Hojo Fan City

 

 

 

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Rated R - Prose

 

Auteur: patatra

Status: En cours

Série: City Hunter

 

Total: 23 chapitres

Publiée: 02-03-11

Mise à jour: 19-07-22

 

Commentaires: 159 reviews

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GeneralDrame

 

Résumé: City Hunter n’existe plus. Après avoir accepté une mission, Kaori rencontre un homme qui veut détruire City Hunter et qui y réussit. Qui est cet homme ? Que veut-il à Ryo ? Comment réagit Kaori ? Pourquoi Ryo perd-il son ange ?

 

Disclaimer: Les personnages de "Le vent", excepté celui de Keiji, sont la propriété exclusive de Tsukasa Hojo. Le personnage de Keiji m'appartient exclusivement.

 

Astuces & Conseils

Je vais bientôt avoir 18 ans. Est-ce que je peux avoir accès à la section NC-17?

 

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   Fanfiction :: Le vent

 

Chapitre 10 :: Au delà des apparences

Publiée: 08-04-11 - Mise à jour: 19-07-22

Commentaires: chapitre mis à jour le 19/07/22

 


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CHAPITRE 10 : AU DELA DES APPARENCES
 

 

 

 

— J’y crois pas à ces menaces, se permit d’intervenir Umibozu.  

 

Assis sur le canapé, les bras croisés, il faisait face au nettoyeur numéro un du Japon qui le dévisageait avec presque espoir. Après le coup de téléphone du ravisseur, Ryô avait laissé une certaine appréhension le gagner. Rien n’était précisément définissable et la confusion perturbait sa réflexion mais il ne parvenait pas à prendre du recul sur la situation. Il n’était guère coutumier de ces affres alors que Kaori avait été si souvent enlevée. Qu’est-ce qui changeait dans l’affaire actuelle ? Peut-être la personnalité incernable de l’ennemi ? Ses capacités, son adresse ? Ses menaces explicites ? Mais la réalité était que des spasmes douloureux engourdissaient les membres du grand Saeba, des visions cauchemardesques colonisaient son cerveau sans qu’il ne puisse les chasser. Il s’était bien évidemment remémoré l’épisode des vêtements trouvés dans l’entrepôt dès le premier jour du kidnapping. Certainement que l’autre malade avait pris son pied devant le spectacle d’une Kaori que Ryô imaginait désorientée par la pertinence de son ravisseur. Qui donc connaissait sa manie de mettre des micros sur ses clientes et sur sa partenaire ? Très peu de monde en fait, il fallait en convenir. En tout cas, aucun des ennemis qu’il avait dû affronter jusqu’alors. Celui-ci était indéniablement parfaitement renseigné. Il savait. Il dominait d’une certaine façon. Ses singularités le rendaient éminemment dangereux, Ryô en avait une inébranlable conviction et son instinct le trompait rarement.  

 

Qui plus est, les menaces nauséabondes contre sa partenaire avaient de quoi sérieusement inquiéter, l’hostilité inouïe et indiscutable que lui inspirait le nettoyeur était à ce sujet du plus mauvais présage. Du moins, c’est ainsi que pensait Saeba. Que risquait donc Kaori avec ce désaxé en ce moment-même ? Le japonais avait lutté toute la nuit pour refouler les images insupportables qui l’accablaient, et, étrangement, contre toute attente, alors qu’il se débattait contre ses démons, il s’était fait cueillir par un sommeil salutaire, vierge de tout songe, apaisant.  

 

Inconsciemment, il avait activé ce réflexe de protection, sombrant dans le monde cotonneux, seule échappatoire possible à ses délires névrotiques. Il s’était ainsi soustrait, bien malgré lui, aux tortures nocturnes promises par le monstrueux coup de fil. Le réveil avait eu un goût irréel, Ryô ne comprenant pas pourquoi son esprit s’était déconnecté la veille pour se réfugier dans les bras de Morphée, abandonnant la lutte intérieure pour le salut de Kaori, capitulant pour ne pas perdre la raison. Aussi, au petit matin, il avait culpabilisé de s’être laissé gagner par la torpeur réparatrice. Il se refusait à analyser froidement la situation, et restait sourd à ce que son cerveau hurlait : TOUT CELA NE COLLAIT PAS.  

 

Il s’embourbait au contraire dans des angoisses inhabituelles.  

 

Il était incapable de discerner les incohérences de l’histoire, trop absorbé par l’unique obsession de son cœur : Kaori. Il ne percevait pas le côté froid et calculateur de son ennemi, trop écœuré par le ton tendancieux et salace qu’il prenait lors de leurs joutes téléphoniques. Keiji sortait vainqueur pour le moment, il avait misé, fort justement, sur l’attachement viscéral du nettoyeur pour sa partenaire et ce dernier devenait aveugle et sourd lorsqu’il s’agissait de celle qu’il s’était juré de protéger. Du coup, il ne parvenait pas à prendre le recul nécessaire à l’appréciation de la situation, analyser intelligemment, peser les faits avec perspicacité et lucidité. NON, il ne faisait que subir, ses sentiments le submergeaient et le plongeaient dans un abîme sans fond, la vérité lui échappait, le mirage fonctionnait, sa conscience s’altérait.  

 

Il avait tout d’abord voulu garder pour lui seul les informations que le kidnappeur lui avait vomies la veille au soir, voulant épargner ses amis, mais il s’était vite ravisé, ne pouvant assumer seul les recherches. De surcroît, malgré sa difficulté à l’admettre, il avait besoin d’un soutien moral et qui, mieux que ses fidèles amis, pouvait le rassurer et l’épauler ?  

 

La narration avait été des plus pénibles. Tous avaient pu réaliser les ravages des menaces sur le nettoyeur, son visage était creusé, ses mains trahissaient une nervosité à fleur de peau et son regard était plus noir que jamais. Miki et Kazue avaient blêmi et se refusaient d’envisager le putride danger qu’encourait leur amie, l’infirmière n’avait pu s’empêcher de jeter un regard sur l’homme de sa vie, connaissant la confusion des sentiments qui le liaient à la nettoyeuse. Mick semblait absent, les entrailles contractées à l’image de sa mâchoire. Il se retourna vite vers Saeko qui restait interdite, sous le choc des révélations :  

 

— Tu vois où ça nous mène toutes tes histoires ? Ton incapacité à assurer la sécurité d’une femme met Kaori dans la pire situation qui soit ! Quand vas-tu prendre tes responsabilités dans cette affaire Saeko ? lâcha-t-il excédé. Tu te ramènes toujours pour demander de l’aide sans vouloir payer, tu négocies le moindre sou, tu manipules. Tu mets tes meilleurs amis en danger et tu n’en as rien à foutre ! Aujourd’hui, tu proposes quoi pour aider Kaori, hein ? Qu’est-ce que la police de Tokyo va mettre en œuvre, je peux savoir ?  

— Je …, réussit-elle à balbutier, assommée par les reproches de l’américain.  

 

Elle regarda Ryô dans l’espoir d’un soutien. Il intervint :  

 

— Inutile de chercher des coupables là où il n’y en a qu’un seul ! Il faut qu’on les retrouve vite et…. je me chargerai de le liquider !  

— J’y crois pas à ces menaces, se permit d’intervenir Umibozu à la surprise générale.  

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’enquit Mick. Il te faut quoi d’autre pour que tu réalises ce que Kaori est en train de subir avec ce malade ?  

— Mick, sois un peu plus perspicace ! Ce mec est un professionnel, au même titre que nous, il a harcelé une jeune et magnifique femme. Il ne l’a jamais malmenée, ni menacée, il en a pourtant eu maintes fois l’occasion. Il n’a laissé aucun indice derrière lui, maîtrisant tout de A à Z, avec un sang-froid hors du commun, qu’on a rarement rencontré. Jamais quelqu’un n’avait réussi à nous tenir tête comme ça auparavant. Ça ne colle pas avec le profil d’un détraqué sexuel.  

— Tu oublies juste que ce mec en veut à Ryô ! La fin justifie les moyens dans notre milieu, non ?  

 

Mick avait craché ses paroles et la colère faisait vriller sa voix. Oui, il cherchait des coupables qu’il pourrait facilement fustiger, et son ancien partenaire et l’inspectrice étaient les premiers sur sa liste.  

 

— Comment mieux atteindre Ryô que par le biais de Kaori ? ajouta-t-il.  

 

Falcon sentit gonfler l’aura destructrice du nettoyeur japonais, il perdait pied dans les méandres de son impuissance, une certaine culpabilité ruisselait dans son corps et lui, Umi, l’ami de toujours, ressentait plus que quiconque la détresse de son compagnon d’aventures. Pour autant, il ne partageait pas ses craintes. Non pas qu’il n’eut aucun doute sur les intentions de ce type envers Kaori, non, il ne pouvait pas dire cela avec certitude, mais son instinct lui soufflait que le danger était ailleurs, qu’il fallait voir au-delà des apparences. Ses craintes ne touchaient pas à l’honneur de Kaori, elles concernaient plutôt son partenaire ou peut-être même le duo City Hunter. Tout tournait autour d’eux depuis le début. Cette Chizu n’était qu’un leurre, il fallait approcher le couple mythique, il fallait l’ébranler. Et quel succès ! Jamais Ryô n’avait paru aussi atteint, aussi affaibli, impuissant. Force était de constater que le nettoyeur, Mick, Miki et Kazue n’écoutaient que leurs cœurs. Le sang qui coulait dans leurs veines s’était échauffé et les deux hommes avaient soif de vengeance et de violence. La tension qui régnait dans la pièce était lourde d’inquiétude et d’impatience. Quant à Saeko, elle se démenait avec le sentiment de culpabilité que Mick lui avait craché au visage, elle se gardait donc d’intervenir.  

 

Falcon se sentit seul et se concentra sur son vieil ennemi. Comment ce grand professionnel pouvait-il être à ce point aveugle ? Il sourit intérieurement à cette remarque. Lui avait certes perdu la vue mais il était bien le seul à voir clair dans le jeu du ravisseur. Du moins le croyait-il, et ce petit doute, aussi infime soit-il, suffisait à le faire taire. Il ne se le pardonnerait jamais s’il arrivait quelque chose à sa petite Kaori alors que lui, aurait juré qu’elle ne risquait rien. Alors il se tut… Il entendit sa femme, recroquevillée sur elle-même, qui secouait la tête comme pour chasser le funeste présage. Il se leva et s’approcha d’elle, frôla sa main. Ce geste n’était pas très démonstratif. Falcon n’était pas très démonstratif, mais Miki, qui le connaissait parfaitement, comprit ses intentions et l’attouchement, aussi furtif fut-il, eut le don de l’apaiser.  

 

Bien qu’attentif au soulagement de son épouse, il songea au couple si particulier que formaient Ryô Saeba et Kaori Makimura. Depuis plusieurs semaines, le nettoyeur était insupportable et faisait mener une vie terrible à sa partenaire. Ses remarques assassines avaient atteint un degré de méchanceté inégalé. Il sortait de plus en plus, presque tous les soirs, et rentrait à l’aube dans des états pitoyables. Étrangement, les accès de colère d’une rare violence où Kaori se voyait reprocher à la fois son physique ingrat, ses qualités professionnelles médiocres, ses talents de cuisinières discutables ou encore sa propension maladive à la violence, alternaient avec des périodes d’accalmie inespérées. Lors de ces rares moments de paix, comme ces derniers jours, tout semblait rentrer dans l’ordre, et Ryô n’avait de cesse de se faire pardonner ses impardonnables déviances.  

 

Ce comportement inacceptable attirait les foudres de tous ses amis, l’incorrigible énergumène devait alors subir les multiples remontrances, particulièrement celles de sa femme qui n’excusait rien de ses outrances, les ultimatums désopilants de Mick, prêt à séduire celle qu’il maltraitait sans pitié s’il ne changeait pas radicalement d’attitude, ainsi que les mises en garde de Saeko et d’Eriko, désappointées devant la cruauté du japonais. Même Reika ne cautionnait pas son comportement. Falcon, lui, ne participait pas à l’unanime vindicte, il pressentait, au-delà des apparences, que cette violence incisive n’était pas destinée à la douce Kaori.  

 

Non, Ryô se démenait comme un diable, accablé par des sentiments qu’il reléguait dans les tréfonds de son cœur estropié, sentiments qu’il n’acceptait pas, qu’il voulait anéantir. Le seul moyen qu’il était parvenu à envisager pour s’éloigner de la source de son mal-être pourtant délicieux, c’était de s’y attaquer directement, dénigrer cette femme, la mortifier, l’humilier. Il se méprisait, se détestait d’agir ainsi mais était incapable de faire autrement, il ne voyait aucune issue à la chaleur déstabilisante qui l’envahissait lorsque son ange était près de lui. Falcon avait essayé de l’éclairer sur cette « chose » qu’il refusait en bloc, tentant de lui expliquer ce que lui ressentait lorsque Miki touchait sa main, que le son de sa voix tintait à ses oreilles comme la promesse de mille bonheurs, réinventés chaque jour qu’il partageait avec elle.  

 

Cela avait été pathétique ! Autant demander à une moule d’expliquer à une huitre le goût du chocolat ! Navrant ! Rouge comme une écrevisse, il n’avait réussi qu’à peiner davantage son ami :  

 

— Tu crois que la petite va supporter encore longtemps tes remarques désobligeantes ?  

— J’vois pas de quoi tu parles ?  

— Elle est amoureuse de toi et tu le sais. Et toi aussi tu as des sentiments …  

— Tais-toi ! C’est n’importe quoi ! Tu délires Umi !  

 

Ses yeux n’étaient pas muets, son orageuse colère s’y étalait. Si l’ancien mercenaire ne la vit pas, il en ressentit les décharges.  

 

— Pourquoi être méchant comme ça avec elle ? Tu sais, je ne la comprends pas, s’enticher d’un homme comme toi…  

— Qu’est-ce que j’y peux si elles tombent toutes raides dingues de moi, hein ? J’vais quand même pas me sacrifier pour lui faire plaisir. Je ne suis pas l’armée du salut.  

 

Il tentait une diversion, la discussion empruntant un chemin qui lui déplaisait.  

 

— Tu lui fais du mal Ryô…  

— … Je pourrai lui faire beaucoup plus mal encore, si …  

 

Il se tut.  

 

— Arrête tes conneries, c’est un conseil. Un jour, il y a un mec qui va débarquer et qui te l’enlèvera. Tu n’y verras que du feu, aveuglé que tu es par ton obsession de n’avoir aucune attache, de refuser ce qu’elle t’offre de peur de lui faire mal ou je ne sais quoi... Il la séduira et tu la perdras !  

 

Un silence gêné s’était installé entre eux, et c’est le nettoyeur qui le rompit en déclamant d’un air faussement enjoué :  

 

— La seule obsession que j’ai, tête de poulpe, ce sont les seins de ta femme ! Quant à l’autre folle qui me sert de partenaire, elle est pas près de plaire à un homme… AAAAHHHH !!!!!! si seulement ça pouvait être vrai tout ça. BON DEBARRAS et A MOI LES VRAIES FEMMES !  

 

Il était parti sans demander son reste, et Falcon ne sut que se taire et se maudire d’être si mauvais orateur. Il avait pourtant forcé sa nature, il n’avait jamais été aussi loquace.  

 

Et c’était encore ce sentiment qui lui brûlait la gorge en ce funeste jour, alors que tous ses amis serraient les poings…  

 

 

oOo
 

 

Ryô était assis en tailleur sur son lit et fixait le téléphone, il n’allait pas tarder à sonner, il le pressentait. Il fallait qu’il sonne ! Vite !! Mick, quant à lui, trompait son angoisse au salon. Il avait insisté pour être présent lors de l’appel quotidien du ravisseur, peut-être capterait-il un indice qui échappait au japonais. Ryô avait refusé net mais son ex-partenaire avait insisté, il ne lui laissait pas le choix, lui aussi avait besoin d’entendre, entendre pour y croire.  

 

Répondant à une impérieuse nécessité de solitude, le nettoyeur était monté dans sa chambre, abandonnant l’américain. Celui-ci n’y trouvait rien à redire, éprouvant à ce moment cette même envie d’isolement. Aussi l’un et l’autre, séparément, se perdaient dans des idées noires, visitaient des souvenirs de liesse partagés avec Kaori, l’un pestait contre lui-même, l’autre maudissait Saeko, l’inspectrice arriviste, avide de reconnaissance qui utilisait sans vergogne la sincère amitié que lui portait City Hunter pour assouvir une ambition dévorante. Quel autre appétit d’ailleurs pouvait-elle satisfaire ? Elle n’en éprouvait plus d’autre depuis la mort de Hide. Mick se servit quelques reproches en se remémorant les yeux sincèrement attristés de l’inspectrice alors qu’il lui reprochait le sort de Kaori… Kaori … Que pouvaient-ils mettre en branle pour la retrouver ? Ils avaient passé la journée à sillonner les quartiers désaffectés de Tokyo dans le chimérique espoir de ressentir l’aura de la nettoyeuse. Voilà à quoi ils en étaient réduits ! Chercher une aiguille dans une botte de foin. Consternant !  

 

La sonnerie stridente du téléphone le sortit de ses songes, deux sonneries retentirent puis… plus rien… Ryô avait décroché. Mick se précipita dans les escaliers qu’il gravit quatre à quatre et pénétra dans la chambre. Le brun mit le haut-parleur :  

 

— Comment vas-tu Saeba ? Tu as passé une bonne nuit ? s’enquit une voix presque lascive.  

— On n’en a rien à foutre de mes nuits ! Comment vont les filles ?  

— Quel accueil ! Tu as de la chance que je sois bon prince, je ne vais pas t’en tenir rigueur. Et puis tu es très tendu ces derniers temps, je peux comprendre. Je prends bien soin d’elles, sois rassuré.  

 

Un silence s’installa et Keiji précisa :  

 

— Dis-donc Saeba, c’est une vraie teigne ta partenaire. Elle me donne du fil à retordre…  

— Qu’est-ce que tu croyais pauvre type ? Elle est City Hunter, c’est une guerrière !  

— Mais je ne me plaignais pas, tu as mal interprété mes paroles. Je trouve ça plutôt excitant à vrai dire.  

— Ta gueule ! … Si tu lui fais du mal… !  

 

Keiji prit un rire sadique et ajouta :  

 

— C’est terrible, n’est-ce pas Saeba, de savoir qu’on fait souffrir la femme qu’on aime ? Qu’on ne peut rien faire pour empêcher cela ? Strictement rien ! Tu ne peux pas la sauver, tu ne peux pas éviter ce qui va lui arriver… Tu es impuissant.  

 

Son ton avait imperceptiblement changé mais Ryô ne le ressentit pas, fasciné qu’il était par les poings de Mick qui se contractaient et faisaient blanchir ses jointures. Keiji continua :  

 

— Je sais ce que c’est que cette souffrance, Saeba ! Le vide qui t’envahit, la haine, les remords...  

— Je vais te tuer !... murmura Ryô.  

— Je sais, tu me l’as déjà dit, tu te répètes… mais mine de rien, je suis assez d’accord avec toi. Ça ne pourra se terminer qu’avec la mort de l’un de nous deux. Cependant, je ne suis pas aussi catégorique que toi sur l’issue de notre prochain duel.  

— C’est que tu me connais bien mal, espèce d’ordure. Tu n’imagines pas le plaisir que je vais prendre à éclater ta cervelle.  

— C’est ça ! Rêve toujours Saeba ! Pour le moment celui qui prend du plaisir, ce n’est pas toi… N’est-ce pas ?  

 

Adossé contre le mur, Ryô se laissa glisser doucement. Son ennemi poursuivit :  

 

— Cherche-moi Saeba… Bouge-toi ! Je te rappelle demain, même heure.  

 

Le bip du téléphone déclencha une bombe dans la tête de Ryô. Un gémissement s’échappa de sa bouche alors qu’il refoulait difficilement la colère qui enserrait son ventre. Mick s’assit à ses côtés.  

 

 

oOo
 

 

 

Elle déambulait dans la cour depuis plusieurs minutes, tandis que Keiji la contemplait silencieusement, adossé contre le mur poussiéreux, les bras croisés sur la poitrine. La semi-obscurité lui permettait de l’observer à loisir sans craindre qu’elle n’interprétât mal son regard appuyé. Il détaillait les plis de sa jupe qui se soulevaient selon les mouvements et constata, non sans un sourire, que les écorchures de ses genoux formaient maintenant des croûtes disgracieuses. Ces deux monstres marrons sur la peau blanche de ses jambes le renvoyèrent à cette rencontre fortuite dans le cimetière, la chaude et malvenue impression laissée alors que leurs mains s’étaient trouvées. Pourquoi avait-elle rougi ? L’ombre rosée colorant ses joues n’interpellait que maintenant le jeune homme, il n’y avait guère fait attention ce jour-là. Elle se tourna vers lui, interrompant sa réflexion. Ses sourcils étaient froncés de malaise ; elle était visiblement troublée par le silence qui les unissait.  

 

— Vous avez appelé Ryô, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous exigez pour nous libérer ?  

— La curiosité est un vilain défaut Kaori mais je peux comprendre que, dans votre position, quelques informations complémentaires soient rassurantes. Sachez que, pour le moment, je vous garde avec moi sans rien exiger de votre partenaire.  

 

La nettoyeuse afficha une moue suspicieuse, doublée d’un regard incrédule.  

 

— C’est complètement stupide ! grogna-t-elle. Quel est l’intérêt de nous enlever si vous n’avez rien à réclamer en échange de notre libération ?  

 

Kaori était d’humeur belliqueuse, l’agressivité couvait sous le ton employé.  

 

Un vrai pitbull.  

 

La nettoyeuse avait clairement l’envie d’en découdre, ce qui eut comme effet d’amuser son ravisseur. Il était étrange comme elle avait le don d’aiguiser sa curiosité, il nourrissait à son égard un intérêt loin d’être anodin.  

 

— Chizu et vous n’êtes ici que pour servir d’appât.  

— D’appât ? Vous allez à la pêche ?  

— À la pêche au gros, convenez-en.  

— Ryô ? ne s’enquit-elle que pour la forme.  

 

Il fit signe de la tête. Elle soupira et son soupir avait le goût de la moquerie.  

 

— Ryô est un hunter, un chasseur. Il méprise les pêcheurs tels que vous, ceux qui restent sur la berge et ne se mouillent pas pour capturer leurs proies. Ceux qui utilisent des leurres. C’est tellement pathétique, persiffla-t-elle.  

— Vous êtes en grande forme ce soir, reconnut-il, pas ému le moins du monde par la récente tirade. J’aime vos jugements nuancés.  

 

La rouquine, manifestement vexée par son ravisseur, éructa quelques baragouinages incompréhensibles. Ses pas résonnèrent dans le silence de la cour gagnée par la nuit, elle s’éloigna de lui autant que le permettait l’exiguïté du lieu.  

 

— Je ne comprends pas, revint-elle à la charge quelques secondes plus tard. Nous vous servons d’appâts, alors qu’attendez-vous pour lui dire de venir nous chercher ?  

— Ce n’est pas aussi simple.  

— Je ne vois pas pourquoi ?  

— Vous n’êtes pas joueuse Kaori ! Réfléchissez un peu, faites un effort. Je veux juste le faire… patienter, mariner, tempêter, fulminer… avant qu’il ne parvienne jusqu’à vous.  

— Vous devez beaucoup vous ennuyer dans la vie pour avoir besoin de vous divertir ainsi, dit-elle d’un ton acerbe et faussement charitable.  

 

Un rire franc naquit dans la gorge masculine, ce qui affola encore davantage le flegme de la nettoyeuse. Les yeux noisette encolérés se fixèrent sur leurs homologues. Kaori afficha bien vite un rictus dédaigneux et Keiji devina que la langue acérée allait bientôt asséner une diatribe virulente.  

 

— Vous savez Keiji, il est grand temps qu’une personne sensée vous rabatte le caquet ! Vous croyez-vous vraiment capable de faire ne serait-ce que sourciller mon partenaire ? Vous pensez être un ennemi différent de ceux que nous avons combattus jusqu’ici ?  

 

Une petite pause lui permit de capter plus étroitement l’attention de celui qu’elle se plaisait à invectiver.  

 

— Vous pensez être un ennemi redoutable et différent, vous glorifiez vos talents exceptionnels, votre plan intelligent mais à bien y réfléchir vous n’êtes qu’un yakuza sans saveur, parfaitement insipide. Vous vous servez de moi pour atteindre Ryô, ni plus ni moins que ce qu’ont fait bon nombre de nos adversaires ces dernières années. Savez-vous où sont nos ennemis à l’heure qu’il est, Keiji ?  

— Dites-moi, murmura-t-il à quelques centimètres de la jeune femme enfiévrée.  

— Ils croupissent en prison, asséna-t-elle avec solennité. Et vous y croupirez aussi très bientôt, c’est moi qui vous le dis.  

— Oh, frissonna-t-il pour la railler. J’ai très peur.  

— Gouaillez autant qu’il vous plaira, vous n’échapperez pas à votre destin.  

 

Elle s’éloigna à nouveau, se réfugia contre le mur opposé à son ravisseur et le toisa avec tout le mépris qu’elle pouvait réunir et afficher sur son visage. Imperturbable, son ennemi soutint le fiel qu’elle irradiait avec superbe.  

 

— Pourquoi garder Chizu aussi ? Pourquoi ne pas libérer ma cliente ?  

— J’ai mes raisons, répondit-il après quelques secondes d’hésitation.  

— Je vous promets d’être une prisonnière modèle et obéissante, s’adoucit-elle sans parvenir à gommer la sournoiserie de son intonation. Ne vous suis-je pas suffisante ?  

 

Il émit un léger rire qu’elle détesta.  

 

— Oh si, vous me suffiriez, lança-t-il en toute conscience du double sens de ses paroles.  

 

Un grognement animal enfla dans la gorge de City Hunter. Cet homme puait l’arrogance et ses insinuations l’exaspéraient.  

 

— Vous voulez faire du mal à Ryô, n’est-ce pas ? questionna-t-elle.  

— Effectivement, je le reconnais.  

— Pourquoi ?  

— J’ai mes raisons.  

— Vous allez vous heurter à plus fort que vous Keiji. On ne fait pas mal à Ryô Saeba aussi facilement, il ne se laisse pas intimider !  

— Ah bon ? Même lorsqu’il s’agit de vous ?  

— J’ai été enlevée un nombre incalculable de fois, je le répète. Et jamais Ryô n’a craint quoi que ce soit. Pourquoi croyez-vous qu’il en serait autrement avec vous ?  

— Parce que je vous ai mise à nu…  

— Les récepteurs placés sur moi ? Pouah, cette technologie fonctionne une fois sur deux, assura-t-elle. Rien de déroutant !  

 

C’était un mensonge mais elle avait insufflé toutes ses facultés de bluff dans sa remarque pour déstabiliser l’homme qui lui faisait face.  

 

Il sourcilla.  

 

— Vos massues…  

— À l’heure qu’il est, il doit vous acclamer et vous glorifier pour ce succès. Il en rêvait et vous l’avez fait !  

— Parce qu’il n’a aucune idée de là où vous vous trouvez, qu’il est désorienté.  

— Ben il pourrait bien en profiter pour faire la fête et s’envoyer en l’air avec tout ce qui possède un bonnet D à Tokyo, grommela-t-elle avec rage.  

— Parce qu’au téléphone il se montre fébrile et inquiet pour vous. Il vous réclame, abandonna-t-il en s’approchant d’elle le regard en flamme, échauffé par la conversation.  

 

La nettoyeuse temporisa. Elle eut besoin de quelques secondes pour intégrer ce que Keiji lui balançai à la figure. Ce n’était pas vrai, ça ne pouvait pas être vrai. Ryô n’était jamais fébrile.  

 

— Alors il vous mène royalement en bateau, pouffa-t-elle, consciente de l’avantage qu’elle prenait dans leur joute verbale. Ryô n’est jamais fébrile, il ne craint personne, il est invincible. Il vous balaiera comme il en a balayé des centaines avant vous. Et vous viendrez alors allonger la liste impressionnante de ses succès. Une ligne de plus : Keiji écrasé par City Hunter. Keiji derrière les barreaux.  

— Ça fait deux lignes, non ?  

— Ouais, retenez la forme. Le fond, lui, est inattaquable.  

 

L’homme s’était positionné à quelques centimètres d’elle ; un pas ne les séparait pas. Immense, il lui parut immense, bien plus grand qu’elle ne l’avait jamais perçu. Elle dut lever haut le regard pour croiser le sien. Le menton droit et fier, son ennemi l’observait, la transperçait de son regard ambré implacable. Elle frissonna.  

 

— J’avais oublié, lui répondit-il d’un ton glacial et méprisant. Le grand City Hunter n’a jamais peur de rien. C’est ça ? L’homme le plus craint du milieu, l’Ange de la mort ! Regardez-moi bien, Madame Saeba, ai-je l’air d’avoir peur de lui ?  

 

D’un mouvement rapide et preste, sa poigne s’empara du visage de sa captive et le maintint fermement à sa merci. Par réflexe, elle crispa ses doigts sur le bras qui la malmenait pour le faire lâcher. En vain. Et sous l’étoffe de la veste, elle devina une musculature entraînée, des muscles d’acier.  

Il approcha dangereusement son visage du sien et balaya du regard les traits de Kaori avec une attention soutenue, presque inconvenante. Il détailla le grain de sa peau, les rondeurs de ses joues, la soie de ses cils, la profondeur de son regard, actuellement braqué sur lui avec sévérité. Très lentement, sa main migra sur sa mâchoire afin de libérer les lèvres bâillonnées.  

 

Kaori vit avec effroi la concentration de son geôlier se poser sur cet endroit précis. Son cœur accéléra dans sa prison thoracique.  

 

— Et bien vous devriez ! le mit-elle en garde dans un murmure.  

 

La bulle d’intimité qui les unissait éclata dans la seconde. Les iris dorés se relevèrent pour venir narguer ses homologues noisettes.  

 

— Vous êtes très jolie, concéda le jeune yakuza. Et complètement folle de votre partenaire… Oui, tellement amoureuse que vous en êtes aveugle !  

 

Il rit à gorge déployée, blessé dans l’orgueil dont il se croyait démuni, par une femme – celle-ci – qui osait lui tenir tête en affichant clairement sa confiance absolue dans l’homme qu’il haïssait le plus au monde.  

 

— Je dois reconnaître qu’il a vraiment tout pour faire tourner la tête des femmes ! C’est non seulement un sniper hors pair, réputé dans le monde entier pour son adresse inégalée, son sang-froid légendaire. Mais en plus de cela, c’est un amant merveilleux… L’étalon de Shinjuku… L’homme aux mille femmes… Et qui mieux que celle qui partage sa vie au quotidien peut succomber au charme extraordinaire de cet homme d’exception ? Alors, dites-moi Kaori, au lit, est-ce si merveilleux que cela ?  

 

Il avait débité ses paroles avec un rire moqueur à peine étouffé, il savait très bien que jamais le nettoyeur n’avait touché la femme qu’il regardait maintenant avec la rage d’une jalousie insoupçonnée.  

 

— Alors c’est ça ? osa-t-elle répondre sur le même ton. Une pathétique jalousie d’homme mal placée ! Oh, vous me décevez Keiji !! Ha ha, Ryô est plus adroit que vous un pistolet à la main ? Mais il n’y a pas photo mon pauvre ami, et le doute n’est pas permis, il ne m’effleure même pas ! Quant à ses conquêtes, vous ne pourrez jamais lui arriver à la cheville, Ryô est ainsi fait, toutes les femmes sont folles de lui et, pire, il ne fait rien pour séduire. Il est juste irrésistible.  

 

Elle avait pris un plaisir incroyable à asséner ses phrases assassines et avait prononcé le dernier mot en détachant chaque syllabe, avec une morgue frisant le dédain. C’est que le vous êtes vraiment très jolie avait induit un trouble dérangeant et lancinant dont elle souhaitait se débarrasser au plus vite. Pour le moment, elle simulait une surdité et une incompréhension salutaires.  

 

— Ai-je seulement quelque chose à envier à votre amoureux ? reprit calmement le mis-en-cause en dardant sur elle un regard lourd de sens. De toute façon, je me moque éperdument de ce que vous pensez. Saeba est un être égoïste et méprisable, une personne centrée sur elle-même, et il m’a suffi de voir comment il vous traitait pour en avoir confirmation.  

— De quoi parlez-vous ? questionna une Kaori en proie à l’incompréhension.  

— De ses sempiternelles critiques à votre encontre… entre autres.  

 

Un blizzard tourbillonnant chassa la fronde du regard habituellement prompt à batailler.  

 

— Je…  

 

Il parut étonné par sa réaction. Pensait-elle qu’il n’avait pas perçu les humiliations quotidiennes qu’elle subissait ?  

 

— Vous ne savez pas lire entre les lignes, interjeta-t-elle sans réellement penser ce qu’elle disait.  

 

Sa répartie désarçonna pourtant le yakuza. À ses yeux, elle était des plus pertinentes. C’est que Keiji avait parfaitement lu entre les lignes et il avait décrypté l’étrange mais néanmoins sincère et tumultueuse relation liant les deux membres de City Hunter.  

 

— Vous avez raison, reconnut-il. Il ne faut pas se fier à ce que vous laissez paraître. Je ne suis pas dupe de votre manège, je sais bien que vous donnez le change pour qu’on ignore que dans l’intimité vous vivez une passion torride.  

 

Le regard en coin, d’une complicité grasse, qu’il lui tendit alors qu’il déblatérait ses inepties eut le don d’énerver la rouquine. Elle fulmina.  

 

— C’est n’importe quoi ! Du grand n’importe quoi !  

— Voyons, persévéra-t-il dans la provocation, n’êtes-vous pas folle de lui ?  

 

Fâchée, vexée, consternée, elle croisa les bras et lui tourna le dos. Jubilant, il contempla les épaules froissées, en retira malgré lui quelque émoi.  

 

— Les sentiments qui vous lient m’intéressent au plus haut point, concéda l’homme dont les yeux d’ambre étincelèrent, mais pas de la manière dont vous l’imaginez.  

— Je n’imagine rien.  

— Je hais l’homme que vous aimez.  

— Lui aussi vous hait ! répondit-elle sans réfléchir, toujours de dos.  

 

Un éclair d’orage zébra le ciel à cet instant précis mais le tonnerre ne prit pas part au débat. Le vent peut-être se leva-t-il un peu et gonfla-t-il la jupe de Kaori. Indifférent au spectacle météorologique, Keiji gardait les yeux fixés sur le dos de sa captive, inspectant attentivement chacun de ses sursauts, souhaitant y discerner la réalité qui le chiffonnait.  

 

— Vous semblez être quelqu’un de sensé et d’intelligent, finit-il par verbaliser. Ne voyez-vous pas au-delà des apparences Kaori ? Ne voyez-vous pas Saeba tel qu’il est vraiment ?  

— C’est vous qui devriez vous interroger ! lança-t-elle en se retournant vivement. Que reprochez-vous concrètement à Ryô, vous semblez incapable de m’expliquer ?  

— On dit que l’amour est aveugle, déclama le yakuza en hameçonnant le regard noisette de la jeune femme. Je n’ai jamais été confronté à plus pathétique illustration de cet adage.  

— Que lui reprochez-vous ? réitéra-t-elle avec hargne.  

— Je ne remets pas en question les qualités professionnelles de Saeba, celles-ci je les connais, je peux presque dire que je les respecte. Mais l’homme qui se cache derrière est abject. Un homme sans âme, sans honneur. Dites-moi où vous voyez une trace d’humanité dans le parcours de l’homme que vous admirez tant ? Même vous garder auprès de lui est une preuve d’égoïsme !  

 

Leur échange n’avait rien d’apaisé, il tournait à l’affrontement, l’un et l’autre chassant l’embarras dont il était étreint par quelques répliques acrimonieuses.  

Pour le moment, Keiji avait l’avantage de son dernier monologue, Kaori restait tétanisée devant le venin qu’il venait de lui souffler au visage.  

 

— Vous dites n’importe quoi ! Vous ne le connaissez pas ! Vous devriez pourtant savoir qu’il n’a de cesse de poursuivre la crapule pour défendre les opprimés.  

— Rassurez-moi, Kaori, vous plaisantez ? … Vous le prenez pour Zorro, là ! Vous parlez de la défense des faibles femmes qu’il protège au péril de sa vie et de la vôtre ? Êtes-vous plus aveugle encore que je ne l’imaginais ? Une succession d’épisodes grandiloquents à la gloire de Saeba, où le grand seigneur montre sa toute-puissance, offrant humblement sa superbe personne à l’admiration de clientes béates ?  

 

Keiji ricanait, piaffait de rage, plissait les yeux en haranguant sa captive.  

 

— Voyez au-delà des apparences Keiji ! Ryô, derrière ses airs de mufle égocentrique, est l’homme le plus généreux que je connaisse, le défendit-elle. J’en suis la preuve vivante.  

— Vraiment, vous y croyez ? Qu’y a-t-il de généreux à garder la femme que l’on aime auprès de soi dans un contexte de vie aussi risqué ? Laissez-moi rire. Même à ce niveau, il fait preuve du plus grand égoïsme qui soit en vous exposant inutilement au danger.  

— Pas du tout, vous ne comprenez rien ! J’ignore où vous êtes allé chercher qu’il y avait plus entre Ryô et moi que ce qui existe vraiment et je m’en balance complètement. Si je suis encore avec lui, aujourd’hui, c’est que je m’accroche à lui… désespérément…  

 

Les sanglots déformaient sa voix mais elle se fit violence et continua.  

 

— Il a promis à mon frère, alors que celui-ci rendait son dernier souffle dans ses bras, de toujours me protéger. Et jamais, vous m’entendez, jamais il n’a failli… Alors c’est vrai, il est fier et vaniteux… égoïste, menteur… il peut être méchant et violent même parfois. Il est coureur de jupon, alcoolique, grossier et impudique, vicieux et déluré. Oui c’est vrai qu’il a tous les défauts du monde mais il est incroyablement généreux, droit et fidèle en amitié. Il serait capable de mourir pour n’importe lequel d’entre nous. Vous m’entendez Keiji ? Aussi incroyable que ce soit, mon partenaire est un concentré de tous les vices et de toutes les vertus qui existent dans ce bas monde. Tout à l’heure vous me demandiez où je voyais une trace d’humanité chez lui…. Mais Ryô n’est qu’humanité.  

 

Elle était en transe, bien incapable de mesurer l’impact de sa déclaration sur les yeux dorés qui n’avaient cessé de l’admirer durant tout son monologue. Keiji avait serré les dents, son ventre avait accusé le choc des confidences. Lentement, il glissa sur elle un regard désabusé, jamais il n’avait vu femme plus belle… ni plus amoureuse.  

 

— Vous l’aimez tellement, parvint-il à balbutier, toujours immobile, les yeux brillants.  

— Dites-moi ce qu’il vous a fait, Keiji. Ça ne peut être qu’un malentendu, lui proposa-t-elle doucement, ignorant sa remarque.  

— Nous ne voyons pas cet homme avec les mêmes yeux Kaori, reprit-il posément. Nous ne pourrons jamais être d’accord. Mais je peux vous assurer qu’il n’y a aucun malentendu possible. Je l’aurais souhaité pourtant… rien que pour vous.  

— Qu’allez-vous faire de Chizu et de moi ?  

 

Il n’avait pas écouté la question, encore bouleversé par l’émouvante plaidoirie qu’elle venait de lui servir. Il secoua la tête et la regarda d’un air navré. Elle écarquilla alors les yeux.  

 

— Vous voulez nous tuer ?  

 

Une pâleur cadavérique gagna ses joues.  

 

— Je vous fais peur ? demanda-t-il en réalisant la méprise de la jeune femme. Kaori… Je ne veux pas vous faire de mal.  

 

Il luttait pour lui mentir. Il était inenvisageable de lui confier qu’elle allait être sacrifiée, inenvisageable aussi qu’elle connaisse les horribles menaces qu’il faisait peser sur elle à chaque coup de téléphone à son acolyte. Mais malgré le plan démoniaque qu’il avait ourdi, sa voix était empreinte d’une touchante sincérité et Kaori en fut rassurée. Elle continua de sonder les prunelles de Keiji où nuances dorées, brunes et cuivrées combattaient, espérant y lire quelques réponses supplémentaires et elle s’égara avec tristesse dans les méandres des iris torturés. Cependant, le geôlier mit brusquement fin à l’étreinte visuelle malaisante, il baissa les yeux, incapable de soutenir le regard scrutateur et inquisiteur, pliant sous la culpabilité du sort qu’il projetait pour sa captive.  

 

— Je n’en veux qu’à lui ! prononça-t-il comme s’il voulait se convaincre.  

— Que lui reprochez-vous ? Expliquez-moi… tenta-t-elle doucement en esquissant un geste, avant de renoncer à tout contact physique.  

— Je ne peux pas, balbutia-t-il avec maladresse. Je ne veux pas.  

— Vous voulez vous venger, n’est-ce pas ?  

 

Il acquiesça machinalement de la tête. Mentir ou nier n’était pas envisageable pour lui à ce moment de leur conversation.  

 

— La satisfaction d’une vengeance ne tient-elle pas à son explicitation auprès de celui qu’on déteste et qui est justement le support de cette vengeance, de lui expliquer pourquoi on en est arrivé là, d’avoir le plaisir de le voir comprendre que ce sont ses actes qui vont causer sa perte ?  

 

Il plongea dans le regard compatissant qu’elle posait sur lui. Un regard où transparaissait ce qu’elle était véritablement, une femme forte et fragile, sensible et altruiste, une femme également manipulatrice et frondeuse, une femme affichant le désir farouche de connaître la vérité, tenants et aboutissants, mais aussi une femme campant sur ses certitudes. Elle était l’amoureuse transie de Saeba, elle était sa coéquipière, son âme sœur, sa complice.  

 

Les doigts hésitant entre virilité violente et tendre attouchement pénétrèrent la chevelure rousse et indomptable ; ils se crispèrent et empoignèrent la crinière avec flamme. Les yeux écarquillés, Kaori ne sut résister et, sous l’élan irréfrénable de Keiji, elle échoua de tout son poids contre le buste qui ne cilla pas. En un souffle, elle fut enlacée. Le yakuza se pencha alors à l’oreille de la nettoyeuse pétrifiée.  

 

— Ma vengeance est une petite voix qui me parle à l’oreille comme je vous parle aujourd’hui, murmura-t-il d’un souffle chaud contre l’épiderme attentif. Je suis seul à l’entendre, elle a tissé avec moi une relation d’une exclusivité indiscutable et complexe. Ma vengeance me rappelle au quotidien comme mon histoire n’appartient qu’à moi, comme je fais corps avec elle, comme elle fait corps avec moi. Ma vengeance me montre comme je souffre et comme cette douleur torture mon âme, elle me pousse vers une mort inexorable. Je le sais je n’en réchapperai pas. Mais cette douleur est tout autant vitale que mortifère, Kaori. Elle seule enjoint mon cœur à continuer de battre, elle est mon moteur, elle est le feu qui me maintient en vie. Cette douleur, je la respecte plus que tout au monde. M’épancher aujourd’hui avec quiconque sur l’origine de ma douleur, sur mon histoire, serait un sacrilège impardonnable. Oui, ma vengeance est ma plus intime conseillère et elle est terriblement exigeante. Elle réclame la mort de Saeba. Chaque instant de ma vie désormais est voué à l’éradication de votre amour. Rien d’autre ne saura apaiser ma douleur, rien d’autre ne saura me libérer.  

 

Dangereux !  

 

L’ennemi était dangereux et, bien qu’elle ait soutenu le contraire, il était différent de tous ceux que City Hunter avait affronté par le passé. Et là, perdue entre ses bras somme toute doux et rassurants, elle se sentit impuissante. Elle avait tremblé quand il s’était confié, il n’avait pas pu ne pas le percevoir. Elle avait tremblé et son souffle s’était abîmé, comme le vent engouffré dans un tunnel sans sortie, piégé et condamné à s’éteindre.  

 

Keiji desserra son étreinte, libéra lentement la chevelure. Se faisant, il maintint la connexion de leurs regards. La nettoyeuse ne parvenait pas à masquer son inquiétude, ni son bouleversement ; ses intentions belliqueuses avaient fondu comme neige au soleil, ses traits étaient graves mais toujours immobiles. Le yakuza stoppa à quelques centimètres et concéda un sourire.  

 

— Jamais, je ne vous laisserai lui faire du mal.  

 

oOo
 

 

Ryô ouvrit la porte et se dégagea pour laisser entrer Mick et Falcon qui étaient arrivés aussi vite qu’ils avaient pu. Ils entendirent alors des talons précipités dans les escaliers et se penchèrent par-dessus la rambarde pour voir une jolie brune monter quatre à quatre les marches dans un affolement euphorique. Elle arriva vers eux et sans reprendre son souffle annonça :  

 

— Il a enfin fait une erreur ! Je sais comment on va l’avoir…  

 

 


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