Capitolo 19 :: Parce qu'il n'y a que lui

Pubblicato: 16-06-10 - Ultimo aggiornamento: 16-06-10

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Debout devant la cuisinière, la jeune femme reprenait ses marques dans l'appartement, laissant de temps à autre son regard se relever des petits plats qu'elle mijotait pour aller s'égarer sur les murs, les meubles... Tout ce qui l'entourait et lui était si familier qu'elle était capable de se déplacer en ces lieux en gardant les yeux fermés, mais en même temps, quelque chose faisait que tout lui paraissait nouveau.  

Peut-être était-ce dû au fait que pendant près de trois mois, pour la première fois depuis une dizaine d'années, elle avait vécu ailleurs, dans un pays étranger qui plus est. Peut-être était-ce dû au fait qu'en son absence, cela se ressentait que Ryo n'avait pas pris soin de la maison, ne prenant même pas la peine de l'aérer de temps à autre… Ou peut-être cela venait d'elle, de sa vision à elle qui faisait qu'elle ne voyait plus les choses comme "avant", posant un œil nouveau sur son logement, et la vie en général. Elle n'en avait aucune idée. A vrai dire, elle ne se posait pas vraiment la question, se contentant de prendre conscience de cet état de fait, et de redécouvrir ainsi cet appartement avant de reposer son regard sur ses fourneaux.  

Elle s'était réveillée aux aurores. Non, pas vraiment en fait. Pas pour elle en tout cas... Mais son organisme, en quelques heures, n'avait pas encore repris le rythme de la vie japonaise. Elle avait donc dormi comme aux États Unis, se réveillant à la même heure que là bas, sauf que le décalage horaire faisait que cette fois, elle se retrouvait la seule debout. Ce n'était peut-être effectivement pas plus mal ainsi. Elle pouvait prendre son temps pour se "ré-acclimater", sans le regard de Ryo posé sur elle. Un sourire ironique s'étira sur ses lèvres, elle avait quitté le regard de sa sœur pour venir subir celui de son partenaire, même si celui de Ryo était moins lourd que le précédent.  

A vrai dire, Ryo avait passé des heures à la regarder, sans dire un mot. Elle le savait même si elle n'était pas "sensée" le savoir. En rentrant la veille, elle était épuisée, aussi bien physiquement qu'émotionnellement d'ailleurs. Avec le passé de Ryo, elle ne pouvait pas trouver le sommeil dans un avion, son esprit la ramenait toujours à l'histoire de son partenaire. Elle avait donc passé les heures d'avion à lire ou à regarder les films proposés… Mais aussi à penser. A penser à la réaction de Sayuri quand elle lui avait dit qu'elle rentrait, mais aussi, surtout, à penser à Ryo. A la réaction qu'il avait eue, à leurs souvenirs en commun, à tout ce qui faisait "eux".  

Étrangement, quand il lui avait dit de revenir, elle n'avait rien répondu, rien ajouté, et il n'avait rien dit de plus pour pousser son choix dans un sens ou l'autre. Mais étrangement aussi, elle n'y avait pas réfléchi, elle n'avait pas choisi en soit de prendre une décision ou l'autre… Non… Contrairement à son départ du Japon où elle y avait pensé pendant des jours, se demandant ce qu'elle devait faire, cette fois ci, elle avait juste raccroché sans rien lui dire de plus à ce sujet. Et contrairement à la manière dont elle était arrivée ici, en raccrochant, elle n'avait pas pensé, juste pris l'annuaire téléphonique dans le salon et téléphoné à l'aéroport pendant que sa sœur la regardait faire.  

Et sans y réfléchir, elle s'était vue demander un vol pour le Japon, aller… Sans retour… Pour la première fois depuis des mois, elle n'avait pas eu à se forcer à penser à quelque chose, tout au contraire. La voix de son partenaire continuait de résonner dans sa tête, lui disant ce qu'elle devait faire : "revenir à la maison"… C'était son seul but à ce moment là, une fois de plus, avoir confiance en lui. Elle savait que c'était lâche de sa part de penser comme elle le faisait à ce moment là, mais au fond d'elle une voix lui avait dit qu'elle n'était arrivée à rien durant ces deux mois loin de lui, qu'elle ne pouvait pas faire face seule à cela contrairement à ce qu'elle avait espéré… Et cette même voix lui faisait réentendre celle de Ryo, lui disant de revenir…  

Cette même voix l'avait poussée à ignorer sa sœur et de téléphoner à l'aéroport de New York pour savoir quand elle pourrait avoir un vol, si elle pouvait même en avoir un avec le peu d'argent qui lui restait… La poussant en lui disant que si elle ne pouvait pas sortir elle-même la tête de l'eau, elle savait qui était la personne qui la maintiendrait à la surface, l'empêchant de sombrer… Lui rappelant que si elle n'était pas là, personne ne serait là pour le soutenir lui, pas parce que leurs amis s'en moquaient de ce qu'il pouvait ressentir, mais parce que jamais il n'accepterait de leur montrer sa faiblesse… Pas à eux… Elle s'était battue, bec et ongles, pendant près d'une décennie avant qu'il n'accepte de lui laisser entrevoir ne serait-ce que l'ombre d'une faille, alors eux…  

Et en parlant avec la standardiste chargée des vols pour Tokyo, elle avait soudainement réalisé qu'elle avait été stupide. Pendant des années, elle s'était battue pour former un tout avec lui, pour lui faire comprendre qu'ensemble, ils étaient plus forts, et elle avait choisi de panser ses plaies seule dans son coin… Elle avait voulu le protéger, mais elle en avait oublié le principal, qu'ils étaient plus forts ensemble… Elle avait voulu attendre de s'en être remise un minimum pour pouvoir l'aider lui à le surmonter après, mais Ryo, avec ses mots mal formulés venait de lui faire prendre conscience que jamais, elle ne pourrait surmonter cette douleur, pas entièrement en tout cas, et certainement pas en restant seule de son côté, sans personne pour l'aider, sans lui…  

En agissant ainsi, elle s'était trompée : même si c'était son corps, c'était aussi et avant tout leur enfant… Elle lui avait volé le droit de le pleurer ensemble d'une certaine manière… A trop vouloir le protéger, elle l'avait empêché de s'épancher sur une douleur qu'il avait, comme elle, le droit de ressentir… Comme tant d'autres avant elle… Alors que depuis des années elle faisait en sorte que Ryo Saeba s'ouvre aux autres et montre un peu plus ses sentiments… Mais elle avait compris son erreur à des milliers de kilomètres de lui. Et alors qu'elle avait fait ça, même si cela était parti d'une bonne intention, une fois de plus, il lui avait coupé le souffle en lui demandant de revenir de cette manière.  

Quel choix avait-elle ? Elle ne pouvait même plus survivre sans lui. Elle en avait pris conscience en lui parlant au téléphone. Elle savait depuis longtemps qu'elle ne "vivrait" pas sans lui, mais elle avait cru pouvoir au moins "survivre" loin de lui, pendant un temps du moins… Mais en entendant sa voix, elle s'était soudain rendue compte que même là, elle avait eu faux. Sans lui, loin de lui, elle n'était qu'une coquille vide, qui mangeait parce qu'on lui mettait la nourriture sous le nez, mais qui ne parlait pas, qui ne voyait pas la vie défiler sous ses yeux… Tout lui était indifférent depuis qu'elle l'avait quitté, avivant encore plus la douleur de la perte de leur enfant dans la solitude dans laquelle elle s'était plongée, sans lui.  

Alors elle avait téléphoné à l'aéroport, mais n'avait pu avoir un vol que pour deux semaine plus tard, à cause de la période de fête surchargée… Puis, elle avait du faire face à sa sœur qui ne voyait pas d'un bon œil le départ de sa cadette dans ces conditions… Mais Kaori n'avait pas cédé : elle devait le voir. Pas lui parler, juste le voir. Cette douleur qu'elle supportait seule depuis des mois, elle leur appartenait à eux deux, elle ne pouvait pas la surmonter seule. Elle ne pouvait même pas y faire face seule, se contentant d'essayer de l'ignorer sans pouvoir jamais y arriver… Et sa sœur n'avait eu d'autre choix que de la laisser partir, sans pouvoir comprendre ce que Kaori disait.  

Elle ne l'avait même pas prévenu, elle n'avait pas eu d'autres contacts avec lui depuis ce coup de téléphone, mais quelque part en elle, elle savait qu'il savait… Qu'il savait qu'elle arrivait, qu'elle allait répondre à son appel… Alors elle ne lui avait rien dit. Après tout, quelqu'un se rendrait bien assez compte de l'apparition de son nom sur les listes de vol en partance de New York… A vrai dire, elle soupçonnait même un certain ressortissant américain d'avoir une fois de plus usé de son charme. Si elle le connaissait assez, elle ne pensait pas se tromper en supposant que dès son départ, il avait fait surveiller les listes de passagers entre New York et le Japon… Après tout, dès sa toute première arrivée sur le sol nippon, il avait déjà des conquêtes dans les hôtesses de ces vols…  

Deux choses l'avaient surprises par contre à son arrivée dans son pays natal. La première fut en s'arrêtant pour prendre un sandwich à l'une des enseignes de l'aéroport de Tokyo puisqu'elle n'avait pas pu toucher aux repas durant le vol, l'estomac trop noué pour pouvoir avaler la moindre miette… Quelle ne fut pas sa surprise en voyant l'un des informateurs de City Hunter appuyé contre le mur à faire la manche. Il était loin de ses endroits de prédilections, ceux-ci étant ceux qu'elle visitait elle-même, la gare de Shinjuku le matin, la rue du Cat's Eyes l'après midi, les rues bordant leur immeuble le soir. Si quelqu'un pouvait savoir mieux que Ryo ou Mick où elle se trouvait, c'était bien monsieur Motoharu, le vieux Rei comme l'appelait son partenaire.  

Depuis les années qu'il suivait ce planning, la surveillant ainsi à sa manière sans jamais en avoir l'air, que faisait-il dans cet aéroport ? Un instant, elle avait pensé avoir vu juste, que Mick Angel savait l'heure de son arrivée et avait demandé à l'informateur de surveiller pour lui, mais plusieurs choses clochaient avec un tel plan. Premièrement, pourquoi Mick aurait-il fait cela s'il savait effectivement par l'intermédiaire d'hôtesses l'heure de son arrivée ? Il aurait fait la route pour venir l'accueillir lui-même plutôt, ne laissant pas la tâche à un mendiant, même si c'était là un mendiant de confiance, selon Kaori, et même s'il savait qu'elle avait un faible pour le vieil homme…  

Deuxièmement, l'attitude en elle-même du vieil homme en question. Accoudée au bar légèrement sur le côté des distributeurs qui faisaient face à l'indic, elle avait pu le détailler en attendant sa commande qui consistait d'un café et d'un sandwich au poulet et à la salade… Et il avait tout l'air de vouloir être partout plutôt qu'ici, sans pouvoir aller ailleurs, à fixer les machines ainsi. Elle connaissait assez ce mendiant pour savoir qu'il n'aimait pas les endroits comme celui-ci, où les gens passaient sans faire attention à rien ou alors le regardaient avec dédain comme s'il était un insecte dégoûtant qu'il ne fallait surtout pas approcher sous peine d'attraper quelque chose de malsain.  

Quand le vendeur lui apporta sa commande, elle eu confirmation en le voyant baisser sa tête, comme s'il avait honte de se trouver ici, ainsi, pour regarder les maigres pièces qu'il avait récoltées jusque là. Sans en avoir réellement conscience, elle avait mis le sandwich dans un sac plastique, pris ses sacs de voyages sur son épaule et le gobelet de café dans son autre main et s'était avancée vers lui. Ses sourcils s'étaient froncés sous la colère en voyant des capsules de cannettes dans la coupole du mendiant et elle s'était agenouillée devant lui, avant de s'asseoir à ses côtés un instant pendant qu'il mangeait son sandwich et avalait son café. Elle avait regardé cette foule où marchaient des êtres plus méprisables que des mendiants à ses yeux, car ne connaissant pas la douleur ou la misère, gâtés par la vie comme ils l'étaient. Et elle avait fait en sorte qu'il se sente à nouveau utile en faisant ce qu'elle détestait faire, jouant le rôle de la femme faible ayant besoin d'aide pour porter ses affaires. Mais elle y avait gagné en voyant l'humeur du vieil homme s'alléger à sa requête.  

Arrivée dehors, elle n'avait pas cherché, se contentant de s'installer à son tour contre le mur. Les personnes vers qui elle revenait étaient les meilleurs professionnels du milieu. Ils sauraient, d'une manière ou d'une autre qu'elle arrivait aujourd'hui, elle n'en avait aucun doute. Mais elle avait eu droit à une autre surprise ici encore, en voyant débouler la Mini de son partenaire, s'attendant vraiment à ce que se soit Mick Angel qui aurait su pour son heure de retour ou Saeko, mais pas Ryo lui-même… Et en même temps, quelque part, cela ne l'étonnait pas que se soit lui qui vienne la chercher. Après tout, il venait la chercher depuis des années, alors qu'elle, elle avait passé sa vie à l'attendre… Leurs rôles s'étaient inversés durant son séjour à New York, lui attendant son retour, mais apparemment ils reprenaient leur places sur le sol japonais.  

Elle ne s'était donc pas étonnée en le voyant descendre ainsi de sa voiture, se précipitant sur elle. C'était là une image qu'elle connaissait depuis bien longtemps, même si généralement, quand il se comportait ainsi, il avait son magnum à la main. Et quelque part en elle, elle n'avait pas non plus été surprise en le sentant la serrer contre lui, sans un mot. Alors seulement, en voyant le vieux mendiant s'éloigner vers la voiture pour y déposer ses bagages, elle était sortie de son apparente léthargie, entourant la taille de son amant de ses bras pour se serrer à son tour contre lui, respirant son odeur comme si, uniquement celle-ci pouvait lui prouver que sa route était finie, qu'elle était enfin rentrée à la maison.  

Elle ne savait pas combien de temps ils étaient restés ainsi, silencieux, savourant la présence de l'autre, comme s'ils ne pouvaient y croire. Elle n'en avait aucune idée. A un moment, la main de Ryo avait remonté le long de sa nuque, pour la forcer à croiser son regard et il lui avait embrassé le front en fermant les yeux. Elle avait senti ses lèvres murmurer son prénom contre sa peau et avait passé ses doigts dans les mèches brunes en batailles pour le forcer à son tour à la regarder, mais aucun mot n'avait été échangé d'un côté ou de l'autre mis à part ce murmure. Et puis, Ryo avait pris sa main et, ne voyant plus aucun bagages aux pieds de la jeune femme, il l'avait menée vers la voiture en la tirant gentiment par la main. Ses yeux s'étaient alors embués alors que ses doigts se refermaient sur les siens en les sentant trembler malgré lui.  

Elle avait regardé ce dos et elle s'était retrouvée des mois plutôt, là où tout avait réellement commencé pour eux en le voyant ouvrir sa portière pour elle. Il lui avait ouvert la portière puis avait lâché sa main pour faire le tour de la voiture. Arrivé du côté conducteur, il l'avait regardé par-dessus le toit de celle-ci en voyant qu'elle n'avait pas bougé de l'endroit où elle se tenait, le regardant faire en silence. Alors seulement il lui avait offert un sourire en coin, posant un bras sur le toit de la Mini pour la regarder à nouveau un instant alors que de l'autre il tenait sa portière à lui ouverte.  

- On rentre ?  

Qui était-elle pour refuser ? Ils avaient plein de choses à éclaircir, ils parleraient plus tard… Ou peut être, comme quand ils s'étaient finalement mis ensemble, ne parleraient-ils pas, se contentant de se comprendre en silence… Le principal était qu'ils étaient ensemble, c'était là le seul moyen pour faire face à la situation, pour ne pas laisser sa douleur les séparer à nouveau. Alors sans un mot, elle était montée dans la voiture et avait attaché sa ceinture en le voyant faire de même.  

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