la conteuse. Megumi Asatani parlait avec une précision glacée, sans paraître impliquée par ce qu’elle racontait. Etait-ce sa vraie personnalité qui s’exprimait ainsi, ou bien s’efforçait-elle de dissimuler la véritable Megumi Asatani sous une épaisse couche de maîtrise ?  

Le regard de Ryô se posa sur les mains gantées de la jeune femme, serrées autour de la tasse dont elle venait de boire une gorgée, s’interrompant dans son récit.  

- Il a essayé de disparaître, reprit-elle, mais il n’y a pas réussi. Nous avons pu établir le lien entre son identité et celle de la société qui avait passé la transaction, et ainsi l’obliger à honorer son contrat. Pour résumer ce qui s’est passé alors, sa spéculation l’a conduit à la faillite, et sa tentative d’escroquerie l’a mené tout droit en prison, où il est resté deux ans. Mes ennuis ont commencé quand il en est sorti, il y a 3 mois de cela. Le soir, quand je revenais de mon travail, je me sentais épiée, suivie... Plusieurs jours se sont passés, et cette impression devenait de plus en plus forte, quand je me suis rendu compte que je ne pouvais plus marcher dans la rue sans qu’une silhouette me suive, toujours la même, à quelques dizaines de mètres de distance... Une fois, je suis revenue en taxi, parce que je ne supportais plus cette filature continuelle ; le lendemain, personne ne m’a suivie, mais quand je suis rentrée dans mon appartement, il avait été dévasté...  

Megumi Asatani marqua une nouvelle pause. Sa voix s’était échauffée, son attitude était moins rigide. Pour la deuxième fois, Ryô sentit percer la véritable Megumi sous le masque, laissant apercevoir des sentiments dont la violence troublait l’équilibre de son joli visage.  

- Bien entendu, vous avez prévenu la police, mais sans résultat ?  

Elle acquiesça.  

- Je leur ai parlé de la filature, mais ils n’y ont pas attaché d’importance... Ils m’ont même fait comprendre qu’une jolie femme ne devait pas s’étonner d’être suivie dans la rue, dit-elle d’une voix que la colère faisait à nouveau légèrement trembler.  

Ryô sourit intérieurement.  

- Je leur ai raconté mon histoire, je leur ai dit que l’homme qui me suivait, celui qui avait dévasté mon appartement, et celui qui venait de sortir de prison n’étaient sans doute qu’une seule et même personne, rajouta-t-elle. Malheureusement, ils n’ont pu trouver aucune preuve pour confirmer cette hypothèse, même si j’ai le sentiment très net qu’ils ne se sont pas donnés beaucoup de mal à chercher !  

- Oui, le comportement de la police est parfois scandaleux, approuva Ryô, avec une pointe d’amusement dans la voix. Ceci dit, je ne comprends pas très bien pourquoi vous êtes aussi sûre que votre client malchanceux et la personne qui vous suit ne font qu’un... Qu’il soit sorti de prison à ce moment-là n’est peut-être qu’une simple coïncidence...  

- Je ne le crois pas, répondit vivement Megumi Asatani. En fait, j’appréhendais le moment où il serait libéré, car je pense qu’il me considère comme l’unique responsable de sa faillite et de son emprisonnement. Je crois qu’il attachait beaucoup d’importance à nos entrevues...  

- Une importance qui n’était pas que professionnelle, compléta Ryô. Et cet attachement qu’il éprouvait pour vous l’a amené à commettre des imprudences, qui ont causé sa perte un peu plus tard, c’est cela ?  

- Oui, on peut résumer ça ainsi, convint-elle. Cet homme avait apporté avec lui tous les instruments de sa future déchéance, mais je le crois incapable de comprendre qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Et j’ai peur que l’attachement qu’il éprouvait pour moi ne se soit changé en obsession.  

Ryô hocha la tête.  

- Ce ne serait pas la première fois qu’une très belle femme ferait perdre la tête à un homme, admit-il. Moi, par exemple, cela m’arrive tous les jours... Enfin... Quoiqu’il en soit, vos problèmes ne se sont certainement pas arrêtés là, sans quoi vous ne seriez pas assise en face de moi aujourd’hui.  

- C’est exact, répondit-elle. Après que j’ai fait appel à la police, je n’ai plus été suivie, mais ça n’a pas duré longtemps : la semaine suivante, la silhouette était à nouveau là. J’ai été suivie ainsi plusieurs jours de suite, jusqu’au soir où j’ai pu rentrer sans remarquer aucune présence anormale derrière moi. Mais, quand je suis arrivé chez moi, il était là, caché... Il était habillé en noir, il portait une cagoule noire, et il s’est jeté sur moi au moment où j’essayais d’ouvrir la porte de mon appartement. Il m’a bâillonné avant que je puisse crier, et il m’a serré dans ses bras, de plus en plus fort, à m’étouffer. Je commençais à croire que j’allais mourir, mais il m’a subitement lâchée avant de s’éloigner rapidement. Quelques secondes plus tard, un de mes voisins est arrivé, et...  

- Vous avez dû avoir très peur, la coupa Ryô, tout en étudiant attentivement ses réactions. Megumi Asatani avait pris un ton dramatique pour décrire cette scène d’agression, mais sa voix était à nouveau assurée et ne tremblait plus. Apparemment, cette jeune femme se laissait plus facilement aller à la colère qu’à la peur...  

- Evidemment, répondit-elle sèchement. J’ai cru mourir de peur, au point que j’ai essayé de mettre le plus de distance possible entre moi et cet homme. Mon agence a été très compréhensive, et dès le lendemain je me suis envolée pour le Japon, avec pour mission de nouer quelques contacts sur le marché japonais. J’espérais être hors d’atteinte, mais depuis avant-hier j’ai à nouveau cette sensation horrible d’être épiée en permanence... Je ne sais pas comment une telle chose est possible, mais je suis sûre au fond de moi-même qu’il s’agit de cet homme... Je vous en prie, M. Saeba, protégez-moi de lui, j’ai peur !  

La voix de la jeune femme s’était faite implorante, et ses mains s’étaient crispées sur la table. Ryô la fixa plusieurs secondes, tenta d’allonger ses jambes sur la table, y renonça, puis la regarda à nouveau. De toute évidence, elle attendait une réponse.  

- Une chose me préoccupe, dit-il. Avec votre métier, vous ne devez pas avoir beaucoup de contacts avec le milieu, non ? Et pourtant vous avez entendu parler de moi... Je ne dis pas que ça ne me fait pas plaisir, au contraire, mais tout de même il y a peu de New-yorkaises qui ont déjà entendu le nom de City Hunter...  

- Il y a cependant au moins une personne qui a entendu parler de vous là-bas, répondit-elle sans le moindre embarras, et qui m’a convaincue d’utiliser vos services.  

Ryô leva les sourcils.  

- Ah oui, c’est vrai, j’en connais au moins une. Elle ne s’appellerait pas Sayuri, par hasard ?  

- Elle m’a expressément demandé de ne pas dire son nom... Dans mon métier, la discrétion est de rigueur, vous savez, termina-t-elle avec un petit sourire professionnel, comme si elle voulait le convaincre de s’abonner au Nasdaq Official Bulletin.  

Ryô haussa les épaules, songeant à part lui que la soeur de Kaori n’avait aucune raison de ne pas leur donner de ses nouvelles. Son regard vagua ça et là dans la salle. Autour d’eux, quelques clients leur jetaient encore des regards furtifs, mais à part certains acharnés la plupart semblaient s’être habitués, à la longue. Ses yeux franchirent sans difficulté le barrage légèrement teinté des baies vitrées, se posant sur la rue. Beaucoup de voitures passaient, à cette heure-là... Une Honda bleu outremer, d’aspect ancien ; une Alfa-Roméo vert, coupé ; une Ford Mustang grise...  

La voix de sa cliente lui fit oublier le balai des voitures. Elle disait :  

- Acceptez-vous ma demande ? Je vous supplie de m’aider : comme vous venez de me le faire remarquer, je n’ai pas d’autres contacts dans le milieu, et je suis seule ici. J’ai besoin d’un garde du corps, et je doute que la police du japon me donne un agent simplement parce que j’ai l’impression d’être suivie... Vous êtes mon seul espoir, acheva-t-elle en joignant les mains.  

Megumi Asatani se pencha en avant, offrant à Ryô par l’échancrure du tailleur la vision adorable d’un soutien-gorge mauve, orné de dentelles et de petits coeurs, tendu sur une peau mate et veloutée. Une fois encore, il eut la tentation de tirer sur la bretelle, entrevue derrière l’étoffe de satin blanc, mais il résista. Les gens d’ici se choquaient facilement, et il ne tenait pas à avoir sur la conscience la mort d’Alfredchan le récepsionniste apoplectique. Sans compter que les gifles données avec des gants faisaient particulièrement mal... Bon. Se poser trop de questions ne servait à rien ; et puis, il ne devait pas perdre de vue que la cliente était un authentique canon, les nuits risquaient d’être chargées mais très agréables. Ryô sourit. Sans compter que, par certains côtés, cette demande l’arrangeait beaucoup...  

Lassée d’attendre, la jeune femme avait à nouveau plaqué son dos contre la banquette, mettant hors de vue un petit grain de beauté que la moitié au moins des hommes dans la pièce avait repéré.  

- Je suis d’accord pour vous protéger, dit-il finalement, mais à condition que vous m’en donniez les moyens.  

- Ce qui signifie ?  

- Que je dois connaître votre emploi du temps en permanence, de façon à pouvoir me trouver constamment à proximité de vous. Et surtout...  

- Surtout ?  

Le sourire de Ryô s’accentua, mais son visage demeura grave. Il était hors de question de faire capoter les négociations en se montrant trop lubrique.  

- Nous devons loger ensemble. Sans quoi, il m’est impossible de vous protéger convenablement.  

Elle s’empourpra. Ce n’était pas de la gêne, mais de la colère, et ce fut violemment qu’elle répliqua :  

- Loger ensemble ?? C’est ridicule ! Que vous me suiviez dans mes déplacements, je le comprends, mais de là à loger ensemble !  

Les coups d’oeil furtifs dans leur direction s’était multipliés, la plupart des gens regardant Ryô comme s’il venait de faire à la jeune femme une proposition indécente. Ignorant les bla bla, il soutint sans broncher les magnifiques yeux noirs qui lançaient des éclairs dans sa direction.  

- Et si vous êtes attaquée la nuit, comment pourrais-je vous protéger ?  

- Pourquoi croyez-vous que j’ai choisi cet hôtel ? le questionna-t-elle en guise de réponse, les pommettes encore un peu rouges. Il y a un vigile à l’entrée de l’hôtel, dans le parking, et un réceptionniste de jour comme de nuit. Ma chambre ferme à clef, elle est solide, et je me vois mal l’ouvrir en pleine nuit à n’importe qui.  

- Il existe plusieurs façons d’ouvrir une porte fermée à clef, répondit Ryô en faisant son visage sérieux. Et, pour ce qui est de pénétrer dans l’hôtel, ce n’est pas une épreuve insurmontable non plus ; les hôtels sont aussi faits pour les gens qui rentrent tard la nuit, ce ne sont pas des forteresses inviolables... D’ailleurs, votre homme pourrait déjà être à l’intérieur, comme employé... Ou, plus probablement, comme client.  

Elle pinça les lèvres. Cela ne la rendit pas moins belle, contrairement à beaucoup de femmes, mais rendit sa jeunesse évidente. Visiblement, elle n’avait pas pensé qu’il insisterait autant sur ce point. Son regard se durcit.  

- Je ne sais pas ce que je préfère, dit-elle, me faire agresser ou bien n’avoir plus de vie privée. C’est dommage, j’avais prévu de vous donner 50 000 yen par jour de protection... Et je ne sais plus si j’ai vraiment envie de vous employer !  

Un léger frisson saisit le nettoyeur quand il pensa à la réaction de Kaori si elle apprenait qu’il avait laisser filer un boulot aussi bien rémunéré. Et puis il se dit que, étant donné les criconstances, le plus probable était qu’elle n’aurait pas de réaction du tout, ce qui était encore plus déprimant.  

Allons ! Il se secoua : il avait une partie à jouer, qu’il entendait bien finir. Pour le moment, il devait rester concentré sur chaque détail : si Machiavel n’était pas loin - et de cela l’Eléphant l’avait convaincu - alors le danger pouvait être présent à n’importe quel moment, sous n’importe quelle forme. Par exemple, en voyant Megumi Asatani, qui était belle, beaucoup trop belle...  

- Vous pourriez prendre une des chambres contigues à la mienne, non ? proposa la jeune femme. Chambre que je paierai moi-même, en plus de vos honoraires, cela va de soi...  

Ryô secoua la tête.  

- S’il doit y avoir des problèmes, je préfère que cela se passe dans un endroit que je connais et où il n’y a pas des dizaines de personnes étrangères à l’affaire. Je peux vous proposer une chambre dans l’immeuble que j’habite : ça ne vaut pas un hôtel quatre étoiles, c’est vrai, mais vous y serez beaucoup plus en sécurité, le temps d’attraper le détraqué qui vous veut du mal.  

Comme il s’y attendait, Ryô vit le joli visage aux boucles brunes s’obscurcir. A l’évidence, cet arrangement ne lui convenait pas du tout. Pour éviter des discussions inutiles, il leva une main.  

- Et je sais que vous allez accepter ; vous avez besoin de moi, sans quoi vous ne seriez pas restée à discuter aussi longtemps alors que je vous énervais autant.  

Il lui fit un sourire éclatant - son sourire spécial vraiment-quel-temps-magnifique la-vie-est-belle -, qui prit la jeune femme par surprise et lui fit ravaler les mots secs qui montaient à ses lèvres. Elle parut décontenancée, et l’espace d’un instant ce fut une autre femme que Ryô vit en face de lui : moins dure, plus humaine. La seconde suivante le mur d’indifférence hautaine était reconstruit, avec un changement cependant : la colère avait laissé la place à de la résignation.  

- Je reconnais avoir besoin de vous, dit-elle. J’accepte vos conditions, mais à partir de demain : pour cette nuit la chambre est payée, je déménagerai demain matin. Nous sommes bien d’accord, M. Saeba ?  

- Parfaitement d’accord... Si vous me laissez coucher dans votre chambre cette nuit, bien entendu.  

Elle eut un mouvement d’humeur, vite réprimé cependant. Et Ryô songea que pour une femme elle avait des nerfs d’une solidité peu commune.  

- Allez au diable, murmura-t-elle.  

- Avec plaisir, si les plus jolies femmes sont en enfer, répliqua-t-il en souriant. Voulez-vous qu’on aille chercher vos affaires tout de suite ? Il est bientôt midi, je vous invite à déjeuner. Vous verrez, je suis sûr que vous trouverez la pension Saeba tout à fait à votre goût... Et puis, ce sera l’occasion de vous présenter ma partenaire !  

 

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